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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
AVEC LA RESISTANCE HEROIQUE DU CAPITAINE ANDRE MERCIER (1 ) et (2)
 

Par le Colonel BERNARD

Le 2 octobre dernier, le décès du Général Marcel André Mercier a cruellement endeuillé non seulement notre Amicale mais l’Armée toute entière. Le Pays vient de perdre un serviteur de valeur exceptionnelle qui a personnifié tout au long de sa carrière, la bravoure, l’allant, l’audace, la ténacité et l’efficacité d’un combattant d’élite. Il joignait à ces vertus guerrières la réserve, le désintéressement personnel et la discrétion absolue qui ont toujours été une des caractéristiques essentielles de nos Services Spéciaux.

Le décès du Général Mercier étant survenu alors que notre « Bulletin de liaison n° 159 » (1993/III) était pratiquement « bouclé », le Colonel Paillole n’a pu rappeler que succinctement les raisons pour lesquelles cette disparition nous était particulièrement douloureuse. Il avait promis qu’un prochain « Bulletin » rappellerait, moins brièvement, la carrière exemplaire de celui qui fut « Camelia » du 4 juin 1943 (jour de l’arrestation du Capitaine Johannes) au 11 décembre 1943 (jour de sa propre arrestation en gare de Roanne). 

« Camelia » était le nom de code d’une des 3 « inspections régionales » qui, depuis mars 1943, se partageaient le commandement des Postes du « réseau des Fleurs », c’est-à-dire du réseau qui, entre l’Armistice et mars 1943, avait porté le nom de « Travaux Ruraux » (T.R. Anciens). 

La zone d’action de « Camelia » couvrait, grosso modo, les territoires des VII°, VIII°, IX°, XII°, XIII° et XIV° Corps d’Armée d’avant 1939. A ces responsabilités territoriales déjà fort absorbantes, le Chef de « Camelia » avait ajouté les fonctions d’Adjoint au Chef de réseau (Verneuil) lorsque le Lieutenant Challan-Belval, Adjoint en titre depuis plusieurs années, avait été désigné pour un poste en Angleterre. 

Aujourd’hui, le Colonel Paillole m’ouvre les colonnes de notre Bulletin pour que je parle du Capitaine Marcel André Mercier tel que je l’ai connu de 1940 à 1943. Je dois cet honneur au fait que j’ai succédé à Mercier après son arrestation et ai donc bien connu les activités de  « Camelia » de janvier 1944 à la Libération. Or c’est précisément au cours de cette période que Mercier a réussi le plus inattendu des exploits : la création à la Prison de Fresnes d’un Poste T.R. extrêmement efficace, dont les renseignements parvenaient... à « Camelia » (après un circuit peu banal comprenant des escales en Bretagne et à Vichy).

 

PREMIERE PARTIE

MERCIER, VOLONTAIRE DANS LES SERVICES DE C.E. DE L’ARMEE 

En 1940, lorsqu’un officier désirait entrer aux Services Spéciaux, il devait être « parrainé » par un officier du Service et était, en outre, l’objet d’une enquête qui prenait deux ou trois mois.

Mercier a rejoint les Services Spéciaux en décembre 1940. Il avait dû faire acte de candidature vers septembre ou octobre. A cette date, seuls les cadres les plus ardents de l’Armée d’Armistice s’étaient déjà rendus compte que la susdite Armée serait, en réalité, bien incapable de défendre efficacement la Souveraineté Française en Zone Sud s’il prenait fantaisie aux Allemands de violer la « Ligne de démarcation ».

Comme tous les nouveaux arrivants, Mercier rejoignit la branche « légale » du Service, c’est-à-dire un B.M.A. Il n’était pas question que des débutants, si ardents et bien notés qu’ils puissent être, soient lancés, d’entrée de jeu, dans la spécialité T.R. 

 

Mercier fut affecté au B.M.A. /13 à Clermont-Ferrand pour y apprendre « Notre Métier ».

C’est un métier difficile. Il exige l’acquisition d’une foule de connaissances nouvelles sur l’adversaire (ordre de bataille, organigrammes des Services ennemis, identités des personnels, nature, et caractéristiques des matériels techniques utilisés, habitudes de travail, etc...) Mais il faut surtout assimiler le processus mental du « monsieur d’en face », suivre sans erreur les méandres de son raisonnement et de ses ruses. Il faut pénétrer les secrets de sa tactique, la mécanique de ses manœuvres et la manière dont il les relie les unes aux autres. Cela représente des centaines d’heures de lectures arides et, parfois, fort ennuyeuses, des centaines d’heures de décorticage minutieux de procès verbaux, de graphiques, de statistiques, etc... Mais cela représente aussi des milliers de conseils donnés par des anciens rodés à tous les aspects du travail sur le terrain. Pendant une vingtaine de mois Mercier fut l’excellent élève d’une excellente école. En août 1942, lors de la suppression officielle des B.M.A. (en réalité remplacés par les B.S.M.), le Capitaine Marcel André Mercier était fin prêt à servir soit dans un B.S.M., soit dans un Poste T.R. : A Clermont-Ferrand le passage d’un service à l’autre n’était guère difficile puisque le B.S.M. /13 et le T.R. /113 étaient tous deux commandés par le Capitaine Paul Johannes alias Jansen. 

Les événements de novembre 1942 bouleversèrent profondément l’ambiance politique et la vie quotidienne de la majorité des Français mais ne changèrent que fort peu de chose pour le personnel T.R. qui fut seulement astreint à une clandestinité renforcée. Décembre et le début de janvier 1943 se passèrent dans l’attente du résultat des démarches que le Commandant Paillole effectuait à Alger et à Londres pour obtenir notamment les moyens radio, aériens et maritimes indispensables à de bonnes liaisons entre les Postes de Métropole et la Centrale algéroise. 

Le 19 janvier 1943 à 2 h. 30 du matin, l’aspirant Michel Thoraval est parachuté par la R.A.F. près d’Issoire. Dès le soir du même jour la liaison radio Clermont Angleterre est établie. Elle se poursuivra, pratiquement sans interruption jusqu’à la Libération (Nota : Devenu Docteur Thoraval, le brillant parachutiste d’antan déploie aujourd’hui, au sein de notre Amicale, une activité aussi efficace et une camaraderie aussi précieuse que celles dont il faisait bénéficier T.R. en 1943).

Au cours de deux missions successives en France : la première du 19 janvier au 18 février 1943, la seconde du 23 avril au 20 mai 1943, l’Aspirant Thoraval, étayé par une équipe fournie par T.R./113 et composée du Capitaine Mercier, de l’Adjudant-chef de Gendarmerie Hermann et du Chef Radio Simonin, allait déployer une intense activité pour assurer une liaison radio quotidienne avec Londres et Alger et pour rechercher (et faire homologuer par la R.A.F.) des terrains de parachutage ou de pick-up.

Le courage, l’enthousiasme et le sang-froid déployés par l’équipe dans cette mission (primordiale pour l’efficacité du réseau T.R.) furent tout à fait remarquables et valurent au capitaine Mercier un sobriquet dont il était fier à juste titre : Monsieur Verneuil  le proclama « Aile marchante du Service » et le surnomma « von Klück » parce que, le 23 août 1914, le Général Alexander von Klück, commandant la Iere  Armée allemande et « aile marchande » de l’offensive des Empires Centraux avait battu, à la bataille de Mons, les Armées anglo-françaises et les avait contraintes à évacuer la Belgique.

Lors de son intégration à T.R., Mercier occupait le 3e rang dans la hiérarchie du Poste T.R./113 (le n° 2 du Poste étant le capitaine Jean-Marie Roger, très légèrement plus âgé et plus ancien en grade que Mercier).

Le 2 février 1943, « Monsieur Verneuil » apprit que le Poste T.R. /117 (Toulouse) venait d’être décapité par la Gestapo et devrait être entièrement reconstitué. Il désigna comme nouveau Chef de Poste le Capitaine Roger. 

De ce fait Mercier devenait Adjoint de Jansen au commandement de T.R. /113.

Très peu de temps après, et à quelques jours d’intervalle, « Monsieur Verneuil » décidait de modifier :

1) la dénomination et 2) l’organigramme de son Réseau.

- 1) Tous les postes et organes de commandement du Réseau prenaient des noms de fleurs.

- 2) Un nouvel échelon de commandement, composé de trois « inspections régionales », était créé entre les Postes, devenus les Fleurs et la Direction devenue « Dalhia »

 

T.R. /1 13 promu au rang « d’Inspection Régionale Centre » prenait le nom de « Camélia ».

Au cours de la période comprise entre l’Armistice et l’occupation totale du territoire métropolitain, notre Service s’était montré d’une efficacité remarquable (près de 2.000 arrestations d’agents ennemis, protection de l’A.F.N. contre les entreprises des Services germano-italo-hispaniques, protection des camouflages d’armes, des mesures de mobilisation secrète, de reprise clandestine de fabrication d’armements, mise sur pied des premiers G.A.D., etc...) Nous avions subi des pertes, douloureuses certes, mais peu nombreuses (47 arrestations en 28 mois). 

L’invasion de la zone sud s’était traduite par une augmentation sensible, mais encore supportable, du rythme des arrestations qui, de novembre 1942 à avril 1943, se maintinrent aux alentours de 3 par mois. 

Il n’y avait plus d’arrestations d’agents de l’ennemi en Métropole mais nous avions enregistré quelques succès prometteurs :

A) Des liaisons radio directes et régulières ont été établies

1) avec l’Angleterre par l’Aspirant Thoraval.

2) avec Alger par le Capitaine Caillot (débarqué du « Casabianca » dans la nuit du 4 au 5 février 1943). 

 

B) Notre réseau d’agents de pénétration, mis en sommeil en novembre 1942, a été remis au travail par le Lieutenant Guillaume (débarqué du « Casabianca » dans la nuit du 4 au 5 février 1943). Les résultats sont extrêmement satisfaisants.

 

C) Trois parachutages et 2 pick.ups ont été organisés et réussis par l’équipe Thoraval, Mercier, Hermann, Simonin.

 

D) Surtout, espoir d’avenir, les renforts commencent à arriver d’Alger et de Londres, par sous-marins, parachutages et par l’Espagne.

a) Les « précurseurs du réseau T.R./Jeunes ont débarqué du « Marsouin » dans la nuit du 6 au 7 mai (Capitaine Avallard, Lieutenant Durrmayer, Radio Bollot). Installés à Marseille, ils dirigent désormais les liaisons par sous-marins et l’acheminement maritime du courrier sur Alger.

b) Le Capitaine de Peich (ex-officier de Sécurité de la Légion à Sidi Bel-Abbès) parachuté dans la nuit du 14 au 15 avril 1943, est venu apporter les toutes dernières instructions du Commandant en Chef et de la Direction de la S.M.

— aux Généraux Frère, Verneau, Revers, Gilliot, Olleris, organisateurs de l’O.R.A.

— au Colonel Navarre, organisateur du futur S.S.M./Précurseur.

c) Le Lieutenant Lheureux, parachuté le 18 mai 1943, installe dans la région lilloise, le premier « Poste Régional du Réseau T.R./Jeunes ».

Courant mai 1943, le tonus du Service est, non seulement élevé, mais porté à un peu trop d’optimisme car, en réalité, la Gestapo et l’Abwehr sont en train de préparer, avec minutie et précision une offensive dont elles escomptent la destruction totale et définitive de nos Services Secrets, de l’O.R.A. et des organisations de Résistance qui commencent à proliférer notamment dans le Massif Central.

 

 L’OFFENSIVE ALLEMANDE CONTRE NOS RESEAUX 1943

Lorsqu’une armée en campagne déclenche une offensive, cette dernière est minutée méticuleusement : Le jour « J », l’heure « H », les objectifs à atteindre au bout de tant d’heures ou de tant de jours sont fixés avec la plus grande précision.

Il n’en est pas de même pour les offensives policières, surtout quand elles visent des objectifs aussi divers et aussi importants que les objectifs visés par les Allemands après leur installation en Zone Sud.

Je n’ai pas eu en mains les ordres allemands concernant l’offensive contre les Services Spéciaux et la Résistance mais je pense que les projets nazis remontent, grosso modo, à l’époque de la « démobilisation » de l’Armée d’Armistice. 

Dès le 28 novembre 1942, en effet, le Lieutenant-colonel Reile, chef du III° F. (1) en France, avait adressé à l’O.K.W. un rapport virulent sur le thème général. 

« Depuis juin 1940, le S.R. français, violant impudemment les conventions d’Armistice, a poursuivi imperturbablement ses activités contre le Reich. La pénétration de la Wehrmacht en zone sud n’a rien changé à cet état de fait... Il ne s’agit pas de l’action personnelle de quelques excités mais d’une action générale animée par les bureaux officiels dont dépendent les coupables... Il est urgent de mettre fin à ces agissements scandaleux... » 

A Berlin, Kaltenbrunner (2) est bien du même avis et, le 8 janvier 1943, le S.D. (3) passe à l’attaque

A Vichy, la « villa des Songes » est envahie et le personnel qui y travaille en qualité de personnel d’un « Organe liquidateur de l’Armée d’Armistice » est raflé, au complet, par le Hauptsturmführer Hugo Geissler, Chef de la Gestapo de Vichy, qui dispose, en plus de son personnel, d’équipes parisiennes envoyées par Oberg.

Les Allemands agissent, en réalité sur des renseignements périmés. La villa des Songes a effectivement servi, avant le 8 novembre 1942, de P.C. à la Direction du S.R. Mais cette Direction s’est repliée sur Lyon lorsque les Allemands ont violé la « Ligne de démarcation ». Les Allemands ont mis la main, non pas sur la Direction du S.R. mais sur le personnel des « Affaires Musulmanes ». Ils comprendront leur erreur le 11 janvier et finiront par découvrir, à Loches, l’ancien titulaire du 2e Bureau de l’E.M.A., le Colonel R... Mais ce dernier n’est pas le Chef du S.R.

L’offensive allemande prendra un tour beaucoup plus sérieux le 17 février 1943 lorsque, profitant d’une trahison, l’Oberleutnant Kurt Merk, de l’Abwehrstelle de Dijon, capturera en bloc, à Lyon, la totalité du personnel et la quasi-totalité des archives de l’Agence « Technica ». Cette agence était, en réalité, la branche clandestine du 2e  Bureau de l’E.M.A. Elle centralisait et étudiait, depuis l’Armistice, les renseignements recueillis par le S.R. et les autres sources clandestines de l’Armée française sur l’Allemagne.

L’Abwehr vient de remporter une importante victoire et veut la compléter en mettant la main, dans la foulée, sur le Poste S.R. de Lyon (P/4) dont on vient de lui donner l’adresse. 

Le Lieutenant Merk avait encore plus de chance qu’il ne le croyait car l’adresse qu’on venait de lui donner n’était pas celle de P/4 (Poste S.R. de Lyon) mais celle de P/1 (une partie de la Direction métropolitaine du S.R.). Malheureusement pour les Allemands, l’opération, montée trop hâtivement fut un échec. La villa dénoncée fut mal bouclée et le Chef de P/1 qui y logeait lors de l’attaque put s’échapper (à 1 heure du matin, en pyjama, alors que la température avoisinait — 15°). 

Toujours tenace, l’Abwehr ne lâcha pas la piste. Le 11 mai 1943, les Postes S.R. P/1 et P/4 furent démantelés et le Poste C.E. « Souci » faillit bien disparaître lui aussi. Il dut « faire le mort » pendant une ou deux semaines. 

Se sentant le vent en poupe les Allemands accéléraient leurs attaques tous azimuts. 

Nous sommes aux alentours du 15 mai 1943: Si nous profitons des privilèges de l’historien pour effectuer un voyage-éclair dans l’avenir nous constaterons que six semaines plus tard, aux alentours du 1er juillet, les Allemands se trouvaient assez près des buts qu’ils avaient fixés à leur offensive.

Ils avaient décapité le Comité National de la Résistance (Jean Moulin et plusieurs membres importants arrêtés à Caluire, l’Armée Secrète (Général Delestraint, Colonel Gastaldo), l’Organisation de Résistance de l’Armée (Généraux Frère, Olleris, Anthoine, Gilliot).

Ils avaient aussi  éliminé plusieurs maquis en voie d’organisation, fait subir de très lourdes pertes à divers mouvements de Résistance, déclenché les premiers affrontements d’une guerre civile dont certaines plaies saignent encore, neutralisé le S.R. (neutralisation qu’ils espéraient définitive mais qui ne dura que quelques semaines grâce à l’énergie du personnel S.R. et en particulier à celle du Capitaine Lochard, nouveau Chef du réseau « Kléber »), porté au Contre-espionnage des coups dont nous allons parler plus en détail.

Quand je parle des « lourdes pertes subies par certains mouvements de résistance, je pense, en particulier aux pertes du réseau « Alliance », dirigé par Marie-Madeleine Méric (Fourcade). Ce mouvement perdit en quelques heures, à Vichy, fin mai 1943, 27 de ses membres et ces arrestations opérée au moment où se déclenchait une importante opération nazie contre « Camélia » entraînèrent, dans l’esprit de certains policiers allemands, une confusion entre le « Fall Alliance » et le « Fall T.R. ». Ces policiers ne savaient plus très bien si T.R. était une branche d’Alliance ou si Alliance était une branche des Travaux Ruraux.

Cette salade eut, finalement, une conséquence tragique pour un de nos camarades le Capitaine Proton, père de six enfants. Chef du Poste de Toulouse (T.R. 117). Proton fut obligé de changer d’air fin janvier 1943. Il fut muté au réseau S.M./Précurseurs du Colonel Navarre et désigné comme Chef du B.S.M. du Mans. Arrêté, à ce titre, au Mans le 8 mars 1944 il fut considéré à tort par le S.D. comme membre du réseau « Alliance » et confié à la Gestapo de Strasbourg chargée de centraliser les affaires « Alliance ».

En novembre 1944, au moment où la 2e D.B. libérait Strasbourg, le Capitaine Proton fut assassiné par la Gestapo avec un groupe de membres du réseau « Alliance » tués d’une balle dans la nuque et jetés dans le Rhin (les Gestapistes assassins ont été fusillés en 1947).

 

DEUXIEME PARTIE

Revenons à l’offensive policière allemande contre le T.R./Anciens.

 MERCIER, MENACE, CONTINUE LE COMBAT

Le 26 mai 1943, le Capitaine Gatard est arrêté à Limoges. Le 27 l’Adjudant- chef Chotin connaît le même sort. Ils animaient tous deux une antenne survivante de T.R. 112 (Poste T.R. de Limoges supprimé en 1942 et dont les survivants avaient été rattachés au Poste de Clermont-Ferrand.) 

Après ces deux arrestations dans le Limousin, l’attaque allemande se porte sur Clermont :

Le 4 juin, le Capitaine Johannes (alias Jansen) est arrêté ainsi que son épouse, son fils et sa belle-sœur.

Le Capitaine Marcel André Mercier (devenu n° 2 de « Camélia » depuis le début de février) devient, du fait de l’arrestation de « Jansen », « Chef de Poste et Inspecteur Régional Centre du Réseau ». C’est une lourde charge pour un jeune officier qui n’a guère plus de 30 mois d’ancienneté dans le Service de Contre-espionnage mais l’expérience montre qu’il ne faut jamais bouleverser, en plein combat, l’encadrement d’une unité engagée. Au fur et à mesure des pertes, le commandement se transmet dans l’ordre hiérarchique. C’est après le combat que le Commandement opère, s’il l’estime nécessaire, la remise en ordre de l’encadrement. 

Mercier prend donc, sans perdre une seconde la succession de « Jansen ». Il s’en montrera parfaitement digne. Il ne disposera que de 4 jours pour s’adapter à ses nouvelles fonctions et à la situation, peu enviable, de gibier traqué. Dès le 9 juin les Allemands envahissent son domicile. Il n’est, heureusement, pas chez lui et Madame Mercier est, également sortie. Les Allemands raflent toutes les personnes présentes et installent une souricière où se feront prendre une dizaine de victimes, pour la plupart sans attaches de service avec T.R. mais cela importe peu au S.D. qui arrête non seulement nos hommes mais leurs parents, leurs amis, voire leurs simples voisins. 

Le réseau va déplorer, au cours de cet affreux mois de juin, 43 arrestations qui vont s’ajouter aux 22 subies depuis la pénétration de la Wehrmacht en Zone Sud et aux 47 subies entre l’Armistice et novembre 1942.

Sur les 43 arrestations opérées en juin : 29 concernent des membres du réseau et 14 des gens qui n’auraient jamais dû être inquiétés. La plus jeune des détenues est cousine de Mercier. Elle a tout juste 12 ans. Le plus âgé est le père du Capitaine : Il a 66 ans. 

Certains membres du réseau, arrêtés en juin représentent un capital de connaissances techniques difficilement remplaçable. Tels sont les vieux briscards d’avant l’Armistice comme Johannes, Ambs, Simonin. 

Johannes, 44 ans, joint à son expérience de Contre-espions chevronné de précieuses qualités linguistiques : il connaît un nombre impressionnant de dialectes et patois germaniques.

Ambs, lorrain bilingue, est plus jeune : il n’a que trente-quatre ans mais compte déjà neuf ans de présence aux Services Spéciaux. Il a été recruté alors qu’il était jeune sergent au 16e  B.C.P. C’est un secrétaire hors ligne qui doit normalement, devenir rapidement officier.

Simonin n’a que trente-deux ans; mais c’est un technicien radio de classe exceptionnelle : il a été formé au 8e Génie, berceau de la radio militaire et il fait honneur à ses instructeurs. Depuis l’Armistice il sert en qualité de Chef radio à « Cambronne » (4). Il vient de se distinguer tout particulièrement dans l’aide apportée à l’aspirant Michel Thoraval, et Thoraval ne tarit pas d’éloges sur la compétence technique et la valeur morale de Simonin (qui est également un combattant déterminé car, lors de son arrestation, il blesse d’une balle au bras le Sonder-führer Scheide du S.D. de Paris). Déporté à Buchenwald, Simonin disparut sans laisser de traces (Nacht und Nebel) comme la majorité de nos camarades déportés dans le même camp.

Aux pertes en « capital humain » subies par notre réseau en juin 1943 il convient d’ajouter les pertes en matériels de toutes natures saisis au cours des opérations policières et cela va des documents saisis chez « Jansen » aux postes radio en construction découverts chez Simonin... en passant par les économies du Capitaine Roger, simplement volées par un Gestapiste inconnu.

La saisie la plus spectaculaire (mais non la plus dangereuse) eut lieu dans le Gard, à Ledenon : Les Allemands mirent la main sur plus de 20 tonnes d’archives historiques du Service évacuées du 2 bis avenue de Tourville en juin 1940 et redéployées à « Cambronne » en 1941. Saisies successivement à Ledenon par le S.D. en juin 1943 et en Tchécoslovaquie par le K.G.B. en 1945, ces archives ne purent être exploitées par les Nazis, (voir à ce sujet nos Bulletins 152 et 155).

La crise de juin 1943 fut donc extrêmement grave pour notre Service et « Monsieur Verneuil » lui-même frôla de près l’arrestation : Le 15 juin, en effet, les Allemands arrêtèrent, à Issoire, le Capitaine de Gendarmerie Kerhervé qui cumulait le commandement de la Gendarmerie d’Issoire et les fonctions plus discrètes de chef de la Protection rapprochée du P.C. de notre réseau.

Par application des consignes formelles de sécurité prévoyant l’évacuation immédiate de tout local de travail connu d’une personne arrêtée, Verneuil quitta la région d’Issoire et alla s’installer dans la région de Roanne. 

Le Capitaine Kerhervé fut assassiné par la Gestapo sans avoir révélé ce qu’il connaissait de T.R.

Le ménage Verneuil prit sous son aile, à Pouilly-sous-Charlieu (Loire) le jeune ménage Mercier qui avait perdu dans l’aventure la totalité de ses biens, à l’exception des vêtements endossés le 9 juin matin. Notons d’ailleurs que ce même jeune ménage ne pouvait espérer aucune aide familiale puisque les rares membres non arrêtés de la famille étaient étroitement surveillés par la Gestapo.

Belles conditions pour exercer, en toute sérénité d’esprit un commandement important et dangereux ! ! !

Il me paraît équitable de souligner, à cette occasion l’aide que nous ont apportée nos épouses, soit en affrontant avec un courage souriant les dangers que leur faisait courir notre présence, soit en acceptant les angoisses d’une séparation qui laissait à leur charge tous les soucis de l’éducation des enfants et leur retirait tout appui d’un chef de famille dont elles ignoraient même s’il était encore en vie. A l’époque dont nous parlons Madame Verneuil et Madame Mercier ont partagé les dangers courus par leurs maris. Remercions-les du courage dont elles ont fait preuve.

 

(1) Section du Contre-Espionnage de l’Abwehr.

(2) Chef du RS.H.A. (Organe Suprême de la Sécurité du Reich).

(3) Sicherheitsdienst - Contre-espionnage nazi - Cellule du R.S.H.A.

(4) Depuis fin 1940, on lui doit la réalisation des liaisons radios avec Alger ainsi qu’avec les réseaux internes de T.R. — Un contact a été établi avec Londres en 1941.

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 162

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