Les Services spéciaux de 1940 à 1945
Les T.R.
T.R. est le sigle donné au réseau clandestin de contre-espionnage issu de l'Armée le 1er juillet 1940 pour lutter contre les Services spéciaux de l'Axe. Cette appellation était celle d'une société civile de "Travaux Ruraux", société fictive et éphémère, créée pour camoufler l'existence et les premières actions du réseau clandestin.
Le siège social était situé villa Eole, boulevard de la Plage à Marseille. Après négociations, les autorités allemandes qui, bien sûr, interdisaient le maintien du service de C.E. de l'armée, dont l'action était orientée contre l'Allemagne et l'Italie, tolérèrent l'existence d'un Bureau (B.M.A.) chargé de garantir les unités et services de l'Armée d'armistice contre les menées dites antinationales.
Les T.R., se trouvaient donc en opposition avec cette règle et en contradiction avec la politique de collaboration. Ils devaient être officiellement homologués F.F.C. à daté du 1er septembre 1940 et déclarés unité combattante sous l'appellation S.S.M.F./T.R., regroupant les formations clandestines de sécurité et de contre-espionnage.
1ère phase : du 1er juillet 1940 au 31 mai 1942. Cette première phase a consisté a implanter le réseau, à reprendre en mains les correspondants ainsi que les agents et à engager, dès l'été 1940, l'action clandestine, sous le camouflage de l'entreprise des "Travaux Ruraux" et, à partir d'octobre 1940, sous la protection des B.M.A., seul organisme autorisé par les clauses d'armistice.
L'activité offensive se traduisit par une pénétration accrue de l'Abwehr (avec une douzaine d'agents), ce qui permit la mise à jour de son ordre de bataille et le recueil de renseignements sur les intentions de l'ennemi, renseignements qui allaient être transmis à l'I.S. (exemples: abandon de Seelowe, projet d'attaque de Gibraltar, attaque de l'U.R.S.S. en juin 1941).
L'activité défensive consista à: assurer la protection du S.R. et des mouvements de résistance; en laison avec le B.M.A., arrêter plus de 1.000 traitres et agents ennemis (30 exécutions) et effectuer environ 150 transferts en A.F.N.; opérer une répression sommaire (12 exécutions); faire obstacle à l'infiltration de l'Abwehr en A.F.N.
2me phase : du 31 mai 1942 à janvier 1943. Les services adverses ayant alors connaissance de l'activité et du siège des Travaux ruraux, il fallut en déménager le P.C., qui fut transféré dans la banlieue ouest de Marseille, et mettre les archives à l'abri. Le sigle T.R. fut cependant gardé.
La fin des B.M.A étant programmée pour août 1942, simultanément fut créé le S.S.M., confié au commandant Paillole, tandis que Lafont (alias Verneuil) devenait responsable des T.R , la direction S.M./T.R. étant reconstituée à Alger.
Des B.S.M. clandestins, sous la direction du général Navarre, furent progressivement implantés jusqu'en septembre 1943, et le commandant Paillole devait assumer, dès son arrivée à Alger début 1943, la direction de l'ensemble.
Le réseau T.R. fut renforcé par la création du T.R. 125 à Barcelone, et sa réorganisation générale fut la suivante: T.R. 112 fut supprimé et transféré à T.R. 113. T.R. 113 fut réuni avec T.R. 113 bis à Paris (Jansen). T.R. 114 passa sous la direction de Hurel T.R. 115 fut réuni avec 115 bis à Nice (Georges, Henri). T.R. 117 fut réuni avec 117 bis à Perpignan (Debré) Enfin, en 1941-1942, furent créés : le T.R. 119 à Alger (Germain), le T.R. 120 à Casablanca (Toussaint) et le T.R. 121 à Tunis (Richepin, Fontès).
La pénétration de l'Abwehr et du S.D. est accrue et l'ordre de bataille ennemi tenu à jour. Les liaisons radio, par voies maritimes, aériennes et terrestres avec Londres et Alger furent intensifiées. Cependant, la répression ennemie augmentait (accords Oberg, Bousquet), tandis qu'avait lieu un recours intensif aux mesures D (Morhange, Blémant, Thiry) et qu'un fichier spécial était constitué (mesure F). Une ligne directe fut instaurée entre l'I.S. et la D.S M. (radio "Cub-Minor") et des accords furent conclus entre Paul Paillole et Menzies (25/31 décembre 1942).
L'action défensive se poursuivt en métropole (environ 300 arrestations et 10 exécutions, dont 7 "mesure D", avec le groupe Morhange).
3me phase : de février 1943 au 8 mai 1945. Pour répondre aux découvertes faites par les Allemands, le T.R. ancien fut transformé en réseau "Fleurs" et le P.C. quitta Marseille pour Le Puy.
Un "T.R. Jeune" fut constitué et mis en place avec Vellaud, tandis que le S.S.M. clandestin se développait avec Henri Navarre. Les liaisons s'intensifièrent : maritimes à partir de la Provence et de Barcelone, aériennes avec Londres et Alger, terrestres par les filières de Saint Sébastien et de Barcelone, enfin radio.
A la fin de 1944 le bilan des laisons T.R.-S.S.M. clandestin était de: - 28 opérations maritimes (Corse, Provence, Espagne), - 16 opérations aériennes (Londres, Alger), - 36 postes radio en service avec Londres et Alger: plus de 3.000 messages échangés de 1942 à fin 1944.
"T.R. choc" fut créé, équipe qui, sous la direction du capitaine Boffy, devait être parachutée dans le Var avec les tout premiers éléments de la division aéroportée anglo-américaine.
"Force A" fut organisée, c'était, au sein de l'état-major d'Eisenhower, une unité dirigée par le général anglais Dudley Clark, où Américains, Anglais et Français bâtirent un plan de fausses nouvelles et mirent au point des moyens d'intoxication de l'ennemi.
Les agents français contribuèrent notamment aux opérations concernant les offensives sur la Tunisie, la Sicile et la Calabre, "Overlord" (débarquement en Normandie ) et Dragoon (débarquement en Provence).
"Fortitude", opération d'intoxication organisée par les Anglais et les Américains pour préparer le débarquement en Normandie, mise au point en novembre 1943, fut une des actions de la "Force A". Elle consista à faire croire aux Allemands, d'une part à un débarquement en Scandinavie, d'autre part que le débarquement en Normandie n'était qu'une manoeuvre de diversion destinée à masquer un débarquement dans le Pas-de-Calais. Fortitude allait contribuer de façon importante au déroulement des opérations en Normandie.
Au S.H.A.E.F. (Supreme Haedquarters of Allied Expedionary Forces), état-major d'Eisenhower, consacré à la préparation d'un débarquement outre-Manche) à Londres, Paul Paillole, du 5 mai au 15 juin 1944, aida à mettre au point les mesures de sécurité des débarquements et les opérations de libération, veilla aux effectifs nécessaires et à la préservation des archives (de juin 1944 à mai 1945 seront saisies celles de l'Abwehr, du S.D., de la Gestapo et de Rommel).
Enfin la souveraineté française en matière de sécurité et de contre-espionnage fut assurée (signature d'une convention Eisenhower-Direction S.M./T.R.).
Cependant l'activité défensive continuait à s'exercer en A.F.N. (759 arrestations, 150 exécutions) et en métropole (mesure D: 23 exécutions) et devait se poursuivre pendant les opérations de libération et après le 8 mai 1945, en liaison avec le S.S.M. (4. 589 arrestations dont 756 condamnations à mort).
Le S.R. Kléber
Kléber est le nom de code donné après l'invasion de la zone sud par la direction d'Alger à l'ensemble des éléments de recherche du renseignement du S.R. Guerre restant en France (en fait le réseau devait être homologué par la suite à dater de juillet 1940), soit au total une quinzaine de réseaux dont l'action s'étendait sur toute la France.
Son commandement avait été confié au lieutenant colonel Delor par le colonel Rivet partant pour Alger, puis il fut assuré, à partir de fin juin 1943, par le commandant Bertrand et, après l'arrestation de ce dernier, par le capitaine Lochard. Cette branche prendra au printemps 1944 l'appellation de Saturne.
En 1943, le S.R. Kléber comportait: - Une annexe à Paris (de l'ancien S.R. Guerre, poste 2), avec les réseaux Marco, Chabor, Gallien, Jean Messner, Berne-Bruno, Jérôme, Gérard, Cérès (qui avait pour mission de dresser l'ordre de bataille des unités formées de ressortissants russes), Coronel, Archevêque.
Certains de ces réseaux se regrouperont au sein du réseau Marco. - La branche de Lyon (issue du S.R. Guerre P4) qui prendra au printemps 1944 le nom de Uranus. - La branche de Marseille (issue du S.R. Guerre P5), qui prendra l'appellation de Eole, puis de Mercure, au cours de l'été 1944. - La branche de Toulouse (issue su S.R. Guerre P6), avec une zone d'activité élargie et qui deviendra Flore, puis Vénus l'été 1944.
Le S.R. Air
Lors de l'armistice de 1940, des aviateurs désireux de poursuivre la lutte et conscients de l'importance capitale de l'aviation dans l'issue de la guerre, se sont regroupés autour du colonel Georges Ronin qui était à la tête de la section Air du S.R. depuis 1936.
Celui-ci, dès fin 1940, installa son poste de commandement à Vichy. Le S.R. Air a alors entrepris la recherche et l'exploitation de renseignements concernant l'aviation au profit de la R.A.F., les Britanniques étant les seuls à permettre l'exploitation de renseignements dans des délais compatibles avec leur efficacité.
Henri Navarre dit que le colonel Ronin réussit à prendre un contact direct avec son homologue britannique et à noyauter les services d'écoute des P.T.T. Grâce à un ingénieur de l'armée de l'Air il put organiser un service de décryptage et une écoute des escadres allemandes.
Au moment de l'invasion de la Zone Sud, en novembre 1942, le S.R. Air effectua, comme le S.R. Guerre, un repli partiel sur l'A.F.N. Cependant, en France, à partir de ce moment, les réseaux constitués (Samson, François Villon) couvrirent tout le territoire. Leurs agents ne négligeant pas les renseignements susceptibles d'intéresser le S.R. Guerre, une collaboration s'établit, notamment avec les réseaux Gisèle, Lenoir, des Ministères, Albert-Arnaud et Aubray, ainsi qu'avec les T.R.
Le général Jean Bézy écrit (dans "Le S.R. Air"): "Le réseau François Villon transmit, dans la deuxième quinzaine de mai (1944), tout l'ordre de bataille de la Wehrmacht dans l'ouest et le sud de la France; ces renseignements rapidement exploités à Alger, firent l'objet d'un document remis par nos services au général De Gaulle lorsqu'il se rendit d'Alger à Londres le 3 juin juste avant le débarquement en Normandie.
Les réseaux Samson et S.R. Air Gervais avaient donné avant le débarquement une énorme moisson de renseignements sur les défenses de Normandie, Bretagne et côte Atlantique et sur l'ordre de bataille de la Luftwaffe; depuis plus d'un an et sur demande expresse de la R.A.F., ils avaient porté leur effort sur la localisation des radars ennemis et des rampes de V1 permettant ainsi leur neutralisation préalablement aux opérations de bombardement d'autres objectifs."
Le S.R. Marine
Au moment de la mobilisation, le S.R. Marine n'avait qu'un effectif réduit. Il devint le 5e Bureau des Forces Maritimes Françaises (F.M.F./5), sous les ordres de l'amiral Darlan.
Après la débâcle polonaise, le F.M.F./5 recueillit une partie du S.R. polonais, puis il fut supprimé le 27 juillet 1940. Enfin, en août 1941, il apparut, avec le S.R. Guerre et le S.R. Air, dans un ensemble réunifié sous le nom de "Centre d'Information Gouvernemental" (CIG).
En août 1942, fut créé un S.R. centralisé des trois armées, sous la direction du Cl Rivet. Mais quand, en novembre 1942, le S.R. Guerre et le S.R. Air se replièrent sur l'A.F.N. ou entrèrent dans la clandestinité, le S.R. Marine décida de se conformer aux ordres de l'amiral Darlan et fut en principe supprimé.
Cependant, certains de ses éléments continuaient à agir au sein du 2e Bureau Marine et à travailler avec le S.R. Guerre, avec pour objectifs prioritaires l'Allemagne et l'Italie. Il s'agissait là d'initiatives individuelles.
A la fin de la campagne de Tunisie (mai 1942), dans le cadre de la "Direction des Services de Renseignements et de Sécurité Militaires" (D.S.R.-S.M.), créée à Alger le 14 novembre 1942 et réunissant les trois armées, le S.R. Marine était aux ordres du capitaine de corvette Trautmann.
Le poste de Casablanca avait été très tôt renforcé. A Berne, le poste "Bruno-Marine" eut une grande activité de novembre 1942 à la fin de la guerre. Bien que basé en Suisse, les renseignements "marine" qu'il fournit furent très utiles aux états-majors navals alliés (situation permanente des sous-marins allemands, activité des bases en Baltique et en Norvège, des ports français de Nice à Dunkerque, de la marine italienne).
Deux réseaux de l'ancien S.R. Marine s'étaient maintenus sur les côtes de Provence et du golfe du Lion et les renseignements qu'ils fournirent furent profitables au débarquement d'août 1944.
Enfin, la participation des marins fut capitale pour les liaisons maritimes clandestines entre Alger et la France ( "missions Tube", en particulier rôle essentiel du sous-marin "Casabianca").
Le S.R. Marine eut une action directe lors du débarquement en Provence: sept officiers et dix gradés furent parachutés en France en juillet 1944 pour s'opposer à certains sabotages prévisibles. Sur la côte méditerranéenne, avec l'aide de contacts établis, ils parvinrent à désamorcer des engins destinés à rendre le port de Sète inutilisable, à préserver des emplacements d'accostage à Port-de-Bouc et à Marseille, à détruire des radars de surveillance de zones d'atterrissage.
Au moment du débarquement, une action psychologique du S.R. Marine permit de rallier de nombreuses petites unités.
Les agents des Services spéciaux
P.O. : agent occasionnel. P.1. : agent permanent non rétribué. P.2. : agent permanent rétribué. W : agent de pénétration infiltré dans le service de renseignement adverse. W 2 : agent recruté par le service de renseignement adverse et retourné au profit du S.R. français. H.C. : "Honorable Correspondant", personne qui, du fait de sa position, était en mesure de rendre des services au S.R. français (bénévole).
Les effectifs
Les effectifs des réseaux ayant appartenu à l'ensemble de ces services secrets sont, d'après Henri Navarre, approximativement les suivants à l'issue du conflit:
S.R. Guerre
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3.514 |
dont Branche "Renseignement" S.R. Kléber
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1.879 |
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dont Réseaux annexes (ayant travaillé pour le S.R. Guerre)
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361 |
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dont Branche "Contre-espionnage" Réseau S.S.M.F./T.R.
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(*)1.274 |
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S.R. Air
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407 |
S.R. Marine
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220 |
Total Services secrets militaires
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4.141 |
(*) D'après le Colonel Paillole, le total des agents et cadres des réseaux S.S.M./T.R. homologués en 1950 est de 1.683 (nombre inférieur à la réalité, des homologations tardives ayant eu lieu après cette date). Le pourcentage des victimes est légèrement inférieur à 20%.
Pour l'ensemble des Services, les pertes officielles subies sont en dessous de la vérité, aussi la liste qui figure à Ramatuelle sera-t-elle encore à compléter à mesure des recherches faites pour honorer la mémoire de tous leurs héros.