logofb

 

 
 
line decor
Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
line decor
 

 


 
 
 

 
 
PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
MA MISSION « T.R. JEUNE » (4)
 

par Georges GASQUET

Nous continuons le récit dicté de notre camarade dont nous avons publié les chapitres précédents dans les B.L. 123, 124, 125 et 127.

Parachuté le 22 octobre 1943 près de Carcassonne Gasquet a gagné Toulouse où il a pris contact avec le Capitaine de Bonneval (1)   . Son poste émetteur étant tombé en panne il est obligé de s'adresser à un magasin Radio pour le faire dépanner.

ENNUIS DE LIAISON

C'était parait-il un ancien officier de marine qui m'accueille très gentiment. Je lui donne mon poste, il le regarde et appelle un de ses employés en lui disant Dépannez cet appareil ! J'avais pris la précaution de démonter le manipulateur espérant qu'on ne reconnaîtrait pas un poste émetteur. L'employé n'a bien entendu pas été dupe et m'a froidement dit : « Mais c'est un appareil émetteur ? » J'ai pris mon air le plus bête pour répondre : C'est un camarade qui m'a chargé de la commission. Je croyais que c'était un poste radio qu'il avait bricolé lui-même. J'étais vraiment dans mes petits souliers.

Me rendant compte que dans la pièce que j'avais installée, l'antenne n'était pas très favorable au point de vue propagation, j'ai recherché un logement à l'extérieur de Toulouse. Au brave paysan qui a accepté de me louer une pièce, j'ai raconté que je voulais quelque chose à la campagne pour venir me reposer de temps en temps. J'ai pu installer une très bonne antenne dans le grenier. Malgré cela je n'ai jamais pu établir une bonne liaison. Je recevais bien aux heures prévues les émissions de Casablanca mais j'avais beau essayer de répondre, je n'arrivais pas à prendre le contact.

Est-ce que mon Poste était parfaitement réparé ? manquait-il de puissance ? quoiqu'il en soit j'ai dû renoncer à me servir de cet émetteur.

J'étais à peine installé depuis huit jours que Philippe Henriot, vient donner une conférence à Toulouse. Je décide d'y assister. Un service d'ordre impressionnant filtrait les entrants. Ce fut une excellente occasion de tester la valeur de ma carte d'identité. Rien à dire, elle était parfaite. El Biar avait bien travaillé.

Le thème de la conférence était Les événements en Afrique du Nord ».

Je dois reconnaître que Philippe Henriot était fort bien renseigné. Si l'inter­prétation qu'il donnait était tendancieuse, elle était très astucieuse.

Au départ, le public était froid. On le sentait plutôt hostile à Philippe Henriot. Il s'en est aperçu, a interrompu son laïus pour s'adresser à la salle, l'engueuler copieusement, ce qui lui a valu un énorme applaudissement à la fin de sa harangue. Il avait entièrement retourné son public. J'avoue que j'avais été impressionné par son talent. J'ai regretté que nous n'ayons pas son équivalent à Londres. Ce pauvre Pierre Dac n'aurait pas fait le poids.

 

PRÉCIEUX CONTACTS

Je décide d'aller voir mon père dont j'avais l'adresse à Nîmes. A l'adresse indiquée, on me répond qu'il a déménagé et qu'il est à Lyon. On refuse de me donner son adresse. Je décide tout de même de tenter ma chance et je pars pour Lyon où j'arrive de très bonne heure le matin. J'attends la fin du couvre-feu et vers huit heures je décide d'aller à tout hasard au bureau de la Place. Je traverse le cours qui est devant la gare Perrache et avant de prendre la rue qui devait me conduire au Bureau de la Place, machinalement ou instinctivement je me retourne et j'aperçois mon père qui partait dans une direction opposée. Je lui cours après, lui tape sur l'épaule. Nous tombons dans les bras l'un de l'autre. Coïncidence ou télépathie, je vous laisse juges...

Mon père me fournit les quelques renseignements en sa possession et me donne surtout l'adresse de deux personnes sûres, l'une à Toulouse, l'un de ses anciens officiers, l'autre à Béziers. C'était l'un de ses camarades de l'armée qui était adjoint au Maire de Béziers.

Lorsque je suis allé voir ce Monsieur, j'ai été très bien accueilli en tant que fils de mon père, mais il me prévient : « J'ai donné ma parole au Maréchal. Il n'est pas question que je collabore avec vous, mais vous pouvez compter sur moi si je peux vous rendre un service personnel. Je lui ai demandé de me faire établir de nouvelles pièces d'identité. Je suis revenu quelques jours après chercher mes cartes d'identité, de tabac, d'alimentation. Elles me faisaient cruellement défaut car Alger n'avait pu me fournir les papiers complémentaires de la carte d'identité.

 

UN PERSONNAGE CURIEUX

J'en reviens à Lemaitre. Personnage curieux et énigmatique à la fois, manifestement vicieux, ravi de jouer les éminences grises, persuadé d'avoir un grand pouvoir. On prétend qu'il était haut dignitaire de la franc-maçonnerie toulousaine ce qui ne l'empêchait pas d'aller à la messe tous les dimanches. Il était honorable correspondant de toutes les organisations. En contact avec nos Services, mais aussi en contact avec la Gestapo, avec la Milice, bref ce Monsieur grenouillait dans toutes les directions.

Ce fameux Lemaître était l'un des adjoints du Docteur Martin, le chef des Services de Renseignements de la Cagoule. A ce titre, il possédait un fichier remarquable sur tout le sud-ouest. Il l'avait camouflé quelque part dans la nature. Un sous-officier d'aviation le tenait à jour. Ce Lemaître ne m'a jamais fourni de renseignements extraordinaires mais je doit reconnaître qu'il m'a souvent rendu des petits services et m'a permis de recruter des agents. Ainsi, lorsque Vichy avait créé le service anti-juif et anti-maçonnique, il avait réussi à faire embaucher un de ses hommes qui m'a souvent renseigné. Il a été jugé par la Cour de Justice après la Libération et je suis allé témoigner en sa faveur. Toujours par l'intermédiaire de Lemaître, j'ai embauché un jeune gars qui s'appelait Rouch et qui était en contact avec la Gestapo de Toulouse.

Lorsque les Allemands ont quitté Toulouse, Rouch est parti à Barcelone où il aurait, parait-il, rendu des services à notre antenne T.R. Il a eu des ennuis lorsqu'il est rentré en France.

A Toulouse, j'ai mené une vie relativement calme. J'ai déménagé assez souvent. J'ai été toujours mal logé, tantôt dans une cuisine, tantôt dans un garage. Je n'ai pas fait merveilles sur le plan renseignements. C'est un métier très dur, souvent démoralisant ; on se sent isolé, on ne peut faire de confidences à personne et on n'a aucune idée de l'exploitation de ce que l'on fournit.

Conformément aux ordres que j'avais reçus j'avais pris contact avec la fameuse équipe Morhange. Leurs expéditions étaient passionnantes mais je ne devais pas y participer.

 

UNE VILLE EXTRAORDINAIRE

J'avais l'habitude de faire régulièrement des liaisons sur Marseille. Dans cette ville extraordinaire on n'avait pas le sentiment d'être en territoire occupé. C'était le paradis, on avait l'impression de n'y courir aucun risque. Pour moi, c'étaient de véritables vacances chaque fois que j'allais voir ce brave LARVA (2). Son accueil était très chaleureux.

Je n'ai jamais été contrôlé ni à la sortie de la gare ni en ville. Le train que je prenais le plus souvent arrivait vers 11 heures du soir. Comme il avait toujours du retard, c'était le couvre-feu. Aucun problème, pas besoin de laissez-passer, il y avait toujours des taxis à la porte de la gare et il suffisait de prendre un de ces taxis pour aller sans encombre là où on désirait. Il n'en était pas de même à la Gare de Toulouse. Les Allemands considéraient Toulouse comme la plaque tournante du sud-ouest et on était fréquemment fouillés à la gare. Il fallait vraiment ouvrir l'oeil lorsque l'on portait des documents ou des matériels compromettants.

Les Allemands étaient si peu maîtres de Marseille que le bruit courrait qu'il y avait environ dix mille déserteurs allemands qui y vivaient notamment dans le quartier du vieux port. Ce pourrait être une des raisons pour laquelle ce quartier a été rasé. Dans toutes les villes de France on pouvait manger au marché noir, mais il fallait montrer patte blanche, être connu. On vous introduisait avec des airs de conspirateur dans une arrière salle où on se trouvait entassé et où on mangeait un vague beefsteak frites. A Marseille rien de comparable.

Il suffisait d'avoir l'adresse d'un bon coin pour être reçu sans formalité. Il en était ainsi du « Bistrot du Port. » Sur la porte d'entrée, un bristol  « Club Privé ». Lorsqu'un Allemand se présentait, très aimablement, il se faisait éconduire sous prétexte qu'il s'agissait d'un établissement privé. Il y avait un bar, un salon et une cheminée allumée tout l'hiver, de magnifiques poutres en bois, c'était vraiment intime et confortable.

Dans une arrière salle on mangeait remarquablement. Jamais personne ne vous demandait rien.

Un autre restaurant de marché noir était « Le Grenier », toujours sur le Vieux Port. Dans une vieille maison ne payant pas de mine, sans enseigne à l'extérieur, il fallait monter au troisième étage. La salle était aménagée avec vue sur le Vieux Port. Un maître d'hôtel stylé vous portait une carte de quatre pages.

Je ne voudrais pas que le trésorier de la D.S.M. se retourne dans sa tombe en lisant ce qui précède. Je ne voudrais pas non plus que les lecteurs pensent que nous passions notre vie à gueuletonner. A Marseille pourtant, j'avais encore un autre pôle d'intérêt. J'avais retrouvé ma cousine, la Canadienne et là, le prestige irrésistible de l'agent secret aidant... Je lui en ai quand même voulu de m'avoir tenu la dragée haute si longtemps.

A Toulouse, l'atmosphère s'alourdissait. Les Allemands, la milice, se montraient de plus en plus actifs, on sentait que l'étau se resserrait et les nouvelles qui nous parvenaient d'Alger n'étaient pas pour nous remonter le moral. Il nous tardait de voir arriver le débarquement. Nous étions pour la plupart convaincus qu'il nous serait impossible de tenir jusqu'au delà de la fin de l'année.

 

ARRIVÉE DE L'ÉQUIPE PAPILLON

Un jour, je vais voir le père Espardeilla. Une grande joie, une grande surprise m'attendait, l'équipe Papillon venait d'arriver, via Barcelone. Nous tombons dans les bras les uns des autres. Jacques Cobet devait rester avec moi à Toulouse. Georges Espardeilla devait partir pour Carcassonne et La Papillone, je ne sais où... Nous passons quelques jours ensemble, c'était merveilleux. Le voyage en sous-marin s'était très bien passé pour eux, par contre, le franchissement des Pyrénées ne s'était pas effectué sans incident ni émotion. Partant faire une liaison à Marseille et chercher du courrier, je décide d'emmener Jacques Cobet avec moi pour le présenter à LARVA. Le processus de prise de contact était le suivant : il y avait un petit bistrot à Marseille où nous pointions pour prendre l'apéritif. Un camarade de l'équipe T.R. de LARVA passait régulièrement pour voir si des copains étaient là. Il les aiguillait alors sur son P.C. A l'entrée du bistrot, il y avait une espèce de large couloir avec un bar sur la gauche, au fond était la salle. Il pleuvait ce jour-là. Avec Jacques, nous poussons la porte et entrons rapidement. Trois hommes se trouvaient au comptoir. Ils se retournent d'un bloc et nous tombent dessus. C'était la souricière dans toute sa beauté. Parmi ces trois hommes, il y avait deux Allemands et un Français. Le Français me demande mes papiers. J'avais fort heureusement ma nouvelle carte d'identité parfaitement en règle et les papiers annexes, carte de ravitaillement, carte de tabac, etc... Je les lui tends. Après les avoir examinés attentivement, il me demande ma carte de travail. Je n'en avais pas. Je lui explique que j'arrive d'Allemagne et qu'il n'y a qu'un mois que je suis en France comme l'attestent les papiers en ma possession. Il me répond :« Je comprends, j'ai été prisonnier également nais dépêchez-vous de trouver du boulot. » Il me rend mes papiers. Ouf ! Nous avons bu un pot rapidement et nous avons évacué les lieux.

Pour la première sortie de Jacques, c'était un beau baptême du feu. Il le subit avec tous les honneurs. Il n'avait pas bronché pendant toute la séance.

Nous retrouvons LARVA par une filière de secours et nous l'alertons immédiatement en lui disant que sa boîte aux lettres était brûlée. Ce jour-là je récupère chez un camarade un magnifique 7.65. LARVA m'ayant chargé d'une liaison sur Lyon, je demande à Jacques Cobet qui rentrait directement à Toulouse de prendre l'arme avec lui. Il n'avait pour tout bagage qu'un « baise-en-ville » avec une brosses à dents, un pyjama et une serviette. Il enroule le pétard dans la serviette et le met au fond de la valise, le pyjama par dessus, la brosse à dents et le dentifrice en pagaille sur le tout. Arrivé à Toulouse, il tombe sur un contrôle sévère. Il est fouillé à corps. Le policier ouvre la valise, aperçoit la brosses à dents, écarte le pyjama, voit une serviette et n'a pas été  plus loin. Pour sa première liaison sur Marseille, Cobet était bien servi. Il a dû y penser souvent. Ceci prouve bien que tant que l'heure n'est pas venue on peut tout se permettre.

Revenu moi-même à Toulouse, alors que je sortais de chez mon coiffeur, Place Wilson, je m'arrête devant la vitrine pour admirer quelques flacons. Cette vitrine montait jusqu'au premier étage où se trouvait le salon de coiffure pour dames. Ma soeur qui était de passage dans la région était allée chez le coiffeur et se trouvait précisément sous le casque derrière le haut de la vitrine; elle m'a aperçu, m'a reconnu, a voulu se précipiter vers moi qui ne l'avais pas remarquée. Le temps de se dégager du casque, d'enlever ses serviettes, j'avais disparu. Elle était folle de rage et mon père s'est fait passer un beau savon pour ne pas lui avoir dit que j'étais en France.

 

AVEC LE GROUPE MORHANGE

A cette époque, je ne sais plus pour quelle raison, je suis allé vivre quelque temps avec l'équipe de Marcel Taillandier-Morhange. Une ambiance extraordinaire régnait, affolante et pourtant on avait une impression de sécurité extraordinaire. Le seul point noir était lorsqu' André Fontès me demandait de l'accompagner en voiture. Il fallait être inconscient pour monter à côté de lui. Il transformait n'importe quelle voiture, si minable soit-elle en véritable bolide de course. On avait l'impression de courir plus de risques qu'en présence des Allemands. Je dois reconnaître qu'il conduisait remarquablement. La sensation de sécurité était cependant factice. A la Libération on a trouvé dans les tiroirs de la Gestapo une série de photos prises dans les rues par certains soi-disant photographes ambulants. La plupart des membres de l'équipe Morhange y figuraient, comme moi-même. J'en ai encore froid dans le dos.

 

MISSION EN ESPAGNE

Au printemps 1944, lors d'une liaison à Marseille, LARVA m'annonce que je dois faire une mission à Barcelone. Je n'étais pas fâché de quitter la région toulousaine pour quelque temps. Une nouvelle vie allait commencer pour moi.

Nous disposions de plusieurs filières de passage au travers des Pyrénées. La plus importante et la plus régulière était celle de Cerdagne. La Cerdagne est un haut plateau à 1.200 mètres d'altitude faisant 25 km de long sur 8 de large. Il est situé à l'extrême ouest du département des Pyrénées-Orientales et limité au sud par l'Espagne. Ce plateau est entouré de massifs montagneux de haute altitude (plus de 2.800 m) qui l'isolent aussi bien de l'Espagne que du reste de la France. En direction du nord, on trouve un second haut plateau, plus petit, qui s'étire en direction de l'Aude et de l'Ariège.

Lorsque je parlerai de la Cerdagne, il sera entendu que le Capcir en fait partie. Le Capcir lui aussi est isolé du reste du monde par des chaînes de montagnes, hautes et inaccessibles. Les habitants sont des montagnards habitués à mener une vie rude. Ce sont aussi, de toujours, des contrebandiers notoires ayant besoin de cette activité pour survivre. Cela nous avantagera beaucoup car ce sont des gens discrets, ayant un préjugé favorable pour tout hors la loi circulant dans la région.

Nos activités étaient trop actives et ont duré trop longtemps pour qu'ils les ignorent. Nous n'étions d'ailleurs pas les seuls à avoir des filières dans ce secteur ; les Anglais et les Américains en avaient plusieurs qui fonctionnaient bien.

Il y avait trois voies d'accès pour parvenir en Cerdagne, la route et la voie ferrée avec le fameux petit train jaune à voie étroite venant de Perpignan, une autre route secondaire en provenance de Quillan et Axat, route nord-sud qui aboutissait au Capcir et la route de Toulouse-Ax-les-Thermes-Bourg-Madame, également nord-sud. Cette route était doublée d'une voie ferrée à voie normale et le dernier débouché c'était celui sur l'Espagne, Bourg-Madame­ Puigcerda. Il était difficile de parvenir en Cerdagne car toute la région était classée zone interdite. Il fallait avoir soit des laissez-passer spéciaux, soit une carte d'identité prouvant que l'on habitait la région. Par contre, lorsque l'on était en Cerdagne, tout se passait sans histoire.

Il n'y avait que deux garnisons allemandes, l'une à Mont-Louis, dans le fort construit par Vauban et l'autre à Puyvalador. Il y avait bien entendu des postes de la Gestapo un peu partout, notamment à Mont-Louis, à Font-Romeu et à Bourg-Madame. Des équipes de garde-frontières et de douaniers allemands, tous âgés, patrouillaient dans la montagne et n'étaient pas dangereux. Les Allemands ne disposaient pas de chars et en dehors des batteries antiaériennes de Puyvalador il n'y avait qu'un seul canon à Mont-Louis.

Alger m'avait demandé une étude visant à créer un territoire libéré dans la région et ceci aussitôt après le débarquement en Normandie. Il est regrettable que l'on n'ait pas donné suite à ce projet. S'il ne présentait pas un gros intérêt au point de vue militaire, sur le plan psychologique il aurait pu avoir des conséquences énormes. Il était enfantin d'isoler la Cerdagne avec une poignée d'hommes décidés et quelques explosifs pour faire sauter les routes et les ponts. Les Allemands n'étaient plus en mesure de mobiliser suffisamment d'hommes pour réinvestir cette région qui aurait été inaccessible à leurs véhicules et à leurs chars.

L'effectif d'un seul bataillon pouvait tenir toute cette zone. Le ravitaillement aurait été assuré sur place, la région étant riche en céréales et en troupeaux. Au point de vue sanitaire, les sanatoria locaux étaient équipés et la contrebande se serait chargée de nous fournir les compléments indispensables à notre survie. I1 y avait de plus à la Liagnone à côté de Mont-Louis un terrain d'aviation de secours que les Allemands avaient neutralisé en y creusant des tranchées. Il aurait pu être rapidement remis en service, permettant à des avions légers d'assurer des liaisons. Je suis persuadé que l'installation d'un tel réduit de résistance aurait eu un impact énorme tant pour les Français que pour les Allemands.

 

LES FILIERES MISES EN PLACE

Nous n'utilisons que la voie ferrée Perpignan-Saillagouse où se trouvait la plaque tournante de nos filières, en l'occurrence, la Gendarmerie de Saillagouse avec son chef   Botet. Il a fait un travail remarquable et pris des risques considérables. Nous utilisions de préférence la voie d'accès par Quillan, qui aboutissait à Quérigut. Quérigut est un petit village à la limite de la zone interdite entre l'Aude et l'Ariège. Le docteur Marot avait la haute main sur cette filière. Le gros du courrier T.R. en provenance de Toulouse ou de Marseille atterrissait à Quérigut. Par contre, le petit courrier ou les plis très urgents étaient acheminés par Perpignan avec la complicité de cheminots qui se sont montrés très sûrs et très dévoués. La cheville ouvrière de cette organisation de liaisons était le célèbre Parent dit « Claude. »

Voici comment fonctionnaient nos filières :

A Perpignan, il y avait plusieurs relais. Je n'en connaissais qu'un : celui d'une jeune infirmière. Il suffisait de se présenter à elle avec un mot de passe pour être hébergé et pris en charge. De là partait une photo de l'agent en direction de la Gendarmerie de Saillagouse où l'on établissait une carte d'identité valable pour la région interdite. J'ai eu droit pour ma part à une carte d'identité d'ouvrier mineur, dans les mines d'Escarot.

On attendait ensuite qu'il y ait plusieurs personnes à faire passer, on prenait alors le train, escorté par un gendarme de la Brigade. Il se mettait quelques compartiments plus loin pour surveiller les opérations. Le passage délicat était à Villefranche où l'on changeait de train pour prendre le petit train jaune, train électrique ressemblant plus à un jeu qu'à un chemin de fer. Dans ce train, on était généralement contrôlé. Les papiers étant bien faits, tout se passait généralement bien. Lorsque l'on arrivait à Saillagouse, le gendarme d'escorte prenait les agents en charge, les emmenaient chez Antoine Cayrol, boucher du village qui les hébergeait.

Nos agents qui évitaient Perpignan et arrivaient à Quérigut soit à pied depuis Quillan (Terminus du chemin de fer), soit en cars, soit en voitures, étaient pris en charge par le docteur Marot et sa femme pharmacienne. Ils attendaient qu'une escorte vienne les chercher. A partir de Quérigut, une équipe de guérilleros en armes assurait la sécurité du convoi. Nos courriers qui transitaient par là étaient les plus importants. Ils atteignaient parfois deux cents kilos. Il n'était pas question qu'ils tombent aux mains des Allemands. Ces guérilleros étaient vraiment des durs. Ils avaient été sélectionnés par un certain Mas, ancien commandant de brigade internationale pendant la guerre d'Espagne. Tous condamnés à mort dans leur pays, leurs têtes étaient mises à prix. Ils avaient du mérite puisqu'en Espagne également il y avait une zone interdite qui était spécialement contrôlée le long de la frontière. Grâce à eux s'il y a eu quelques fois des émotions, nous n'avons jamais eu de perte ni perdu le moindre courrier. Il passait dans les deux sens avec une régularité digne de la poste.

L'itinéraire était Quérigut-Puyvalador-Formillières. Là se trouvait un relais où l'on était éventuellement hébergé et ravitaillé, puis Mont-Louis, Saillagouse, ­Saillagouse-Lie-les-Gorges-du-Sègre. On atterrissait alors au mas le plus haut de la région, le mas-Patiras. Il était perdu dans la montagne et accessible uniquement par un chemin muletier. Sur la carte, il est signalé comme « Maison Forestière. » Cette partie du parcours se faisait obligatoirement de nuit. Il y avait pas mal de coins malsains à traverser, notamment un point de passage obligé sur la rivière le Têt, tout près de Mont-Louis. Elle était souvent en crue et ses eaux glacées.

 

(1) Futur aide de camp du Général de Gaulle.

(2) Capitaine Avallard, chef du Poste T.R. Jeune de Marseille. Mort en déportation.

 

 

 
Début / Suite / Haut de page
 

 

Article paru dans le Bulletin N° 128

Dépot légal - Copyright

Enregistrer pour lecture hors connexion.

Toute exploitation, de toute nature, sans accords préalables, pourra faire l'objet de poursuites.

Lire l'Article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle. - Code non exclusif des autres Droits et dispositions légales....