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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
MA MISSION « T.R. JEUNE » (5)
 

par Georges GASQUET

Nous publions ci-dessous la suite du récit dictè de notre camarade dont nous avons publié les chapitres précédents dans les B.L. 123, 124, 125, 127 et 128.

Parachuté en France le 22 octobre 1943 près de Carcassonne GASQUET a pu, après quelques difficultés initiales, s'organiser en vue de sa mission. Dans le chapitre précédent il décrit les filières mises en place grâce en particulier à la gendarmerie de Saillagousse et à son chef BOTET.

LA LIAISON SUR BARCELONE

Les passages délicats s'effectuaient sous forme de patrouilles avec éclaireurs de pointe, gros de la troupe et deux arrières-gardes. Parvenus au Mas­Patiras on avait droit à vingt-quatre heures de repos, on était ravitaillés et on repartait au lever du jour pour attaquer la haute montagne.

A partir du Mas, la visibilité était étendue et on ne risquait pas de tomber dans une embuscade. Par contre, l'ascension était très dure. On franchissait la frontière au col Nouria à 2 500 mètres d'altitude. De là on descendait en direction de Ripoll et on s'arrêtait à un mas espagnol, équivalent du Mas Patiras, complètement perdu dans la montagne. On pouvait s'y reposer et attendre qu'une voiture de la Callé Montaner (1) vienne nous récupérer à Ripoll. De Quérigut à Ripoll on comptait trente heures de marche effectives. La filière entre Saillagouse et Ripoll était impraticable pour les dames ou les personnes handicapées. Il y avait une filière de secours qui allait à Llivia en passant par Estavar. A Estavar, une nommée Dolorès prenait les gens en charge et leur faisait passer la frontière pour les emmener à Llivia, petite enclave espagnole située en territoire français, à trois ou quatre kilomètres de Puigcerda.

Cette filière auxiliaire était rapide, facile au point de vue terrain mais dangereuse parce qu'elle était terriblement surveillée, tant par les Allemands que par les Espagnols.

De Llivia un Espagnol nommé Baillout prenait en charge les « colis » et les emmenait soit à Puigcerda, soit à Barcelone avec sa camionnette. Il fallait passer par la route internationale reliant Llivia à Puigcerda et les Allemands n'en respectaient pas la neutralité.

C'est par cette filière que sont passées Monique Giraud et après elle la Maréchale de Lattre en avril 1944. Nous disposions de nombreuses complicités dans toute la région et tout comme Dolorès qui prit des risques considérables, personne ne fut récompensé malgré les propositions que je fis après la Libération.

                    

VOYAGE EN COMPAGNIE DE BERNARD DE LATTRE

Revenons à ma liaison personnelle sur Barcelone. Je quitte donc Toulouse en direction de Perpignan. A Narbonne, changement de train, de nuit. L'attente est longue. Le train pour Perpignan était formé sur une voie de garage. Il se trouvait dans l'obscurité la plus complète. Je grimpe dans un compartiment, écrase quelques pieds, m'excuse et une fois de plus ma voix me joue un vilain tour. Je m'entends interpeller :«... Mais... tu n'es pas le " Chasseur "?» J'allume rapidement mon briquet pour identifier l'interpellateur. C'était Christian ! Christian Durrmeyer qui, lui aussi, allait à Perpignan pour y escorter le nommé Dupont qui se rendait à Barcelone pour regagner Alger. Il était recherché par la Gestapo. Dupont était le coéquipier du Capitaine Pimont (Dick) qui, à l'instigation de la D.S.M. avait simulé une évasion d'Algérie pour rejoindre la France et se mettre à la disposition (?) de l'Abwehr (2).

Nous arrivons sans encombre à Perpignan et atterrissons chez l'infir­mière qui habitait dans le quartier de la gare. Nous y sommes restés deux jours en attendant nos cartes d'identité et nous prenons le train pour la Cerdagne. Le voyage s'effectue sans encombre. Nous atterrissons chez Cayrol le boucher qui nous héberge.

La nuit suivante Cayrol nous accompagne jusqu'au Mas Patiras où nous devons attendre que la filière de Quérigut vienne nous rejoindre. Cayrol à l'époque était tout jeune, dix-huit ans tout au plus. Il s'est dévoué sans compter à notre cause et n'a jamais été récompensé.

Lorsque le courrier de Quérigut est arrivé à Saillagousse le 18 avril 1944, il y avait en plus des guérilleros de l'escorte : Parent, Guetten (3) et un jeune homme qui à l'époque ne m'a pas été présenté. Il y avait également un inspecteur de Police en provenance de Toulouse. Il avait été brûlé par l'équipe Morhange et avait besoin de prendre le large. Getten accompagnait Madame de Lattre et son fils depuis Paris et Toulouse. Madame de Lattre est passée par Llivia tandis que son fils est venu nous rejoindre au mas Patiras. Il avait une quinzaine d'années. Il s'est montré d'une résistance et d'un courage extraordinaires. Nous entreprenons avec lui l'ascension de la montagne. Très rapidement nous trouvons la neige. Dupont qui n'était plus tout jeune et pas en bonne forme physique s'est avéré incapable de continuer. Il étouffait et n'arrivait plus à avancer. Nous étions encore beaucoup trop loin du sommet pour le hisser ou le porter. Il fut décidé de l'envoyer tenter sa chance par Llivia. On lui a expliqué par où il fallait passer et il a réussi dans son entreprise. Nous avons quant à nous poursuivi notre marche de plus en plus pénible. Avec le soleil de Cerdagne, la neige se transforme vite en glace, par endroits elle avait parfois deux mètres d'épaisseur. Nous avons découvert les corps de pauvres types qui avaient comme nous tenté leur chance. Ils étaient ensevelis sous la glace et on les voyait parfaitement. Certains passages étaient tellement dangereux qu'il a fallu s'encorder et tailler des marches avec nos pistolets. Finalement, nous arrivons au fameux mas espagnol, de l'autre côté de la frontière, morts de fatigue mais heureux de nous mettre à l'abri. Nous nous couchons dans un peu de foin au-dessus des bêtes qui nous tenaient chaud.

Le lendemain, pendant qu'un gars de l'équipe d'Espagnols allait téléphoner à Barcelone, nous décidons de nous restaurer. Nous achetons au propriétaire du mas un mouton et nous faisons un méchoui au bord de la rivière. Il faisait très beau et le méchoui accompagné de riz était succulent. C'est là que les choses se sont corsées. Comme boisson, le brave paysan avait un fût de moscatel. Nous ne connaissions pas ce vin. Nous l'avons mis à tremper dans le ruisseau très frais. Nous étions encore crevés, il faisait chaud et le moscatel descendait tout seul... Vers cinq heures de l'après-midi il a fallu reprendre la route pour arriver du côté de Ripoll à la nuit. Le vin avait fait son effet. Les premiers kilomètres, sur un petit sentier, ont été épiques. Le jeune Bernard de Lattre butait sur les cailloux, s'étalait de tout son long. A chaque fois, il se relevait et repartait sans rien dire. Nous nous moquions gentiment de lui, mais nous n'étions guère plus brillants. Aux abords de Ripoll nous nous sommes cachés dans un petit bois au bord d'une route et nous avons attendu que la voiture de notre poste T.R. de Barcelone conduite par Domingo, vienne nous récupérer. Nous sommes arrivés dans la ville au milieu de la nuit. Exténués le Rouquin (4)  nous attendait avec une collation. J'étais heureux de revoir mon patron et de nous retrouver sain et sauf après tant d'épreuves.

 

VACANCES EN ESPAGNE

On nous a fournis des papiers et logés chez l'habitant en nous demandant de revenir le lendemain après-midi, Callé Montaner. Je pensais rester trois ou quatre jours à Barcelone et rentrer en France. Pas question, le Rouquin me dit : " Vous êtes en France depuis un an, vous avez droit à une permission. Vous pouvez soit profiter de l'avion qui conduira Madame de Lattre et son fils à Alger, soit rester ici" . Barcelone m'ayant paru sympathique, je décidai de rester.

Barcelone est une belle ville, très vivante. Tout était illuminé, les gens étaient dehors la moitié de la nuit. Le ravitaillement était facile. Il n'y avait pas de marché noir mais un double secteur : le libre et le secteur avec tickets.

J'ai passé ainsi les plus belles vacances de ma vie. Nous étions un groupe de quatre copains et nous avions pris l'habitude de prendre tous les soirs un apéritif à la mode espagnole. A tour de rôle, chacun payait son éco. Cela revenait horriblement cher, mais qu'importe... Quelques temps plus tard, je vis avec surprise se pointer Morhange et Achille Viadieu.

Avec eux nous devions établir notre P.C. dans une boîte de nuit célèbre, la Buena Samba. Il y avait deux orchestres et une ambiance du tonnerre. Très rapidement, la boîte nous appartenait. Lorsque nous arrivions on fermait les portes. Les Espagnols eux-mêmes n'y avaient plus accès. Le Rouquin à plusieurs reprises nous y a reçus en grand seigneur, comme il savait le faire. Achille et Marcel ont bien fait d'en profiter car leurs jours étaient comptés. Bien entendu, j'ai aidé mes camarades de T.R. à la Calle Montaner. J'y ai fait la connaissance de tout le monde, de Tonton (5), d'Olibo, de l'adjoint du Rouquin, du radio, etc. J'avais complètement oublié la guerre et les Allemands lorsqu'un matin, on me dit : « Mon vieux, finies les vacances!... vous repartez dans trois jours. » Avec les deux copains qui allaient m'accompagner, nous nous précipitons pour faire des achats. Nous nous sommes procurés des sacs tyroliens et les avons bourrés de chocolats, de tissus, de chaussures, de thé et de toutes sortes de choses susceptibles de faire plaisir à nos amis en France.

 

RETOUR AU PAYS

Entre-temps, nous avions reçu de mauvaises nouvelles de France. J'en parlerai plus loin. Première étape en voiture jusqu'à Ripoll. A partir de là nous attaquons la montagne en direction du fameux mas espagnol. Là nous avons une première émotion. Alors que nous circulions escortés de nos guérilleros, nous nous sommes aperçus que nous avions perdu les éclaireurs de pointe. Les guérilleros les ont recherchés sans succès et se sont dit qu'ils les retrouveraient probablement au mas. Arrivés au mas, aucune nouvelle des deux gars. L'inquiétude grandit. Grand conciliabule chez les guérilleros : « les gars ont dû être arrêtés, il faut les délivrer il faut attaquer la prison de Ripoll ! ...

Au moment de passer à l'exécution nos deux sbires arrivent exténués. Ils étaient effectivement tombés sur une patrouille espagnole qui les avait fait courir et les avait complètement déroutés.

Le lendemain nous reprenons la route de la montagne. A chaque halte, de plus en plus épuisés, chacun de nous défaisait son sac tyrolien. Après beaucoup d'hésitations et de regrets, on se délestait d'une partie du chargement que nous étions bien incapables de hisser jusqu'au sommet de la montagne. Nous sommes arrivés en France avec nos sacs tyroliens à moitié vides. Les Espagnols eux-mêmes étaient suffisamment chargés pour ne pas vouloir récupérer ce que nous abandonnions. Après une halte au mas Patiras, nous repartons de nuit en direction de Quérigut. Arrivés à Formilières, nous nous arrêtons chez Soubielle, nous en avions plein les bottes. C'est là que le lendemain matin nous apprenons le débarquement en Normandie. Cela changeait tout. Je décide alors de revenir au mas Patiras pour solliciter de nouvelles instructions de Barcelone.

J'ai heureusement un bon sens de l'orientation et avec une vulgaire carte Michelin, de nuit, j'ai pu retrouver les points de passage et le mas Patiras.

 

DERNIER CONTACT AVEC MORHANGE A TOULOUSE

Je n'ai pas dû attendre très longtemps pour avoir effectivement de nouvelles instructions de T.R. Elle m'enjoignaient d'aller d'urgence à Toulouse, voir Morhange et lui donner l'ordre de se replier immédiatement sur Quérigut et l'Espagne. Pour ma part, une fois cette mission accomplie je devais regagner la Cerdagne et contrôler nos différentes filières. Dès mon arrivée à Quérigut, j'apprends que l'équipe Morhange est arrivée et s'est installée à la maison forestière. Il n'était plus possible pour elle de rester à Toulouse, par contre Taillandier, son chef, y était toujours. J'apprends en même temps la mort d'Achille Viadieu. Je gagne donc Toulouse. Je réussis à retrouver Marcel. Je lui transmets les ordres. Il me répond qu'il ne peut pas quitter Toulouse parce qu'il a encore différentes choses à régler. Il avait gardé avec lui deux ou trois compagnons. Il m'a dit : « Ce sera pour plus tard !». Cette décision devait lui être fatale. Quelques jours après, nous apprenions sa mort (6) .

 

RETOUR A QUERIGUT

Je reviens à Quérigut et m'installe chez l'habitant avec mon poste-émetteur. J'essaie de rentrer en communication avec Barcelone et de rendre compte de ma mission. J'ai réussi une seule fois. La propagation des ondes dans la région était extrêmement mauvaise en raison du minerai de fer très abondant. L'équipe Morhange s'était repliée à son habitude en convoi avec un camion d'essence et une mitrailleuse sur une camionnette camouflée sous la bâche. On a appelé cela « le maquis de Quérigut ». Il n'a jamais été question d'un maquis. L'équipe Morhange est venue se mettre au vert pour attendre la suite des événements. Autour d'elle sont venus s'ajouter des sympathisants de la région de Toulouse, notamment des gendarmes et des inspecteurs de police.

Par la suite, le maquis de Picosel qui s'était fait étriller est venu se réfugier à côté du groupe Morhange. A leur habitude les gars du groupe faisaient beaucoup de bruit, circulaient énormément, leur camionnette sillonnait la région à la recherche de ravitaillement. Les Allemands qui avaient quelques échos de ce qui se passait là-haut étaient persuadés qu'il y avait au moins trois mille hommes!... Ils n'ont jamais osé venir s'y frotter. Pour ma part, je sillonnais la Cerdagne essayant d'aider Claude qui ne pouvait plus suffire à la tâche, contrôlant et assurant les passages, escortant certains gars. Malgré mes pieds plats, j'étais devenu un véritable champion de la marche à pied. J'ai dû parcourir en trois mois un millier de kilomètres à travers champs et dans la montagne. Il m'arrivait quelquefois d'emprunter la moto du docteur lorsque j'étais pressé ou un peu trop fatigué. Malheureusement, vers la fin ce n'était plus possible, les Allemands étaient devenus très nerveux et notamment ceux de Puyvalador. Ils tiraient sans sommation sur tout véhicule qui circulait sur la route.

 

UNE MAUVAISE SURPRISE

Une nuit, j'ai eu une émotion. Lorsque l'on marche la nuit, on passe toujours au même endroit et on finit par se guider autant avec les pieds qu'avec les yeux, surtout quand il fait très noir. Je me rendais un soir, seul, au mas Patiras ; je traversais la route nationale allant de Mont-Louis à Bourg-Madame, tout près du Col de la Perche où il y avait un poste de garde allemand. Nous avions pris l'habitude de le narguer en passant à quelques cent mètres de la guérite. Je franchissais donc la route, arrivais sur un pré que je connaissais bien où le terrain était excellent et où on pouvait marcher d'un bon pas sans faire attention où on posait les pieds. Tout à coup, je tombe abasourdi dans des barbelés. J'étais passé par là quelques jours avant, il n'y avait rien. J'étais empêtré dans ces barbelés, j'essayais de faire le moins de bruit possible. A quatre pattes, j'allais vers la droite pour tenter de trouver un passage. En vain. Je décidai alors de franchir ce faisceau de barbelés pour pouvoir continuer ma route. Je prenais toutes précautions pour ne pas faire de bruit, je me glissais en dessous non sans m'accrocher à plusieurs reprises. Je parvins enfin en piteux état au mas Patiras. Je donnais l'alerte au passeur en signalant le danger et le nouvel obstacle qui était sur notre piste.

Deux ou trois jours plus tard, je décidai d'en avoir le coeur net. Arrivé à proximité, je me camouflais et j'aperçus alors mon fameux réseau de barbelés. Au milieu de ce réseau, il y avait une pièce d'artillerie en attente et un socle en béton en construction. Lorsque j'étais passé dans la nuit, la pièce d'artillerie n'était pas encore là. Le réseau de barbelés faisait un très grand cercle et comportait une seule ouverture. Par un hasard extraordinaire, cette ouverture se trouvait en face le passage que nous avions l'habitude d'emprunter pour traverser le pré. Dans la nuit, je m'étais engagé à l'intérieur de ce cercle de barbelés en passant par l'ouverture laissée libre. Je pouvais vainement chercher une échappatoire. C'était une véritable nasse, un vrai piège.

 

CATASTROPHES EN SERIE

Dans le même temps, c'est une série de coups durs : mort d'Achille Viadieu, paquet d'arrestations à Paris à la suite de la visite de TOTO et de la convocation des chefs T.R. jeunes du secteur-sud. Ce fut une rafle terrible. Mon adjoint, Jacques Cobet était au rendez-vous à ma place et bien entendu avait été arrêté. Il ne devait pas revenir de déportation. C'est aussi l'arrestation de Bonneval. Elle mérite d'être contée. De Bonneval était parti de Toulouse pour effectuer une liaison à Perpignan. Sous un nom d'emprunt il avait d'excellents papiers d'identité, ne portait rien de compromettant, pas de courrier, seulement une certaine somme d'argent vraisemblablement destinée à des passeurs. Parvenu en gare de Perpignan, il tombe sur une rafle. En raison de l'argent qu'il avait sur lui, ou l'introduit dans un bureau pour être interrogé. Là, un Allemand lui demande ses papiers, les examine, regarde longuement de Bonneval, se lève, se met au garde-à-vous et lui dit : « Lieutenant de Bonneval, j'ai servi sous vos ordres à la Légion. » Il se présente.

Je suppose que de Bonneval a dû blêmir. L'Allemand a été correct. Il a déchiré les faux papiers de Bonneval en lui disant : " Je ne veux pas savoir pourquoi et comment vous avez cet argent et ces papiers établis à un autre nom que le vôtre". Il n'a pu faire autrement que de le faire arrêter, mais simplement pour défaut de papiers d'identité. De Bonneval a été déporté. Il n'a jamais été interrogé brutalement (7). 

                                   

UNE OPÉRATION MANQUEE

Je continuai à arpenter la Cerdagne cherchant à préserver nos filières de toute intrusion étrangère, ce qui s'est quelquefois produit. Des gens, je ne sais trop comment, arrivaient à s'infiltrer chez nous pour passer en Espagne alors qu'ils n'appartenaient pas à nos services. Pour faciliter mes déplacements, je désirais me procurer une moto. Un jeune gendarme de Quérigut, me propose de cambrioler la Gendarmerie de Mont-Louis. Il avait servi dans cette brigade et connaissait bien les lieux . Il y avait deux motos qui d'après lui étaient faciles à voler. Nous partons avec un bidon d'essence de cinq litres dans mon sac tyrolien, nous faisons le chemin le soir de façon à arriver à la nuit noire à Mont-Louis. Nous rasons les fortifications et nous pénétrons dans la ville par une poterne ; rien d'anormal, les Allemands étaient en principe cantonnés dans le haut de la ville, dans ce que l'on a appelé « La citadelle ».

Au cours de mes pérégrinations, j'avais affiné mes sens : la vision nocturne et mon oreille étaient fines. A un moment je m'arrête et dis... « il y a quelqu'un ». A ce moment, sortent de l'ombre deux Allemands en embuscade. « Halte »! ils pointent leurs fusils sur nous. Le Gendarme qui, fort heureusement était en tenue, s'avance en disant : « Gendarme », Gendarme »!! J'avais la main sur la crosse de mon revolver, prêt à faire feu si les choses se gâtaient. Les deux Allemands s'approchent, voient l'uniforme, hésitent et nous laissent passer. On les entend discuter et ils nous emboîtent le pas. Il nous restait cinquante mètres pour arriver à la Gendarmerie. Là plus question de s'occuper de la moto. Le Gendarme sonne à la porte, ses collègues viennent ouvrir, le reconnaissent et nous font entrer. Il leur expose que je suis un résistant qui essayait de rejoindre l'Espagne. Les braves gendarmes m'enferment dans une cellule après m'avoir fourni des couvertures et je ne sais plus quelle boisson. Les Allemands s'éloignent sans insister.

Le lendemain matin on vient me délivrer, on m'offre un petit déjeuner et nous décidons de repartir. Nous repassons de jour par la poterne. Nouvelle frayeur. A cinquante mètres plus bas, il y avait en travers de la route une guérite et une barrière avec un Allemand qui montait la garde. Si comme nous l'avions projeté nous avions pris la moto et l'avions laissé descendre, moteur arrêté et sans phare, la route étant en pente, nous nous serions vomis sur la barrière que nous n'aurions certainement pas vue dans le noir. Les Allemands n'auraient eu qu'à nous ramasser. Je n'ai jamais eu aussi peu de regrets d'avoir manqué une opération.

 

LIQUIDATION MOUVEMENTEE DE TRAITRES

En rentrant à Quérigut, nous apprenons que Parent a été grièvement blessé. Voici ce qui s'est passé. Parent, le Docteur Marot et un nommé Cazenave, escortés de sept ou huit hommes, décident de faire un coup de main sur la gestapo de Font-Romeu. Arrivés à proximité, le groupe qui les accompagnait reste camouflé dans la forêt et nos trois compères pénètrent dans Font-Romeu pour inspecter les lieux. Ils tombent sur un collaborateur notoire, le dentiste du coin qui était en train de déménager. Il chargeait une voiture avec ses valises dans l'intention de filer en Espagne pour se mettre à l'abri. Il avait deux gardes du corps. Parent ne fait ni une ni deux, au moment où les gars étaient autour de la voiture, il leur saute dessus, revolver au poing pour les arrêter. Marot se met au volant, a quelques difficultés pour mettre la voiture en route. Un des gardes du corps sort un revolver, fait feu sur Parent qui était sur le marche-pied, le blesse gravement au bras. Parent tombe. Cazenave et Marot se battent avec les trois hommes pour récupérer le revolver qui passe de mains en mains. Heureusement Parent réussit à reprendre ses esprits, il récupère son revolver qui était par terre et liquide l'un après l'autre les trois types. Tout cela n'était pas passé inaperçu. Nos amis avaient intérêt à filer le plus vite possible. Ils rejoignent le groupe d'appui qui les attendait, lancent la voiture avec les trois cadavres dans un fossé et partent. Parent ayant perdu pas mal de sang est incapable de marcher. Il a fallu improviser une civière et le ramener à pied à Quérigut. Il a été ensuite évacué dans une clinique de Quillan, où il a été soigné. Il a eu beaucoup de veine de s'en sortir, mais a perdu l'usage de son bras dans cette opération.

 

UNE OPÉRATION PEU GLORIEUSE

Un soir le maquis de Picosel qui se trouvait à Quérigut apprend que les Allemands qui tenaient le barrage de Puyvalador ont décidé de se replier sur Mont-Louis. Un convoi doit passer, emmenant hommes et matériel. Picosel , son chef Frank décident d'intercepter ce convoi et me demandent de bien vouloir servir de guide à une centaine d'hommes. Une trentaine sont laissés à mi-chemin comme organe de recueil et nous arrivons avec soixante-dix hommes sur les lieux choisis pour tendre l'embuscade. Nous nous camouflons. Frank fait mettre les F.-M. en batterie et nous attendons. Nous attendons toute la journée, en vain. Vers dix heures du soir, Franck décide d'attaquer le premier camion qui passera. Effectivement, arrive dans la nuit un camion poussif à gazo. Nous étions à la sortie de Formilières, près d'une scierie, camouflés derrière des tas de planches et de madriers. Le camion devait marcher à peu près à quinze à l'heure. Lorsqu'il arrive au milieu de notre dispositif, le feu est déclenché, le camion s'arrête, il y avait trois hommes à bord. Les Allemands qui étaient en Cerdagne n'étaient plus des tous jeunes, mais ces trois-là m'ont un peu « soufflé ». Ils ont giclé des camions, ont sauté dans le fossé et ont trouvé le moyen alors que nous faisions feu de partout en leur direction de nous balancer des grenades. J'ai tiré mon chapeau devant leur résistance. Plus rien ne bougeant, on cesse le feu, on aperçoit vaguement un gars debout qui crie : « Kamarad »! en levant les bras. Nous nous approchons prudemment, nous récupérons le gars. Un peu plus loin dans le fossé il y avait un Allemand étendu mort ou blessé. Quant au troisième Allemand, il avait bel et bien disparu. Il nous était passé entre les doigts et nous ne l'avions pas vu. Chapeau !

Par la suite, Franck racontera dans ses mémoires qu'il y avait huit Allemands et qu'on a fait huit morts. Je suis formel, ils étaient trois. Il y a eu un prisonnier, un mort ou un blessé et l'autre a carrément foutu le camp. C'est la seule action d'éclat, si l'on peut dire, qui ait eu lieu en Cerdagne et ce n'est pas très glorieux pour l'ensemble des résistants qui se trouvaient dans la région.

 

AU T.R. DE LA 1re  ARMEE

Quelques temps après, j'arrive boulevard Suchet à Paris. Je prends contact avec le Colonel Verneuil qui me reçoit comme un chien dans un jeu de quilles. Il ne me cache pas son animosité et son mépris pour le T.R. jeunes. Lorsque je lui demande une affectation, il me dit froidement que je suis trop jeune pour faire ce métier et m'affecte à la Chancellerie. Vous pouvez imaginer la tête que je faisais en grattant du papier du matin au soir en transcrivant des propositions d'avancement dont quelques-unes, très confortables, concernaient le T.R. ancien. J'essaie de profiter de ma position pour faire quelques propositions de récompenses pour les gens de notre filière, pour le père d'Espardeilla, pour différentes personnes qui nous avaient rendu de grands services. Elles sont toutes passées au panier...

Un jour, je tombe sur le Capitaine Bertrand (8) qui était en opérations dans l'Est avec la 1re  Armée française. Il accepte de me récupérer. Je le rejoins du côté de Lunéville entre la Noël 1944 et le premier de l'an 1945, après avoir fait mes adieux à la Capitale. A cette époque, la poche de Colmar résistait toujours et la position de Strasbourg était précaire, on craignait une contre-offensive allemande à tous les instants. Lorsque j'arrive, Bertrand était sur une très grosse affaire. Il contrôlait entièrement une filière alle­mande de l'Abwehr passant par la Suisse. L'histoire de cette filière est intéressante.

 

LE « T.R. » SE JOUE DE L'ABWEHR

Un officier de marine qui était à Alger avait eu son frère exécuté comme milicien à la Libération. En accord avec nos services, il était passé en Suisse et de là en Allemagne en prétendant qu'il venait pour venger son frère. Les Allemands ont marché. Ils faisaient à l'époque feu de tous bois et recrutaient à peu près n'importe qui pour leurs services de renseignements.

Notre gars fut chargé d'établir une filière par la Suisse pour les agents allemands et les miliciens. Il devait leur donner des points de chute en France. Bien entendu les points de chute c'était nous. C'est ainsi que pour ma part, je fus chargé de m'occuper d'une milicienne qui venait d'arriver par la filière. Je l'installe dans une propriété qui appartenait à un couvent, j'ai vécu environ trois semaines avec elle. Je l'ai aidé à installer son poste-émetteur, à prendre contact avec l'Abwehr de l'autre côté, bref, tout allait bien. La fille ne se rendait compte de rien et croyait à ma complicité.

C'est nous qui lui fournissions les réponses aux questionnaires allemands. Elle n'y voyait que du feu. Elle trouvait que vraiment ça marchait bien, que c'était facile. Tant va la cruche à l'eau qu'à la fin elle se casse. Lorsque nous nous sommes rendus compte que le poste de la milicienne n'avait plus d'intérêt pour nous ni pour le commandement, il fut décidé de stopper le jeu. Nous avons été arrêtés par les copains, tous les deux, et immédiatement séparés. La milicienne a été emmenée je ne sais où, mais en passant devant un cimetière militaire les camarades qui l'avaient arrêtée l'ont fait descendre. Ils l'ont fait s'agenouiller devant les tombes des militaires et lui ont fait demander pardon.

C'était une belle garce !

 

 

(1) Siège du poste T.R. de Barcelone.

(2) L'équipe Pimont-Dupont introduite chez l'ennemi permit d'intercepter un commando de l'Abwehr parachuté aux confins algéro-marocains. Pimont fut arrêté et Dupont réussit à s'enfuir.

(3) Guetten (alias GEDEON) était chef d'un poste T.R. à Paris dont la secrétaire était Mlle Nadine Planeze, la future épouse du Colonel Paillole.

(4) Le Capitaine d'Hoffelize, Chef du Poste T.R. de Barcelone.

(5) Ramonatxo

(6) Identifié à Saint-Martin du Touch près de Toulouse, Marcel Taillandier fut abattu par la Feldgendarmerie.

(7) Conséquence de cette arrestation, Mme Paillole, mère de notre Président national qui hébergeait de Bonneval chez elle, Place Saint-Georges à Toulouse, a subi interrogatoires et perquisitions et a dû se réfugier à Portet s/Gne jusqu'à la libération de Toulouse.

(8) Chef du Bureau T.R. à la DSM d'Alger et patron du T.R. opérationnel de la 1rère Armée française.

 

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 129

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