logofb

 

 
 
line decor
Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
line decor
 

 


 
 
 

 
 
PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
LE DEBUT D'UNE VOCATION (3 ème Partie)
 

Naissance de Popov

 

Par le Colonel Michel GARDER

Plaie d'argent, dit-on, n'est pas mortelle..., Toutefois l'impécuniosité chronique dont souffrait " mon antenne ", en ces débuts de l'année 1941, était obsédante.

 

J'en arrivais parfois, à force de craindre de ne pouvoir boucler mon budget, à oublier le seul et irrémédiable danger qui me guettait : l'action des services, ennemis.

 

Il ne s'agit là nullement de littérature mais d'une pénible réalité.

Dieu sait si nos conditions de vie et de travail n'étaient pas luxueuses !

 

Ma vie antérieure ne m'avait d'ailleurs pas habitué au luxe.

 

Le réduit qui me servait de chambre à l'hôtel de " La Haute-Loire ", rue Guisarde, n'était éclairé que par un soupirail donnant sur la cour intérieure.

La proximité immédiate du cabinet de l'étage perturbait mes nuits.

Les quelques bistrots, disséminés aux quatre coins de Paris, qui nous servaient de lieux de réunions ou de boîtes aux lettres, étaient pour la plupart du genre crasseux.

Nous leur avions bien attribué des noms de code ronflants : " Café de la Paix ", " Maxim's " ou bien " Fouquet's ", c'est-à-dire d'établissements qu'il ne pouvait nous venir à l'esprit de fréquenter, ils n'en demeuraient pas moins onéreux pour les finances de " l'antenne ".

La vie de Bohème chantée par Murger, et plus tard par DORGELES, les fins de mois difficiles de petits fonctionnaires ou de modestes employés peuvent, à la rigueur, trouver une justification dans ce que l'on appelle la philosophie de l'existence.

 

La dèche accab!ant une petite équipe de combattants clandestins placée aux avant-postes de la guerre secrète devient rapidement aussi funeste que l'absence de ravitaillement en vivres et munitions qui affecte une petite unité au contact.

 

Le malheur voulait que je souffris d'un double complexe : d'une part la peur de voir mon chef direct JOHANNES et mon lointain et inaccessible " grand patron " PAILLOLE s'imaginer que j'étais un " suceur d'argent intéressé ", s'efforçant de leur extorquer un supplément aux " royalties " qu'ils m'avaient attribués aussi généreusement et d'autre part la hantise de cacher à mes subordonnés la " misère dorée " de la " maison " dont à leurs yeux j'étais l'incarnation.

 

J'estimais à tort ou à raison - qu'ils ne devaient jamais douter de l'omnipotence et de l'omniprésence du " Service ".

 

Il suffisait amplement que moi, leur chef, je sus que ce " Service " était pauvre.

 

C’était certainement ridicule mais la vérité m'oblige à dire qu'il en était ainsi.

 

Cependant, tout novice que je fus dans mon nouveau " métier ", il m'était rapidement apparu évident que l'argent y était au moins autant qu'ailleurs le " nerf de la guerre ".

 

Une conversation à cœur ouvert avec mon ami LOCHARD, lors d'une de mes liaisons en Zone Libre - au mois de février 1941 si mes souvenirs sont bons - allait être à l'origine d’une " géniale combinaison " désormais couverte par la prescription.

" Joseph ", tout " ancien " qu’il était, ne représentait pas à mes yeux la " hiérarchie ".

 

A lui il m'était loisible de conter mes ennuis et mes doutes.

 

Il m'avait contemplé un moment au travers de ses lunettes sans indulgence. " On peut voir ton cas avec SIMONEAU ! ".

 

 Mon " cas " fut effectivement " vu " à la terrasse d'un café de Vichy.

Souriant comme à l'habitude, le " docteur SEJOURNE " finit par établir un diagnostic. " Il serait malséant que ma " clinique" participât au financement de vos " activités douteuses ". Cela ne se fait pas et de plus nos besoins ne sont pas les mêmes que ceux des " Travaux Ruraux ". En revanche si vous aviez dans votre entourage un ami, vierge de toute attache avec !es " agriculteurs " et intéressé par les exploits historiques de l'Armée Allemande on pourrait lui proposer des conditions honorables ".

Le seul ami dont je fus, à l'époque, à peu près sûr en l’occurrence était moi-même.

 

Je parlais l'allemand, j'avais fini par connaître un peu la Wehrmacht.

C'est ainsi que, baptisé au Cinzano - c'était un jour " avec » - naquit ce jour-là Wladimir POPOV, né à Nijni-Novgorod, exerçant la profession hautement libérale d'homme de lettres et affublé au Poste S.R. P2 de Vichy du pseudo de « VOLODIA ».

 

L' Androgyne du Renseignement

La " naissance " du sieur POPOV n'avait pas été douloureuse en soi.

 

Son existence, en revanche, me posait un douloureux cas de conscience.

 

A aucun prix je ne voulais " tromper " mes patrons, mais d'un autre côté comment pouvais-je leur annoncer la venue au monde de ce " bâtard "?

 

L'éthique des Services Spéciaux admet bien des agents dits de " pénétration ", les " doubles " et, à la rigueur, les " triples " - c'est-à-dire ceux dont on ignore finalement " l'employeur préférentiel " - mais le cas d'un monsieur à la fois C.E. et S.R. n'est en principe pas prévu aux échelons subalternes.

 

Seul mon " super grand patron " le Colonel RIVET, qui coiffait à l'époque l'ensemble des Services avait ce droit imprescriptible.

Le jour où, prenant mon courage à deux mains, je vins faire part à JOHANNES de la naissance " adultérine " de POPOV, il eut tout d'abord le réflexe normal de tout père noble auquel son fils avoue la concrétisation d'une frasque extraconjugale.

Toutefois, homme de coeur et excellent spécialiste du Renseignement de surcroît, il comprit à la fois le véritable motif de la combinaison et son intérêt pratique.

 

" Bien sûr, me dit-il, si nous avions été plus riches vous n'auriez pas besoin de recourir à des combines de ce genre. De toute façon, vous connaissant, je suis sûr que les camarades du S.R. y trouveront leur compte. J'en parlerais au " patron " à l’occasion ".

 

J’ignore comment la chose a été présentée au Commandant PAILLOLE (en tous les cas JOHANNES ne me l'a jamais dit).

 

Ma conscience étant libérée le tandem " MICHEL - POPOV " se mit immédiatement au travail.

 

Mes collaborateurs œuvrant pour le T.R., je pus prélever suffisamment de temps pour que " l'Homme de Lettres ", né à NIJNY-NOVGOROD, s'intéressât de très près à l'Ordre de Bataille de la Wehrmacht en Zone Occupée.

C'est ainsi que grâce à ce " collaborateur de toute confiance " je pus apprendre les finesses de l'autre branche du " métier ".

 

Chacune de mes liaisons périodiques en Zone Libre, comporta dès lors deux séances de " comptes rendus ".

 

Pour commencer je livrais au " T.R. " à CLERMONT ma moisson, sur l'Abwehr et le S.D., puis je me rendais à VICHY où " le Docteur SEJOURNE " attendait le résultat des prospections de POPOV alias « VOLODIA ».

Je dois dire que j'étais passionné par ma double activité. Dans ma jeune outrecuidance j'avais l'impression de tout savoir sur l'ennemi.

 

Les loisirs du clandestin

POPOV arrivait à point non seulement en raison de la situation financière précaire de mon " antenne " mais également des loisirs dont je disposais désormais.

 

Ce dernier point mérite une explication.

 

Lors de mes premiers mois de séjour clandestin à Paris j'avais été relativement pris.

 

Il m'avait fallu prendre le vent, m'orienter dans cette situation toute neuve pour moi, poser des jalons et enfin, ayant constitué mon équipe, commencer à butiner des renseignements.

 

Cette phase préparatoire achevée, je m'étais brusquement retrouvé avec un emploi du temps beaucoup moins chargé.

 

Il y avait bien les réunions, en principe quotidiennes, avec les deux chevilles ouvrières de l'antenne : MARRONNEAUD et ANGOT, les contacts avec d'autres collaborateurs ou H.C., les jours de courrier, mais l'essentiel se passait à midi ou bien dans la soirée.

 

Or vis-à-vis de la patronne de mon hôtel j'étais rédacteur à la Délégation de Paris du Ministère de la Jeunesse, ce qui me contraignait à faire semblant de me rendre à mon bureau.

 

Certes il m'arrivait de me déplacer en province pour les besoins de mon ministère et mes absences périodiques n'avaient rien de suspect mais lorsque mon " Service " me maintenait à Paris, je ne pouvais me permettre de traîner dans ma chambre aux heures de travail.

 

Une fois sorti de l'hôtel se posait, surtout en hiver, la lancinante question : que faire? Souvent je me rendais à !a Bibliothèque Mazarine, proche de mon domicile, parfois à la Nationale.

 

C'était là une occupation honorable, mais j'avais l'impression de faire l'école buissonnière... de tirer au flanc.

 

Mes quelques années de vie militaire m'avaient habitué à des horaires fixes et même bien remplis, car dans la cavalerie nous n'avions jamais de temps mort.

 

Chez Cazin j'avais travaillé d'arrache-pied et dans " l'antre de 113 " je savais qu'au même moment on ne chômait pas.

Grâce à " POPOV ", mes déplacements devinrent plus fréquents et, à Paris mes rendez-vous bloqués sur certains jours réduisirent sensiblement les temps morts.

 

J'avais enfin l'impression de servir en soldat, c'est-à-dire vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Nous sentions venir la guerre germano-soviétique bien que personne, officiellement, ne parlât de cette éventualité.

 

Mon " double chapeau " me permettait d'avoir une vision un peu plus complète des événements car si, d'une part, l'Abwehr avait toujours les mêmes préoccupations en ce qui concerne la Zone non occupée et l'Afrique du Nord, sans compter l'I.S. considéré comme l'Ennemi numéro 1, je constatais que le dispositif militaire allemand en France s'allégeait d'une façon curieuse.

 

Les unes après les autres les divisions de la Wehrmacht quittaient la France.

Le 24 mars 1941, nous apprîmes par la radio et la presse que la Yougoslavie venait d'adhérer à l'Axe.

 

A peine avions-nous digéré cette nouvelle, amplifiée par la Propaganda Staffel, qu'une révolution de palais à Belgrade remettait tout en cause.

 

La réaction allemande ne se fit pas attendre.

 

Une partie des divisions que j'avais vues partir avec un certain regret, non pas que j'eus souhaité leur maintien permanent en France mais enfin celles-là je les connaissais ! - fut lancée dans une guerre éclair contre la Yougoslavie... et également la Grèce.

Impuissants, la rage au coeur, nous assistâmes à de nouvelles victoires allemandes et il serait trop facile d'affirmer après coup que nous en tirâmes les conclusions optimistes.

 

Je me souviens, au contraire, que cette preuve supplémentaire de la force irrésistible de la Wehrmacht me fit souffrir énormément.

 

Heureusement pour moi, ma double activité ne me laissait pas les loisirs suffisants pour sombrer dans le désespoir.

A Paris, les " planqués allemands " des innombrables services des troupes d'occupation affichaient des airs de triomphe insupportables.

 

Les partis collaborationnistes français, de plus en plus persuadés d'avoir choisi le bon cheval, exultaient.

Trente ans après, ayant vécu intensément bien d'autres événements, je me surprends à ressusciter la haine impuissante que je pouvais porter alors aux occupants et à leurs valets.

 

Mais si je n'avais pas, à l'instar de mes peu nombreux, alors, camarades de combat, été animé de ce sentiment irrésistible aurais-je eu la force de poursuivre cette lutte inégale ?

A l'occasion de mes liaisons en zone non occupée, je recherchais auprès de mes chefs du T.R. et du S.R. des raisons d'espérer.

 

La calme détermination de JOHANNES, le sourire désarmant de SIMONEAU constituaient pour moi le plus puissant des réconforts.

 

Il ne me venait pas à l'idée qu'ils étaient, probablement comme moi, désespérés par la chance insolente qui favorisait toutes les entreprises de l'ennemi, qu'ils pouvaient douter eux aussi et attendre de mes renseignements le réconfort que je venais rechercher d'eux.

 

La grande nouvelle

Le 22 juin 1941, vers midi, j'expérimentais une nouvelle filière de franchissement clandestin de la ligne de démarcation.

 

Par mon adjoint MARRONNEAUD, originaire de la Charente, j'avais fait la connaissance d'une famille de cultivateurs aisés du village de BELON, non loin de la limite entre l'Angoumois et le Périgord.

Famille exemplaire de braves gens comme il y en a, Dieu merci, quelques unes en France, les VIGIER ne se firent pas prier pour m’aider.

 

Leurs fils, Jacques et Paul, connaissaient dans les moindres détails la " ligne de démarcation " qui coupait la route entre AUBETERRE et RIBERAC.

 

Pour ma première expédition Paul m'accompagna à bicyclette, moi-même pédalant sur un des vélos de la famille.

 

Arrivés à un kilomètre de la " ligne " il nous suffit d'attendre le départ des Allemands du poste volant, installé sur le chemin départemental, pour, quittant celui-ci, franchir la " frontière " en suivant les rails d'une voie ferrée d'intérêt local à une centaine de mètres de là.

Mon guide rebroussa chemin me laissant poursuivre, dégagé de tout souci, sur Riberac.

 

Là, en attendant le car de Périgueux, j'appris vers 14 heures de la bouche d'un patron de café la grande nouvelle du jour l'Allemagne venait d'attaquer la Russie Soviétique!

L'U.R.S.S. payait cher l'accord de 1939, mais l'heure n'était pas aux réflexions philosophiques.

 

" C'est le début de la fin ", dis-je en proposant une tournée au patron.

 

" Ah, vous croyez ? ".

 

 Je ne puis, à distance, affirmer que je le croyais vraiment mais j'avais tellement envie que ma phrase fut prophétique que cela revenait au même.

 

 

 

 
Début / Suite / Haut de page
 

 

Article paru dans le Bulletin N° 72

Dépot légal - Copyright

Enregistrer pour lecture hors connexion.

Toute exploitation, de toute nature, sans accords préalables, pourra faire l'objet de poursuites.

Lire l'Article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle. - Code non exclusif des autres Droits et dispositions légales....