logofb

 

 
 
line decor
Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
line decor
 

 


 
 
 

 
 
PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
LE DEBUT D' UNE VOCATION (4 ème Partie)
 

Par le Colonel Michel GARDER  

PREMIERE RENCONTRE AVEC LE « PETIT PERE »

Encore sous le coup de la grande nouvelle, j'arrivai à CLERMOND-FERRAND, le lundi 23 Juin 1941, avide de connaître les avis autorisés de mes Chefs.

 

Toute la nuit, dans le train, j'avais essayé de me représenter le choc gigantesque entre la Wehrmacht et l'Armée rouge.

 

Je dois avouer qu'à l'époque je n'avais pas une très haute opinion de cette dernière, en particulier depuis la campagne de Finlande.

 

Toutefois il me paraissait évident qu'il ne s'agissait pas pour la Wehrmacht d'une simple promenade militaire.

Avenue d'Italie, je trouvai un JOHANNES rayonnant. Lui aussi estimait que les Allemands allaient connaître pas mal de déboires.

Le lendemain, à Vichy, une surprise m'attendait.

 

A notre rendez-vous habituel, le " docteur SEJOURNE " n'était pas seul.

 

Les deux hommes qui l'accompagnaient étaient très différents l'un de l'autre. Mince, le visage aristocratique orné d'une fine moustache, le premier, en lequel on devinait immédiatement un Officier supérieur en civil, m'avait fait immédiatement une forte impression.

 

C'était le Commandant du CREST DE VILLENEUVE.

 

Le second, un peu lourdaud, avait une allure de négociant en spiritueux. " Le Capitaine LAFONT  sera désormais votre chef en ce qui nous concerne " m'avait dit le Commandant après que SIMONNEAU eut fait les présentations.

 

J'avais déjà beaucoup entendu parler de ces deux grands noms du S. R. lors de mon séjour chez CAZIN.

 

Je savais également qu'ils avaient été en poste à BELGRADE depuis l'été de 1940.

Le " petit père " est entré ainsi dans ma vie avec l'étiquette du S.R. c'est-à-dire en qualité de patron de Popov alias Volodia.

 

Plus tard devenu Chef du T. R., et de ce fait le patron de " Michel ", l'aspect androgyne de mon personnage, dont il s'était parfaitement accommodé jusque là, lui parut subitement moins séduisant.

 

Il eut nettement préféré que tout passât par lui. Toutefois, beau joueur, il disait se contenter de remarques du genre : " Alors, elle continue votre combine vaseuse avec les camarades du S.R. ? ".

 

LA SITUATION SE CLARIFIE

Revenu à Paris, via la Dordogne et la Charente, je constatai rapidement une sensible clarification de la situation.

 

Dans les partis collaborationnistes l'atmosphère était à l'enthousiasme.

 

Les anciens cagoulards, les doriotistes, les francistes et autres patriotes dévoyés avaient jusqu'ici supporté avec agacement la tolérance dont faisaient preuve leurs " amis " allemands vis-à-vis de leurs ennemis de toujours les communistes.

 

Ils avaient de ce fait concentré leurs efforts sur les " gaullistes ", les francs-maçons, les juifs et les " attentistes vichyssois ".

 

Avec le début de la " Croisade à l'Est ", ils pouvaient enfin participer en France à l'édification de l'Europe nouvelle en démasquant les " moscoutaires ".

 

Certains, parmi les plus sincères, se demandaient si leur place n'était pas aux cotés des soldats de la Wehrmacht en Russie. Parmi les émigrés russes trois tendances se précisaient.

 

La moins nombreuse était celle qui misait sur une victoire rapide de l'Allemagne débouchant sur la résurrection d'une Russie nationale.

 

A l'inverse, une deuxième, à peine plus étoffée, se ralliait sans conditions à la cause de leur patrie en danger.

 

Enfin la majorité, à la fois antibolcheviste et antiallemande, souhaitait que cette lutte à mort aboutisse à l'épuisement du Reich et à l'effondrement du régime stalinien.

 

La première tendance allait fournir des cadres " supplétifs " aux Allemands pour les territoires occupés à l'Est.

 

Dans la seconde on comptera un certain nombre de résistants actifs et quelques collaborateurs bénévoles des Services Spéciaux Soviétiques.

 

En ce qui me concerne, c'est dans la troisième, où en dehors de l'inévitable contingent d'attentistes se trouvaient les éléments les plus valables de l'émigration, que je comptais le plus d'amis.

 

Désormais à notre quête habituelle de renseignements C.E. et S. R. sur la France occupée s'ajoutait la passion de savoir ce qui se passait réellement sur le front russe, et de ce point de vue les milieux émigrés avaient leur utilité,

 

LE DOMINICAIN

Tout au long du mois de juillet les communiqués allemands avaient annoncé victoire sur victoire en Russie.

 

Le gouvernement de Vichy avait rompu les relations diplomatiques avec l'U.R.S.S. et décidé, pour des raisons mystérieuses d'interner un certain nombre de Russes blancs pourtant considérés comme apatrides.

 

On était en pleine incohérence, car au même moment les Allemands au contraire flattaient les émigrés dont ils avaient besoin.

 

De passage en zone non occupée, fin juillet, j'avais eu la joie de retrouver LOCHARD dont la mission en U.R.S.S., en qualité d'attaché milliaire adjoint n'avait duré que quelques mois.

 

Il m'avait parlé d'un Générai JOUKOV, qui lui avait fait une très forte impression à Moscou.

 

" Tu verras, m'a-t-il dit, les fridolins sont en train de bouffer leur pain blanc. Des surprises les attendent là-bas ". Revenu sur le terrain de mes exploits, j'allais, dans les premiers jours d’août, faire une rencontre passionnante, du moins c'est ainsi qu'elle m'apparut au premier abord.

 

A l'origine de cet événement exceptionnel il y avait eu le " Dominicain " alias le " Commandant Bernard ", surnommé plus prosaïquement par LOCHARD le " père Lacloche ". J'avais fait sa connaissance à la popote de " Némo ", en septembre 1940.

 

A l'époque le Service dirigeait parfois sur notre hospitalière villa des " H.C." perdus dans le bouillonnement de la capitale provisoire de l'état français.

 

Dans le nombre, le " Dominicain " était de loin le plus pittoresque.

 

Contrairement à ce que pouvaient laisser supposer ses " pseudos " ce n'était ni un ecclésiastique ni un militaire.

 

Agé d'une soixantaine d'années, lieutenant honoraire d'infanterie, il exerçait avant 1939 un sacerdoce assez particulier : celui de la défense des intérêts des " petits constructeurs d'appareils radio ".

 

Domicilié, sur une péniche, amarrée en permanence près du Pont-Neuf - d'où sen titre de " commandant " - il avait, à l'appui de sa noble cause, édité un journal dans lequel avec un zèle apostolique il s'attaquait aux " Philips ", " Pathé-Marconi " et autres trusts ennemis de ses protégés. Patriote sincère, il était venu après la débâcle offrir ses services au " 2ème Bureau " en prétendant pouvoir constituer, grâce à ses " protégés ", un réseau de postes émetteurs en zone occupée.

 

Le Capitaine LAMBERT qui travaillait sur son projet des G.A.D. avait été intéressé par sa proposition, et, à toutes fins utiles, avait fait la connaissance du " Dominicain " à la popote.

 

Ce dernier m'avait donné ses coordonnées à Paris, mais je n'avais jamais éprouvé le besoin d'avoir recours à ses services.

Le hasard voulut que, passant devant " les deux Magots ", boulevard Saint-Germain, par une belle matinée d'août 1941, je tombai nez à nez avec le défenseur des petits constructeurs. - " Heureux de vous voir " , rugit-il, car du fait d'une surdité prononcée c'était là sa façon de s'exprimer à voix basse.

 

La prudence m'incita à lui proposer de poursuivre notre conversation confidentielle dans un coin reculé des " deux Magots ".

 

J'eus droit pour commencer à d'amères considérations sur l'inefficacité et le manque d'envergure des Services auxquels j'avais l'honneur d'appartenir. " On " l'avait pratiquement laissé tomber.

 

Cela n'avait d'ailleurs aucune importance, car il avait trouvé beaucoup mieux. " Oui, parfaitement, fit-il dans un chuchotement tonnant, j'ai désormais le contact direct avec l' I. S. C'est autre chose que votre boîte à la gomme. Ils savent travailler eux ! ".

 

Je me sentais accablé devant ce réquisitoire.

Péremptoire le " Dominicain " reprit : " Tenez, ce soir, je dois dîner avec un officier anglais. Si cela vous intéresse venez à huit heures à la Chope du Pont-Neuf. Vous n'aurez qu'à demander la table du Commandant Bernard ».

 

UN ANGLAIS A PARIS

En août 1941, les Britanniques ne se bousculaient pas dans les rues de Paris.

 

Même si ma mission était de m'occuper des Allemands - fort nombreux, eux, et même un peu trop voyants - l'occasion de rencontrer un authentique Anglais excitait ma curiosité.

En arrivant à la Chope, je n'eus pas besoin de chercher la table du " Commandant ".

 

Pour me guider, il y avait les éclats de sa voix. Il trônait au fond de la salle à côté d'un Anglais d'une authenticité ahurissante et avec en face de lui deux dames élégantes.

 

" Monsieur Paul, sa fiancée et sa future belle-mère, mon ami Maurice ".

 

Ces présentations tonnantes terminées, je pris place en bout de table. En dehors du physique de sa nationalité, Monsieur Paul avait la particularité de ne pas savoir le français.

 

Cela ne facilitait pas la conversation car de leur côté le " dominicain " et la " future belle-mère " ignoraient l'anglais.

 

Je dus joindre mes modestes connaissances à celles de la " fiancée " pour assurer l'interprétariat.

L'officier de l' I.S. avait fait à peine attention à moi.

 

Il est vrai qu'à côté du 3 dominicain " qu'il appelait bien entendu " major " je ne payais pas de mine.

 

Je pouvais donc, tout en leur servant d'interprète, observer les deux hommes et en premier lieu Paul.

 

Il me paraissait sympathique et très maître de lui.

 

Toutefois sa méconnaissance des langues étrangères, car j'appris très vite qu'il ne savait pas plus l'allemand que le français, m'intriguait.

 

Jusque là j'avais cru que les services britanniques avaient la spécialité d'expédier en mission des hommes sachant s'adapter parfaitement au pays ou au milieu dans lesquels ils devaient évoluer.

 

On pouvait se demander ce que " Mister Paul " pouvait faire en France occupée sans l'aide de sa " fiancée " et de quelques patriotes français anglophones.

Ceci dit, il se prêtait complaisamment aux nombreuses questions que lui posait, par mon truchement, le bruyant " major Bernard ".

 

Son champ d'investigation était en premier lieu le nord de la France, mais Paris l'intéressait également. Périodiquement il devait se rendre en zone non occupée pour y prendre contact avec sa " maison ".

 

Généralement il passait la ligne de démarcation quelque part au sud de Loches. Avant la guerre il avait été " inspecteur à Scotland Yard ", ce qui lui avait valu sa mobilisation dans le Service de Renseignement Militaire.

 

Tous ces détails étaient évidemment passionnants mais je demeurais perplexe quant aux missions en France occupée de ce policier britannique converti en officier de l'Intelligence Service.

Je ne devais plus le revoir.

 

En revanche j'allais avoir l'occasion d'entendre parler de lui...

Fin août, lors de ma liaison mensuelle à CLERMONT, je signalai la " découverte " du Dominicain ".

 

Notre préoccupation essentielle étant l'Abwehr je n'attachai quant à moi qu'une importance relative à l'épisode cocasse de mon dîner à la Chope du Pont-Neuf.

 

 

 
Début / Haut de page
 

 

Article paru dans le Bulletin N° 73

Dépot légal - Copyright

Enregistrer pour lecture hors connexion.

Toute exploitation, de toute nature, sans accords préalables, pourra faire l'objet de poursuites.

Lire l'Article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle. - Code non exclusif des autres Droits et dispositions légales....