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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
LE DEBUT D' UNE VOCATION (2 ème Partie)
 

LA LANTERNE DE DIOGENE

 

Par le Colonel Michel GARDER

En me remémorant avec un recul de trente ans et à la lumière de l'expérience acquise dans le domaine du Renseignement cette époque héroïque, je mesure pleinement la disproportion qui existait alors entre mon ambition d'obtenir au plus vite des résultats et les faibles moyens dont je disposais pour parvenir à mon but.

En ce mois d'Octobre 1940, la population parisienne prise dans son ensemble était loin de représenter un réservoir important de résistants potentiels.

 

Encore abasourdis par une catastrophe sans précédent dans notre histoire, les habitants de la Capitale en étaient à s'interroger sur la nature de celle-ci et bien entendu sur ses causes.

 

Beaucoup se contentaient d'explications simplistes, telles que :" on a été vendus " " on a été trahis ".

 

L'anglophobie était largement répandue, surtout depuis les dramatiques événements de Mers el-Kébir.

Les moyens d'information, manipulés par l'occupant, ne se privaient pas d'exploiter un thème aussi facile. La radio et la presse du nouvel Etat français leur donnaient la réplique. Enfin les tracts diffusés par un parti communiste, semi clandestin pourrait-on dire, ne se privaient pas de fustiger la ploutocratie britannique et son valet de Gaulle, coupables de prolonger inutilement la guerre.

Certes, ma mission n'était pas tant de répertorier les " bon français " que d'en trouver quelques-uns susceptibles de m'aider dans ma tâche, mais, mêmes modestes, mes besoins n'étaient pas faciles à satisfaire.

 

Il me fallait découvrir un certain nombre de " braves types " me faisant suffisamment confiance pour se résigner à jouer les " traîtres " au profit d'un service français dont ils devaient tout ignorer et cela en vue d'une victoire finale des plus hypothétiques.

Les deux ou trois " bonnes adresses " que m'avaient fournies " JANSEN " et " le Colonel MERLIN " s'avérèrent assez décevantes à l'usage.

 

Je dus me résigner à jouer les Diogènes par mes propres moyens à la recherche de quelques " vrais hommes ".

CUIRASSIERS ET RUSSES BLANCS

Mes possibilités de prospection se limitaient pour l'essentiel à deux catégories d'individus : les anciens du II ème Cuirassiers et les Membres de la Colonie Russe de Paris.

 

Les premiers nommés n'étaient pas très nombreux encore à cette époque. Quelques rares démobilisés du train régimentaire la seule fraction de notre unité qui avait pu gagner le Midi de la France, s'étaient risqués à rejoindre la Capitale.

 

Après la mort glorieuse du Colonel et de six officiers, une bonne partie des cadres et de la troupe se trouvaient en captivité. Quelques rescapés servaient dans les régiments de l'Armée d'Armistice.

Ayant gardé une permanence discrète au " Bouquet de Grenelle " point de ralliement, avant la guerre, des sous-officiers du régiment, j'entrepris une prospection fouillée de mon autre objectif.

 

Les Russes blancs étaient évidemment infiniment plus nombreux que les cuirassiers et dans l'immédiat plus intéressants pour moi, car les occupants leur prêtaient une attention particulière.

 

Il y avait à ceci de nombreuses raisons, parmi lesquelles je me contenterai d'en citer trois : tout d'abord Paris était avec Berlin et Belgrade une des trois " capitales régionales " de l'émigration russe.

 

Or, au sein de cette émigration existait, en dehors de divers partis politiques ou de groupements plus ou moins folkloriques, une organisation militaire hiérarchisée, possédant un service de renseignement, héritée des anciennes armées de Wrangel, que les Allemands s'efforçaient de contrôler.

 

Ensuite, parmi les Russes de Paris, nombreux étaient ceux qui, parlant à la fois le français et l'allemand, pouvaient être utilisés comme interprètes dans les différents services de l'Administration Militaire Allemande.

 

Enfin, en dehors du domaine officiel, il y avait dans la Wehrmacht des officiers et soldats d'origine balte ou même russe ayant des parents à Paris.

Je dois avouer avoir éprouvé au début une certaine inquiétude quant aux possibilités que pouvaient avoir la Propagandestaffel et le S.R. allemand au sein de cette colonie.

 

Très vite il me fut permis de constater qu'il n'en était rien.

 

Bien sûr quelques nostalgiques des fastes de l'armée impériale admiraient l'allure martiale des militaires allemands.

 

Toutefois, dans l'ensemble, je constatai un touchant loyalisme envers la France peut-être encore plus profond maintenant que cette terre d'exil se trouvait malheureuse et vaincue.

De plus le pacte germano-soviétique avait ravivé dans les mémoires l'envoi de Lénine en Russie par les soins du Grand Etat-Major allemand et le honteux traité de Brest-Litovsk.

Certes, réduits au chômage, de nombreux chauffeurs de taxi travaillaient-ils comme manutentionnaires dans différents dépôts de de la Wehrmacht, mais pouvait-on leur en tenir grief ?

De toute façon mes relations personnelles au sein de ce monde que représentait la Colonie Russe de Paris m'ont permis assez rapidement d'avoir de l'ensemble des services allemands une vue relativement précise et de glaner par-ci par-là quelques renseignements valables.

 

Tout cela évidemment me paraissait bien mince en comparaison de ce que mon imagination exaltée escomptait de mon premier séjour en zone occupée.

 

Aussi fus-je agréablement surpris, à l'issue d'un voyage mouvementé via Vierzon et ses environs touristiques, d'être aussi gentiment accueilli par le Capitaine .JOHANNES, fin Octobre, dans l'antre du T.R. 113.

 

On daigna trouver mes premiers résultats fort encourageants.

 

A défaut d'avoir " pénétré " l'Abwehr, je savais du moins où se trouvaient le poste principal et celui de Saint-Germain.

 

Je rapportais pas mal de noms, dont certains, tel celui du sinistre P...-G..., étaient depuis longtemps connus par les services français.

 

Accessoirement je ramenais une série de renseignements d'ordre militaire.

 

Le plus difficile néanmoins restait encore à faire.

 

LES PARTIS COLLABORATIONNISTES

Sur le chemin du retour en zone occupée, je m'arrêtais à LIMOGES où j'eus la chance de rencontrer un de mes anciens camarades du II ème Cuirassiers Jacques MARRONNEAUD évadé au cours de l'été de l'hôpital militaire de Rouen où les Allemands l'avaient placé en raison d'une blessure à la jambe et qui, affecté dans un régiment de l'armée d'armistice, rongeait son frein " voulant faire quelque chose ".

 

Ce " quelque chose " je le lui proposai immédiatement en l'encourageant à prendre un congé d'armistice pour me rejoindre à Paris.

 

Cette solution lui convenait d'autant plus que sa famille était restée dans la Capitale.

 

Fin Novembre, avant ma liaison, désormais périodique, en zone libre, mon camarade se trouvait déjà à mon entière disposition.

 

Entre temps, tout en continuant d'exploiter le filon de la Colonie Russe, mon attention s'était portée sur les nouveaux partis politiques qui se créaient avec la bénédiction de l'occupant.

 

Outre le Parti Populaire Français de DORIOT qui existait déjà avant la guerre, deux équipes distinctes les " néo-socialistes " de DEAT et les anciens Cagoulards de DELONCLE s'agitaient beaucoup et s'apprêtaient à s'ériger en partis politiques.

L'aspect politique de leur action ne m'intéressait que fort peu.

 

En revanche j'avais appris que ces deux formations, qui allaient donner naissance au Rassemblement National Populaire et au Mouvement Social Révolutionnaire, possédaient l'une et l'autre un organisme pompeusement intitulé " 2ème Bureau ".

 

Il me paraissait dès lors évident que les Allemands n'allaient pas manquer d'utiliser ces " artisans du renseignement " à leur profit.

 

En parvenant à y glisser des hommes sûrs il devait être possible, sinon de " pénétrer " réellement l'Abwehr, du moins de suivre de plus près une partie de ses activités.

Dès mon retour à Paris, lequel a coïncidé avec la " Révolution de Palais " de VICHY du 13 Décembre 1940, nous passâmes à l'action MARRONNEAUD et moi.

 

Le moment était favorable. En riposte à l'élimination de LAVAL à Vichy, les " collaborateurs " parisiens s'agitaient énormément, intensifiaient le recrutement et sur les instances des Allemands s'efforçaient de constituer un Parti Unique.

 

Un camarade d'avant-guerre qui avait milité dans les formations d'extrême droite et qui venait d'être bombardé " capitaine " dans la garde prétorienne de DELONCLE servit de parrain à MARRONNEAUD.

 

Admis dans les cadres permanents, celui-ci fut jugé digne de faire partie du " 2ème Bureau " dirigé à l'époque par FILHOL, le célèbre cagoulard.

 

D'autres " amis ", " cuirassiers ", ou non tels ANGOT, Pierre GUIRAUD, actuellement membres de l'A.A.S.S.D.N., allaient par la suite renforcer les " 2ème Bureaux " de la collaboration, " servir " dans certaines polices parallèles, côtoyer d'authentiques agents allemands et les employeurs de ceux-ci, bref permettre au T.R. 113 bis d'être enfin une véritable antenne de C.E. offensif.

Une deuxième équipe affectée à des " tâches diverses " avec l'inoubliable " russo-cuirassier " POUKLHLIAKOFF, PODGOURSKY, SCHNELL, BELLIK, etc. allait fonctionner parallèlement.

Mais j'anticipe un peu car tout cela ne s'est pas fait évidemment en un jour et au début de 1941 nous n'en étions encore qu'au stade du " bricolage inspiré ".

 

LES " BRICOLEURS DE LA FOI "

Le 20 Janvier 1941, j'effectuai ma quatrième liaison avec T.R. 113 en franchissant la ligne de démarcation à MOULINS tout bêtement camouflé sous la banquette d'un wagon de 3ème classe de l'express Dijon-Clermont-Ferrand, dont c'était le dernier voyage.

 

Ce moyen artisanal de franchissement était à l'image du fonctionnement, de l'ensemble de l'Entreprise des Travaux Ruraux. La Foi compensait largement l'absence de moyens et la boutique tournait.

Le bon JOHANNES avait rit aux éclats en apprenant les détails de mon voyage.

 

" Au fond, avait-il ajouté, il ne peut pas venir à l'idée des Fritz que nous en soyons réduits à voyager sous les banquettes. Ils doivent s'efforcer de nous dépister dans les wagons-lits avec de faux " ausweiss " fabriqués par nos soins! ".

Maintenant au 52, Avenue d'Italie, on travaillait d'arrache-pied. La machine de TRIMOUILLAS crépitait sans arrêt, JOHANNES traitait personnellement plusieurs " doubles ".

 

De nombreux " honorables correspondants ", en majorité des Lorrains ou Alsaciens, alimentaient la " Maison ".

 

J'avais le sentiment exaltant d'appartenir à un service en pleine expansion sachant qu'au même moment tous les autres postes T.R. connaissaient la même fièvre.

 

La fierté d'être un des " éclaireurs de pointe " en zone ennemie d'un tel service, me transportait.

 

Nous faisions la guerre..., l'Armistice ne nous concernait pas!

Devant cette réalité enivrante la légende dorée du Capitaine BENOIT qui m'avait fait rêver naguère me paraissait ridicule.

 

La guerre ne se fait pas dans les palaces et les sleepings.

 

Lorsque JOHANNES m'alignait mon maigre viatique je savais que la " Maison " était pauvre et il ne me venait même pas à l'esprit d'en demander un peu plus.

Une surprise agréable m'attendait en revanche à Clermont-Ferrand lors de cette liaison de Janvier 1941.

 

T.R. 113 avait réussi à s'attacher entre-temps les services d'un contrôleur de la S.N.C.F. affecté aux lignes Paris-Clermont et Paris-Chambéry.

 

Ainsi en dehors de mes liaisons mensuelles, avais-je la possibilité d'acheminer régulièrement du courrier urgent sur le poste.

 

Je fis la connaissance du Contrôleur qui se trouvait justement à Clermont le 22 Janvier.

 

Médaillé militaire à Verdun, Philippe BUR me fit une excellente impression.

 

Nous convînmes de nos jours et lieux de rencontre fixes à Paris ainsi que de quelques " boîtes aux lettres " alternées.

 

Son ambition, devait-il m'avouer plus tard lorsque notre collaboration régulière se fut remplacée par des liens de solide amitié, était de recevoir la Croix " après la victoire " !

 

La croix, il devait la recevoir à titre posthume comme tant d'autres de mes camarades, sans avoir pu tenir jusqu'au bout dans l'enfer de Dora !

 

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 70

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