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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
LA MISSION BADEN-SAVOIE T.R. JEUNE (5)
 

Par Elly ROUS

Nous poursuivons la suite des souvenirs de notre camarade Elly ROUS, chef de la Mission " Baden-Savoie " dit T.R. JEUNE. Dans le chapitre précédent, (cf. B. L. 73), E. R raconte son arrivée en France en compagnie de son radio " Vivian ". Les deux hommes se sont séparés, Vivian partant directement pour PAMIERS où son chef doit le rejoindre ultérieurement après avoir pris divers contacts. Le jour venait à peine de se lever, le lendemain, lorsque après avoir pris congé de mes amis les gitans, j'enfourchai ma bicyclette pour gagner PAMIERS.

 

Il faisait froid, une épaisse couche de givre recouvrait les champs, la route luisait, tout était calme et un silence impressionnant enveloppait la campagne déserte.

 

Je pédalai énergiquement pour me réchauffer et je mâchai des pois chiches grillés que m'avaient donné mes hôtes en guise de petit déjeuner.

 

Au loin, la chaîne des Pyrénées toute blanche se découpait dans le ciel gris.

 

J'avançais ainsi depuis près d'une heure quand j'entendis un cri dans le fossé.

 

Non loin de là, un homme qui ressemblait à un Père Noël avec une grande barbe gelée en sortit en appelant à l'aide.

 

Près de lui son vélo renversé et une petite remorque légère les roues en l'air montraient de toute évidence qu'il venait de déraper.

 

Je l'aidai de mon mieux, sa bicyclette et sa carriole n'avaient pas trop souffert ; lui n'était pas blessé mais seulement un peu contusionné.

 

Il m'expliqua qu'il transportait à la hâte un cochon qu'il venait d'abattre clandestinement chez un ami.

 

Pour me faire cet aveu, il fallait vraiment qu'il ne soit pas méfiant et que je lui inspire confiance, mais il faisait trop froid et nous étions l'un et l'autre trop pressés de repartir pour essayer de nous livrer à la moindre investigation.

 

Nous ramassâmes les petits paquets de viande soigneusement enveloppés dans des petits sacs de toile.

" Tenez, me dit-il, en me tendant un des paquets, voici pour vous, vous le mangerez à ma santé, mais quoi qu'il arrive, vous ne m'avez pas rencontré ".

 

Je l'acceptais volontiers car je savais à présent combien il était difficile pour les gens qui avaient la  gentillesse et aussi le courage de nous recevoir, de se procurer du ravitaillement, même au marché noir et nous avions un appétit d'ogre, ce qui n'arrangeait rien. Un peu transi à la suite de cet intermède imprévu, je repartais aussitôt.

 

Un pâle rayon de soleil tentait de percer les nuages et je poursuivais mon chemin sans rencontrer personne. L'esprit préoccupé par un tas de projets, je m'efforçai de les classer par priorité et mon attention se concentrait en même temps sur cette route glacée qui à chaque instant pouvait être la cause d'une magnifique mais périlleuse glissade.

 

J'avais pris l'habitude de répéter quelquefois par coeur et à haute voix quand j'étais tout seul dans la campagne des mots inintelligibles certainement pour ceux qui auraient pu les entendre, mais qui représentaient pour moi des mots-clés, absolument indispensables pour me rappeler, soit directement, soit par association d'idées, des renseignements précieux que j'évitais ainsi d'écrire et de transporter avec moi, ce qui est toujours excessivement dangereux.

J'arrivai enfin à l'entrée de PAMIERS et m'apprêtais à me diriger vers la rue où je devais me rendre et dont j'avais appris, par coeur l'itinéraire quand j'aperçus, débouchant d'une place voisine, toute une compagnie de soldats allemands qui marchaient dans une avenue transversale en chantant à tue-tête.

 

Je fis un léger crochet, m'arrêtai un instant et tandis que s'amenuisaient peu à peu les derniers " Alli, allo... ! " je ne tardai pas à repartir et à me trouver enfin devant la porte d'une petite maison sur laquelle on pouvait voir sur une plaque de cuivre le mot " Perception ".

 

Fidèle à une habitude qui m'était chère et qui ultérieurement allait un jour me sauver la vie à BORDEAUX, je tournais un instant autour de cette maison, observais attentivement toutes les issues avant de m'approcher et de frapper deux fois assez fort.

 

J'entendis une fenêtre se refermer au premier étage. On avait dû me regarder à travers les volets. Un homme d'une cinquantaine d'années, aux tempes grisonnantes, m'ouvrit brusquement la porte et sourit. " Je suis François, je viens de la part de Madame JOURDAN ", lui dis-je.

 

C'était un mot de passe convenu avec des amis de Sète. " Je suis le Percepteur, répondit-il, entrez, vous êtes le bienvenu, je vous attendais ".

 

Nous descendîmes dans le sous-sol de cette vaste maison bourgeoise qui n'apparaissait seulement qu'à moitié vue de la rue.

 

Dans la chaude ambiance d'une petite cuisine campagnarde, une cafetière qui sentait bon chauffait doucement dans la cheminée.

 

C'est ainsi que je fis la connaissance de la sympathique famille JOUCLA qui allait désormais me rendre, sur PAMIERS et la région, des services très appréciables et constituer l'un de mes P.C. de l'Ariège.

 

Toujours prête à accomplir une foule de petites missions, à nous apporter un renseignement qui nous permettrait d'agir avec le maximum de chances de réussite, Madame JOUCLA et son jeune fils d'une dizaine d'années, ne nous présentaient que des amis très sûrs susceptibles de nous accueillir et de nous aider dans notre mission.

 

Il y avait là notamment le charcutier ROBERT, la famille GUICHARD qui avait toutes ses attaches à BORDEAUX et dont l'un des membres fut fusillé comme otage avec un groupe d'étudiants gaullistes au camp de SOUGES ; deux jeunes femmes, Gisèle, épouse d'un Docteur et Simone, infirmière, qui nous apportèrent une aide Précieuse.

En sûreté dans cette maison qui était, comme nous l'avons vu, le Bureau de Perception de la ville, M. JOUCLA dont le comportement de " père tranquille " ne pouvait éveiller aucun soupçon, sortait et voyait beaucoup de monde dont certaines personnes qui fréquentaient les troupes d'occupation.

 

Il nous apportait chaque jour des renseignements intéressants. Assis dans une pièce attenante au Bureau du Percepteur, je pouvais parfois entendre toutes les opinions émises par des gens de toutes tendances.

 

Dans quelques jours je pus ainsi, par l'intermédiaire d'un solide réseau monté sur place, recueillir une foule de " tuyaux " sur tout le secteur, destinés à notre poste de BARCELONE (C.I.D.) et à la D.S.M. d'ALGER. Il y avait à PAMIERS et dans les environs tout un corps, assez inoffensif de douaniers allemands et de gardes-frontière spéciaux dotés de chiens-loups plus dangereux.

 

Les services de police ennemis n'habitaient pas sur place, mais venaient de FOIX où un poste de Gestapo et de Miliciens assez nombreux entretenaient de nombreux indicateurs français dans tout le secteur.

 

Ces indicateurs, recrutés sur place et dans les prisons, étaient chargés de recueillir tous les renseignements possibles sur la Résistance et de noyauter les " terroristes ".

 

En échange, ils bénéficiaient de remises de peines ou de primes. Ils leur demandaient d'abord des tuyaux sans importance, d'aspect inoffensif, pour les mettre en confiance, mais ne tardaient pas à en faire des collaborateurs zélés. Il faut reconnaître cependant que beaucoup de condamnés préféraient subir complètement leurs peines que d'aider les ennemis. En très peu de temps, je possédais déjà des données intéressantes sur les effectifs et leurs chefs, les sympathisants des ennemis, les arrestations, les suspects, les voitures-gonios, le moral de la troupe ainsi que quelques adresses sûres pour l'avenir de façon à ne jamais dépasser des séjours de plus d'une semaine au même endroit, chez les mêmes personnes.

 

J'acheminai ainsi plusieurs courriers par la filière CABALLÉ montée à BARCELONE par nos soins et qui passait par le PERTHUS, la JUNQUERA et parfois SAILLAGOUSE. J'avais appris également à PAMIERS que VIVIAN était bien passé et s'était dirigé vers LANNEMEZAN où il devait prendre contact avec les deux autres membres de mon équipe " BADEN-SAVOIE ", Jean et Marc qui séjournaient actuellement à VIC-BIGORRE et dans les villages environnants en attendant mon arrivée. Après avoir expliqué en détails à tous mes amis de PAMIERS ce qu'il m'intéresserait de savoir à mon prochain passage, les contacts à prendre, les mots de passe, la façon de me joindre en cas de danger ou de nouvelle très grave, je commençai mes rapides préparatifs pour reprendre la route et, suivant un itinéraire dont j'avais minutieusement étudié tous les détails, me diriger vers LANNEMEZAN où je possédais déjà des adresses sûres. Mon premier séjour à PAMIERS qui s'était effectué dans d'excellentes conditions fut cependant assez court puisqu'il n'avait duré en tout que neuf jours.

 

Au matin du dixième jour, alors que la neige tombait en abondance, je prenais congé de la famille JOUCLA, non sans l'avoir chaleureusement remerciée de son accueil.

 

L'étape qui m'attendait au cours de cette journée était assez longue. Avec les détours obligatoires, il fallait compter cent cinquante kilomètres.

 

Elle était aussi assez périlleuse, car il convenait d'éviter surtout le tronçon de la route nationale TOULOUSE - SAINT-GAUDENS, très fréquentée par la troupe allemande et surveillée, et passer par la voie parallèle de l'autre côté de la rivière. Un endroit m'avait été indiqué par le journaliste Pierre DUMAS qui se cachait alors sous le nom de Saint Jean à ESCOSSE, par l'intermédiaire d'un vieux garde-champêtre particulièrement courageux que je devais retrouver à mon prochain passage.

 

Il s'agissait des abords du Mas d'Azil où les Allemands entreposaient des munitions et qui recevaient également souvent la visite des miliciens de FOIX.

C'était un lundi matin, emportant cette fois une tranche de jambon dans un énorme morceau de pain de campagne qui constituait ma nourriture pour toute la journée, je prenais la route qui, par SABARRAT, allait me conduire à SAINT-GIRONS, MANE, MONTSAUNES, puis le sud de MONTREJEAU, SAINT-LAURENT et LANNEMEZAN par la BARTHE de NESTE.

Huit heures sonnaient à une vieille Eglise de PAMIERS quand je quittai la ville.

 

La neige ne tombait plus, mais une couche très épaisse recouvrait le sol.

 

Une longue et sinueuse côte se dressait bientôt devant moi et allait constituer une sérieuse mise en train pour la journée.

 

Un grand vol de canards sauvages qui s'avançaient en triangle dans le ciel gris m'apporta une heureuse diversion en me rappelant les souvenirs de chasse de ma jeunesse.

 

Quelques " gazobois " pétaradant et fumant, des cultivateurs se rendant à un village voisin, me doublèrent sans s'inquiéter de moi.

 

Pour passer plus agréablement le temps, je me replongeai dans mes pensées et mes projets.

 

La veille, j'avais caché, à l'insu de tout le monde, une boîte de conserve en fer avec tous les renseignements recueillis concernant les personnes arrêtées dans la région, les suspects, les noms de toute une section de miliciens avec leurs chefs, leur P.C., leurs habitudes, les numéros de leurs voitures.

 

J'avais enfoui cette boîte dans le creux d'un vieux mur au fond du jardin de la maison JOUCLA et remis toutes les pierres en place.

 

J'avais aussi appris par coeur des noms et des adresses sûrs qui me serviraient dans quelque temps quand je parviendrai à BORDEAUX.

 

Il y avait parmi eux notamment une personne que je connaissais très bien, mais qui ne me connaissait pas ou très peu.

 

Il s'agissait d'un ancien champion de France de boxe poids lourds nommé LURY, qui avait eu l'insigne honneur de résister devant CARPENTIER lors d'un match mémorable à BORDEAUX.

 

J'étais à la fois heureux et attristé à la pensée de revoir cette ville où j'avais vécu quelques années et passé d'excellents moments comme étudiant. Toutes ces idées ne m'empêchèrent pas cependant de commencer à scruter l'horizon et à redoubler d'attention à mesure que j'approchais du Mas d'Azil.

 

Je passai bientôt sous l'immense voûte de rochers en longeant la route qui surplombe la rivière.

 

Tout était calme. A la sortie, plusieurs bicyclettes de forme un peu spéciale, rangées le long d'un fossé me rappelèrent que quelques soldats allemands ne devaient pas être loin.

 

J'appuyai de plus en plus sur les pédales, sans toutefois donner l'impression de vouloir fuir et je traversai ainsi, sans encombre, cette zone que le brave cantonnier de PAMIERS m'avait signalée comme assez dangereuse.

 

Bientôt après, une grande descente en lacets caractéristiques m'indiquait que j'allais arriver à SAINT-GIRONS.

 

Quelques kilomètres avant d'arriver dans cette ville, je devais m'acquitter d'une commission dont m'avait chargé la jeune secrétaire du Commandant PAILLOLE, Chantal de BARDIES que j'avais vue la veille de mon départ d'EL-BIAR à la Villa Jaïs, siège des Services Spéciaux.

Je me dirigeai tout droit vers un petit château blotti dans un virage et frappai à la porte d'entrée.

 

J'avais imaginé par avance, comme d'habitude, toutes les éventualités possibles : maison inhabitée, surveillée, occupée par l'ennemi. Heureusement, tout était normal.

 

Un vieux Monsieur, l'air très digne, vint m'ouvrir et me dévisagea avec une certaine méfiance, ce que je comprenais très bien.

 

A la description détaillée qui m'en avait été faite, je reconnus tout de suite la personne que je devais rencontrer " Je viens simplement vous saluer et vous dire que Chantal est à ALGER et se porte bien ".

 

Je lus à la fois sa satisfaction et sa surprise dans ses yeux.

 

Il me remercia et je sentais qu'il était sur le point de me retenir, de me poser des questions.

 

Afin de ne pas l'embarrasser et comprenant aussi que sa méfiance était encore et malgré tout assez loin d'être dissipée, ce qui était tout à fait compréhensible, je pris rapidement congé de lui et m'éloignai vers SAINT-GIRONS où j'arrivai quelques instants plus tard.

 

Je ne m'attardai pas car je savais que les abords de la gare où je devais passer pour prendre la route de SAINT-LIZIER n'étaient pas très sûrs, mais je connaissais bien cette ville et réussissais à la traverser sans ennuis.

 

 

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 75

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