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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
LA MISSION BADEN-SAVOIE T.R. JEUNE (4)
 

Par Elly ROUS

Quand je me réveille, entièrement recouvert de paille dans le grenier de la ferme qui nous a donné asile, mes membres sont encore endoloris car l'épreuve a été particulièrement dure.

Jamais, je crois, sur tous les terrains de sports de France et de Navarre où j'ai eu l'habitude de souffrir toutes les semaines à l'occasion de grandes compétitions, je ne suis arrivé à cette extrême limite d'endurance physique.

Mais, cette fois, l'épreuve est passée et mes préoccupations sont telles que j'en oublie vite les séquelles.

A côté de moi Vivian le radio, fait surface lui ainsi au milieu des bottes de paille et a du mal à ouvrir les yeux.

Il peut être deux ou trois heures de l'après-midi. Un pas lourd monte lentement à l'échelle qui nous sépare du sol que nous n'apercevons pas. Une femme, corpulente apparaît et nous fait signe de descendre. Nous récupérons notre valise et quelques minutes après une toilette sommaire dans une petite pièce rustique qui communique avec une bergerie, la même personne dont le visage demeure impassible nous dit simplement : " Vous allez manger une assiette de soupe et vous préparer ; dans une heure, mon mari viendra vous chercher et vous conduira à la gare toute proche. Donnez-moi vos photos pour la carte d'identité "...

C'est avec un grand appétit que nous prenons plusieurs fois de cette soupe paysanne, simple sans doute, mais qui nous paraît le mets le plus succulent de l'univers.

Nous sortons une carte et commençons à parler de notre emploi du temps. Il fait froid, très froid... au-dehors tout est calme et recouvert d'une épaisse couche de neige, mais le temps est beau. A travers une petite fenêtre, nous apercevons quelques maisons au loin dans un champ en pente et sur la colline, un village...

L'idée que nous sommes en France n'apparaît plus à notre esprit sous le même angle ... " on se croirait aux sports d'hiver dit le radio en souriant "...

En réalité, nous n'avons qu'une hâte à présent, prendre des contacts directs, commencer cette mission, notre mission, et nous faisons un effort sérieux pour nous départir d'une foule de détails, de messages appris par coeur qui nous assaillent.

A l'exception de notre hôtesse, la maison paraît déserte. Les autres ont dû déjà partir. La porte s'ouvre enfin et la maîtresse de maison nous remet deux cartes d'identité avec nos photos et nos premiers noms d'emprunts, des noms locaux, que nous conserverons jusqu'à ce que nous ayons l'occasion d'avoir de meilleurs papiers.

Nous signons nos cartes et nous nous apprêtons à partir. Notre attente n'est pas longue. Un homme, grand, mince, le visage basané, le regard dur vient vers nous : " Je vais vous conduire à la petite gare où vous aurez un train pour Perpignan ; à la gare, vous ne risquez pas grand chose, faites attention aux vérifications de papier en cours de route "...

Nous avons juste le strict nécessaire dans nos valises, du linge sans étiquettes de provenance, notre nécessaire de toilette, mais aussi un instrument terrible, qu'il faut à tout prix et dans un premier temps amener sur place dans un endroit sûr des Pyrénées : un petit poste émetteur Mark V.

Nous en retrouverons un autre qui a été parachuté sur place et un troisième d'une mission précédente qu'il faudra réparer.

Le poste est enveloppé dans des serviettes de toilette, les cartes de France brûlées.

Tout ce qui pourrait constituer un indice disparaît dans le feu car en cas de danger extrême, il faut envisager d'abandonner cette valise.

Nous quittons la ferme par un petit chemin de campagne. Tout est blanc et calme, le soleil brille. Après une demi-heure de marche, un village apparaît à quelques centaines de mètres dans la vallée. " Voici la gare nous dit l'homme "...

Il nous regarde dans les yeux fixement, longuement comme un homme habitué depuis longtemps au danger et qui a bien mesuré les difficultés qui nous attendent, et il repart de son pas traînant, régulier, vers la ferme.

Merci, O.K., on va se débrouiller, et nous voilà, tous les deux dans la nature, en marche vers la petite gare.

 Nous faisons encore quelques mètres puis, après un rapide tour d'horizon, le rappel de quelques consignes, j'expose une nouvelle fois à mon radio le plan que nous avons longuement mis sur pied ensemble en Espagne et dont nous avons encore discuté ces jours derniers.

Nous voyagerons séparément jusqu'à Perpignan. Si tout s'est bien passé, nous nous retrouverons au buffet de la gare à des tables séparées, lui attendra le train de Narbonne puis gagnera Pamiers où nous avons un asile sûr. Là, il préviendra Alger de notre arrivée et prendra rendez-vous pour la semaine suivante, à une date et à une heure fixes.

Pendant ce temps, j'irai à Sète où je dois prendre la température auprès d'amis sûrs, des adresses pour les Pyrénées, remplir une mission SR assez délicate que je transmettrai par courrier par notre filière de Barcelone et surtout aller jusqu'à Montpellier et Nîmes essayer de retrouver la trace de Jean et de Christian, mes deux autres membres du Réseau B.S. dont on est toujours sans nouvelles.

Arrivé à un détour du chemin, nous nous séparons en partant chacun de notre côté.

Quelques minutes après, je franchis une passerelle sur un petit ruisseau et je me trouve à proximité de la gare.

J'entre et prends mon billet. Tout est tranquille. " Le train va passer dans cinq minutes me dit l'employé ".

En effet, la machine commence lentement à apparaître sur le petit quai où nous sommes que trois voyageurs et un quatrième qui arrive peu après mon radio.

Nous nous installons dans un long wagon vétuste et branlant aux banquettes de bois comme je n'en avais pas vues depuis bien longtemps, lui au début, moi à l'autre extrémité, les yeux sur la précieuse valise noire.

Une, deux, trois petites stations se succèdent sans encombre et toujours très peu de voyageurs.

A la quatrième, petite alerte, deux uniformes vert de gris : deux douaniers allemands montent avec un chien berger et s'installent non loin de moi.

Le radio me fait signe du coin de l'oeil. Nous voilà déjà en bonne compagnie mais soulagés d'approcher de Perpignan, sans qu'il y ait eu encore de vérification de papiers.

Perpignan ! Terminus ! tout le monde descend… Comme convenu, nous prenons ce qui s'appelle encore de la bière, mais qui en réalité n’a aucun goût à présent, assis à quelques mètres de distance, mais nous ne nous attardons pas car le lieu nous paraît peu sûr : soldats allemands, civils trop bien habillés, silhouettes à imperméables spéciaux que nous connaissons bien... et nous nous retrouvons devant la gare, le radio me jette un dernier regard en signe d'au revoir et se dirige avec sa valise vers la consigne.

Quant à moi, je reviens sur le quai et monte dans le train de Narbonne qui part dans quelques minutes.

Je choisis un compartiment avec une mère de famille et cinq gosses, c'est toujours plus intéressant et cette ambiance crée moins de risques... du moins, c'est ce que je croyais...

Le train vient à peine de démarrer qu'un soldat allemand vient à son tour s'asseoir parmi nous et offre un bonbon à l'un des gosses qui le refuse carrément.

Heureusement, le trajet assez court, s'effectue sans encombre.

Les gosses et le soldat allemand se sont endormis, la mère tricote, moi je dors d'un oeil seulement et recarde défiler par la portière un paysage que j'ai autrefois bien connu, mais qui était très rarement recouvert de neige comme aujourd'hui.

A mesure que j'approche de Narbonne, la neige disparaît de plus en plus; sur les routes quelques rares " gazobois " qui avancent dans un nuage de fumée, quelques voitures isolées, surtout des camionnettes vertes bâchées de l'armée allemande.

Narbonne, là une désagréable surprise m'attend : vérification des papiers, mais ma carte d'identité passe avec succès cette première épreuve auprès d'un civil qui, à en juger par son accent, n'est pas précisément un ami.

Le train qui vient de Toulouse et m'amène vers Béziers et Sète transporte quelques soldats allemands, les uns dorment, les autres ont l'air assez préoccupés et anxieux. J'en ai de tous les côtés...

A Béziers, j'essaye d'acheter un sandwich sur le quai de la gare, un sandwich, c'est-à-dire un vieux morceaux de sardine entre deux minuscules croûtons de pain, mais il faut des tickets et comme je n'en ai pas, je peux seulement acheter un morceau de pain que la jeune fille finit par me vendre, non sans m'avoir dévisagé avec un regard qui n'exprime pas la gentillesse et oui, je l'imagine, est dû à ma présence parmi les soldats allemands.

Après Béziers, je recueille involontairement mon premier renseignement précieux par l'intermédiaire du contrôleur français. " Ce wagon est réservé aux troupes d'occupation, vous devez aller vers la fin du convoi me dit-il ".

Je lui explique que je n'ai pas trouvé de place. " Venez avec moi, car vous ne pouvez rester ici, ces soldats, s'arrêtent à la sortie de Sète, on détache leurs wagons, ils rejoignent le train blindé spécial qui se trouve entre Sète et Frontignan... Il vous faut aller dans le wagon qui s'arrête en gare de Sète ".

" Je croyais que j'étais en danger lui dis-je en souriant "... Il me regarde dans les yeux puis, mis en confiance sans doute, poursuit :" Pour cette ligne, du moins pour le moment, il ne s'est rien passé de grave ".

A l'arrivée à Sète, nous avons déjà pas mal bavardé et j'étais en possession de quelques tuyaux intéressants.

Je savais que la semaine avant, trois compagnies du Génie allemand avaient débarqué à Agde pour renforcer le dispositif de surveillance sur la côte méditerranéenne et poursuivre des travaux.

De la portière, j'avais vu les chevaux de frises et les blocs triangulaires de béton le long de la plage et plus particulièrement aux abords de Sète à la hauteur de Marseillan.

A présent, il fait nuit, le temps est froid, mais ici il n'y a pas de neige, tout est calme, la ville, cette ville que je connais bien et où j'ai passé une partie de mon enfance, m'apparaît alors dans une grisaille de tristesse infinie.

Quelques vélos, des gens qui se hâtent de rentrer chez eux. J'ai un long chemin à parcourir à pied avant d'arriver dans une maison amie et sûre, mais je suis cependant assez inquiet, car c'est de cette maison, qui sera mon P.C. pendant quelques jours, que je dois toucher d'autres refuges, prendre d'autres contacts.

 Or, les gens que je vais trouver - qui sont des parents - je ne les ai pas revus depuis de nombreux mois, avant mon passage clandestin en Afrique du Nord, sur un cargo de moutons avec un visa " italien " (il s'agissait de l'ancien " Djebel Aurès ").

Sont-ils encore là en ce moment? Sinon, retrouver les autres sera long et difficile, et je ne voudrais pas aller dans un hôtel.

Mais la chance est avec moi, car à peine ai-je sonné discrètement à leur porte que leur étonnement fait place à leur joie de me revoir. " On se demandait où tu étais ", ce qui signifie, sans oser l'avouer, " on a souvent pensé que tu n'étais plus de ce monde ".

Je retrouve alors pour un soir une chaleur familiale et un lit, un vrai, dont j'avais perdu l'habitude depuis quelques jours.

Le lendemain, de bonne heure, j'envoie chercher un ami sûr qui est en contact avec d'autres familles sûres et des membres de la Résistance.

Certes, il n'y en a pas beaucoup, et je pense que mes deux mains suffiraient à les compter, mais ce n'est déjà pas si mal.

Evidemment, à la Libération, ils auront drôlement proliféré, on les comptera alors par millions, mais pour le moment, cela n'a aucune importance.

Ce qui compte, c'est la MISSION et surtout de ne prendre avec la " Résistance ", dont les structures sont encore assez fragiles, que les contacts inévitables, car en principe, nous devons nous tenir à l'écart et travailler seuls avec nos propres indicateurs et nos propres moyens.

Heureux de la nouvelle de mon arrivée, mon ami qui n'en croyait pas ses yeux me rejoint et là, longuement, nous faisons le point de la situation, le recensement de ceux sur lesquels je puis compter en fonction de tel ou tel objectif.

Depuis que j'ai quitté ce secteur, il y a près de deux ans, les choses ont bien changé, les événements ont marché à une allure vertigineuse.

Il ne s'agit plus des fameuses Commissions d'Armistice allemande et italienne, qui habitaient le Grand Hôtel et la Corniche, mais d'une armée régulière qui occupe tous les points stratégiques et surtout, ce qui est infiniment plus grave, de réseaux d'espionnage et de contre-espionnage, bien soutenus et épaulés par la Gestapo et sa multitude d'agents, dont certains de nationalité française et une Milice aux abois, heureusement assez mal structurée, mais souvent aussi terrible que les Allemands eux-mêmes. Il est convenu que tous les trois jours je quitterai le logement de mes parents, où ma présence pouvait paraître suspecte à des voisins qui risqueraient de me reconnaître, pour aller habiter chez des amis sûrs, à l'autre extrémité de la ville.

Les premiers jours, je m'informe et je travaille à mon courrier qui doit revenir à Barcelone par la filière convenue avec C.I.D., via Perpignan et je ne sors qu'à la tombée de la nuit, vers 17 heures.

Ma coupe de cheveux, mes lunettes, ma moustache doivent me rendre assez méconnaissable puisqu'à plusieurs reprises, je ne suis pas reconnu de personnes qui me connaissaient familièrement quelques mois auparavant.

Un de mes premiers travaux consiste à envoyer une jeune fille prendre contact à Nîmes avec un Chef de la Résistance, afin de connaître s'il sait ce que sont devenus Jean et Christian qui avaient logé chez un parent de ce résistant à leur dernier passage avant leur disparition.

J'ai toujours remarqué que la façon d'expliquer une mission, quelle qu'en soit son importance, à un agent, même occasionnel, et le " dynamisme réfléchi " qu'il faut lui communiquer, constituaient une part prépondérante de sa réussite finale.

C'est sans doute ce qui se passa, car le lendemain j'avais des renseignements très précieux.

Jean et Christian avaient bien passé deux nuits aux environs de Nîmes ; sur le point de se rendre à Marseille, ils étaient montés dans un autobus qui avait été fouillé de fond en comble par la Gestapo qui avait procédé à plusieurs arrestations, dont deux jeunes gens correspondant à peu près au signalement de mes amis, mais ceux-ci, qui avaient eu vent de cette fouille ou qui vraisemblablement étaient arrivés au moment où la fouille était commencée, avaient réussi à se glisser en dehors de la gare routière, à prendre leurs vélos et leurs valises et avaient pris la route via Montpellier où on les avait vu en train d'essayer de monter dans un car vers Lodève (?).

J'en conclus que leur mission terminée, Jean et Christian s'étaient dirigés vers les Hautes-Pyrénées, vers les adresses que je leur avais données et où je devais les rejoindre... ce qui me rassura et me procura une grande joie.

Mais, un problème difficile subsistait, le résistant nîmois avait " un petit paquet " pour moi que je devais aller prendre le p!us rapidement possible.

Je n'avais pas de peine à imaginer qu'il s'agissait du poste émetteur de Christian qu'il n'avait pu amener avec lui.

C'est pourquoi, malgré le danger que cela pouvait représenter, je résolus d'aller moi-même le lendemain à Nîmes chercher " le petit paquet ", car je ne voulais faire courir ce risque à personne, et profiter en même temps pour prendre la température de ce secteur.

Hélas, cette température était terrible, je m'en rendis compte tout de suite quand en sortant de la gare, je fus orienté par la troupe allemande en armes vers la route d'Arles.

Je réussis néanmoins à me glisser dans une petite rue transversale et à me diriger vers le sud de la ville où j'avais rendez-vous avec " l'ami Pierre ".

J'appris par la suite que ce détour obligatoire était destiné à faire passer les gens à proximité d'une vingtaine de corps pendus dans les branches des platanes.

Tout le monde était ainsi obligé de voir ce spectacle de ces jeunes " maquisards » capturés disaient les Allemands les armes à la main, et qui venaient d'être exécutés depuis quelques heures.

Le spectacle était dur, horrible, et les gens qui en parlaient étaient bouleversés.

Avec beaucoup de retard, j'arrivai enfin à mon rendez-vous.

Là, j'appris que les Allemands lançaient une offensive particulièrement importante contre le maquis et que les répressions allaient devenir de plus en plus terribles...

Mais, je ne m'étais pas trompé, le petit colis qui m'attendait, était bien le poste-émetteur de Christian et le brave homme de la résistance qui avait perdu plusieurs des siens, avait d'autant plus hâte de s'en débarrasser qu'il n'avait à sa disposition aucun radio et comme il disait " rien à faire avec cet engin "... Après avoir mis le poste dans un sac de voyage et l’avoir recouvert de rutabagas et de poireaux, je regagnais à la hâte la gare.

Il me tardait de rentrer à Sète où mon ami m'attendait. Le voyage se passa sans encombre et le poste mis en lieu sûr dans une " baraquette " du Mont Saint Clair où je devais le reprendre quelques jours après, à mon départ vers l'Ariège.

Les jours qui suivirent furent pour moi des jours de travail intense. Je réussissais des plans, des photos, et notamment une carte du port avec les emplacements précis des chaînes de mines qui depuis le " brise-lames " interdisaient l'accès aux quais et ne laissait qu'un étroit passage pour les navires et les sous-marins ennemis.

J'eus même la bonne fortune de contacter un chef d'équipe italien, en relation avec François D. et Francois D M... mes deux amis sétois qui commandaient un groupe d'ouvriers qui travaillaient à la construction de blockhaus et de casemates le long de la côte pour le compte de l'armée allemande.

Non seulement, je pouvais connaître la localisation exacte des ouvrages, ceux qui étaient en cours et en projet, mais encore de quelle façon le mélange de béton étaient faits pour que leur résistance aux obus, en cas d'attaque, se trouve singulièrement amoindrie.

En une semaine, je réussis aussi à établir des listes particulièrement intéressantes avec les noms d'Officiers, de collaborateurs, d'agents français qui travaillaient pour la Gestapo, des Miliciens.

Grâce à une vieille dame qui allait fréquemment dans l'Ariège, Madame Jourdan, parente de François D.M .., j'avais également plusieurs points de chute très précieux à Pamiers et dans les environs.

Après une dernière visite au cimetière marin où, non loin de la tombe de Paul Valéry, reposent des membres de ma famille, je confiai deux courriers importants à la vieille dame qui devait les acheminer jusqu'à une boîte à lettres de Perpignan, ce qu'elle fit d'ailleurs avec succès.

Nos deux dernières journées ne furent pas des jours de repos. J'avais appris l'emplacement de quelques sièges assez clandestins de la Milice, réussi à photographier le fameux train blindé, équipé d'un armement exceptionnel et qui stationnait souvent â la hauteur de l'entrée de Lapeyrade.

j 'avais pris des forces, récupéré de nombreux tickets d'alimentation, récupéré un poste émetteur et enfin, trouvé chez moi un bon vieux vélo routier que j'avais fait remettre à neuf.

Ce vélo allait devenir pour moi un instrument de travail d'un prix inestimable et peut-être me sauver la vie en m'évitant chaque fois que cela serait possible d'avoir recours à d'autres moyens de communication, train, autobus, ou les vérifications de papiers, bien souvent à l'improviste, étaient particulièrement dangereuses.

Nanti d'une identité toute neuve, avec des cartes d'identités qui cette fois pouvaient mieux résister à un contrôle rigoureux, un beau matin, vers trois heures et demi, je contournai l'étang de Thau et je fonçais vers Bézier, en essayant, après avoir parfaitement étudié mes cartes routières de n'emprunter que ]es chemins relativement secondaires, et bien entendu, le moins possible, les routes nationales.

Ce soir-là, je dormis quelques heures à peine dans un bois, quelque part dans la nature entre Narbonne et Carcassonne, car je voulais traverser Carcassonne et par Bram et Fangeaux, gagner Pamiers le plus rapidement possible.

Je ferai grâce au lecteur de mille péripéties parfois tragiques, souvent drôles et uniques qui survenaient au cours de ces longues randonnées.

Mon prénom, était à présent Marcel, et j'étais ouvrier forestier, essayant de rejoindre un ami dont j’avais sur moi une lettre, pour trouver de l'embauche à Saint-Girons, et pendant des heures interminables, je pédalais sous la pluie, dans le froid, l'oeil aux aguets et me remémorai quelques mots de passe appris par cœur pour divers contacts futurs.

Pour quelques amis corses, c'était " Morosaglia est la patrie de Pascal Paoli " pour Pamiers : " J'ai bien reçu votre feuille jaune " pour Bordeaux : " J'ai vu le chat qui ronronne " pour Libourne : " Le professeur est en bonne santé " pour Tarbes : " Marc est bien passé »" pour Saint-Jean-de-Luz : " Etcheona trois fois "

et il y en avait comme ça des dizaines et des dizaines que j’avais appris en utilisant le processus classique de l’association des idées, mots inducteurs si mots induits.

Je venais de passer le terrain d'aviation de Carcassonne et je traversais un terrain sablonneux couvert de pins parasols assez caractéristiques quand j'entendis un gémissement dans un fossé.

Un jeune garçon d'une quinzaine d'années peut-être, était affalé.

Il avait certainement beaucoup marché à en juger par sa mine et souffrait d'un pied.

Il s'agissait d'un Gitan qui le matin même, arrêté à Carcassonne par la Milice, s'était évadé et voulait regagner Mirepoix.

Je le fis monter sur le porte-bagages et ses yeux exprimaient toute sa reconnaissance.

La nuit était tombée, une nuit noire, froide, je roulai jusqu'à une heure avancée puis, mon compagnon s'étant réveillé, il me demanda de m'arrêter et je compris qu'il connaissait bien les lieux.

Nous prîmes un sentier à flanc de côteau et quelques minutes après, nous dormions dans une anfractuosité d'une carrière de pierres où certainement il avait déjà couché.

Le froid me réveilla. Il était six heures du matin. Je réveillai mon camarade de route et nous reprîmes la route, une route verglacée par endroits qui brillait comme un miroir... Trois fois, nous nous retrouvâmes â terre et chaque fois, on riait aux éclats.

Quelques heures après, nous arrivâmes enfin à Mirepoix. Parvenus près des premières maisons, nous entrions bientôt dans une cour.

Tout était tranquille, mais comme par enchantement, une fenêtre s'ouvrit puis une porte.

Le jeune homme parla à l'oreille d'un grand type à la mine patibulaire, tandis qu'une femme qui semblait échappée d'un tableau de Goya me regardait fixement.

Je ne savais quelle contenance prendre quand l'homme s'approcha de moi et me tendit la main.

" N'allez pas plus loin aujourd'hui me dit-il, car ça va très mal sur la route et dans Mirepoix, à quelques kilomètres d'ici, des troupes d'Allemands spéciaux, des Mongols, ont fusillé deux des nôtres. Restez ici, vous repartirez ce soir ou demain, nous vous le dirons ce sera plus sûr »...

Je gouttai ce soir-là pour la première fois à la soupe de hérisson. J'avais très faim et je la trouvais excellente...

 

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 73

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