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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
LA MISSION BADEN-SAVOIE T.R. JEUNE (3)
 

Par Elly ROUS

A Barcelone, il fallait redoubler de vigilance.

Il m'arrivait parfois de rencontrer des gens qui avaient passé clandestinement les Pyrénées depuis plusieurs mois et qui sans connaître le moindre mot d'Espagnol erraient dans les rues, à la merci d'une rafle ou d'une vérification de papiers.

Certains ne se pressaient pas pour rejoindre l'Afrique du Nord et préféraient faire du commerce et des petites affaires plutôt que d'aller combattre.

Il y avait des marchands de tapis, des négociants en tissus, des bijoutiers de Paris qui avaient payé très cher leur passage des Pyrénées et que nous devions retrouver quelques mois plus tard, munis des plus magnifiques références, dans les Comités de Libération ou des Associations de Résistance.

A la sortie du cinéma, je croisais un jour un grand garçon rouquin que j'avais bien connu au fameux stage secret du " Club des Pins " près de Staoueli.

Nous avions sympathisé sans nous connaître et joué parfois à la pétanque.

C'était le patron d'un réseau de l'I.S. (Intelligence Service) ; il passa près de moi sans me voir.

Curieux, je le suivis un instant ; il semblait se diriger vers le Consulat d'Amérique.

Je m'aperçus alors qu'il était filé par un individu dont le signalement avait une prédominance germanique assez inquiétante.

Je m'arrangeai pour changer de trottoir, le dépasser et le croiser à un carrefour sans être vu de son suiveur.

Je lui glissai, en arrivant à sa hauteur : " Je crois que tu as un ange gardien derrière, toi "... Il me regarda d'abord un peu étonné, comprit rapidement et me reconnut.

Il me répondit aussitôt, clignant de l'œil : " Merci Pétanque " !

Le lendemain, hélas, une mauvaise nouvelle nous attendait à la Calle Montaner : LARVA (Avallard-Marseille) avait perdu totalement le contact et la trace de deux membres de mon équipe Jean et Marc (Baden-Savoie) parvenus en France, à Cavalaire avec " la Perle ".

On pensait qu'ils avaient été arrêtés aux environs de Nîmes mais sans aucune certitude, ce qui laissait subsister encore un léger espoir.

Ce fut pour nous un coup dur, non seulement à cause de l'amitié qui nous unissait, mais aussi parce que notre réseau risquait de se trouver ainsi réduit de moitié avant même d'être mis en place.

A nos demandes de renseignements à ce sujet, les télégrammes d'Alger de Riquet (H.B.) chez Caillot étaient laconiques : " Rien au sujet de J. et M. "...

Il me tardait à présent d’arriver en France pour me rendre aux deux rendez-vous fixés dans l’Ariège et dans les Hautes-Pyrénées et essayer de savoir ce qu'étaient devenus nos deux coéquipiers.

Avaient-ils eu la possibilité de nous donner des nouvelles aux endroits indiqués ? Etaient-ils déjà complètement " hors d'état " ?

Entre-temps, je rencontrai à Montaner un ami du S.R. qui m'apportait d'Alger une mission supplémentaire mais facultative à ajouter à notre mission principale (qui était une mission de contre-espionnage).

Il fallait essayer de connaître de quelle façon les Allemands avaient " protégé " la côte et le Port de Sète (cordons de mines, blockhaus, casemates).

Il s'agissait sans doute d'éléments pour étudier des possibilités de débarquement.

Je m'en réjouissais par avance car je connaissais parfaitement ce secteur et je pensais que cela allait aussi me permettre de connaître peut-être comment Jean et Marc avaient disparu.

Enfin, le feu vert tant attendu arriva un beau matin d'Alger sous la forme d'un télégramme qui nous faisait savoir que nous pouvions passer dès que nous en aurions l'occasion si nous étions prêts pour atteindre d'abord le Languedoc Méditerranéen, ensuite l'Ariège, les Hautes-Pyrénées et Bordeaux.

Notre véritable périmètre de travail pour cette mission était en principe limité au Nord par la ligne Bordeaux-Agen-Toulouse, à l'Est Toulouse-Perpignan-Carcassonne, au Sud les Pyrénées jusqu'à Hendaye, à l'Ouest la Côte Atlantique.

A la Calle Montaner " Tonton " et " Auguste " avaient mis au point les derniers préparatifs matériels de notre passage, on pouvait leur faire confiance.

Il s'agissait d'un itinéraire particulièrement long, fatiguant, mais qui, compte tenu de la situation, pouvait être considéré sans doute à cause des difficultés qu'il représentait comme l'un des plus sûrs.

Après avoir mis au point une dernière fois nos contacts avec " Cid-Barcelone " et par son intermédiaire, avec " Alger El Biar ", j'ai repassé rapidement tout ce que j'avais appris par coeur.

Les bagages personnels étaient réduits au strict minimum dans une petite valise.

Nous emportons également deux petits postes émetteurs, des Marks III et IV (polonais), ainsi que deux mitraillettes qui doivent nous servir pendant le passage et être déposées chez nos passeurs à notre arrivée en France.

Nous devons retrouver aussi dans notre secteur deux autres postes émetteurs.

Nous avons démarqué les étiquettes de nos vêtements mais ces derniers, hélas, ne sont pas du tout adaptés à la température qui nous attend dans les Pyrénées à cette époque, ceci d'autant plus qu'à Barcelone, l'hiver est assez doux et tiède.

Nos papiers pour la France, notamment pour les premiers jours doivent nous attendre à notre arrivée et nous devons aussi recevoir un peu d'argent.

Après avoir annoncé à deux postes notre arrivée afin qu'ils préviennent " Toto " (Vellaud) et lui confirment nos rendez-vous, nos préparatifs se trouvent ainsi terminés.

Le départ est prévu pour le mercredi à 15 heures à la Calle Montaner.

A l'heure fixée, une voiture vient nous chercher et nos bagages sont embarqués.

Trois agents, que nous ne connaissons pas, appartenant à d'autres réseaux qui regagnent leurs postes en France se joignent à nous au dernier moment et, après quelques rapides poignées de mains, nous quittons Barcelone en direction du Nord, c’est-à-dire la France.

Nous avons évité la grande route qui remonte par la Costa Brava, via Port-Bou et j'ai eu l'impression que nous roulions vers Ripoll et Ribas pour nous rapprocher de la frontière à la hauteur de Saillagouse, de l'enclave de Llivia et de Bourg-Madame.

La nuit tombe rapidement et nous roulons en silence, chacun accaparé par ses pensées.

Ces jours derniers, j'étais venu plusieurs fois vers la frontière du côté de Seo d'Urgel, de la Sierra de Los Encantats, de Salardu de Viella, de Bielsa par l'Hôpital et Salinas, mais je n'étais jamais encore passé par cet itinéraire.

Nous voyageons ainsi depuis deux heures et demi à trois heures quand la voiture s'arrête enfin dans une ferme à la sortie d'un village.

Il y a là deux grands garçons dont l'un beaucoup plus âgé que l'autre, grands et secs aux visages anguleux, fermés et décidés, qui nous attendent et nous conduisent dans une pièce rustique.

Il s'agit de nos deux passeurs. Les présentations sont rapidement faites, les bagages descendus et la voiture retourne vers Barcelone.

Sans dire un mot, une femme nous apporte une assiette de soupe chaude, prépare de gros morceaux de pain et de la saucisse pour chacun.

Quelques minutes après, sans perdre de temps, nous ajustons nos sacs sur nos dos, nous sortons en silence de la ferme et nous partons cette fois pour la dernière étape.

La nuit est noire, quelques rares étoiles brillent dans le ciel.

Le grand guide, le plus âgé, marche en avant, un bâton à la main, il avance d'un pas rapide, souple, régulier ; l'autre ferme la marche.

Nous avançons les uns derrière les autres, en colonne, à travers des sentiers de plus en plus abrupts, de petites lumières s'amenuisent dans la vallée derrière nous.

A mesure que l'escalade devient plus pénible, l'air se fait de plus en plus froid.

J'imagine que ce passage est sans doute un passage connu seulement de nos guides, mais ce que je ne sais pas encore, c'est que malgré de longues années de sports violents, d'athlétisme, de courses, je suis en train d'entreprendre une des performances les plus dures de ma vie et dont le souvenir restera toujours vivace dans mon esprit.

Une heure, deux heures, trois heures, quatre heures se sont écoulées depuis notre départ et nous avançons toujours dans une épaisse couche de neige qui nous entoure de tous côtés.

Nous avons emprunté le lit glacé d'une rivière et maintenant, avec nos simples souliers de ville et nos pieds glacés, nous glissons à chaque instant et nous nous retrouvons les jambes en l'air sur le sol.

La glace épaisse brille dans la nuit et nous avons de plus en plus de mal à conserver notre équilibre.

A chaque instant, l'un de nous fait la culbute et se relève doucement. Quelques chutes sont particulièrement douloureuses.

La mitraillette que je porte en bandoulière me blesse douloureusement dans le dos sur la colonne vertébrale ; j'ai une sensation de brûlure, mais il n'est pas question de se plaindre et encore moins de s'arrêter.

Les lèvres et le nez sont collés par la glace. Nous avons mal aux pieds, à la gorge, aux mains... Enfin, nous nous arrêtons quelques minutes pour essayer de manger un morceau de pain et de saucisse, mais nous sentons bien que si cette pause se prolonge un peu nous ne serons plus en état de epartir , c’est pourquoi nous reprenons la route. Avancer plus de dix minutes sans tomber devient un véritable tour de force ; il m'arrive même de glisser et de me heurter à mon radio et en nous entremêlant les jambes, nous nous affalons violemment sur le sol tous les deux ensembles, ce qui très certainement nous amuserait beaucoup si nous avions encore la force de rire.

C'est la sixième ou septième fois qu'une grande masse noire s'élève devant nous dans la nuit et chaque fois nous pensons qu'arrivés au sommet de cette masse nous trouverons la France de l'autre côté.

Hélas, à chaque coup, tout est à refaire : une autre masse semblable apparaît. Je n'aurais jamais cru qu'il y avait autant de chaînes parallèles successives, aussi hautes et aussi dures.

Je ne puis alors m'empêcher de penser combien " le tube " et " le pépin " constituent des moyens de locomotion tellement plus faciles et je regrette que cette fois notre mission commence par ce terrible " marathon " nocturne et glacé... mais les dés sont jetés et l'idée du but à atteindre devient notre seule préoccupation.

Encore une grande escalade et notre guide, le doigt sur les lèvres impose le silence, nous fait signe que cette fois nous approchons de la France et qu'il faut redoubler de vigilance.

Nous avons maintenant quitté ce maudit lit glacé de la rivière et nous avançons sur un sol enneigé mais beaucoup plus stable.

Deux faibles lueurs, semblables à deux vers luisants, apparaissent sur la pente qui remonte devant nous... c'est la France!

Il y a neuf heures, peut-être dix que nous marchons à présent, mais depuis que nous apercevons notre Pays, nous ne sentons plus nos coups, nos douleurs et notre fatigue qui est extrême.

Nous abordons un petit sentier en lacets. Encore un effort... On entend chuchoter dans la nuit, un homme vient à notre rencontre.

Au bout d'un vaste champ de neige, dans un léger enfoncement, une petite lueur apparaît à une fenêtre puis disparaît.

Nous entrons dans une espèce d'immense grange. Le temps de grimper à une échelle de bois qui mène à un grenier et nous nous affalons sur la paille sans dire un mot, sans nous dévêtir.

Nous n'éprouvons ni le besoin de boire ni celui de manger; la maison pourrait brûler, s'écrouler, il pourrait arriver n'importe quoi... je crois que nous ne bougerions pas. Nous nous endormons lourdement...

 

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 72

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