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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
LA MISSION BADEN-SAVOIE T.R. JEUNE (2)
 

Par Elly ROUS

 

Le lendemain « Tonton » et « Auguste »  vinrent nous chercher de bonne heure dans ce petit immeuble de la Calle San Fernando, proche des ramblas où nous étions devenus, mon radio et moi-même les pensionnaires d'une honorable et discrète famille de sympathisants espagnols.

Après quelques mois de guerre, de bombardements, d'alertes, de militaires, de camps, de terrains d'aviation, de mess, de sirènes, de black-out, nous nous retrouvions tout à coup dans une ambiance inaccoutumée de calme et de paix.

Je connaissais bien Barcelone où j'avais vécu une partie de ma prime jeunesse, où j'étais revenu quelquefois à l'occasion de grands matchs sportifs et que j'avais revu au début de la guerre civile, le jour même de la mort de Calvo SOTELLO, mais tout avait bien changé depuis...

En attendant notre passage en France, notre " mission espagnole " était assez variée et susceptible de se modifier chaque jour en fonction des circonstances.

 

D'une manière générale, elle consistait surtout à attendre le moment propice pour passer les Pyrénées dans les meilleures conditions possibles, à rejoindre notre " secteur ", à recueillir toutes les informations utiles en provenance de la France et, sur place, tous les renseignements dont nous pourrions tirer parti surtout en C.E. (contre-espionnage).

A l'approche de Noël, les gens se pressaient dans les églises, allaient admirer " le Monumental Belen " (la grande crèche) et se promenaient sur les boulevards encombrés de marchands de fleurs tandis que les vendeurs de billets de loterie clamaient sans arrêt de leur voix monocorde :" La Suerte, la Suerte "; quelque part dans la rue un chanteur, l'accordéon en main, fredonnait une rengaine nostalgique qui semblait avoir pour nous une signification particulière... (Rascayou cuando mueres que eres tu) mais le Sereno de mon enfance avait disparu ; on ne l'entendait plus " chanter les heures " dans la nuit et venir vers vous avec son grand trousseau de clés vous ouvrir la porte de votre demeure...

Pourtant, sous cette apparente tranquillité, il suffisait de quelques instants d'attention soutenue, d'observation patiente pour sentir confusément d'abord, puis d'une manière de plus en plus précise qu'il se passait quelque chose d'insolite et que les séquelles d'une guerre civile fratricide particulièrement cruelle étaient toujours présentes. Partout, aux carrefours, sur les terrains de sport, dans la rue, la police apparaissait sous toutes ses formes, en civil et en uniforme.

 

Du port, de la Place Colon à l'Avenue José Antonio, de la Place de Catalogne au Barrio Chino, du Tibidabo à la Cathédrale, Phalangistes, Gardes civils, Requetes, Policia Armada patrouillaient sans relâche, tandis que des cars, discrètement escortés, se dirigeaient vers le " Carcel Modelo " (prison modèle) conduisant sans doute vers les geôles quelques membres de la FAY ou de la POUM (groupes anarchistes) nouvellement appréhendés.

Furtivement, un passant nous accostait parfois pour nous proposer " quelque chose d'intéressant à acheter " et l'on sentait à quel point l'extraperlo (marché noir) demeurait une des préoccupations dominantes de la population.

Sans papiers pendant quelques jours, j'allais de la Calle Montaner, chère à Monseigneur BOYER-MAS qui nous souhaita la bienvenue et où résidaient nos services à la Via Layetana au journal du soir (Sera) sans me faire remarquer jusqu'au moment où j'obtins par l'intermédiaire d'amis d'enfance très sûrs une carte de police en bonne et due forme que je n'exhibais toutefois qu'en de très rares occasions.

En contact permanent avec " Cid Barcelone ", notre poste radio espagnol, nous préparions par avance nos contacts futurs.

En attendant le feu vert d'Alger pour notre passage, je m'efforçais de trouver une nouvelle filière susceptible de venir alléger quelque peu des passages qui commençaient " à sentir le roussi " du côté de la Junquera et du Perthuis.

Je n'oublierai jamais les randonnées nocturnes dans un vieux tacot aux ailes branlantes qui me conduisit plusieurs fois de Barcelone à la frontière dans les parages du Seo d'Urgel en passant par Villafanca, San Martorell, Igualada...

 

Combien de fois sommes-nous restés en panne au milieu des montagnes dans la neige et le froid ; finalement, nous parvenions toujours à repartir et nous revenions exténués mais satisfaits de notre travail, à Barcelone.

 

Ainsi naquirent les filières Serra et Caballé par où passèrent plusieurs de nos courriers.

Peu à peu, je m'habituais à cette vie catalane exceptionnelle qui se termine fort tard dans la nuit par une promenade sur les allées.

 

C'est au cours de ces promenades qu'il m'arriva parfois de me trouver nez à nez avec un ami espagnol que j'avais connu en France, mais le temps qu'il mettait à me reconnaître me suffisait pour disparaître et sans doute laisser planer l'incertitude dans son esprit.

 

C'est ainsi que je rencontrai de grands sportifs du Football Club de Barcelone, anciens co-équipiers de France (Raïch, Escola, Lalmanya et le souriant et toujours jeune Samitier le cigare aux lèvres...), mais il fallait se méfier, se tenir sur ses gardes d'une manière constante, avoir toujours l'attention éveillée ne sachant pas a priori hélas, si nous nous trouvions en présence d'un Espagnol francophile ou germanophile.

 

De toute façon, même si nous avions été reconnus, nous aurions été considérés comme ayant passé la frontière de France vers l'Espagne et non en sens inverse, ce qui était de loin préférable.

De nombreuses informations nous parvenaient sans cesse de France, mais il fallait les considérer avec beaucoup de circonspection.

 

Des agents allemands étaient fréquemment introduits dans des groupes de résistants par les services secrets ennemis, de façon a pouvoir pénétrer dans les milieux militaires d'Afrique du Nord.

 

Dépistés en Espagne, ils étaient signalés avant leur arrivée à Casablanca et à leur grande stupéfaction arrêtés, sans comprendre, dès leur débarquement sur la terre marocaine.

Mon ami Pitous de Figueras qui connaissait parfaitement tous les milieux de Barcelone et de Catalogne, m'apportait sans cesse de précieuses informations qu'il recueillait souvent auprès de deux gentilles Françaises qui exerçaient le plus candidement possible le plus vieux métier du monde et qui étaient heureuses de rendre service à un compatriote.

Pour les Français qui étaient pris en passant clandestinement la frontière pyrénéenne, en essayant de rejoindre l'Afrique du Nord, les régimes étaient différents et très souvent variables en fonction d'une multitude de facteurs.

 

Sans papiers, ceux qui se prétendaient belges ou suisses par exemple étaient relâchés dans divers Consulats qui se chargeaient de les expédier en Afrique.

 

Par contre, ceux qui étaient reconnus comme Français risquaient de rester de longs mois dans des camps, notamment à Miranda ou à Figueras dans des conditions assez pénibles de détention.

J'ai eu l'occasion de voir un jour à Gérone quelques Officiers français, attachés avec de vulgaires fils de fer aux poignets, les uns derrière les autres, escortés par des policiers espagnols qui étaient en train de les changer de prison.

 

Leur état de dénuement me fit mal au coeur. Je me débrouillai, grâce à un ami, pour leur faire parvenir des fruits et des cigarettes.

 

J'appris plus tard qu'il s'agissait vraisemblablement d'anciens du 21 ème Dragon d'AUCH.

Afin de me tenir en bonne forme physique, je marchai beaucoup l'après-midi. Je passai devant l'Hôtel Colon, non loin de la Cathédrale, où Rommel était venu incognito rencontrer Keitel, devant Montjuich qui avait vu tant de fusillades pendant la guerre civile, j'allais dans un petit bar du port déguster des " calamares à la Romana "...

 

J'étais allé revoir quelques lieux de mon enfance, la petite Place Villafranca où je jouais à la corrida avec les gosses du quartier, l'école maternelle où l'institutrice s'efforçait de me parler en français, l'avenue où passait la procession religieuse avec " les deux géants ", les chevaux caparaçonnés de noir, les religieux en cagoules... Sitges avec son église dont les escaliers descendaient dans la mer, le fameux Couvent de Montserrat où les moines brûlaient symboliquement la trace des pas des visiteuses...

 

je ne m'imaginais pas alors que je reviendrai en ces lieux dans des circonstances aussi exceptionnelles, à l'occasion de la guerre.

Très souvent " Tonton " et " Auguste " venaient nous chercher, s'enquérir de notre état de santé, nous apporter quelques nouvelles et nous partions ensemble déguster des gambas à la plancha (crevettes grillées) près du port dans le fameux restaurant des Caracoles (escargots).

La mise au point de filières nouvelles, la cueillette de renseignements en provenance de la France nous avaient donné beaucoup de travail mais aussi de nombreux sujets de satisfaction.

 

Cependant, en attendant ce fameux feu vert d'Alger qui tardait à venir, je crois que le dépistage des représentants de la Gestapo et de quelques Officiers supérieurs ennemis me parut la tâche la plus captivante.

De Perpignan jusqu'à Bayonne, de nombreux agents officiers allemands étaient heureux de pouvoir, de temps en temps, se mettre en civil et venir passer quelques jours à Barcelone.

 

Ils fréquentaient les boîtes de nuit et plus spécialement les frontons de pelote basque où les paris d'argent importants étaient nombreux.

 

De Lourdes, Saint-Gaudens, Toulouse, Tarbes, Perpignan, Montpellier, ils se rendaient à Barcelone et on les retrouvait tard dans la nuit au " Palacio " ou à " Malas Ombras ".

 

Grâce à mes amis et à quelques-unes de leurs connaissances, j'appris ainsi à les connaître et à les photographier, ce qui me rendit de grands services, surtout à Tarbes et à Bordeaux.

 

Quelques-uns étaient en relation avec des commerçants espagnols pour des questions d'approvisionnement et de marché noir.

C'est ainsi que KREMER, HOFFMANN, JODL, MATHIAS et autres - BINDAUER que je devais retrouver à Tarbes quelques mois plus tard et qui fut particulièrement coriace (sous le nom de PETER) contre la résistance des Pyrénées - vinrent de temps en temps oublier la guerre et les " maquisards " de France pour goûter quelques journées de plaisir sous le ciel beaucoup plus clément de la Costa Brava et de Barcelone.

Je rencontrai ainsi le terrible " SCHMIDT " que j'avais repéré un jour à Tanger. Place du Marchand, un ami de " l'Echo d'Alger ", un parent du père de J... de Bordeaux, de D... des Hautes-Pyrénées, un Député communiste de Marseille, un libraire belge agent double qui fut fusillé quelques mois après par les Allemands...

Nous nous acheminions lentement vers 1943. L’offensive allemande sur le front russe faisait rage et le bloc nazi demeurait encore particulièrement puissant.

 

Impatiemment attendues, les nouvelles d'Alger n'étaient pas bonnes ; celles de France se détérioraient de plus en plus...

 

Les uns après les autres des " postes " tombaient aux mains des ennemis.

 

La Gestapo sévissait partout, pourtant, son effectif " professionnel " réel n'aurait pu faire face aux innombrables tâches qu'elle devait assumer dans tous les territoires envahis par les armées du Reich.

 

Elle était puissamment aidée par des réseaux d'indicateurs appointés et la Milice.

 

Ramassages pour le S.T.O., arrestations, déportations, exécutions décimaient de plus en plus les rangs de la véritable Résistance active qui avait du mal à remplacer ses cadres détruits.

" Attention à Toulouse où deux réseaux ont été décapités " ; " Prenez garde à Marseille où quatre agents ont trouvé la mort " ; " Evitez Carcassonne où les contrôles deviennent de plus en plus rigoureux "; " Méfiez vous de Foix où la Milice est très importante "... telles étaient les nouvelles qui tombaient chaque jour quand nous passions à notre " quartier général " de Montaner.

Nous avions l'impression qu'il fallait hâter à présent " notre voyage " en France si nous ne voulions pas arriver quand tout travail serait devenu impossible ou inutile.

 

Et pourtant, imperturbable, depuis Alger, notre Patron le Commandant PAILLOLE nous faisait savoir " qu'il faudrait encore attendre quelques jours "... " que tout allait bien "... " qu'il fallait être patient "... tandis que VELLAUD, toujours aussi souriant et dynamique, nous annonçait de la France " qu'il se préparait à nous rencontrer quelque part dans le Midi "...

 

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 70

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