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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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BIBLIOGRAPHIE - EXTRAITS DIVERS (sommaire)
LA C.I.A. - Les secrets de l'honorable compagnie
 

Extraits de l'ouvrage " La CIA " - 1983

Voir la présentation de cet ouvrage sur notre site 

par Brian FREEMANTLE

CHAPITRE II LES ANNÉES HEUREUSES

L'autoroute Memorial Parkway de Washington suit le fleuve Potomac vers le nord, passe sous Key Bridge, le pont qui porte le nom de l'auteur de l'hymne national américain, et monte ensuite dans la pittoresque campagne de Virginie. La crique de Turkey Run est signalée, de même qu'un point de vue dominant toute la capitale. Plus loin, la route quitte le fleuve et un autre écriteau signale d'une part la Federal Highway Administration (Administration fédérale des autoroutes), de l'autre le quartier général de la CIA, à Langley.  

Le QG de la CIA se situe au coeur d'une forêt épaisse entourée de clôtures, auxquelles s'ajoutent des chiens de garde et des détecteurs électriques. Tous les visiteurs sont examinés à l'entrée, même s'ils sont bien connus des gardiens.

L'un des directoires de la CIA - celui des Plans - est le service clandestin, dont les membres ne portent jamais leur vrai nom : ils ont un cryptonyme et un pseudonyme. Ce faux nom est généralement choisi au hasard dans les annuaires du téléphone de New York, et le cryptonyme est toujours choisi aussi loin que possible des fonctions de celui qui le porte au sein de l'Agence. Par exemple, un assassin ne s'appellera jamais Jackal (chacal).

Le bord du badge, l'insigne d'identité que chacun doit porter obligatoirement, est échancré, pour permettre d'y introduire des étiquettes rouges, chacune indiquant le niveau de sécurité du porteur.

Dans le hall de marbre de la CIA, une inscription est gravée : « Et tu connaîtras la vérité et la vérité te rendra libre. Cette citation a été choisie par Allen Dulles, dont cet ensemble de 65 millions de dollars était le rêve devenu réalité. Il adorait les citations exaltantes, qui faisaient partie de la mythologie dont il aimait à s'entourer. Sur la façade du bâtiment principal, il avait érigé une impressionnante statue de Nathan Hale, le patriote américain pendu pour espionnage par les Anglais pendant la guerre de l'Indépendance. En montant à la potence, Hale avait dit : « Mon seul regret est de n'avoir qu'une seule vie à donner à mon pays. »

Dulles ne perdit pas la vie pour son pays, mais sa place. Il fut licencié avant même d'avoir pu s'installer dans son bureau du septième étage, avec salle de bains et salle à manger particulières.

La construction du QG de Langley permit à la CIA de réunir sous un seul toit tous ses services dispersés jusqu'alors dans l'ancien hôpital de la Marine de la 2430th E. Street NW, dans des baraques au bord du Reflecting Pool (la pièce d'eau qui fait face au Lincoln Memorial) et d'autres bâtiments de bois derrière les brasseries Heurich.

En 1982, le bâtiment devenu insuffisant, la division russe, par exemple, avait émigré à l'autre bout de l'autoroute du Parkway, dans la petite ville de Vienna, en Virginie. En avril 1982, des plans d'architectes prévoyaient la construction d'une annexe de 46 millions de dollars à côté du bâtiment d'origine. En 1984, on espère ramener tous les services entre les clôtures de Langley : la CIA aime l'ordre. Jusqu'en 1941, les États-Unis, géographiquement isolés, n'avaient pas de service de renseignements à l'étranger. Le département d'État recevait ses informations par les rapports diplomatiques de ses ambassades.

Égocentrique et ambitieux, J. Edgar Hoover accrut son empire du FBI, en 1924, pour défendre la sécurité intérieure du pays, et l'étendit à l'Amérique latine. Avec les G-Men pour surveiller l'arrière-cour, l'Amérique dormait tranquille, comme Gulliver, certaine de ne pas se réveiller un beau matin immobilisée par les petits peuples.

Après tout, l'Allemagne était à des milliers de kilomètres, au-delà de l'Atlantique. Le Japon était à une distance du même ordre de l'autre côté du Pacifique, bien que Hawaii, avec sa base navale de Pearl Harbor, fût bien plus proche des États-Unis proprement dits.  

Par diverses décisions du Congrès, l'Amérique avait proclamé sa position internationale en 1935 : elle était neutre. Pourtant, tout le monde n'était pas d'accord. Franklin Roosevelt, le président qui avait réussi à sortir son pays de la crise, la grande dépression, ne pensait pas que l'Amérique pût rester à l'écart si le Japon attaquait la Chine, ou si Hitler annexait l'Autriche et la Tchécoslovaquie.  

Le 11 juillet 1941, Roosevelt signa une presidential directive (directive présidentielle) centralisant les renseignements de l'étranger, pour être alerté en cas d'événement international susceptible de menacer la sécurité ou les intérêts des États-Unis.

Pour réunir ces renseignements, Roosevelt créa le poste de coordinateur de l'information et y nomma William J. Donovan, dit Wild Bill, un choix excellent de la part d'un homme d'État qui avait déjà de bonnes raisons de faire confiance au jugement et à l'intégrité de Donovan.  

Pendant toute l'année 1940, l'ambassadeur des États-Unis à Londres, Joseph P. Kennedy (le père du futur président), n'avait cessé d'affirmer à Roosevelt que la Grande-Bretagne en guerre allait s'effondrer ou capituler face à l'Allemagne. Roosevelt voulait une opinion indépendante, sans parti pris, sur le moral britannique.  

Pour lui donner ce point de vue, il envoya Wild Bill Donovan. Héros décoré de la Première Guerre mondiale,

Donovan était solide, gris de cheveux et avare de paroles inutiles. Millionnaire et directeur d'un cabinet de conseil juridique de Wall Street (la bourse de New York), il avait beaucoup voyagé. Il avait visité l'Allemagne nazie et se trouvait en Italie fasciste lorsque Mussolini attaqua l'Abyssinie.

Pendant les années 1920, il avait été, au département de la Justice, l'un des assistants de l'attorney général (ministre de la Justice), et il avait été candidat républicain au poste de gouverneur de l'État de New York en 1932 ( ).  

Si le séjour de Donovan à Londres en 1940 prit un aspect officiel à l'extrême, ce fut à cause de William Stephenson, le millionnaire canadien. En avril 1940, le Premier ministre britannique, Winston Churchill, avait envoyé Stephenson à New York avec le titre officiel de contrôleur des passeports britanniques, sous le nom de code, pour le renseignement, d'Intrepid. En juin, Stephenson devint chef d'antenne du MI 6, avec une mission dépassant de beaucoup le seul domaine du renseignement .  

Churchill avait fait du Canadien son représentant personnel auprès du gouvernement américain. Stephenson rencontra Roosevelt et lui transmit personnellement des renseignements ultrasecrets. Il rencontra également Donovan.  

De sorte que lorsque Donovan prit l'hydravion pour Lisbonne, le 4 juillet 1940, Stephenson avait déjà télégraphié à Churchill à Downing Street pour l'informer de l'importance de la visite de l'envoyé de Roosevelt.

Churchill, qui avait grand besoin de l'aide américaine dans la guerre contre l'Allemagne, adopta le point de vue de Stephenson et fit en sorte que le roi George VI reçût Donovan. Celui-ci rencontra plusieurs fois Churchill et les membres du Cabinet de guerre et obtint de nombreuses informations des services de renseignements britanniques.  

Le rapport de Donovan, à son retour à Washington, fut en contradiction absolue avec l'opinion de l'ambassadeur américain à Londres. Stephenson câbla à Churchill que Donovan « faisait beaucoup pour combattre l'état d'esprit défaitiste à Washington ».  

De décembre 1940 à mars 1941, Donovan fit une nouvelle tournée en Europe. Avant de traverser l'Atlantique, il fut - par ordre de Churchill - autorisé à visiter les installations électroniques et les services de contrôle du courrier aux Bermudes.

A Londres, il eut encore plusieurs rencontres avec Churchill et les responsables du renseignement britanniques. Puis il visita la Yougoslavie et la Méditerranée.  

Stephenson câbla à Churchill :« On ne saurait surestimer l'importance de la mission de Donovan..Il peut jouer un grand rôle, peut-être vital, peut-être pas conforme à l'orthodoxie diplomatique ni limité à ses méthodes... ». Un autre câble à destination du commandant en chef de la flotte de Méditerranée, disait :« Nous pouvons obtenir davantage par Donovan que par toute autre personne (...). On peut compter sur lui pour exposer nos besoins aux vrais responsables, et de la façon qui convient, aux États-Unis (...). ». Donovan rentra aux États-Unis le 18 mars 1941. Le 25 mars, il prenait la parole à la radio : « Que nous soyons attaqués ou non ne dépend pas de nous. Ce choix appartient à Hitler et il a déjà choisi (...), non seulement pour l'Europe mais pour l'Afrique, l'Asie et le monde. Notre seul choix consiste à décider si nous résisterons. , Stephenson avait déjà câblé à Churchill :« J'ai commencé à essayer de manoeuvrer pour que Donovan soit chargé de coordonner tout le renseignement aux États-Unis. » A la fin de mars 1941, Churchill apprit - quatre mois avant l'annonce officielle - que son représentant personnel avait réussi. Stephenson avisait le Premier ministre :« Donovan a vu le président aujourd'hui et, après une longue conversation où ils ont été d'accord sur tous les points, il a accepté d'être chargé de coordonner toutes les formes de renseignement, y compris les opérations offensives. Il sera responsable uniquement, je répète, uniquement devant le président. » Roosevelt avait pris sa décision après avoir étudié un rapport général soumis par Donovan après son deuxième voyage en Europe.

Ce rapport, intitulé Mémorandum sur la création d'un service d'information stratégique, disait notamment: « Bien que nous soyons placés devant un péril imminent, nous manquons d'un service efficace d'analyse, d'étude et d'estimation des informations que nous pourrions obtenir (et que dans certains cas nous avons obtenues) concernant les intentions d'ennemis potentiels et la limite des ressources militaires et économiques de ces ennemis.

Une analyse critique de ces informations est actuellement aussi importante pour notre programme de fournitures de matériel que si nous étions engagés dans un conflit armé (...). Il est essentiel de créer un organisme central de renseignements sur l'ennemi qui réunirait lui-même, directement ou par les services existants du gouvernement, en Amérique et à l'étranger, les renseignements pertinents concernant nos ennemis potentiels. « Le but essentiel de ce service d'information stratégique est de fournir un moyen au président, en tant que commandant en chef, et à son bureau stratégique, d'obtenir des renseignements exacts et complets sur l'ennemi, qui pourraient servir de base aux décisions opérationnelles militaires. » En juin 1941, Donovan fut convoqué une fois de plus à la Maison-Blanche et nommé major général (général de division).

On lui apprit alors que ses fonctions de coordinateur de l'information s'étendraient aux opérations clandestines derrière les lignes ennemies, aux opérations de sabotage que Donovan avait étudiées et sur lesquelles il avait remis un rapport après son premier voyage en Angleterre, où on lui avait montré l'entraînement et la spécialisation des Spécial Opérations Exécutives du ministère britannique de la Guerre économique .  

En juillet, Roosevelt signa un presidential order (ordre présidentiel) créant l'Office of the Coordination of Information (office de coordination de l'information), l'organisme civil qui précéda l'Office of Strategic Services (OSS), précurseur militaire de la Central Intelligence Agency.

Cet organisme était une innovation, non seulement en ce qu'il allait coordonner l'ensemble du renseignement américain à l'étranger, mais en ce qu'il serait le premier à être financé par des crédits d'origine secrète, le terme technique étant unvouchered (sans justificatif).

En septembre 1941, le service de Donovan fut doté, par l'Emergency Fund (les fonds secrets) du président, d'un budget de 100.000 dollars.

Dès l'entrée en guerre des États-Unis, l'escalade des dépenses fut telle que, de 1944 à 1945, le service qui prit la suite, l'OSS, reçut au total 37 millions de dollars. Et ce n'est là qu'un pourcentage minuscule de ce que la CIA dépense aujourd'hui.  

Dans l'ordre présidentiel de juillet, le document fondamental, la formule « sécurité nationale » apparaît pour la première fois. Elle a subsisté dans les lois, directives et ordres présidentiels successifs, fournissant la raison ou l'excuse de tous les excès du renseignement américain. Le premier quartier général du coordinateur de l'information fut un immeuble miteux au coin de 23nd et E.Streets, dans le nord-ouest de Washington, une ancienne annexe du département d'État. Par la suite l'immeuble allait loger mille huit cents « analyseurs ». En grandissant, le service eut besoin de plus en plus de place. Il annexa des immeubles appartenant à l'institut national de la santé ; de même les bâtiments de bois situés derrière la brasserie Heurich, dans Rock Creek Drive, le long du Potomac. A cette époque, Donovan entrait déjà dans la légende. Son surnom de Wild Bill venait de son refus de perdre son temps dans la paperasserie - c'est le travail des subordonnés - et de son habitude d'aller sur place, le plus souvent possible, voir lui-même les endroits dangereux où il envoyait ses agents. On trouvait « dingue » aussi sa façon, en pleine guerre, de recruter ses collaborateurs au hasard des cocktails, des dîners et des séminaires universitaires, ou sur la recommandation de ses amis. L'une des conséquences de ce recrutement presque exclusivement dans la bonne société fut que la plupart des agents étaient assez riches pour n'avoir pas besoin de leur chèque mensuel.

L'une des exceptions était Richard Helms, qui deviendrait directeur. Miles Copeland était aussi une exception, et allait devenir un des personnages clandestins légendaires du service. Entre les deux hommes, la courtoisie ne devint jamais amitié. Copeland note, sans amertume :« Personne ne déteste un parvenu autant qu'un autre parvenu. »  

N'être pas riche était indiscutablement un handicap. Les jeunes agents fortunés rencontraient souvent en dehors du service les chefs de directoire fortunés dans les soirées de Georgetown ( ), auxquelles les chefs de service qui avaient besoin de leur salaire n'étaient jamais invités.  

L'une des recrues de Donovan dans la bonne société était un avocat à lunettes, plein de prestance, William Colby (1), qui allait devenir l'un des directeurs les plus discutés de l'Agence.

L'actuel directeur de la CIA (lui aussi discuté dans une certaine mesure), William Casey (2), a fait son apprentissage sous ses ordres pendant la guerre.

Le Dr Ray Cline, barbu, plein d'exubérance et de confiance en soi, qui est devenu directeur adjoint de l'Intelligence Directorate (directoire du renseignement) de la CIA, avait été recruté par Donovan, de même que James Jesus Angleton, un personnage légendaire du contre-espionnage, voûté, gros fumeur et lui aussi porteur de lunettes. L'homme qui, à sa table habituelle dans un coin du club de l'Armée et de la Marine de Washington, se pencha un jour vers Kim Philby (3), le traître britannique, pour lui dire : « Je sais que vous travaillez pour le KGB. »  

Il y eut d'autres recrues moins célèbres. Malgré sa passion pour les excursions clandestines, chiffrées, codées, derrière les lignes ennemies, Donovan savait que 85 pour cent des opérations de renseignement ne se font pas dans des cocktails et des soirées au casino mais par une analyse minutieuse, épuisante, de pièces de puzzle disparates, apparemment sans rapports entre elles, pour arriver à en tirer un tableau compréhensible. Il recruta, parmi les universitaires américains, les professeurs et les spécialistes de l'Europe pour étudier et prévoir l'évolution de la guerre.

Même Wild Bill Donovan, qui détestait tellement la bureaucratie, comprenait l'importance d'une bonne organisation. Coordinateur de l'information en 1941, il avait créé au début une organisation comprenant cinq divisions.

Il y avait un Exécutive Office (Bureau central), chargé des tâches administratives auxquelles il consacrait si peu de temps. Une division des Spécial Activities (Activités spéciales), celle qu'il préférait, était consacrée au Secret Intelligence (Renseignement secret), au contre-espionnage (X-2) et à la guérilla à l'étranger : les équipes Jedburgh. On avait mesuré l'importance de la propagande, et il y avait une division radio. La section la plus importante, qui allait compter par la suite deux mille employés, était la division Research and Analysis - R & A (Recherches et Analyses). Elle était subdivisée géographiquement : l'Europe orientale, centrale et occidentale (y compris la Méditerranée et l'Afrique), l'Amérique latine, l'Extrême-Orient et le Moyen-Orient. Les nécessités du temps de guerre avaient exigé aussi une visual Présentation Division (Service de représentation graphique) composée d'artistes et de dessinateurs chargés d'illustrer graphiquement les briefings. Au bout de quatre ans, l'Office of Strategic Services (OSS), sous son nouveau nom, employait treize mille personnes, chaque département ayant son rôle clairement défini. Il y avait quatre divisions immédiatement sous l'autorité de Donovan : Support (intendance) Secrétariat, Planning et Overseas Missions (missions à l'étranger). Le niveau suivant comportait un directeur adjoint pour les opérations, lui-même responsable de cinq services subordonnés : le moral, les opérations spéciales, les projets spéciaux, une unité navale et une unité d'expérimentation sur le terrain. Le commandant opérationnel n'aurait qu'une seule responsabilité : le contrôle de ses groupes d'opérations. Le directeur adjoint, chargé du renseignement - comme celui chargé des opérations - avait cinq sections : Recherche et Analyse, Renseignement secret, Nationalités étrangères, Contre-espionnage et enfin Censure et Documentation.  

Le mandat confié en juillet à Donovan lui donnait clairement la responsabilité des opérations clandestines pour lesquelles il avait un penchant si évident.

Au départ, l'armée de Terre et la Marine, et les services de renseignements qu'elles possédaient alors, avaient manifesté leur opposition, mais elle ne dura guère : en septembre, les deux services cédaient leurs fonctions à Donovan.

Dans un mémorandum en date du 5 septembre 1941, adressé au secrétariat à la Guerre, on lit :« Les services de renseignements militaire et naval ont commencé à travailler dans le domaine du renseignement secret jusqu'à un certain point. Compte tenu de la nomination du coordinateur de l'information et de la mission dont on pense que le président désire qu'il se charge, on pense que le renseignement secret des deux services sera centralisé par le coordinateur de l'information. La raison en est qu'un service de renseignements secret est beaucoup plus efficace sous une autorité unique que sous trois, et qu'un organisme civil, comme celui du coordinateur de l'information, présente un net avantage pour l'organisation d'un tel service. » Le dimanche 7 décembre 1941, des avions japonais décollant de porte-avions attaquaient, de façon totalement imprévue, Pearl Harbor, la principale base navale américaine à Hawaii. En deux heures, les Japonais coulaient ou endommageaient 19 navires, dont 5 cuirassés, détruisaient 120 avions et tuaient 2400 personnes.  

La responsabilité du renseignement à Hawaii était divisée entre le FBI, l'armée de Terre et la Marine. Non seulement Pearl Harbor fit entrer officiellement les États-Unis dans la guerre, objectif que Churchill s'efforçait d'atteindre depuis des mois, mais il démontrait et justifiait - mais à quel prix ! - la nécessité d'un service comme celui que Donovan s'efforçait de créer. L'entrée en guerre des États-Unis exigeait une révision presque immédiate des responsabilités. Le coordinateur de l'information dépendait directement du président, à partir de l'entrée en guerre,  

Donovan céda aux pressions militaires et accepta que ses rapports soient également adressés aux Joint Chiefs of Staff (Chefs d'états majors combinés). Il en avisa Roosevelt le 30 mars 1942. On lit, dans le mémorandum de Donovan : « Les militaires semblent avoir maintenant confiance en notre service et pensent que nous disposons de certains outils de guerre qui peuvent leur être utiles (...). Tous les éléments essentiels de la guerre moderne seraient ainsi fondus en une seule arme. Vous constaterez qu'ils ont même prévu la formation de commandos. » Roosevelt approuva. Ce qui signifiait, outre son transfert sous l'autorité des chefs d'états-majors combinés; que le service du coordinateur de l'information devait changer de nom. Le 13 juin 1942, il devenait l'OSS (Office of Strategic Service). Donovan en restait directeur. Conduit par un directeur risque-tout - il y a même un peu de James Bond dans son choix d'un matricule, 109, comme cryptonyme quand il voyageait - l'OSS se fit bientôt également cette réputation de risque-tout qui, comme dans les histoires de pêche, n'a fait que grandir avec le temps.

Pendant la guerre, Allen Dulles, qui allait rester le plus longtemps directeur de la CIA, dirigea, au 23 de la Herrengasse, à Berne, la capitale suisse, un service de renseignements qui était en relation directe avec les officiers allemands qui cherchaient à assassiner Hitler.

Dulles avait déjà été en Suisse pendant la Première Guerre mondiale. Il racontait volontiers une histoire où il n'avait pas le beau rôle, celle du jour où il avait préféré aller jouer au tennis au lieu de rencontrer un Russe barbu et entêté. Il avait ainsi perdu l'occasion de prendre contact avec Vladimir Ilitch Lénine, alors en exil en Suisse avant de rentrer en Russie faire la révolution.  

William Colby fut parachuté derrière les lignes ennemies en France, où il réussit une mission de sabotage sans se faire prendre, et rentra en Angleterre d'où il fut de nouveau parachuté en Norvège occupée. Là, il commanda un groupe de résistants qui effectua des opérations de sabotage jusqu'à la capitulation allemande. A partir du quartier général de l'OSS à Londres, sa principale base à l'étranger, dont dépendaient deux mille agents, l'actuel directeur de la CIA, William Casey, organisa la pénétration de l'Allemagne par ses agents.

James Angleton fut affecté au bureau de MI 6 de Ryder Street, à Londres, où il rencontra pour la première fois Kim Philby, qui était déjà agent soviétique.

Angleton allait être par la suite le premier à identifier Philby comme appartenant officiellement au KGB. Il le laissa « courir » pendant plusieurs années, pour qu'il le conduise à d'autres officiers de renseignements soviétiques et envoya des instructions aux bureaux de la CIA à l'étranger, les assurant que l'Agence couvrirait les frais engagés dans les invitations nécessaires pour cultiver l'amitié de Philby.

Cette instruction demeura en vigueur jusqu'à la fuite de Philby de Beyrouth, en 1963. Un agent de la CIA alla même jusqu’à acheter un remorqueur dans le port, qu'il transforma en yacht, et sur lequel il organisa des réceptions à l'intention de Philby.

A Londres pendant la guerre, Angleton, qui n'était encore que caporal, formait avec James Murphy, un avocat de New York collaborateur de Donovan, la Section V de l'OSS, un service du contre-espionnage où Angleton allait devenir un expert légendaire de réputation mondiale, aussi bien au sein de l'Agence qu'à l'extérieur.

Richard Helms, qui parlait allemand, avait été, comme reporter d'United Press, parmi les quelques journalistes qui avaient rencontré Hitler au château de Nuremberg en septembre 1936. Il organisa, depuis Washington, les opérations clandestines contre l'Allemagne. Pendant le dernier mois de la guerre, Helms fut envoyé en Europe, d'abord à Londres puis à Paris, enfin à Luxembourg.

Lors de la capitulation allemande, le 8 mai 1945, Helms était affecté au quartier général d'Eisenhower, à Reims. Il était en fort bonne compagnie, car Dulles et le général Walter Bedell Smith, tous deux futurs directeurs de la CIA, se trouvaient eux aussi à Reims.

De là, Helms partit pour Berlin en ruine, et visita la chancellerie du Reich, d'où l'homme qu'il avait interviewé neuf ans auparavant avait essayé de conquérir le monde. Helms en rapporta des souvenirs : de la vaisselle et du papier à lettres aux armes de Hitler. William Donovan était aussi à Berlin à cette époque. Il était impensable qu'un homme aimant l'action à ce point soit resté à Washington. Le service de renseignements nouveau-né de 1941 avait considérablement grandi à la fin de la guerre, On avait formé des analystes spécialisés. Ceux qui aimaient le travail sédentaire avaient organisé les bureaux pour un Donovan plein d'impatience.  

Ses agents clandestins, qu'on appelait les Jedburghs (4), ou Jeds, d'après leur nom de code, avaient agi derrière les lignes ennemies sur presque tous les théâtres d'opérations.

En Asie, paradoxe que l'Histoire allait mettre en lumière, l'OSS avait travaillé avec un chef nationaliste, un certain Hô Chi Minh, qui souffrait de paludisme : des équipes d'infirmiers avaient été parachutées au Vietnam pour soigner la maladie qui avait, un moment, failli l'emporter. Moins d'une décennie après cette opération de sauvetage, Minh commandait l'ensemble des combats contre les Américains au Vietnam. Une guerre que l'Amérique allait perdre. Et Saigon s'appelle aujourd'hui Hô Chi Minh-Ville. Avec toute sa témérité, Donovan était prévoyant. En novembre 1944, six mois avant la capitulation allemande, il adressa à Roosevelt un mémorandum sur les besoins du renseignement américain après la guerre, qui disait notamment :« Il existe des raisons de bon sens qui peuvent vous faire désirer poser dès maintenant la quille du navire. » Plus loin dans le même texte, il déclarait: « Bien qu'en pleine guerre, nous sommes aussi dans une période de transition qui nous fera passer, sans que nous nous en apercevions, dans le tumulte de la reconstruction. Un service de renseignements efficace et organisé contribuera à des décisions bien fondées. Nous disposons actuellement dans l'administration du personnel spécialisé expérimenté nécessaire. Ces compétences ne doivent pas être dispersées. » Donovan énonçait ensuite les bases d'un service de renseignements du temps de paix, laissant seulement un blanc pour permettre au président d'y inclure le nom qu'il choisirait de lui donner. Ce document devrait être la base de la charte de la future CIA. Donovan l'avait appelée Substantive Authority Necessary in Establishment of a Central Intelligence Service (Organisme indépendant nécessaire à la création d'un service central de renseignements). Roosevelt demanda leur réaction aux chefs d'états-majors combinés et au FBI. Les milieux politiques influents de Washington s'émurent. Les services de renseignements autonomes de l'armée de Terre, de la Marine et de l'armée de l'Air avaient eu l'organisme de Donovan sous leur autorité pendant la guerre et ne voulaient pas voir cette situation changer : ils manifestèrent leur opposition à l'organisation proposée par Donovan. Et, ce qui était plus important encore, ce fut également la réaction de J. Edgar Hoover, le chef du FBI, qui voulait étendre son fief d'Amérique latine et se voir confier la responsabilité du renseignement américain dans le monde entier. Avec la lucidité politique qui lui faisait rarement défaut, Hoover communiqua une copie du mémorandum de Donovan à un journaliste, Walter Trohan. En février 1945, deux journaux, le Chicago Tribune et le Washington Times Herald publièrent la première - mais certainement pas la dernière - critique d'un organisme du genre de la CIA. Trohan attribuait à Donovan l'intention de créer un « Intelligence Service tout-puissant >, qu'il appelait un « super-organisme d'espionnage » destiné, selon lui, à « espionner le monde d'après-guerre et à fouiller dans la vie de nos concitoyens dans notre propre pays ». Donovan s'appliqua avec énergie à convaincre le gouvernement d'accepter son projet mais se heurta à l'opposition générale. Le 12 avril 1945, Franklin D. Roosevelt mourut d'une crise cardiaque. Donovan perdait en lui son plus chaud partisan. Le personnage haut en couleur qu'était Donovan s'était valu autant de critiques que d'admirateurs. Le directeur du Budget, Harold Smith, était de ceux qui ne l'aimaient pas. La fin de la guerre et l'euphorie qu'elle amena permit à Smith de faire valoir avec énergie au nouveau président, Harry S. Truman, que l'OSS, ou tout autre organisme analogue, n'était plus nécessaire.

Selon Smith, le département d'État était en mesure de fournir tout le renseignement dont le président pouvait avoir besoin. Truman approuva. Le 20 septembre, il signa l'executive order 9621 qui mettait fin à l’OSS. Son organisation, qui fonctionnait en Allemagne et en Autriche récemment occupées, était autorisée à subsister mais les départements de Recherche et d'Analyse étaient transférés au département d'État. Les unités de contre-espionnage et d'espionnage de l'OSS, X-2 et F-1, devenaient orphelines et personne ne savait très bien où les héberger. Elles dépendaient théoriquement du département d'État, mais allaient rester sans contrôle pendant six mois. Au milieu de septembre, un avocat de New York, Ferdinand Eberstadt, présenta un rapport sur les besoins américains en matière de renseignement demandé par le secrétaire à la Marine, James Forrestal. Eberstadt savait que Forrestal cherchait à préserver l'indépendance du renseignement naval, mais il estimait nécessaire « une réunification complète de nos organismes gouvernementaux dans l'intérêt de la sécurité nationale ». L'Amérique avait besoin « d'une mécanique dynamique, bien huilée et efficace a, capable de « faire la paix aussi bien que la guerre ». Truman redoutait un service de renseignements trop brillant et hégémonique :« Le pays ne voulait pas d'une Gestapo, dit-il, sous quelque forme et pour quelque raison que ce soit. »  

L'organisme supérieur créé par la directive présidentielle de janvier 1946 était composé de quatre membres : le secrétaire d'État, les secrétaires à la Guerre et à la Marine, et le représentant personnel de Truman. C'était la National Intelligence Authority (NIA). Sous cette autorité nationale du renseignement était créé le Central Intelligence Group (CIG) (Groupe central de renseignements) dont le premier directeur fut l'amiral Sidney Souers. L'effectif de son personnel civil était fixé à quatre-vingts. Un Office of Reports and Estimates (Bureau des rapports et des études) était placé directement sous l'autorité du CIG pour répondre aux besoins essentiels de tout service de renseignements, la recherche et l'analyse.

Le 24 janvier, le président donna une réception pour son agence de renseignements encore fragile et, s'offrit le luxe d'une plaisanterie : il offrit à ses invités des chapeaux et des manteaux noirs et des poignards. Souers n'accepta d'être directeur du CIG que pour six mois: il avait des ambitions politiques et considérait cet organisme comme une sorte de marécage où il n'avait pas envie de barboter. Il devait entrer par la suite à la Maison-Blanche comme assistant du président pour les questions de renseignement. Le directeur suivant, le lieutenant général Hoyt Vandenberg, avait l'intention d'employer le CIG à d'autres fins. Il voulait gagner sa quatrième étoile et devenir chef d'état-major de l'Air et il y réussit en se servant du CIG. Avant la fin de 1946, Vandenberg avait engagé trois cents agents de plus. Il expliquerait par la suite : « Si je n'occupais pas toutes les cases, je savais qu'elles m'échapperaient. » Neveu du sénateur républicain Arthur Vandenberg , un homme de poids, il n'avait pas peur de s'opposer à J.Edgar Hoover. Il réclama, et finit par obtenir, la responsabilité de la recherche du renseignement en Amérique latine, qui appartenait jusqu'alors au FBI. Mais, ce qui est sans doute le plus important, il obtint, en août 1946, de prendre au département de la Guerre l'ancien organisme d'espionnage et de recherche secrète du renseignement de l'OSS, le Strategic Services Unit (Unité de services stratégiques). Rebaptisé Office of Spécial Opérations, l'OSO (Office des opérations spéciales) comptait mille agents, dont six cents affectés à sept antennes à l'étranger. Parmi eux se trouvaient des hommes aussi différents que Richard Helms, James Angleton, William Harvey, Miles Copeland et le futur expert des questions soviétiques, Harry Rositske. Parallèlement, l'Office of Opération, l'OSO (Office des opérations spéciales), chargé de recueillir à l'étranger les informations fournies par des Américains bénévoles, passait sous l'autorité du CIG, et un service appelé Domestic Contact Service (Service des contacts avec les compatriotes), était créé pour suivre les activités.

L'OSO était également chargé de la traduction des documents étrangers. L'autre division du CIG était le Foreign Broadcast Information Service, le FBIS (Service de renseignements sur les radios étrangères). Il existait aussi une liaison avec le département d'État, pour permettre l'accès aux télégrammes diplomatiques, et avec un service de renseignements séparé chargé du déchiffrage électronique des codes, qui deviendrait par la suite la National Security Agency la NSA (Agence nationale de sécurité). Cet ancêtre de la CIA, qui avait atteint un effectif de treize mille hommes pendant la guerre, en comptait maintenant moins de deux mille. C'était un bébé qui avait besoin d'être bien soigné et bien nourri. Le bébé grossit, mais il n'en devint pas plus fort. Il était surchargé de personnel militaire et sa plus importante fonction, l'analyse, était son point faible. Et il n'avait ni l'autorité ni la compétence nécessaires pour mener des opérations « couvertes ». Pourtant l'évolution des événements dans le monde jouait en sa faveur.

Bien avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, Churchill attirait l'attention sur les dangers de l'expansionnisme soviétique. En 1947, la plupart des hommes d'État occidentaux avaient conscience des ambitions de Staline dans une Europe ravagée par la guerre. Il était indispensable de créer un moyen de combattre le communisme. Suivant les recommandations du rapport Eberstadt, Truman décida de réorganiser les organismes de renseignements et de défense par le National SecurityAct (Loi sur la sécurité nationale) de juillet 1947. Et le CIG, placé depuis le printemps de 1947 sous l'autorité de son troisième directeur, l'amiral Roscoe Hillenkoetter, fut rebaptisé pour devenir la Central Intelligence Agency. Le même Act créait en même temps l'organisme censé la diriger, le National Security Council (Conseil national de sécurité) qui remplaçait la NIA. Le président assumerait les fonctions de président du National Security Councl dont feraient partie le secrétaire d'État et le secrétaire à la Défense. Pour la première fois depuis la nomination de Donovan par Roosevelt, il y avait maintenant une liaison directe entre le nouvel organisme de renseignements et le président. La section 102 (d) du nouvel Act définissait la mission de la CIA en ces termes : « En vue de coordonner les activités des divers organismes officiels en matière de renseignement dans l'intérêt de la sécurité nationale, l'Agence aura pour mission, sous la direction du National Security Council :

* 1. De conseiller le National Security Council sur les questions concernant les activités des divers services gouvernementaux dans les questions de recherche du renseignement qui touchent à la sécurité nationale.

* 2. De présenter des recommandations au National Security Council pour la coordination des activités des divers organismes officiels dans les questions de recherche du renseignement qui touchent à la sécurité nationale.

* 3. De coordonner et d'évaluer les renseignements en matière de sécurité nationale et d'en organiser la diffusion vers les services concernés ; à condition que l'Agence n'ait aucun pouvoir de police, de citation en justice, de maintien de l'ordre ou autres fonctions de sécurité intérieure ; à condition, en outre, que le directeur du Central Intelligence Group ait la responsabilité de protéger les sources et les méthodes de renseignement contre toute divulgation non autorisée.

* 4. De rendre, à l'usage des organismes de renseignements existants, des services supplémentaires d'intérêt commun que le National Security Council estimera susceptibles d'être effectués plus efficacement s'ils sont centralisés.

* 5. De remplir d'autres fonctions et services concernant le renseignement que le National Security Council pourra demander à l'occasion.

« (e) Dans la mesure recommandée par le National Security Council et approuvée par le président, les renseignements des services et organismes gouvernementaux, à l'exception de ceux ci-dessous désignés, concernant la sécurité nationale et en possession de ces services et d'autres organismes gouvernementaux, à l'exception de ceux ci-dessous désignés, seront soumis à l'inspection du directeur de la Central Intelligence aux fins de corrélation, estimation et diffusion. A condition, cependant, que sur la demande écrite du directeur de la Central Intelligence, le directeur du Fédéral Bureau of Investigation (FBI) fournisse au directeur du Central Intelligence Group ces informations pour corrélation, estimation et diffusion selon les exigences de la sécurité nationale. » Aux termes de sa nouvelle charte, il était créé, sous l'autorité du National Security Council, un Intelligence Advisory Council, l'IAC (Conseil consultatif pour le renseignement), composée de tous les chefs de service de tous les organismes de renseignements, mais leurs remarques et leurs analyses sur la politique suivie n'étaient pas transmises par l'intermédiaire du directeur, pour une dernière révision. Ils transmettaient au Conseil des rapports exposant les avantages et les bienfaits de leur propre service.  

L'Office of Reports and Estimates (Office des rapports et des études), l'Office of Special Objectives (Office des objectifs spéciaux) demeuraient. En outre étaient créés l'Office of Scientific Intelligence (Office du renseignement scientifique) et l'indispensable structure administrative.'  

Le National Security Council se réunit pour la première fois le 19 décembre 1947. Il se consacra à un sujet qui était resté au centre de la politique étrangère américaine depuis plus de vingt ans : la menace communiste.

Avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, Churchill avait dénoncé le danger de la tentative soviétique d'hégémonie sui l'Europe, et les gouvernements américains de Truman et d'Eisenhower avaient de plus en plus adopté son point de vue. L'Italie était le banc d'essai. A l'issue de cette séance, une directive fut adoptée (NSC 4/A) ordonnant à Hillenkoetter de lancer un grand nombre d'opérations couvertes pour empêcher les communistes de prendre le pouvoir en Italie lors des élections prévues en 1948. Le 22 décembre 1942, un Special Procedures Group (Groupe des procédures spéciales) fut créé pour appliquer cette instruction. L'un de ses responsables était James Angleton. La CIA organisa une vaste campagne de propagande en Italie, à la suite du coup d'État communiste de février 1948 en Tchécoslovaquie et de l'assassinat probable du ministre tchèque des Affaires étrangères, Jan Masaryk, par la police secrète russe (il était mystérieusement tombé d'une fenêtre).

Les démocrates chrétiens furent subventionnés par millions de dollars, ainsi que les autres partis non communistes.

Aux termes du plan Marshall, l'Italie recevait de la farine et d'autres produits alimentaires par avion. On incita les Américains d'origine italienne à organiser une campagne de lettres. On distribua des affiches et des tracts anticommunistes et on fit passer des articles dans les journaux. On publia des documents soviétiques apocryphes et on fit une large publicité aux brutalités des soldats russes après leur entrée en Allemagne.

George Keenan, directeur du bureau du planning politique du département d'État en mars 1948, télégraphia à son service en Europe; « En ce qui concerne l'Europe, c'est évidemment l'Italie le point crucial. Si les communistes y emportaient les élections, notre situation dans la Méditerranée, et peut-être aussi dans toute l'Europe, serait menacée. » Les communistes ne gagnèrent pas. La défaite communiste aux urnes est considérée par la CIA, du point de vue historique, non seulement comme sa première, mais comme l'une de ses principales victoires dans une opération couverte. Le gouvernement Truman considéra, lui aussi, l'opération comme un succès sensationnel. Le 18 juin 1948, le National Security Council émit la directive NSC 10/2, autorisant la création d'un organisme permanent chargé des opérations couvertes, appelé Office of Policy Coordination, OPC (Office de coordination de la politique). Bien que cet organisme fût indépendant de la CIA, celle-ci restait capable d'opérations couvertes par l'Office of Special Operations (OSO). Cette séparation était justifiée par la formule-parapluie, applicable à tout, du National Security Act concernant les autres activités et missions dans le domaine du renseignement et touchant à la sécurité nationale. La directive créant l'OPC parlait des «activités couvertes hostiles de l'URSS, de ses pays satellites et des groupes communistes visant à discréditer les objectifs et les activités des Etats-Unis et des autres puissances occidentales ». Après quoi, selon une formule qui allait accompagner si souvent les activités couvertes de la CIA, la directive avertissait le nouvel organisme que ses activités devraient être si minutieusement préparées « que la responsabilité du gouvernement des États-Unis n'apparaisse en rien aux profanes et que, dans le cas contraire, le gouvernement des États-Unis puisse de façon plausible nier toute responsabilité à leur sujet ». La même directive définissait également les opérations couvertes comme « la guerre de propagande, la guerre économique ; l'action directe préventive, y compris le sabotage, le contre-sabotage, les mesures de destruction et d'évacuation; la subversion contre des États hostiles, y compris l'aide à des groupes clandestins de résistance et le soutien d'éléments anticommunistes dans les pays menacés du monde libre ». Bien que l'OPC dût être mis sur pied par la CIA, ses activités devaient en être indépendantes, organisées par un directeur nommé par le secrétaire d'État, et responsable envers le secrétaire d'État et le secrétaire à la Défense.

C'était un projet mal conçu, aussitôt critiqué par Allan Dulles, qui avait repris un cabinet d'avocat à Wall Street après son expérience de l'OSS pendant la guerre, et à qui Truman avait demandé de rédiger une étude sur la CIA récemment créée. On passa outre aux objections de Dulles. Au départ, l'OPC resta un organisme indépendant, avec pour directeur l'ancien chef d'antenne de l'OSS en Roumanie, Frank Wisner, En 1949, l'acte de naissance officiel de la CIA, le CIA Act (Loi sur la CIA) fut voté. Mais sous la direction sans énergie d'Hillenkoetter, il restait assez mal organisé et soumis au département d'État et aux autres organismes de renseignements. Puis, en juin 1950, la guerre de Corée éclata. Aussitôt, la CIA fut prise à partie par le gouvernement Truman pour n'avoir pas fourni assez d'avertissements, ou pas assez exacts, sur l'intention des Nord-Coréens, soutenus par les Soviétiques, d'ouvrir les hostilités. Il en résulta une crise immédiate, dont la conséquence essentielle fut la nomination d'un nouveau directeur de la CIA. L'amiral Hillenkoetter n'avait jamais joui de la considération des professionnels du renseignement mais son successeur, lui, était respecté, et à juste titre. Le général Walter Bedell Smith était un tout petit homme dynamique qui n'avait pas été plus loin que les études secondaires et qui était sorti du rang dans l'armée de Terre, après s'être engagé pendant la Première Guerre mondiale.

Cet autodidacte avait une mémoire photographique et l'esprit caustique. Le président des États-Unis et le directeur de la CIA retrouvaient de bons rapports personnels. Le vent du changement allait se lever en tempête sur la CIA. William Donovan avait fondé la CIA, mais c'était Bedell Smith qui allait être l'architecte de sa structure actuelle. Il allait créer trois Directorates (Directoires) principaux : Plans, Intelligence et Administration (Plans, Renseignement et Administration). Smith fit montre de son, influence au secrétariat d'État et au secrétariat de la Défense en déclarant que, dès l'instant de sa nomination, il prendrait sous son autorité l'OPC, Office of Policy Coordination, mais il attendit jusqu'en 1952 pour reconnaître qu'il était illogique d'avoir deux divisions pour remplir la même mission - l'OPC et l'OSO, l'Office of Spécial Opérations, souvent en concurrence. Il allait alors les fusionner en un seul organisme, le Directorate of Plans.  

Il persuada Allan Dulles de quitter son cabinet d'avocat de New York pour revenir à l'Agence, d'abord pour y prendre en main l'OPC et l'OSO encore séparés, puis, par la suite, à titre de directeur adjoint de toute la CIA.

Après la fusion de l'OPC et de l'OSO, en août 1952, Frank Wisner devint directeur adjoint pour les Plans, avec Richard Helms comme chef des opérations. Le directoire des Plans coiffait également le contre-renseignement et le contre-espionnage. Sous l'autorité du directeur adjoint du renseignement, qui fut pendant une courte période Loftus Becker, puis un professeur de droit de Harvard, Robert Amory, considéré par certains durs de la CIA comme trop à gauche pour ce poste, les divisions « ouvertes », publiques, de la CIA furent organisées.

Smith créa un Office of National Estimates, ONE (Office national d'estimations) pour fournir au sein de la CIA des analyses et des prévisions au plus haut niveau.

Jusqu'alors, le président s'était souvent trouvé devant plusieurs opinions différentes sur le même sujet, provenant de plusieurs services de renseignements.

Sous la direction de Smith, l'unique analyse de la CIA fut celle adressée à Truman, les autres services ayant la possibilité de manifester leur désaccord ou leurs réticences sous la forme de notes marginales.  

Outre l'ONE, il y avait la Division for Economic and Geographical Research (Division de recherches économiques et géographiques), le Scientific Research Office (Office de recherche scientifique) et le Current Intelligence Reporting Office (Office d'étude du renseignement d'actualité), tous occupés essentiellement de l'analyse.

Ils disposaient d'une section de documentation, avec une bibliothèque, appelée Office of Collection and Dissémination, l'OCD (Office de recherche et de diffusion) qui deviendrait par la suite le Central Reference Service (Service central de documentation) connu sous le nom de code de Walnut (noisette).

Le personnel, les finances et la logistique étaient fournis par un Directorate of Support, le DDS (Directoire de l'entretien), qui allait être rebaptisé par la suite Directorate of Administration, le DDA (Directoire de l'administration).

Chaque directoire était sous l'autorité d'un directeur adjoint, responsable hiérarchiquement devant le directeur adjoint de la Central Intelligence (Renseignement central), poste occupé par Dulles du 23 août 1951 au 26 février 1953, date à laquelle il devint directeur.

La guerre de Corée, qui avait amené les critiques contre la CIA et sa réorganisation, l'avait également servie. Désormais, elle ne manquait jamais de crédits, dispensés d'une façon qui rappelait un peu celle de Wild Bill Donovan, et qu'on appelait dans l'Agence « la formule syrienne ». L'expression venait de la façon dont la division du Proche-Orient et d'Afrique établissait son budget.

On avait considéré qu'un million de dollars suffirait pour la Syrie. Le responsable de la division, Nick Andronovitch, décida que, dans ces conditions, l'Irak avait besoin de 2 millions, puisqu'il avait une superficie double. Les crédits pour toute la région furent calculés de la même façon, en comparant la superficie de chaque pays avec celle de la Syrie. En ce qui concerne le personnel, en revanche, il n'y avait pas de limite : à la fin de 1952 et au début de 1953, la CIA employait dix mille personnes. Lorsqu'il devint président des États-Unis en 1953, Dwight Eisenhower fit de Smith son sous-secrétaire d'État et nomma Allen Dulles directeur de la CIA. Son frère, John Foster Dulles, devint secrétaire d'État. Ce fut, pour la CIA, le début d'une période faste où elle eut le contact direct, à son gré, avec les plus hauts responsables des États-Unis, tout en étant à l'abri de leurs interventions. L'attitude ambiguë du Congrès américain date également de cette époque, cette attitude qui consiste à préférer officiellement ne pas connaître les activités discutables ou clandestines de la CIA. Cette attitude allait durer plus de vingt ans, jusqu'au retour de pendule de l'opinion américaine, qui amena le procès public de la CIA en 1974 et 1975, avec des enquêtes dont elle souffre encore aujourd'hui, selon ce que m'affirment des professionnels du renseignement. Les années 1950 furent, pour l'Amérique, une époque d’hystérie anticommuniste, celle des démagogues du genre du sénateur Joe McCarthy.

L'attitude de la CIA face à la réaction de l'opinion publique américaine contre le communisme et, ce qui était plus important, vis-à-vis de McCarthy, est difficile à comprendre. La plupart des anciens de la CIA pensent encore que l'opinion, ni alors ni aujourd'hui, n'a mesuré la gravité de la menace communiste contre le pays. Et que, paradoxalement, McCarthy était dangereux parce que l'acharnement de son hostilité contre le communisme encourageait en fait à accepter celui-ci.

Angleton, qui n'était pas homme à prendre des vessies pour des lanternes, n'était pas le seul à se demander si McCarthy n'était pas en réalité dirigé en sous-main par les Soviétiques, qui espéraient tirer profit du choc en retour contre lui ! Foster Dulles considérait que sa principale mission, en tant que secrétaire d'État, consistait à assurer le recul du communisme dans le monde entier. En Europe, son frère et la CIA lancèrent Radio Liberty, émettant directement vers l'URSS, et Radio Free Europe (Radio Europe libre), qui allaient finir par employer des milliers de polyglottes et coûter 30 millions de dollars par an.

On subventionna, on créa même des journaux pour combattre le communisme. On mit sur pied et on finança des organismes et des mouvements anticommunistes. On monta des complots visant à l'assassinat d'hommes d'État procom-munistes.

En 1949, le budget de l'OPC (Office de coordination politique) clandestin était de 5 millions de dollars ; en 1952 (avec quarante-sept antennes établies à l'étranger sous son nouveau nom de directoire des Plans), il était passé à 82 millions. Au plus fort de son intervention au Vietnam, vingt ans plus tard, son budget clandestin serait plus de dix fois supérieur. L'intervention couverte de la CIA en Italie en 1948 avait été un succès. Deux autres opérations furent également considérées comme telles par la suite : le retour au pouvoir du chah d'Iran après sa déposition par Mohammed Mossadegh, influencé par les Soviétiques en 1953; et le renversement de Jacobo Arbenz au Guatemala. Cependant, au sein du directoire clandestin, la colère éclata à l'annonce de l'intervention de la CIA dans ces deux événements : William Colby exprima la philosophie du renseignement en disant qu'un succès devient un échec dès qu'il est rendu public. « Kim » Roosevelt, petit-fils du défunt président, qui travaillait pour la CIA - et qui avait le double avantage d'avoir un nom célèbre et de l'argent - menaça de démissionner et d'écrire des livres sur les deux opérations. On réussit à l'en dissuader. L'année suivante vit le sommet de l'aberration du maccartisme et Allen Dulles, qui avait un grand sens politique, présenta les deux opérations comme des contre-attaques lancées par un McCarthy déchaîné contre la CIA. McCarthy attaqua d'abord William Bundy, le gendre de Dean Acheson, qui, avait été secrétaire d'État du président Truman. Bundy était assistant spécial du directeur adjoint du renseignement de la CIA, Robert Amory. Bundy avait participé à une souscription destinée à la défense d'Alger Hiss. Celui-ci, conseiller du président Roosevelt à Yalta, avait été par la suite l'un des directeurs de l'Office of Special Political Affairs (Office des affaires politiques spéciales) du département d'État, quand HIiss fut accusé par un agent soviétique, Whittaker Chambers, de faire partie de la même conspiration que lui. Hiss fut condamné à cinq ans de prison pour parjure.

McCarthy réclama l'ouverture d'une enquête sur Bundy, qu'il accusait de complicité. La CIA monta une contre-offensive efficace et réussit. Mais McCarthy poursuivit la sienne et, à la fin de 1954, le sénateur Mike Mansfield amena vingt-sept autres membres du Sénat à réclamer l'ouverture d'une enquête spéciale du Congrès sur la CIA, pour la première fois depuis sa création. Dulles réussit à écarter la menace, la CIA restant l'objet d'une vague enquête de la part des sous-comités des commissions des Forces armées et des Crédits militaires du Sénat et de la Chambre. S'il avait existé une procédure de contrôle plus efficace, le Congrès aurait demandé des explications lorsque la CIA, en 1958, essaya de mettre au pas Sukarno, le président de l'Indonésie.  

Sukarno avait lassé la patience de Foster Dulles jusqu'au point de rupture, en jouant de l'Amérique contre l'Union soviétique, et en se servant de l'aide économique américaine pour ce que Dulles considérait comme des gaspillages énormes et incessants à sa propre gloire.

Plus grave encore : Sukarno ne faisait rien pour affirmer son autorité sur la partie de son pays contrôlée par le parti communiste, le PKI. Frank Wisner, le directeur adjoint des Plans, résumait les sentiments de l'administration américaine en ces termes :« Il serait temps de chauffer les pieds de Sukarno. »  

Le « traitement » fut appliqué pendant une longue période. L'homme de la CIA au Caire, Miles Copeland, établit des relations personnelles étroites avec le président égyptien, Gamal Abdel Nasser, et, dès 1955, l'Agence essaya d'infiltrer l'Indonésie et d'influencer Sukarno par ses contacts égyptiens. En 1955, si Nasser fit une impressionnante démonstration à la conférence afro-asiatique de Bandoung, en Indonésie, ce fut essentiellement parce qu'il avait été préparé, lui et ses discours, par le département d'État américain. Tandis qu'on lui écrivait ces textes, Copeland mettait en condition l'entourage qui avait fait le voyage avec Nasser, en particulier Ali Sabri, ministre sans portefeuille du président, qui avait fait ses études en Amérique et qui traduisait les documents américains en arabe pour le président. Sabri fit tout son possible pour amener Nasser à retourner Sukarno contre Moscou. La CIA ne devait découvrir que deux ans plus tard que Sabri était un agent du KGB. En outre, la CIA entretenait des relations avec les rebelles indonésiens et leur fournissait des armes. Inquiets de voir Sukarno préparer une escale de ravitaillement aérien pour les Russes sur l'île de Natuna Besar, la CIA parachuta chez les rebelles de Sumatra un unique agent paramilitaire et un opérateur radio.

En février 1958, les rebelles envoyèrent à Sukarno un ultimatum pour lui demander sa démission, ce qu'il accueillit avec un grand rire. Les rebelles proclamèrent l'indépendance de Sumatra. Sukarno soumit alors l'île au blocus et à des bombardements, et envoya son armée de Terre contre les rebelles.  

La CIA envoya deux autres conseillers paramilitaires, avec du matériel radio, et organisa une résistance aérienne avec des pilotes de la CIA. Le 18 mai, Allen Pope, l'un des pilotes, fut abattu après avoir bombardé par erreur une église et tué la plupart des fidèles. Devant la perspective d'une défaite humiliante, la CIA se retira dans le désordre. Cependant, le désastre n'était pas aussi grave qu'il aurait pu l'être. Sukarno fit preuve d'une habileté politique qui faisait défaut à Washington en profitant de l'occasion pour obtenir de nouvelles concessions des États-Unis plutôt que de les accuser publiquement d'agression, de sorte que les médias américains restèrent dans l'ignorance du rôle de la CIA. Une succession ininterrompue de succès compensait bien entendu cette erreur isolée. En novembre 1954, Eisenhower avait approuvé un projet d'appareil de reconnaissance capable de voler à une telle altitude que l'Union soviétique serait incapable d'empêcher ses missions de renseignement. Les spécialistes estimaient que la mise au point de l'appareil demanderait six ans.

Le projet fut confié à Richard Bissell, qui en chargea Lockheed, à Burbank (Californie), moyennant un crédit de 22 millions de dollars, en décembre 1954.

Le 6 août 1955, le premier U.2 décollait. En mai 1956, quatre avions, leurs pilotes et le personnel à terre étaient installés en Turquie.

En mai 1960, l'Union soviétique, qui avait fini par mettre au point la technique nécessaire, abattit un U.2 et son pilote, Francis Gary Powers, interrompant une conférence au sommet entre Eisenhower et le numéro un soviétique, Nikita Khrouchtchev.

Jusque-là, l'U.2 n'avait cessé d'effectuer des vols à 25 000 mètres d'altitude pour photographier tout ce qui était visible sur le territoire soviétique. Au moment où les Russes avaient réussi à abattre l'U.2, le personnel du Development Project (Bureau d'études) de Bissell à la CIA avait déjà élaboré le premier élément de ce qui est aujourd'hui un réseau perfectionné de reconnaissance par satellites.

L'U.2 avait confirmé d'autres sources de renseignements qui donnaient à penser que la Russie mettait au point, à Tyouratam, les techniques spatiales qui allaient conduire, en 1957, au lancement du Spoutnik 1.  

L'U.2 confirma également, lors d'un vol au-dessus de Cuba, le 14 octobre 1962, qu'une base de missiles soviétiques de moyenne portée était en cours d'installation à San Cristobal, près de La Havane. Ces rapides progrès techniques fournirent à la CIA des renseignements qu'elle croyait naguère encore impossibles à obtenir. Elle a soigneusement entretenu, par la suite, le mythe selon lequel elle compense ainsi la difficulté qu'elle a toujours rencontrée à introduire des agents en Union soviétique, cette société fermée contrôlée par le KGB.

En fait, la CIA possède un réseau d'espionnage vaste et efficace en URSS. George Bush, l'actuel vice-président des États-Unis, qui fut peu de temps directeur de la CIA, avoua à des permanents de Langley qu'il avait été très surpris de l'importance de ce réseau. Une trentaine au moins de ses membres mènent aujourd'hui en Amérique une vie bien tranquille, protégés par de nouvelles identités, après avoir été « brûlés », puis récupérés par le spécialiste du sauvetage de la CIA, Steve Meade. Une autre réussite de la CIA a été d'obtenir, cette fois par des informateurs humains, le texte d'un discours secret de Khrouchtchev de février 1956, sa célèbre dénonciation de Staline, au XXe Congrès du Parti. L'auditoire était si nombreux qu'il était impossible au KGB d'empêcher le bruit de cette dénonciation de courir dans le bloc de l'Est. Allen Dulles ordonna que tout soit fait pour obtenir une copie du texte, dont il mesurait à juste titre toute l'importance.  

La copie fut fournie par l'équipe spéciale, dirigée par James Angleton, qui préconisait depuis 1954 le découpage du contre-espionnage par régions.

On a prétendu que le discours avait été donné aux agents d'Angleton par le service de renseignements allemand de Reinhard Gehlen, qui, voyant venir la fin de la Seconde Guerre mondiale, était passé aux Américains avec toutes ses archives secrètes pour pouvoir collaborer après la guerre. Ce n'est pas exact.

Angleton savait que, dès avant la fin de la guerre, le service de Gehlen était déjà infiltré par le renseignement soviétique.

Angleton se servait du service allemand comme de toutes les autres sources, mais il ne lui faisait pas confiance.

Dans chaque directoire, division et section de la CIA, Angleton avait ses propres espions, pour protéger l'Agence contre les infiltrations soviétiques. Par son informateur dans la division allemande, alors dirigée par James Critchfield, Angleton obtint le premier aperçu du discours.

Pour en savoir davantage, il se tourna vers ses contacts israéliens. Les rapports entre Israël et Angleton sont un cas particulier dans l'histoire de l'Agence. C'est à Londres, pendant la Seconde Guerre mondiale, qu'il avait travaillé avec le Mossad, le service de renseignements juif. Ces rapports d'Angleton avec le Mossad étaient uniques en leur genre, en ce sens qu'il les entretenait en marge de toute organisation régulière et qu'il était le seul à bénéficier de cette tolérance.

Ces relations se maintinrent jusqu'à la veille de la démission imposée à Angleton par le directeur William Colby, en 1974. On a dit de cet arrangement qu'il s'agissait en fait d'une sorte de desk, de bureau israélien, mais ce n'était, officiellement, même pas le cas. C'était une association reposant sur la personnalité d'un seul homme et le respect qu'il inspirait à Israël. Le Mossad répondit à la demande d'Angleton et fit venir le texte du discours de Khrouchtchev par la Pologne. Cela créa des dissensions au sein de la CIA. Le soviétologue de l'Agence, le Dr Ray Cline, ayant été d'avis que la copie était authentique, Angleton et Wisner, du directoire des Plans, s'opposaient à sa publication in extenso, préférant en faire transpirer des extraits successifs dans des milieux choisis, où ils estimaient qu'ils auraient le maximum de retentissement psychologique et d'effet de propagande.

Tous deux défendirent leur point de vue à une réunion au quartier général du directoire des Plans, cet ensemble de bâtiments qui va de la 17e à la 23e rue, sur toute la longueur du centre de Washington, le Reflecting Pool.

Cline estimait au contraire que le document devait être publié dans son entier. Allen Dulles fit attendre sa décision jusqu'au samedi 2 juin. Le lundi 4, le texte complet du discours fut publié dans le New York Times, révélant pour la première fois au grand public la dictature et les crimes de Staline.

La CIA dément avoir « arrangé , le document si peu que ce soit pour aggraver les accusations qu'il contenait. A la fin de la présidence d'Eisenhower, la CIA avait acquis la réputation d'une arme sûre et inestimable pour le gouvernement. C'était grâce à Allen Dulles, considéré en général comme un brillant patron en matière d'espionnage, Allen Dulles dont l'un de ses contemporains m'a dit :« Il était de ceux qui ne doutent pas de leur place dans l'Histoire... telle qu'il la voyait. » Comme Donovan avant lui, il s'intéressait davantage aux opérations clandestines qu'à la bureaucratie et il a réalisé son ambition : il est devenu probablement le plus célèbre directeur de l'Agence. Le président Kennedy, en prenant ses fonctions, héritait de son prédécesseur un problème qui allait occuper la politique étrangère américaine pendant vingt ans : Cuba et Fidel Castro.  

Sous la direction de Kennedy, la CIA allait monter une opération clandestine de renversement politique d'une ampleur jusqu'alors sans précédent et l'une de ses plus extraordinaires tentatives d'assassinat.

L'invasion de la baie des Cochons était une opération menée par la CIA et les hésitations de Kennedy ayant rendu inapplicable un plan d'offensive déjà imparfait, il en rendit la CIA responsable. Au plus fort de sa colère, il menaça de la réduire en mille morceaux et de les disperser aux quatre vents. II ne le fit pas, mais il allait lui falloir un bouc émissaire et ce fut Allen Dulles. Bissell hésita jusqu'à la fin de l'année, puis il démissionna de lui-même. Comme nouveau directeur de la CIA, le président Kennedy, qui était démocrate, choisit un républicain, John McCone.

C'était un choix idéal. McCone n'avait pas de passé dans le renseignement. Il était ingénieur et il était devenu millionnaire dans le bâtiment et la construction navale avant d'entrer dans le gouvernement, d'abord comme sous-secrétaire à l'armée de l'Air, puis comme président de la commission de l'Énergie atomique.

McCone avait de la CIA une conception tout à fait différente de celle d'Allen Dulles. Pour la première fois depuis 1953, la CIA avait un directeur qui ne s'intéressait pas avant tout aux activités clandestines. Au contraire, McCone voyait le rôle de son service de renseignements dans sa véritable perspective : fournir au président des États-Unis des études et des informations. C'était cela que le président Kennedy attendait de lui.

Les instructions du président dans sa lettre à McCone lors de sa nomination faisaient de lui pour le gouvernement le principal fournisseur du renseignement sur l'étranger. McCone avait ordre d' « assurer la coordination, la synthèse et l'étude du renseignement de toutes origines et de le diffuser rapidement ».  

McCone avait l'esprit d'analyse et la passion du renseignement. Dans son livre The CIA under Reagan, Bush and Casey (La CIA sous Reagan, Bush et Casey), le Dr Ray Cline raconte l'histoire d'un membre de la CIA qui avait froncé le sourcil en lisant un mémorandum de McCone demandant une grande quantité d'informations et qui disait, avec lassitude : « Je suppose que vous voulez le tout demain ? »  

A quoi McCone avait répondu :« Non, pas demain. Aujourd'hui. Si je le voulais demain, je le demanderais demain. »  

McCone était un excellent administrateur et il savait parfaitement déléguer ses responsabilités. Conscient de son propre manque d'expérience du renseignement - excepté son bref passage à la commission de l'Énergie atomique - il eut soin de choisir tous ses collaborateurs immédiats parmi les anciens du service.

A la structure d'origine des trois directoires de la CIA, établie par Bedell Smith, il ajouta un élément. Il estimait que la CIA devait disposer de ses propres moyens techniques plutôt que d'avoir recours à ceux d'autres services de renseignements, et il créa un quatrième directoire pour la Science et la Technologie, auquel il transféra le personnel chargé de l'analyse scientifique du Directorate of Intelligence (Directoire du renseignement). Le National Photographic Interprétation Center (Centre national d'interprétation photographique) fut également transféré au directoire scientifique. Sous McCone, la CIA retrouva bientôt la confiance du président et, paradoxalement, à cause de Cuba. Juste avant la baie des Cochons, Castro avait interné dans des camps près de cent mille Cubains qu'il soupçonnait de pouvoir prendre parti pour les Américains contre lui.

Mais cela même ne suffit pas à couper toutes les sources de renseignements de la CIA à Cuba. Et ces sources, au début de 1962, fournirent des bribes d'informations sur la construction d'aérodromes insolites et l'apparition d'objets camouflés sous des bâches et apportés par des cargos soviétiques.

Ces indices donnaient à penser qu'on se préparait à installer des missiles sur le territoire cubain. Mais aucun analyste ne voulait admettre que Khrouchtchev pourrait risquer l'épreuve de force face aux États-Unis.

Le 14 octobre 1962, un U.2 confirma le fait en survolant San Cristobal. Les photographies prises en haute altitude furent analysées le lendemain après-midi. Le soir même, Cline, le directeur adjoint du renseignement, alertait le Cabinet restreint de la Maison-Blanche.

Les informations des agents cubains et les photographies n'étaient pas les seules sources de renseignements. En avril 1961, Oleg Penkovsky (5), colonel dans le renseignement militaire soviétique, le Glavnoyé Razviedyvatielnoyé Oupravlieniyé, passait spontanément au renseignement britannique. L'interrogatoire de Penkovsky fut entrepris en commun par les Britanniques et les Américains. Il avait des contacts très haut placés dans la hiérarchie soviétique et des sources de renseignements nombreuses et exactes.

Avant d'être démasqué et arrêté par les Russes, à l'automne 1962, il fournit dix mille pages de documents secrets.

Un membre important de la CIA, qui participa à son interrogatoire, m'a dit que pendant la crise des missiles, non seulement Penkovsky avait fourni des détails techniques très précis sur le type de fusées qui seraient probablement installées à Cuba, mais il avait expliqué les raisons du choix des lieux de leur implantation : les Russes avaient mis au point les ogives mais, à l'époque, les mécanismes de guidage restaient imprécis et les missiles implantés en Russie auraient été inefficaces contre les États-Unis. Rares ont été les présidents mieux informés pendant une épreuve de force que Kennedy, face à Khrouchtchev, en 1962.

Après la reculade soviétique, Kennedy dit à Cline que les preuves photographiques, à elles seules, justifiaient tout ce que la CIA avait coûté jusqu'alors aux États-Unis au cours de ses quinze années d'existence. Les succès de Kennedy furent gâchés par ses erreurs, la plus grave consistant à avoir engagé plus avant l'Amérique dans la guerre du Vietnam, un conflit qui allait coûter son poste à son successeur et marquer l'Amérique pour près de quinze ans. L'engagement de l'Amérique impliquait celui de la CIA : la baie des Cochons avait été une répétition générale à petite échelle des futures activités de l'Agence en Asie. Pendant la guerre du Vietnam, la CIA dirigea un ensemble de compagnies aériennes qui, à une certaine époque, fit un bénéfice de 50 millions de dollars.

Elle organisa sa propre armée au Laos. La CIA fut l'un des principaux atouts du président Ngô Dinh Diêm dans sa prise de pouvoir, et elle contribua à le renverser lorsqu'elle découvrit qu'il échappait à son autorité, bien qu'elle démentît obstinément toute participation à son assassinat. Lorsque la guerre, qui ne fut jamais déclarée officiellement, s'aggrava dans les villages et les rizières du Sud-Vietnam, la CIA s'opposa aux services de renseignements et aux analystes militaires sur l'estimation des forces militaires communistes.

Vers la fin, en 1975, tandis que les Sud-Vietnamiens assiégeaient l'ambassade à Saigon, les Américains, qu'ils avaient considérés comme des amis, décollaient en hélicoptères du toit de leur ambassade pour se mettre à l'abri sur leurs navires dans la mer de Chine du Sud.

Dans la panique, les Américains oublièrent de détruire ou d'emporter les listes des agents ou informateurs qui avaient cru à la promesse du président américain : la paix dans l'honneur même sans la victoire totale. Leur départ eut un côté presque obscène : comme des boutiquiers qui emportent la caisse quand le magasin prend feu, ils embarquèrent les milliers de dollars qui restaient dans le coffre de la CIA, ne laissant que les pièces de monnaie parce qu'elles pesaient trop lourd. Le 2 novembre 1963, Diêm, le président sud-vietnamien dont le gouvernement américain s'était lassé, était assassiné. Le 22 novembre, John Kennedy, le président américain, était assassiné lui aussi dans une voiture découverte, à Dallas (Texas). Le même jour, le vice-président Lindon Johnson prêtait serment comme président.  

Les relations entre la CIA et la présidence, qui avaient été difficiles mais permanentes sous Kennedy, se dégradèrent sous Johnson.

Kennedy, comme Eisenhower avant lui, avait souvent présidé les séances du Conseil national de sécurité. Johnson le réunit moins souvent, ce qui rendit difficile pour la CIA de prévoir les besoins présidentiels.

Kennedy recevait le matin le rapport de la CIA, l'Intelligence Checklist (Rapport de situation sur le renseignement). Johnson, lui, le demandait le soir, pour le lire avant de s'endormir. Connaissant ses goûts, et pour essayer d'attirer son attention, la CIA y ajoutait en général un ou deux menus potins. Mais malgré les efforts déployés, Johnson fit de moins en moins connaître ses réactions souvent à la CIA. Par son propre service de renseignements, le secrétaire à la Défense, Robert McNamara, recevait des estimations trop optimistes sur les probabilités d'une victoire au Vietnam : ainsi, en 1963, McNamara affirma publiquement que la guerre serait finie en 1965. Le directeur de la CIA, McCone, croyait la victoire possible, mais non pas avec les instructions incohérentes du président. McCone estimait que quand on fait la guerre c'est pour la gagner, et non pour s'arrêter à des limites fixées sur des parallèles ou des frontières, et qu'il fallait utiliser efficacement et rapidement la maîtrise de l'air des États-Unis. Le 1er avril 1965, Johnson, à l'une des réunions du Conseil national de sécurité auxquelles il assistait, approuva un accroissement des attaques aériennes et une modification de l'emploi des troupes américaines, pour leur donner une mission réellement combattante. Et il admit ce qui était déjà une réalité, mais non encore reconnue : la guerre du Vietnam était une guerre américaine, bien qu'encore non déclarée.  

Pour McCone, la décision de Johnson, bien hésitante, ne suffisait pas. Faisant preuve d'une prescience que devaient confirmer les événements huit ans plus tard, il fit circuler une note à tous les officiels au courant de la décision de Johnson, où il reprochait au programme de celui-ci de n'être pas assez énergique et de ne pouvoir être efficace que si les bombardements aériens étaient assez durs pour écraser le Nord-Vietnam.  

McCone disait ensuite : « A mesure que les jours et les semaines passent, on peut s'attendre, pour faire cesser les bombardements, à des pressions croissantes provenant de divers secteurs de l'opinion américaine, de la presse, des Nations unies et de l'opinion mondiale. Le temps va donc jouer contre nous dans cette opération et je pense que les Vietnamiens y comptent bien. C'est pourquoi je pense que nous nous engageons sur une voie comportant des opérations terrestres qui, selon toute probabilité, auront des effets limités contre les partisans (...). Malgré cela, nous devons nous attendre à des demandes croissantes d'augmentation des effectifs américains engagés, qui n'accroîtront pas matériellement les chances de victoire (....). En fait , nous allons nous retrouver embourbés dans la jungle, dans des combats où notre effort militaire ne pourra nous assurer la victoire, et dont il nous sera extrêmement difficile de nous dégager. J'estime par conséquent que, si nous devons changer la mission confiée à nos forces terrestres, nous devons changer également les règles de notre combat terrestre contre le Nord-Vietnam (...). Si nous refusons de prendre cette décision maintenant, nous ne devons pas non plus prendre les mesures concernant la mission de nos forces terrestres, pour les raisons que j'ai exposées. » Si la prévision et l'analyse sont les fonctions de la Central Intelligence Agency - ce qui est indiscutablement le cas -, ce mémorandum, huit ans avant la fin de la présence américaine, aurait dû devenir une véritable question de cours dans l'enseignement des agents de renseignements. Ce ne fut pas le cas et, malheureusement, comme tant d'autres avertissements, ce fut là un message que Johnson ne voulut pas entendre. Johnson était un professionnel de la politique enfoncé dans le jeu des majorités et des coteries parlementaires, et il avait pris l'habitude d'inviter à déjeuner tous les mardis à la Maison-Blanche tous ses conseillers en politique étrangère. Le nom de McCone, invité depuis longtemps, disparut de la liste. Le 28 avril 1965, McCone démissionna. Il recommandait, pour lui succéder, l'un des trois parfaits professionnels qu'étaient Lyman Kirkpatrick, le directeur-administrateur, Richard Helms, directeur adjoint des Plans, et le Dr Ray Cline, directeur adjoint du renseignement. Mais Johnson nomma un Texan comme lui, l'amiral William Raborn, qui avait été l'un de ses principaux partisans pendant les élections de 1964. La nomination de Raborn, pour des raisons politiques, comme directeur de la CIA, fut un désastre, dès l'instant même de sa prestation de serment. Le président, n'écoutant que son instinct, exigea, à la cérémonie publique d'intronisation devant les photographes, le 28 avril 1965, la présence de tous les principaux membres de la CIA, pour qui l'anonymat est la première exigence.

Johnson se plaça juste devant, mais sans le dissimuler, James Angleton, le chef du contre-espionnage, pour qui l'obligation du secret était si bien respectée que la plupart des membres de la CIA présents au quartier général de Langley (Virginie) ignoraient ses fonctions et s'amusaient beaucoup à l'appeler par son nom de code à l'Agence : Mother (Maman). Lorsque, en avril 1965, Johnson envoya les Marines en république Dominicaine pour empêcher la guerre civile et conseilla par téléphone à Raborn une opération de renseignements parallèle l'amiral répondit instinctivement: « Aye, aye, sir . » On s'aperçut très vite que cette intervention était une erreur. Pressé d'en dégager les troupes américaines, Johnson demanda leur avis à Raborn et Cline, réunis dans la chambre à coucher présidentielle : Johnson était alité avec la grippe.

Raborn, embarrassé à son ordinaire, demanda à Cline, directeur adjoint du renseignement, de répondre à sa place. Quelques jours auparavant, au cours d'un entretien banal avec un autre membre de la CIA, Desmond Fitzgerald, le nom d'un ancien président de la république Dominicaine alors en exil à New York, Joaquin Balaguer, avait été prononcé dans la conversation comme un moyen possible de ramener l'équilibre dans ce pays.

A moins d'installer un non-communiste comme Balaguer, avait remarqué en passant Cline, il faudrait maintenir les troupes américaines en Dominicaine. Selon Cline, Johnson se redressa alors dans son lit et dit :« C'est ça. C'est notre politique. Il faut mettre ce gars-là au pouvoir là-bas ! » Et « ce gars-là » retrouva la présidence. Le faubourg de Georgetown est un peu à la fois le Neuilly et le Passy de Washington. Bientôt, dans les cocktails et les dîners, on n'y parla plus que des gaffes de Raborn. Lors d'une réunion d'information, il avait demandé quel était le principal aliment des Chinois. A une autre, il avait voulu savoir quelle était la tribu au Liberia appelée « oligarchie ».  

L'histoire la plus répandue concernait un briefing au cours duquel, un matin, Raborn avait déclaré avoir lu dans un journal que les relations étaient rompues entre la Chine communiste et la Russie communiste.

Il y avait peu de sujets auxquels les spécialistes de la CIA avaient consacré plus de temps depuis 1956, et les éditorialistes, et l'opinion publique en général, depuis presque aussi longtemps. Il s'était alors fait un silence gêné, d'autant plus prolongé que Raborn insistait pour qu'on prépare une étude détaillée sur la question.

Cline, qui aurait dû en superviser la rédaction, avait expliqué que le sujet avait déjà été étudié dans tous ses détails. Alors Raborn, furieux, avait éclaté : « Vous ne prenez pas l'affaire au sérieux. Je veux que vous me fassiez apporter vos documents là-dessus. Je veux voir toutes ces études. - Vous voulez que je les apporte avec quoi ?, avait demandé Cline. Une brouette ? » Ce heurt des deux personnalités amena Cline à demander son affectation en Allemagne. Quelques mois plus tard, Raborn quittait la CIA, au grand soulagement de toute l'Agence et dans le milieu du renseignement en général.

L'amiral ne laissait qu'un héritage durable. Pendant la crise dominicaine, il avait accru l'importance de l'Operations Center (Centre des opérations), le Watch Room (le « poste de garde »), en y incluant des représentants de chaque division de la CIA, ce qui permettait à l'Agence et à toutes ses divisions d'être à l'écoute permanente, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, de tous les événements dans le monde entier. Le Watch Room existe toujours.  

Le départ de Raborn ouvrit les portes à un professionnel patient - d'aucuns disent même flagorneur - qui allait occuper le siège de directeur de la CIA pendant près de sept ans : Richard Helms.

 

Voir ouvrages présentés

(1) de William COLBY : " 30 ans de CIA "

(2) de William CASEY : " La guerre secrète contre Hitler "

(3) de Kim PHILBY : " Ma guerre silencieuse "

(4) de Anne-Aurore INQUIMBERT : " Les équipes Jedburgh "

(5) de Oleg PENKOSKY : " Carnets d'un agent secret "

 

 

 

 
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