logofb

 

 
 
line decor
Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
line decor
 

 


 
 
 

 
 
BIBLIOGRAPHIE - EXTRAITS DIVERS (sommaire)
KARL SCHULMEISTER, L'ESPION DE NAPOLÉON
 

Extraits de l'ouvrage " Histoire de l'espionnage " - 1936 : Ouvrage réédité par les Éditions GALLIMARD - ( Hors-série – Connaissance )

Voir la présentation de cet ouvrage sur notre site 

par Oscar RAY

Un aimable écrivain français, M. Cadet de Gassicourt, devenu sous l'Empire pharmacien de Sa Majesté Napoléon Ier et qui l'accompagna à ce titre lors de la campagne de I809, raconte dans ses Souvenirs sa première rencontre avec Karl Schulmeister, roi des espions de tous les temps et de toutes les époques, qui venait justement d'être nommé par l'Empereur Commissaire général de la police de Vienne. Ce récit est utile à consulter, il note une impression directe et permet de juger quel prestige exerçait ce personnage fameux sur ses contemporains. Le voici :

« On m'a fait trouver ce matin avec le Commissaire français chargé de la police de Vienne. C'est un Strasbourgeois, nommé Charles Schulmeister, homme d'une intrépidité rare, d'une présence d'esprit imperturbable et d'une finesse prodigieuse. J'étais curieux de voir ce personnage dont on m'avait cité mille faits surprenants. Dans les premières campagnes de l'Allemagne il était le premier espion de l'Empereur et a rendu de tels services qu'il a gagné 40.000 francs de rentes. Il y a quatre ans, chargé de remettre une lettre de notre Ministre à un personnage important de l'armée autrichienne, il passa chez l’ennemi comme bijoutier allemand muni d'excellents passe­ports et portant avec lui une assez belle provision de diamants et bijoux, mais il fut vendu, signalé, arrêté et fouillé. Sa lettre était dans le fond d'une boîte d'or.

« On la trouva et on eut la sottise de la lire tout haut devant lui. Jugé et condamné à mort, il fut livré aux soldats qui devaient l'exécuter, mais il était nuit et on remit son supplice au lendemain matin. Il reconnaît parmi ceux qui le gardent un déserteur français, cause avec lui, le séduit par l'appât du gain, fait venir du vin, boit avec son escorte, glisse de l'opium dans la boisson, enivre ses gardes, prend un de leurs habits, s'échappe avec le Français, et avant de rentrer trouve le moyen de prévenir celui pour qui était la lettre saisie, et de ce qu'elle contenait et de ce qui lui était arrivé. Ce trait a l'air d'un roman, il m'a été attesté par 20 officiers supérieurs qui reconnaissent que dans son genre, on n'avait jamais trouvé un plus adroit négociateur. Il inspire aux Viennois une telle terreur qu'il vaut mieux à lui seul un corps d'armée. Sa figure répond à sa réputation. Il a l'oeil vif, le regard pénétrant, l'air sévère et résolu, les mouvements brusques, l'organe sonore et ferme. Sa taille est moyenne, mais il est robuste, et de tempérament bilio-sanguin. Il connaît l'Autriche parfaitement, et dessine de main de maître le portrait des individus qui y jouent un grand rôle. Il possède à Strasbourg plusieurs fabriques. Il ne cache point qu'avant de faire le métier d'observateur militaire, il était chef de contrebandiers en Alsace. La contrebande et la police, dit-il, se ressemblent beaucoup.

« Il porte au front de profondes cicatrices qui prouvent qu'il n'a point reculé dans les occasions critiques. Cet homme qui a tant de rapports avec le Charles de Schiller (1) est aussi généreux. Il élève chez lui deux orphelins qu'il a adoptés. Je lui ai parlé des « Anachorètes » (2) et l'ai remercié de nous avoir fait jouir de ce spectacle.

« J'ai mieux fait, m'a-t-il dit, j'ai fait rendre aux propriétaires des livres saisis par la censure, tout ce que j'ai trouvé dans les archives de la chambre syndicale; j'ai fait traduire et imprimer tous les livres philosophiques défendus, Voltaire, Diderot, Helvetius, d'Holbach. Tout se vend maintenant en allemand et en français. Il faut que la vérité perce, que la lumière se répande... J'ai confiné les moines dans leurs couvents, ils y sont surveillés et ne peuvent plus aller prêcher le fanatisme dans les faubourgs et les hôpitaux. »

Fils d'un sous-intendant alsacien Schulmeister était né en 1770. A quinze ans il est cadet dans les hussards de Conflans, étudiant à dix-huit, il devient fonctionnaire après avoir atteint sa vingtième année et épouse la fille du directeur des mines, deux ans plus tard. Nous sommes en 1792. La Révolution bat son plein. Schulmeister en profite pour se livrer à la contre­bande qui lui rapporte assez d'argent pour établir à Strasbourg, une fois la tourmente révolutionnaire apaisée, une importante rnanufacture.

C'est en 1804, lors d'un voyage d'affaires à Paris qu'il fut présenté à Napoléon par son compatriote et ami Rapp.

L'Empereur le trouva à son goût et lui offrit un poste auprès du général Savary qui venait de prendre en mains la direction suprême de la police militaire. Schulmeister accepta et désormais commença pour lui la plus extraordinaire et la plus mouvementée des existences qu'ait jamais connue un homme.

Au bout de quelques années il était devenu déjà un personnage de légende sur le compte duquel des histoires plus miraculeuses les unes que les autres circulaient en abondance. On en pourrait remplir tout un volume. Elles ne sont pas toutes rigoureusement authentiques, mais elles reflètent très bien l'image de  l'espion parfait » telle qu'on la concevait alors. D'autre part, bien des « cas » de Schulmeister sont devenus en quelque sorte classiques dans l'histoire de l'espionnage. Il est donc impossible de ne pas les signaler au cours de notre exposé.

Généralement le grosse Spion (c'est ainsi que l'avaient surnommé les Allemands) s'introduisait dans les camps ou suivait les armées en marchand d'eau-de-vie et de tabac.

Ses histoires d'évasion sont restées célèbres et ont contribué en grande partie de lui créer la réputation d'un être invulnérable et insaisissable.

A Strasbourg on raconte encore de nos jours qu'il trouva le moyen de sortir d'une ville assiégée, en faisant le mort, dans un cercueil.

Un jour sa maison fut cernée par les Autrichiens.

Schulmeister ouvrit lui-même la porte et traversa le détachement de gendarmes venus pour l'arrêter. On le laissa partir de confiance. Il était tellement transfiguré qu'il ne répondait en rien au signalement.

A la bataille de Wagram il fut sur le point d'être capturé. Il se jeta dans une maison. Quand les soldats ennemis y entrèrent, ils virent un barbier, avec une savonnette et tout l'attirail du temps descendre tranquillement l'escalier. C'était Schulmeister. On l'arrête.

- Où est l'espion? Il doit être caché ici!

- Montez au premier, vous le trouverez grièvement blessé sur un lit, et il s'éclipse.

A Vienne il était en train de se faire raser dans une boutique de coiffeur, quand il vit les agents de police qui le filaient. Il se leva aussitôt, se débarbouilla en une seconde, donna un louis au coiffeur, et se sauva par une porte de derrière.

Ce qui le distinguait, c'était l'art de se grimer et de se travestir. Se donnant pour un prince allemand, il passa un jour la revue d'un corps d'armée autrichien et fournit, grâce à ce stratagème, des renseignements importants à l'État-major français. Une autre fois, travesti en intendant général autrichien, il assista à un conseil de guerre présidé par François II. Il avait donné un million à l'intendant dont il avait pris le nom et la place. Ce dernier fait est certifié par ses biographes comme rigoureusement authentique.

L'affaire de la reddition d'Ulm avait rendu le nom de Schulmeister définitivement célèbre et fit de lui un personnage jugé et étudié par les historiens. Rappelons sommairement les faits :

Le 6 octobre au matin le général autrichien Mack fit offrir à Napoléon la reddition d'Ulm qu'il était chargé de défendre, disant que son armée mettrait bas les armes le jour même et quitterait la ville, à condition de pouvoir se retirer en Autriche.

L'accord fut signé par Berthier et Mack, et le 20, l'armée captive défila devant l'Empereur. D'après l'ordre du jour daté d'Elchingen, le 20 octobre, Ulm a livré 25000 hommes, 8 généraux, 50 canons, 3.000 chevaux et 40 drapeaux.

Quel fut le rôle de Schulmeister dans cette affaire? D'une manière générale, les historiens aussi bien français qu'allemands reconnaissent l'intervention des espions français auprès de Mack.

Thiers mentionne de faux rapports adroitement dépêchés par Napoléon au général autrichien.

Von Bülow, qui écrivait le lendemain même de l'événement, prétend que Mack était convaincu le 13 que le 14 les Français effectueraient leur retraite, et fut confirmé dans cette opinion par l'espion que Napoléon avait gagné et que Mack s'imaginait servir ses intérêts dans l'armée française.

Ludwig Haüsser affirme que Napoléon dépêcha à Mack Schulmeister qui lui annonça la contre-révolution à Paris, le débarquement des Anglais, et la retraite de Napoléon.

L'enquête instituée par le gouvernement autrichien établit que Mack eut plus d'un entretien avec Schulmeister. Mack l'avait d'abord nié; il le reconnut plus tard, et avoua qu'il lui donna un passeport, qu'il l'envoya à Stuttgart pour s'informer si les Français battaient en retraite, et que celui-ci ne revint pas.

Les « Mémoires » de Fouché apportent sur le rôle joué par Schulmeister d'utiles précisions :

« Napoléon s'y prit à merveille pour désorganiser Mack qui se laissa pétrifier dans sa position d'Ulm. Tous ses espions furent achetés plus aisément qu'on ne pense, la plupart s'étant déjà laissé suborner en Italie, où ils n'avaient pas peu contribué aux désastres d'Alvinzi et de Wurmser. Ici, on opéra en plus grand, et presque tous les états-majors autrichiens furent moralement enfoncés. J'avais soumis â Savary, chargé de la direction de l'espionnage au grand quartier général, toutes mes notes secrètes sur l'Allemagne, et les mains pleines il les exploita vite et avec succès à l'aide du fameux Schulmeister, vrai Protée d'exploitation et de subordination. »

Schulmeister entra en relations avec le général en chef de l'armée autrichienne par l'intermédiaire d'un certain  Wend. On ne savait pas exactement d'où venait ce personnage, mais à en croire Mack dans son Mémoire justificatif qu'il publia plus tard, l'Archiduc Ferdinand, dès son arrivée à l'armée, l'avait installé comme chef de son service d'espionnage. Il paraît que Wend lui était recommandé par le Ministre de la Guerre. Toujours est-il qu'on lui donna le titre et les appointements de capitaine.

Ce chef du service d'espionnage semble avoir eu une méthode d'information assez singulière. Ainsi, le 15 octobre, au matin dans son rapport, le dernier adressé avant l'investissement, il ne disait pas un mot du blocus qui devait être effectué le même jour et affirmait au contraire que le pont de Gocklingen avait été rétabli dans la nuit, et que l'ennemi avait l'intention évidente de se retirer par ce pont sur Blanbeuren.

Il résulte du rapport envoyé par Schulmeister à Savary le 21 octobre que le « capitaine » Wend était purement et simplement un agent à la solde des Français. Ainsi le 19, il a une longue entrevue avec Schulmeister et lui communique des détails précis sur les opérations de l'armée autrichienne.

Un autre agent embauché par Schulmeister était le capitaine Rulzki qui dirigeait également un service de renseignements dans l'armée autrichienne.

Il en parle dans son rapport à Savary du 26 octobre 1805 :

« De cet officier je fus non seulement mis au courant du corps d'armée de Kienmager, mais encore de celle du général Kutuzow excepté les noms des régiments que je ne pouvais retenir ».

En même temps Schulmeister adressait à Savary la demande suivante :

« Vous pardonnerez ma liberté, mon général, si j'ose vous prier de me donner une mission plus importante que de voir les débris d'une armée battue.

« Je crois et j'espère, être d'une certaine utilité à Sa Majesté Impériale et Royale en me rendant à l'armée russe et de là à Vienne. Comme j'ai deux amis là, l'un inspecteur de la police, l'autre employé comme secrétaire au Conseil de Guerre de la Cour, je pourrai être instruit de bien des affaires qui seraient plus intéressantes que de connaître quelques bataillons de plus ou de moins. »

Tout ceci ne l'empêchait pas de rester auprès du haut com­mandement autrichien et de suivre l'armée en retraite. Il eut plusieurs conférences avec Kutuzow, il assista à des Conseils de Guerre, il se mêla même aux discussions qui eurent lieu au cours des séances, mais finalement sa conduite provoqua des soupçons.

Bientôt une voix s'éleva :

« Schulmeister est un traître et un espion. » Cette voix trouva un écho. Schulmeister fut arrêté et dirigé sur Vienne. Il était sur le point de passer par les armes quand l'approche des Français bouleversa tous les esprits dans la capitale de l'Autriche. Il fut confié à un détachement qui devait le conduire à Koniggratz et qui un jour le laissa partir en liberté après l'avoir roué de coups.

Les Français entrèrent à Vienne le 3 novembre. Schulmeister se présenta aussitôt chez son chef, le général Savary, et fut accueilli par lui à bras ouverts. On le croyait fusillé ou pendu.

Le grand espion prit sa retraite après la chute de l'Empire et se consacra dès lors à la gestion de sa fortune. Mais il ne fut pas heureux dans ses opérations financières. Une raffinerie de sucre à laquelle il s'était intéressé fit faillite. D'autres entreprises encore. Il finit par habiter Strasbourg en petit rentier, fréquentant peu de monde. Il était devenu le père Schulmeister très soigneux de sa personne, très correctement vêtu, aimable, poli, prévenant. Il vécut ainsi jusqu'à l'âge de 63 ans, et mourut paisiblement le 8 mai 1853.

(1) Karl Moor, le protagoniste des « Brigands ».

(2) Pièce d'Iffland qui avait été jouée à Vienne.

 

 

 

 
Haut de page
 

 

Tous droits réservés Enregistrer pour lecture hors connexion

Lire l'Article L.122-4 du Code de la propriété intellectuelle. - Code non exclusif des autres Droits et dispositions légales....

L'Article L122-5 créé par Loi 92-597 1992-07-01 annexe JORF 3 juillet 1992 autorise, lorsque l'oeuvre a été divulguée, les copies ou reproductions sous certaines conditions. ...,

Pour récapitulatif tous ouvagres présentés, voir également la page Liste par Auteur(s)