logofb

 

 
 
line decor
Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
line decor
 

 


 
 
 

 
 
PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
LES TRIBULATIONS D'UN OFFICIER DE MARINE de 1939 à 1946
 

Nous devons à l'un de nos camarades qui désire garder l'anonymat, ce récit de sa vie mouvementée depuis la débâcle de 1940 jusqu'à son retour en France, après être passé par toutes sortes d'aventures en Extrême-Orient. Ainsi fut-il recruté pour la DGER, par le Gouverneur Jean Sainteny et travailla-t-il huit mois pour ce service en Indochine en 1945.  

 

Agent occasionnel des Services Spéciaux en Indochine Pilote dans la débâcle

Au début de la guerre, en 1939, je suis Enseigne de Vaisseau de 2e classe (Sous-lieutenant) pilote dans l'aéronavale, à l'escadrille B3, basée à Berre, dont la mission est la protection des convois en Méditerranée et, éventuellement, en cas d'entrée en guerre de l'Italie, le bombardement de Gênes. Les avions, des bimoteurs, avaient fait la guerre du Rif et leur vitesse était de 180 km/h.

Ensuite, la Marine m'envoie à Avord, école de chasse de l'Armée de l'Air. C'était à partir de ce camp, près de Bourges, que partaient les bombardements français sur l'Allemagne, sur la Ligne Siegfried. En mai 1940, réaction allemande : un bombardement très sévère qui détruit la base et nous oblige à gagner Châtelaillon près de La Rochelle où je devais faire partie d'une escadrille que la Marine voulait former avec des avions de chasse américains très modernes.

Ces avions sont restés dans les caisses, sur le terrain de Rochefort. Une reconnaissance aérienne montre alors que les Allemands étaient dans Tours. Il fallait donc évacuer rapidement pour ne pas être capturés. Nous étions une douzaine d'officiers et cinquante sous-officiers pilotes.

Nous avons heureusement trouvé les camions abandonnés par les Anglais qui avaient embarqué précipitamment à La Palisse et n'avaient pu partir pour Dunkerque.

A Bayonne, nous avons bien trouvé un bateau, mais malheureusement, l'état de la mer obligeait à reporter l'embarquement pour l'Angleterre au lendemain. Dans la nuit, couchés sur le sol d'une école à Saint-Vincent-de Tyrosse, nous avons entendu passer les Panzer.

Effectivement, le lendemain tout le port était bloqué par les chars allemands. Pratiquement désarmés, nous n'avions plus qu'une chose à faire : fuir encore. Nous sommes arrivés à Bielle, en bas du col de l'Aubisque et envisagions de passer en Espagne pour essayer de gagner le Maroc. La frontière était à huit kilomètres.

Malheureusement, le 3 juillet les Anglais attaquent la flotte française qui avait réussi à s'échapper des ports de métropole et s'était réfugiée à Mers-el-Kebir, près d'Oran. Il y a 1.500 tués. Cela nous fait réfléchir. Nous renonçons à l'Espagne et gagnons Toulon.  

 

Vers l'Afrique sur un bananier

A Toulon, on m'offre trois postes : aller à Vichy et devenir chef d'un camp de jeunesse, être chef du ravitaillement ou commander une batterie côtière en Afrique du Nord. Ma femme attendait ma deuxième fille, il n'était pas question que nous partions pour l'Afrique du Nord. Ne me voyant pas d'avenir dans les deux autres postes proposés, j'envisage de démissionner de la Marine pour passer le brevet de Lieutenant au Long Cours à Marseille et entrer dans la marine marchande.

Je démissionne donc et embarque sur un bananier qui était en même temps un petit paquebot. Il faisait la ligne Casablanca, Dakar, Conakry... Jusqu'au moment où, en mai 1941, les Allemands ne veulent plus accorder de fuel. Le bateau doit être alors désarmé. Je permute alors avec un camarade qui souhaitait rester en France et qui servait sur un paquebot en partance pour l'Indochine, le " Cap-Tourane ".  

 

En route pour l'Indochine

Nous partons de Marseille le 6 mai 1941, vers Casablanca et Dakar puis nous passons très loin au Sud de l'Afrique, aux limites de la banquise, pour ne pas être capturés par les frégates anglaises. Nous arrivons à Madagascar au mois de juin et atteignons Saigon en juillet 41.  

 

Dans les prisons d'Indonésie

Comme il manquait un officier pour ramener en France un cargo appelé le Dupleix, j'accepte le poste.

Nous appareillons de Saigon mais en passant dans le détroit de la Sonde, dans la nuit, nous sommes arraisonnés par des bateaux de guerre hollandais. C'est ainsi que je me suis retrouvé à Batavia (aujourd'hui Djakarta).

La France Libre était représentée par un Belge de Singapour. C'était quelqu'un d'assez brutal. Il voulut me faire signer un contrat de mercenaire pour servir dans la défense anti-aérienne de Java, cela m'a révolté et je me suis retrouvé avec tous les autres officiers dans un camp d'immigration où étaient regroupées une cinquantaine de personnes de nationalités différentes, Hongrois, Yougoslaves, Autrichiens, etc..., des gens qui avaient réussi à s'échapper de l'Europe des dictatures.

Le camp était situé hors de Batavia. La guerre s'est rapprochée, Singapour est tombée aux mains des Japonais. Les Hollandais ont pris peur, ils nous ont mis dans un camp d'internement avec des barbelés et des gardiens en armes, où se trouvaient aussi, mais séparés de nous, les indépendantistes.

La guerre se rapprochait encore. Les Hollandais pensaient que nous n'allions pas prendre les armes à leurs côtés. Ils nous ont donc transportés sur l'Île de Noesa-Kambagan, qui se trouve à mille mètres de la côte. Pas question de s'évader, c'était plein de crocodiles.

On s'est retrouvé là, dans une cabane au toit de chaume, sans autre nourriture que du riz à manger avec les mains. C'était le bagne, un bagne prévu pour les indigènes.

Quand Java a capitulé, un Japonais est venu dans le camp et nous a" rapatriés ". Revenu à Batavia, j'y ai retrouvé les officiers du bateau et aussi un ancien camarade alors vice-consul qui était devenu le représentant officiel de la France, le consul général de France ayant été nommé à Bangkok.

J'ai donc " posé mon sac " au consulat général. Un jour, les Japonais ont arrêté les policiers français ; ils nous ont enfermés dans une prison chinoise du XVIIe siècle, une prison qui servait aux indigènes.

Heureusement le vice-consul prévint l'ambassadeur de France et en février 43, les Japonais ont accepté de nous rapatrier sur Saïgon. On nous a mis à fond de cale dans un bateau qui transportait les urnes contenant les cendres des soldats japonais tués lors du débarquement.

Nous avons fait escale à Singapour où nous avons été internés au Great Southern Hotel. Lorsque nous sommes passés en camion dans High-Street, il y avait des boutiques avec des Anglaises nues en vitrine pour les humilier... Enfermés dans l'hôtel, les Japonais ne nous donnaient rien à manger ; on avait un panier et une ficelle, on appelait le marchand de soupe chinoise, on jetait des pièces et on descendait le panier. On a passé une dizaine de jours à Singapour puis on est arrivé à Saïgon, accueillis comme des vedettes.  

 

Capitaine au Long Cours

L'amiral Decoux, gouverneur général de l'Indochine nommé par le gouvernement de Vichy, nous a reçus. Il m'a offert trois possibilités : redevenir officier de Marine, être chef de jeunesse en Annam, près de Bao-Daï ou bien chargé de l'Information-Propagande-Presse.

Dans la marine de guerre, il n'y avait plus grand chose à faire, cette marine était réduite à quelques bateaux. Quant aux deux autres postes, c'était très politique, Vichy était très présent. J'ai refusé et dit que je préférais revenir dans la marine marchande ; il y avait encore quelques bateaux mais personne ne voulait y aller à cause des risques.

Comme j'étais volontaire, je n'ai pas eu de mal à faire accepter mon choix. En contrepartie, j'ai demandé une faveur à l'Amiral Decoux : passer le brevet de Capitaine au Long Cours. Mon brevet en poche, j'ai navigué sur les bateaux de la colonie.

J'ai fait naufrage, au cap Saint-Jacques, en juillet 1943, sur le Tran-Hinh, abordé de nuit par un bâtiment japonais et j'ai pu être repêché par un bateau de guerre qui nous escortait.

Je passe sur d'autres bateaux et finalement je prends le commandement du " Tai-Poo-Seik " qui appartenait à une compagnie chinoise. Il avait fait auparavant la liaison entre l'Indochine et Macao. Ancien paquebot anglais doté de voiles, il faisait l'Australie en 1885, à la vitesse de seize noeuds. Il avait été très luxueux et possédait salons et cabines en bois de teck, mais sa coque en fer était attaquée par la rouille, Ce bateau était utilisé pour transporter sur Poulo-Condor les indésirables - malfaiteurs et autres - de l'Indochine.

En 1944, il a été bombardé et coulé dans le port de Saïgon. Je me suis retrouvé de nouveau sans bateau.

Par la suite, l'amiral commandant la marine de Saïgon me fait appeler pour me demander si j'étais volontaire pour monter une expédition par jonque chinoise afin d'aller ravitailler les îles Paracels au large de l'Annam, sur lesquelles était installée une station météo.

Il y avait là-bas un Français et du personnel qui n'avaient pas été ravitaillés et qui mouraient de faim. Il y avait aussi beaucoup de naufragés japonais des navires coulés par les Américains. C'était en mars 1945.

Mis à la disposition du Résident supérieur d'Annam, je monte au Tonkin avec un détachement. Le nord Annam et le Tonkin n'avaient pas assez de ressources pour nourrir la population. Il y eut 2.000.000 de morts au Tonkin au cours de cet hiver.

Nous voilà donc à Haïphong, je prépare l'expédition. Avant de partir, je devais aller voir l'Amiral Decoux, Gouverneur général de l'Indochine qui était à ce moment-là à Hanoï. J'avais rendez-vous avec lui le 10 mars 1945.

Le coup de force japonais Le 9 mars au soir, j'étais dans la base navale. Je m'étais mis en civil car j'avais été invité par un camarade qui commandait le dernier échelon de marins français. Nous avons été attaqués par les Japonais : tirs de mortiers, attaque à la baïonnette. Nous avions très peu de munitions. Celles-ci étant épuisées, je décide de partir.

Auparavant mon camarade me remet la caisse de la Marine qui contenait 30.000 piastres soit 300.000 francs de l'époque. Je réussis à m'échapper alors que lui est grièvement blessé près de moi.

J'ai appris plus tard que les Japonais lui avaient coupé la tête.

Après avoir sauté le mur, je tombe dans la nuit sur un poste japonais ; je suis plaqué au sol, baïonnette sur le ventre, et fait prisonnier. Dans ce poste de garde, ils se sont réjouis parce que j'avais la caisse de la Marine ; c'est peut-être ce qui m'a sauvé la vie. Ils m'avaient attaché à un poteau et se livraient à un simulacre d'exécution, faisant semblant de m'embrocher avec leurs baïonnettes tout en hurlant ou bien faisant mine de dégoupiller une grenade et de me la lancer.

J'étais dans un état second lorsqu'ils m'ont détaché du poteau. Je me suis retrouvé ligoté dans une paillote, dépossédé de tout sauf de mon alliance. Le Japonais qui me gardait l'apercevant voulut me couper le doigt, je réussis à lui faire comprendre de desserrer mes liens et la lui donnait. Pendant ce temps, la caserne principale de Haïphong s'était rendue.

Le Commandant du poste japonais vint me voir et m'apporta une boîte de confiture - je n'avais rien mangé depuis deux jours - Je lui fait comprendre dans un mélange d'anglais et de chinois que le soldat m'avait volé mon alliance. A ce moment-là, l'officier plonge la main dans sa poche et ressort des stylos, des montres, tout ce qui avait été piratés dans la nuit, et me remet mon alliance.

Respectueux de la hiérarchie : ils rapportaient au chef ! J'ai été ensuite conduit dans une cour d'école où ils faisaient le tri des militaires et des civils. Il y avait les femmes, les enfants. Ils avaient raflé tous les Européens.

J'étais en civil mais j'ai pensé qu'ils allaient découvrir que j'étais militaire ; ils étaient bien renseignés, entre autres par les Vietnamiens, et je me suis dit qu'il valait peut-être mieux être prisonnier de guerre. C'est comme ça que j'ai été interné avec les autres dans un camp de la région de Hoa-Binh.

La région de Hoa-Binh est très montagneuse, avec d'énormes grottes ; c'est là que les Japonais construisaient un réduit avec environ 50.000 hommes pour se défendre contre un éventuel débarquement américain au Tonkin destiné à les prendre à revers.

Cela a duré cinq mois mais avec les exécutions, les maladies (typhus, malaria, paludisme, etc...) et les privations jointes au travail forcé, un tiers de la centaine de personnes que comptait le camp est décédé.

Et puis un jour, le camp a été évacué. Les Japonais eux-mêmes nous ont transportés à bord d'un camion. Ce qui est cocasse, c'est que ce camion a été attaqué par le Viet-Minh dans la montagne et les Japonais nous ont défendus.

Les anciens prisonniers ont été regroupés à la citadelle d'Hanoï. Nous avons appris à ce moment-là que des bombes atomiques avaient été lancées, que le Japon avait capitulé et que l'Empereur avait donné l'ordre de se rendre.

Dans le camp où je me trouvais cet ordre a été respecté ; dans d'autres endroits ils ont exécuté tous les prisonniers. En sortant du camp, nous étions nu-pieds, sans chemise, vêtus seulement d'un short déchiré et nous étions dans un état de santé déplorable.

Les Américains m'ont réconforté physiquement par des piqûres et m'ont proposé de travailler avec eux. J'ai donc travaillé pendant quelques semaines en tant qu'officier de liaison pour enquêter sur les crimes de guerre commis par les Japonais, notamment à Lang-Son où des Français avaient été massacrés : femmes, enfants, tous avaient eu la tête coupée. Après ces quelques semaines, je suis revenu à Hanoï. Il n'y avait alors pour moi aucune possibilité de rentrer en France.  

 

Dans le renseignement

J'ai été contacté par Jean Sainteny qui était Commissaire de la République, nommé par le Général de Gaulle et en même temps délégué de la DGER en Extrême-Orient.

Sainteny, à la mi-septembre 1945 me demande si j'étais volontaire pour partir en baie d'Halong le représenter et essayer de récupérer un équipage fait prisonnier par le Viet-Minh. Après la capitulation des Japonais, Ho-Chi-Minh et ses bandes avaient occupé la baie d'Halong.

Le responsable français que j'allais remplacer, un administrateur des colonies, avait reçu une balle dans la tête au cours d'un accrochage avec le Viet-Minh. La mission avait aussi un aspect économique : pour réactiver les Mines et Charbonnages du Tonkin, il fallait des travailleurs, mais il y avait dans le pays une famine considérable.

J'étais chargé de faire monter du riz par bateau à partir de la Cochinchine pour nourrir ces gens et permettre la reprise du travail. Cette opération s'est faite avec l'accord d'Ho-Chi-Minh que j'ai rencontré à cette occasion.

Il la souhaitait, pour deux raisons : d'une part pour que les gens soient nourris, mais aussi parce que la réouverture des Charbonnages procurerait non seulement du travail mais également le charbon nécessaire au chauffage. C'était la seule énergie disponible au Tonkin.

Pour cette mission officielle, je suis allé à Haïphong à bord d'une voiture chinoise - c'est à eux que les Alliés avaient confié l'occupation du nord de l'Indochine - avec un Colonel chinois, quelques gardes et des mitrailleuses pour faire la route.

Ce ne sont pas les Français qui m'ont installé car à cette époque la souveraineté française n'était pas encore rétablie au nord du Viêt-Nam, alors qu'elle l'était partiellement au sud avec la complicité des Anglais.

Le Colonel chinois qui m'avait escorté lors de mon arrivée parlait bien le français. Nos rapports étaient cordiaux. Grâce à sa neutralité bienveillante, j'ai pu faire évader à bord d'une jonque 25 marins prisonniers des Viets. Résistants, ils avaient armé une jonque avant le coup de force des Japonais auxquels ils avaient échappé mais ils avaient été pris par les Viets à qui les Japonais avaient fourni des armes.

Les Chinois m'ont aidé dans l'accomplissement de ma mission. J'avais une double casquette : une mission secrète de renseignement : je correspondais grâce à une radio clandestine avec les militaires de Hanoï pour préparer le débarquement français au Tonkin. C'était une époque intermédiaire où les alliances et les rapports de force étaient flous.

Pour la radio clandestine, c'était compliqué. Personne, directeur, sous-directeur ou ingénieur français des Charbonnages du Tonkin ne voulait avoir ce poste chez lui. Il était chez le directeur adjoint mais il avait peur !

Ainsi, je suis resté en baie d'Halong jusqu'à la fin de l'année 1945 ; en effet la Marine d'Hanoï considérait que je n'avais plus rien à faire dans ces affaires secrètes. Elle avait besoin de moi et m'a demandé de rentrer. Je n'ai pas été remplacé.

Rentrer n'a pas été facile ; j'ai reçu l'ordre par la radio clandestine et il a fallu que je fasse le retour de nuit à bord d'un sampan parce qu'il y avait des Viets tout autour.

 

Débarquement à Haïphong

La marine avait besoin de moi pour aller chercher des bateaux à Singapour en vue d'un débarquement au Tonkin. Les Chinois refusaient de partir et s'opposaient au retour des Français. Donc je me suis retrouvé commandant d'un LST (navire de débarquement).

Le débarquement à Haïphong s'est fait en mars 1946 sans difficulté majeure. Après cela, j'ai pris passage sur un bateau de guerre, un escorteur, " le Sénégalais ", et je suis arrivé à Toulon le 6 mai 1946, cinq ans après mon départ, ce qui m'a permis de retrouver ma femme et de faire connaissance avec mes filles qui avaient déjà cinq et six ans.

 

 

 

 
Haut de page
 

 

Article paru dans le Bulletin N° 186

Dépot légal - Copyright

Enregistrer pour lecture hors connexion.

Toute exploitation, de toute nature, sans accords préalables, pourra faire l'objet de poursuites.

Lire l'Article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle. - Code non exclusif des autres Droits et dispositions légales....