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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
LES BALKANS D'HIER ET D'AUJOURD'HUI - Mythes et réalités
 

Par le Capitaine de Frégate (H) Henry BOGDAN  

Parler des Balkans est une opération à haut risque. Les Balkans sont un sujet explosif. D'ailleurs ne parle t'on pas de la poudrière des Balkans ? Pourtant, l'actualité est là qui nous sollicite. Les événements qui se sont déroulés depuis 1991 dans l'Ex-Yougoslavie et récemment encore au Kosovo ont suscité des polémiques dues en grande partie à notre méconnaissance de la région.

Quand on parle des Balkans, l'irrationnel et le sentimental l'emportent souvent sur la réalité objective des faits. Pour mieux comprendre la problématique des Balkans, nous devons faire table rase d'un certain nombre de dogmes et j'emploie ce terme à dessein, car la répétition incessante de certaines affirmations souvent inexactes en a fait des vérités sacro-saintes. Il faut savoir renoncer à certains mythes.

Première contre-vérité. Les Balkans seraient une région où les populations sont tellement mélangées et imbriquées les unes dans les autres qu'il n'est pas possible d'y tracer des frontières ethniquement justes. Or, on a extrapolé à partir de situations ponctuelles, alors que dans la plupart des cas, les ethnies sont généralement homogènes et groupées en masse compacte, souvent à proximité de leurs frères de race dont une frontière, fruit d'un compromis entre des Grandes Puissances étrangères à la région, les en sépare. Les Albanais, par exemple, forment une masse homogène même s'ils relèvent d'au moins trois États, l'Albanie, la Serbie et la Macédoine, sans parler des Albanais du Monténégro et du nord de la Grèce. Les frontières politiques qui les séparent sont purement artificielles.

Deuxième contre-vérité. On a souvent parlé de guerres de religion à propos des conflits actuels dans les Balkans, c'est une vision réductrice et simplificatrice de la réalité. Certes, l'espace balkanique se partage en trois confessions. A côté d'une majorité de chrétiens orthodoxes (Grecs, Bulgares, Roumains, Macédoniens et Serbes), on trouve une minorité importante de catholiques romains (Croates, Slovènes, quelques Serbes et aussi quelques Albanais - Mère Theresa était une Albanaise de Macédoine) et aussi des Musulmans (40 % des habitants de la Bosnie-Herzégovine, 70 % des Albanais et quelques îlots turcs en Bulgarie et en Serbie). A propos de la Bosnie, on a évoqué une guerre entre les musulmans et les chrétiens orthodoxes, mais les chrétiens orthodoxes n'ont pas hésité à combattre d'autres chrétiens, mais catholiques. Et à plusieurs reprises au cours de ce siècle, Serbes et Bulgares, bien que tous deux orthodoxes, se sont affrontés dans des conflits meurtriers.

En réalité, dans les conflits de l'Ex-Yougoslavie, la religion fut utilisée comme une justification morale de la guerre, alors qu'il s'agissait essentiellement d'un conflit entre le centre - la Serbie - et les républiques périphériques, entre le national-bolchevisme des hommes au pouvoir à Belgrade et ceux qui avaient rejeté le système communiste.

Troisième contre-vérité enfin. Lors de l'intervention de l'OTAN au Kosovo, d'aucuns ont invoqué la traditionnelle amitié franco-serbe ou franco-yougoslave pour condamner cette action militaire tout comme en 1990-1991 ils avaient tenté d’empêcher la décomposition de la Fédération yougoslave. Lorsque l’on examine objectivement les événements, force est de constater que la fameuse amitié franco-serbe ou franco-yougoslave fut à sens unique et que la France ne fut guère payée en retour.

La véritable amitié repose en effet sur la réciprocité des gestes et des sentiments. Or, que constatons-nous ?

C'est le sang versé par les Poilus d'Orient qui a sauvé la Serbie de la catastrophe au cours de la Première Guerre Mondiale et c'est la diplomatie française qui a permis à la petite Serbie de tripler son territoire et de devenir sous le nom de Yougoslavie une grande puissance en Europe balkanique. Mais en 1939-1940, lorsque la France aurait eu besoin de l'aide de ses amis yougoslaves, les dirigeants de Belgrade entretenaient d'excellentes relations avec le IIIe Reich à qui ils fournissaient des produits stratégiques tirés des mines de Bor, que les investisseurs français avaient mis autrefois en valeur.

Quant à la Résistance yougoslave, celle des tchetniks du Général Mihajlovitch, elle avait pour but la restauration de la Grande Serbie, et celle de Tito, elle visait surtout à faire de la Yougoslavie un État communiste dont l'une des premières mesures fut en 1945-1946 la nationalisation des biens étrangers, y compris ceux des amis français.

Plus tard, pendant la guerre d'Algérie, chacun sait que les armes fournies au FLN par les pays de l'Est transitaient par la Yougoslavie et étaient transportées en Afrique du Nord grâce aux bateaux et nos amis yougoslaves.

 

Étrange conception de l'amitié qui devrait nous libérer de nos complexes. Tels sont les mythes complaisamment entretenus depuis plus de 70 ans. La réalité des Balkans est pourtant relativement simple à décrire. Les Slaves y sont majoritaires (Croates, Slovènes, Serbes, Bosniaques, Musulmans, Bulgares, Macédoniens), mais on y trouve aussi les Grecs et les descendants des anciens Illyriens comme les Albanais et les Roumains, ceux-ci ayant été fortement latinisés avant leur installation dans leur habitat actuel.

Les Slaves installés dans les Balkans à partir du VIIe siècle, furent christianisés à partir du VIIIe siècle, ceux de l'Ouest, Croates et Slovènes, par des missionnaires venus d'Allemagne et d'Italie et sont demeurés fidèles à l'Église romaine, ceux de l'Est, les plus nombreux, Serbes, Bulgares, Macédoniens et Albanais par les disciples de Cyrille et de Méthode et suivirent les Grecs lors de la rupture avec Rome en 1054 et sont demeurés orthodoxes.

Tandis que les Slovènes furent incorporés au Saint-Empire germanique et que les Croates furent associés à la Hongrie dans le cadre d'une union personnelle, tous les autres peuples des Balkans furent sujets de l'Empire byzantin, même si les Bulgares et les Serbes parvinrent à se constituer pendant de courtes périodes en États indépendants ( « l'Empire bulgare " au XIIIe siècle, la Grande Serbie d'Étienne Douchan au milieu du XIVe siècle) à la faveur d'un affaiblissement de Byzance.

L'entrée en scène des Turcs aux XIVe - XVe siècles mit fin à la domination de Byzance sur les Balkans et plaça tous les peuples de la région sous l'autorité de l'Empire ottoman. Une partie des habitants se convertirent à l'Islam par opportunisme, la plupart des Albanais, une partie des Bosniaques. La domination ottomane perdura jusqu'au début du XIXe siècle.

L'affaiblissement de l'Empire ottoman et la pression des Grandes Puissances permirent aux Serbes, aux Grecs, aux Roumains, aux Bulgares et enfin aux Albanais de s'émanciper et de constituer des États-Nations dont les frontières furent souvent le résultat de compromis et de marchandages entre les Grandes Puissances en fonction de leurs intérêts économiques et stratégiques, sans tenir compte des données ethniques.

Deux peuples furent les grandes victimes de ce partage des dépouilles de l'Empire ottoman, les Macédoniens et les Albanais.

La Macédoine fut partagée entre la Grèce et la Serbie, au grand dam des Bulgares qui considéraient que les Macédoniens étaient des Bulgares tandis que les Serbes voyaient en eux des frères de race. Quant aux Grecs, ils revendiquaient la Macédoine au nom de l'Histoire... oubliant sans doute que Démosthène en son temps avait dénoncé l'impérialisme macédonien. Quant à l'Albanie devenue indépendante en 1912, les frontières qui lui furent attribuées par la conférence des Ambassadeurs tenue à Londres, laissaient hors du nouvel État 40 % des Albanais qui se retrouvèrent sujets de la Serbie (Kosovo, Macédoine occidentale).

Tous ces jeunes États balkaniques devenus pour la première fois de leur histoire pleinement souverains voulurent tous être des États-nations mais à côté de la population majoritaire on y trouvait des minorités nationales systématiquement opprimées (Albanais en Serbie, Bulgares en Roumanie, Macédoniens en Grèce et en Serbie).

Les traités de 1919-1920 compliquèrent la situation en augmentant sensiblement le nombre des minorités nationales (Hongrois et Allemands en Transylvanie devenue roumaine ; Hongrois, Allemands, Slovaques et Roumains en Voïvodine devenue serbe). On créa une grande Yougoslavie dans laquelle la Serbie exerça aussitôt une hégémonie puissante sur les Croates et les Slovènes. Ces peuples catholiques et occidentalisés, qui avaient vécu pendant des siècles au sein de la monarchie des Habsbourg qui était un État de droit, furent soumis du jour au lendemain à un pouvoir serbe de type balkanique, dans le mauvais sens du mot.

Au cours de la Seconde Guerre Mondiale, les antagonismes nationaux furent habilement exploités par l'Allemagne hitlérienne et toute la région fut le théâtre d'exactions, de violences de toutes sortes, de massacres encore présents dans toutes les mémoires et dont tous les peuples sans exception furent à la fois auteurs et victimes.

Après 45 ans de dictature communiste, les peuples des Balkans sont redevenus maîtres de leur destin mais les souvenirs et les frustrations du passé sont toujours présents surtout dans l'Ex-Yougoslavie.

Lorsqu'en 1990, les peuples de Yougoslavie purent s'exprimer, la plupart d'entre eux se prononcèrent pour l'indépendance. Mais les rancoeurs accumulées pendant des décennies par les " peuples dominés " et le refus de l'ancien pouvoir dominant de tenir compte de la volonté des peuples ont fait des Balkans un nouveau foyer de tension que l'ensemble de la communauté internationale (ONU, OSCE, OTAN) tente de maîtriser.

Les États des Balkans sont des constructions politiques récentes dont les peuples ont été pendant de longs siècles des peuples sujets de grands Empires. Leur indépendance qui remonte au siècle dernier fut difficile à gérer car il n'existait pas sur place de tradition démocratique.

C'est par l'établissement de véritables régimes démocratiques que le monde balkanique pourra sortir de la crise actuelle, se stabiliser, " s'européaniser ".

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 184

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