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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
LA VIE SIMPLE D'UNE MISSION T.R. DE LIAISON EN FRANCE OCCUPÉE
 

Par le Commandant RIBOLLET

Il y a deux ans, lors d'un anniversaire de la mort de son ami le Colonel Boffy, j'avais demandé ( Ndlr : Paul PAILLOLE ) à Ribollet de confier à notre bulletin un épisode de son action résistante en compagnie de notre héroïque camarade. Il avait manifesté une certaine réticence, peu enclin à revenir sur le passé et surtout trop modeste pour parler de lui. Devant mon insistance, il nous avait adressé l'exposé de sa mission en France occupée d'où ressortait essentiellement la personnalité de Boffy.

Je me proposais de l'inviter à reprendre sa copie pour faire preuve de plus d'objectivité à son égard lorsque je me suis rendu compte que son état se dégradait et qu'il était inconvenant de solliciter de sa part un nouvel effort de rédaction.

Il nous a quittés, discrètement, en janvier dernier J'ai pensé que ce serait honorer sa mémoire que de publier ce récit, un peu décousu, mais d'où ressort avec une émouvante simplicité, le courage et la foi patriotique de deux amis unis dans leur volonté de servir la France.

C'est aussi une leçon d'Histoire, cette fois authentique, sans grandes phrases, ni tentatives de séduire ou de plaire.  

UNE MISSION EN FRANCE OCCUPÉE

René Boffy partit d'Alger avec moi fin mai 1943, à bord d'un transatlantique de la Marine néerlandaise, appelé le Johan Van Goldenbarnevelt. Ce bateau faisait partie d'un convoi qui se rendait en Angleterre. Dans les cales se trouvaient enfermés les prisonniers de l'Armée Von Arnhim, qui avaient été capturés vers la mi-mai à Medjez El Bad et Pont du Fahs en Tunisie.

Une puissante escorte accompagnait les navires, notamment le porte-avions Ark Royal, qui avait déjà été déclaré coulé en Norvège, en mai 1940 à Harstadt, par les Allemands. Le convoi se dirigea sur Gibraltar et piqua sur le Nord-Ouest alors que les avions embarqués rayonnaient largement autour de lui. Des sous-marins allemands furent signalés et les navires de l'escorte grondèrent. L'effet fut assez surprenant, car à bord des navires de convoi, on avait l'impression d'avoir été touchés.

L'ensemble passa assez loin de l'Irlande et faisant demi-tour s'arrêta à Liverpool. Les prisonniers furent débarqués et manifestèrent leur refus de revêtir la veste qui portait sur le dos deux immenses lettres P.O.W. (Prisoner of War). Les militaires britanniques y mirent rapidement bon ordre.

Les 5 officiers envoyés en renfort du T.R. jeune en France, René Boffy, Vellaud, Heusch, Hannequin et moi-même, furent accueillis par deux officiers anglais en civil. Ils nous emmenèrent déjeuner dans un restaurant de la ville, puis nous remirent nos billets pour Londres et nous accompagnèrent à la gare.

A Londres, nous étions attendus par des camarades de l'I.S. qui nous conduisirent dans nos hôtels, sans passer par Patriotic School, tant était grande la confiance entre services français et britanniques et dès le lendemain, l'entraînement commença.

C'est ainsi que nous fîmes la connaissance de Green dit l'oncle Tom, de Humphris qui nous demanda des nouvelles du Commandant Perroquet :" Vous voulez sans doute parler du Commandant Perruche " lui fut-il répondu :" Ah oui ! Perruche, c'est bien lui " répliqua Humphris. Il lui fut confirmé que le Commandant Perruche était resté en France.

Puis ce fut l'instruction : parachutisme, Lysander (petit avion qui se posait et repartait des territoires occupés avec le courrier et deux passagers) et l'exposé de précautions fait par le Major Witney, qui décrivit des cas concrets d'agents des Services Spéciaux en territoires occupés. C'est ainsi qu'à titre d'exemple et pour vérifier notre instinct de prudence, Witney nous faisait suivre dans Londres. Nous n'avions pas le droit de nous retourner. Il fallait utiliser les vitrines, et en faisant semblant de regarder les objets exposés, vérifier si nous n'étions pas suivis. Le lendemain, il nous fallait donner à Witney le maximum de détails sur nos suiveurs, couleur du costume, rasé ou portant la barbe, couleur des chaussures, etc... Travail amusant et instructif qui complétait les notions de précautions que nous avions acquises déjà à Alger.

Puis ce fut Ringway où eut lieu l'entraînement parachutiste, Semeshon où nous fîmes la connaissance des Lysander, des vols, des camouflages et des parachutages. Après deux mois et demi d'instruction intensive, René Boffy fut parachuté le 15 août 1943 au Bouchaud à la limite des départements de l'Allier et de la Saône-et-Loire, vers minuit. Il coucha dans l'auberge du pays et repartit le lendemain sur Roanne où il avait rendez-vous avec le Capitaine Schaler, un camarade d'une cinquantaine d'années, qui avait été déposé dans la région quelques semaines plus tôt, venant d'Angleterre, par Lysander.

Le Capitaine Schaler, issu du réseau Kléber, était un homme remarquable qui avait établi dans les départements de l'Ain, du Rhône et de la Saône-et-Loire, un réseau de renseignements de premier choix, entre juillet 1940 et novembre 1942, c'est-à-dire à l'époque de la zone libre.

René Boffy se dirige donc sur le Côteau, banlieue de Roanne. Il se renseigne et apprend qu'un tramway fait la rotation entre Roanne et le Côteau. Il monte dans le tramway et découvre Schaler qui debout à proximité du wattman regardait devant lui la marche de l'engin. Il s'approche de lui, tape sur son épaule en disant: " Bolice allemande, fos papiers s'il vous plaît ". Schaler tressaute, se retourne, reconnaît Boffy et éclate de rire.

Le terrain où s'était posé Boffy ainsi que l'auberge où il avait dormi avec le comité de réception, étaient l'oeuvre de Schaler. Le terrain où, quelques jours avant, Le Peich dit " Laprune " s'était posé et où furent camouflées durant quelques jours les armes et les munitions apportées par lui pour être remises à Lheureux, - c'était aussi Schaler. Le transport de toutes ces armes et munitions fut assuré par M. Paul Gignoux, futur Conseiller général du département du Rhône, pilote de réserve de la guerre 1914-1918, officier de la Légion d'Honneur, recruté depuis 1941 par Schaler.

Après avoir pris contact avec nos camarades du réseau " T.R. jeune " et notamment son chef Vellaud, René Boffy organisa pour le dernier dimanche d'août 1943 une réunion à Montluçon à l'Hôtel Terminus, où le gérant, M. Combanaire reçut discrètement Vellaud, Jean-Louis Vigier, Hannequin, Mme Rouyer, Mourier et moi.

Selon les ordres du Commandant Paillole, notre réseau devait s'efforcer de prendre contact avec le Général de Lattre pour faciliter son évasion vers l'AFN. Le repas fut servi par M. Combanaire dans une salle isolée où peu après le gérant fit entrer discrètement le gardien-chef de la prison de Riom.

Boffy lui déclara que nous nous mettions à la disposition du Général de Lattre pour le délivrer. Le gardien-chef fut invité à donner la réponse du Général à M. Combanaire. Cette réponse lui fut donnée quelques jours plus tard. Elle était la suivante :" Je vous remercie, je me débrouillerai tout seul ". Ce fut une déception.

Boffy et moi nous rejoignirent Verneuil à Roanne et d'accord avec lui nous fîmes l'un et l'autre le tour des Anciens du T.R. pour ramasser un abondant courrier. Boffy se rendit à Besançon où il devait retrouver notre camarade le Lieutenant de Vaisseau Le Henaff que nous avions revu à Londres. Nous devions lui remettre des fonds et des instructions du Commandant Paillole.

Nous étions en novembre ou décembre 1943. La gare de Besançon était " nettoyée ". Le train de Rommel s'y était arrêté. L'aviation alliée l'avait bombardée mais trop tard, le train n'était plus là et la gare était une ruine. Vellaud était parti à Lyon installer le poste T.R. jeune d'Heusch.

Notre mission terminée, Boffy envoya un message à Londres pour obtenir un Lysander. Hélas des " casses " étaient intervenues et il fallait attendre. Désoeuvrés, un soir, un grand repas d'une dizaine de personnes nous fut servi sous les auspices de Le Henaff (Fan-Fan était son surnom).

C'était à la fois comique et inquiétant. Officiellement nous étions une équipe de footballeurs étrangers venue disputer une coupe dans la région. En réalité c'étaient des pilotes alliés descendus et cachés chez les paysans. Il y avait quelques Canadiens français, qui eux étaient sans problème, mais les autres ne connaissaient que quelques mots de français. Ils se taisaient et laissaient parler leurs camarades. Un monsieur entre deux âges était le " délégué " qui organisait les futurs matchs... Le repas fut excellent et l'ambiance bonne. Fan-Fan y mettait de la bonne humeur.

Tout cela n'était pas sans nous inquiéter. Faute de Lysander, Boffy et moi revinrent à Paris pour adresser un message au Colonel Paillole et lui demander son accord pour rentrer sur Alger avec le courrier, en passant par l'Espagne. La réponse fut oui et début janvier 1944, nous quittions Paris en direction de Perpignan.

A la hauteur de Narbonne on frappa à la portière. " Bolice allemande, fos papiers " : c'étaient des vrais ! Il y avait dans notre compartiment trois autres voyageurs qui se rendaient à Perpignan pour y jouer " Prince de mon coeur ". Un grand costaud portant une moumoute semblait la vedette de la troupe. C'était Reda Caire, curieux personnage qui parlait d'une façon " précieuse et ridicule ".

Les contrôleurs allemands en civil et au nombre de deux barraient la portière. Ils ramassèrent les cartes d'identité. Celui qui paraissait le chef regarda Reda Caire puis la carte, et lui dit :" Vous êtes né à Peyrout ". " C'est exact, répondit l'autre, et alors ? ". " Vous êtes né à Peyrout ? ". Reda Caire se fâcha et dit :" Oui, je suis né à Beyrouth, mon nom de théâtre est Reda Caire. Je suis mondialement connu. » L'allemand, interloqué, rendit les cartes d'identité, persuadé que nous faisions partie de la troupe.

Arrivés à Perpignan, nous prîmes deux chambres dans le quartier de la Loge et le lendemain nous nous rendîmes chez la belle-soeur de Raymond Botet qui tenait un commerce d'espadrilles. Rendez-vous fut fixé pour le lendemain dans la gare de Perpignan avec Raymond Botet.

Il était en uniforme, et n'était donc pas difficile à reconnaître. La zone interdite commençait à Villefranche-de-Conflent et il fallait changer de train pour se rendre à Saillagouse. L'autre train était juste sur le quai d'à côté. Nous nous précipitâmes dans le fourgon à bagages, Botet se tenait quant à lui devant la porte qui menait au fourgon. Un policier allemand vint dans le wagon, le contrôla et repartit.

Arrivés à Saillagouse, nous quittâmes le fourgon à bagages mais le policier allemand nous aperçut. Il nous héla tandis que le train reprenait de la vitesse mais ne pensa pas à tirer le signal d'alarme. Nous passâmes devant le contrôleur déjà prévenu et nous rejoignîmes Botet.

Nous fîmes connaissance de Mme Botet et le lendemain nous partîmes avec les passeurs. Au moment du départ Mme Botet nous remit un paquet en nous disant :" Prenez, vous en aurez besoin là-haut " en montrant le sommet de la montagne. C'était un lapin qu'elle avait tué et qu'elle avait fait cuire pour nous dans la nuit.

Nous avions trois passeurs : les deux frères Mass et leur père, un chien, de taille moyenne et fort intelligent nous accompagnait. Il s'arrêtait dès qu'il avait repéré des douaniers allemands et leurs chiens.

Ce passage de Saillagouse à Ripoll en Espagne, en plein début janvier, par des températures allant jusqu'à -20° C, en passant le plus haut possible à cause des gendarmes allemands, fut une épreuve atroce. A certains endroits il y avait 1,20 m de neige glacée qui parfois cédait et nous obligeait à ressortir les jambes gelées. Le chien fut formidable, il nous encourageait.

A un moment, nos passeurs s'arrêtèrent pour nous montrer sous la neige le corps d'un homme qui fuyant les Allemands était tombé mort d'épuisement.

Ce fut enfin le versant espagnol et la descente sur une terre pratiquement sans neige. Nous approchions de Ripoll. Les guides alors nous dirent :" on ne va pas plus loin, mais nous allons vous confier à une femme très bien qui achètera vos billets en argent espagnol ". Nous avons alors fait une pause, pas fâchés de nous reposer après l'épuisante traversée des Pyrénées.

Un de nos guides revint avec une femme d'un certain âge, d'une extrême habileté qui nous prit en charge pour poursuivre notre route. Il était environ 6 heures du matin lorsque nous arrivâmes en gare de Ripoll. Il faisait nuit.

Nous avions donné de l'argent français à la femme qui alla acheter nos deux billets pour Barcelone. En même temps nous lui avions remis le sac qui contenait le précieux courrier recueilli en France en lui donnant de l'argent pour le remettre au Consulat de Grande-Bretagne à Barcelone à notre camarade " Camille ". Ce qu'elle fit avec ponctualité.

Un guardia civil s'approcha de nous et nous demanda en espagnol nos papiers. Nous posâmes nos sacs tyroliens par terre. Comme il faisait nuit, le guardia civil nous fit entrer dans la Lampisteria qui était éclairée où il nous déclara qu'il nous arrêtait. Puis il téléphona et au bout d'une demi-heure un policier en civil arriva.

Il parlait un français impeccable. Il ouvrit le sac tyrolien qui contenait nos effets ainsi que des flacons de parfum destinés à l'Afrique du Nord. Il nous déclara que le guardia civil affirmait que nous possédions deux sacs, et que les douaniers saisiraient les flacons de parfum. Le guardia civil partit continuer son travail de surveillance et le policier ayant demandé une camionnette par téléphone nous fit monter dedans, prit les flacons de parfum, et nous souhaita bonne chance.

La camionnette qui était accompagnée par deux gardiens nous déposa à la prison de Figueras où nous restâmes 24 heures. Après ce fut la Carcere modelo de Barcelone, puis la prison de la Préfecture, enfin par le train nous nous rendîmes à Saragosse accompagnés par deux gendarmes sympathiques.

Après quelques jours passés dans la prison de Saragosse, nous fûmes dirigés sur le camp de Miranda Del Ebro. Près de trois mois après nous être évadés de France, nous étions à Gibraltar grâce à l'intervention de Monseigneur Boyer-Mas alerté par le Commandant Paillole. Quelques jours après nous étions à Alger.

* Partis de la D.S.M. le 20 mai 1943, nous étions de retour en janvier 1944, conscients d'avoir rempli nos missions de liaisons avec les réseaux T.R. et heureux d'avoir sauvé un courrier dont le Patron eut la gentillesse de nous dire qu'il renfermait des documents secrets d'une importance essentielle en vue du débarquement libérateurs.

 

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 177

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