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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
ROGER LAFONT UNE GRANDE FIGURE DU CONTRE-ESPIONNAGE FRANÇAIS (2)
 

Introduction du Colonel Paul PAILLOLE

" La Saga VERNEUIL " (2) , par le Colonel Paul BERNARD

Qui mieux que nombre des membres de notre Association pourrait apporter le témoignage d’événements vécus ou le fruit de leurs recherches, cette rubrique leur est ouverte sans exclure évidemment les signatures qui voudront bien nous confier leurs travaux. 

Dans le Bulletin N° 155 du 3° trimestre 1992, nous avons publié les souvenirs du Colonel Bernard qui fut l’un des plus intimes collaborateurs du Colonel Roger Lafont, le prestigieux Verneuil, chef de notre réseau de Contre-espionnage clandestin (T.R.) d’août 1942 à 1945, puis patron incontesté et respecté du Service 23 du S.D.E.C.E.

Sous le titre « La Saga Verneuil », le Colonel Bernard expose les conditions difficiles dans lesquelles Lafont prit la tête de notre réseau de C.E. et l’œuvre accomplie avec une maîtrise exceptionnelle.

Cette maîtrise était, certes, inspirée par une nature pondérée, prudente, douée d’un instinct infaillible et d’une force de caractère peu commune, mais aussi par une expérience de la recherche et de l’espionnage, acquise bien avant la 2e guerre mondiale. Sa technique du Contre-espionnage rodée face à l’Abwehr dans les années trente, valurent à Lafont une  réputation « flatteuse » Outre-rhin mais aussi un dossier épais de la police allemande concluant au danger qu’il représentait et à la nécessité de le neutraliser. 

C’est cette antériorité dans le métier, que le Colonel Bernard évoque pour nous, avec toute l’admiration et le respect qu’il porte à son ancien patron.

Cette évocation vient à son heure pour tirer de l’oubli non seulement une grande figure de Soldat, mais aussi les enseignements de l’Histoire en matière de Sécurité et de Renseignement.

 

« LA SAGA VERNEUIL » ( suite et fin )

par le Colonel Paul BERNARD

 

LES ORIGINES DE MA VOCATION POUR LE C.E.

J’ai fait la connaissance du Colonel Lafont alors que, sous le pseudonyme de « Capitaine Bernard », il commandait, à Forbach, une antenne de notre Poste S.R. de Metz.

C’était au début de 1932.

A cette époque les Allemands essayaient de voler, à Saint-Avold où je tenais garnison, des fusils-mitrailleurs du modèle récemment adopté par l’armée française (F.M. 27-29).

C’était la première fois qu’il m’était donné de voir opérer les Services Spéciaux français et leur maestria m’avait beaucoup frappé. C’est parce que j ‘avais eu en cette occasion la preuve de leur efficacité que j’ai sollicité l’honneur de les rejoindre lorsque je me suis rendu compte, en novembre 1940, qu’une poursuite efficace de la lutte contre les Allemands ne pouvait se concevoir que dans le cadre d’un organisme clandestin solidement structuré. Or, à l’époque, de tels organismes n’étaient pas nombreux il n’y avait encore ni maquis, ni O.R.A. et les réseaux de renseignement d’obédience gaulliste démarraient à peine. Je devais choisir entre les 3 seuls organismes déjà lancés dans la Résistance que je pouvais facilement toucher:

— Services Spéciaux Militaires (réseaux clandestins S.R. et C.E.)

— Services de Camouflage du Matériel (C.D.M.)

— Réseau britannique du Commandant Maurice Buckmaster (réseau auquel s’était inscrit un de mes anciens camarades de la I° demi-brigade de Chasseurs).

 

Mon choix des Services Spéciaux français était d’autant plus normal que j’avais eu la chance, fin août 1940, d’aider un des officiers de T.R. 112, le Capitaine Rigaud à recruter d’excellents agents.

J’avoue que ce choix était également inspiré par le souvenir précis que j’avais gardé de mon premier contact avec Lafont et de ses méthodes de travail à l’occasion de l’affaire des F.M. de Saint-Avold.

C’est cette affaire, très révélatrice de la maîtrise de Lafont que je vais conter. 

Saint-Avold est une petite ville de la frontière franco-sarroise située à 43 kms à l’est de Metz (la plus grosse garnison de France).

La localité est en plein bassin houiller lorrain, à cheval sur la Rosselle (affluent de la Sarre), à l’orée sud de la forêt de Warndt. C’est un nœud routier important et, de 1870 à 1939, la ville a toujours comporté une garnison nombreuse : environ 2.000 hommes pour une population civile de 6.000 âmes.

 

L’AFFAIRE DE SAINT-AVOLD : 1er  EPISODE - 1932

Nous sommes début 1932. Un certain samedi, vers la fin de la matinée, mon bataillon reçoit du Ministère de la Guerre un télégramme chiffré. C’est un événement tout à fait exceptionnel. A ma connaissance c’est la 1ere fois qu’un tel fait se produit depuis mon arrivée en 1930, au bataillon.

L’officier-chiffre du bataillon n’est pas à Saint-Avold et son remplaçant n’a que des notions sommaires de l’emploi des codes. La traduction en clair du rébus qui nous était proposé ne fut pas un modèle de rapidité.

Le sens général du message était suffisamment éloquent (et inquiétant) pour que je n’en ai rien oublié:

a) Vérifier immédiatement que tous les F.M. sont toujours à leurs places dans les armureries des compagnies.

b) Mettre en place, jusqu’à nouvel ordre, dans chaque armurerie, une garde de deux hommes, armes approvisionnées. 

La Vérification prescrite fut, naturellement, exécutée immédiatement (l’armement était au complet partout) et les sentinelles furent mises en place.

Dans le courant de l’après-midi notre Chef de Corps, qui avait dû recevoir des instructions plus complètes, nous précisait que rien ne devait déceler, à l’extérieur, les mesures de précaution prises dans les casernements. En particulier, pendant la nuit, l’éclairage des bâtiments serait le même que d’habitude; les armureries, en particulier, seraient éteintes et les sentinelles relevées toutes les heures, veilleraient dans l’obscurité. 

Notre puissant dispositif défensif n’eut pas à attendre « l’ennemi » bien longtemps.

Dès la nuit suivante, vers 1 heure du matin, il y eut un bref hourvari à proximité du bâtiment occupé par la 2e Compagnie (la mienne) dans l’espace du 2 ou 3 mètres qui séparaient la clôture du quartier des locaux d’habitation. Quelques instants plus tard, on entendit démarrer une auto. 

Le Sergent qui commandait cette nuit-là le Poste de Garde du Quartier rendit compte, le jour venu, de ce qui s’était passé.

« Conformément à des consignes reçues directement du Chef de Corps, samedi vers 19 heures, le Chef de Poste a laissé pénétrer au Quartier, vers 23 heures, une voiture de la Gendarmerie à bord de laquelle se trouvaient un Adjudant-chef de l’Arme et 5 ou 6 gendarmes. La voiture avait été garée derrière le Poste de Police, près du P.C. de la Demi-brigade (Nous habitions une ancienne caserne allemande dotée, comme toutes ses sœurs, d’un Mess des Officiers (Kasino), composé d’un pavillon entouré d’un petit jardin isolé du reste de la caserne par des haies et des charmilles. C’est dans ce “ Kasino “ que le Colonel commandant la Demi-brigade avait installé ses Bureaux.

Après avoir camouflé leur voiture, les gendarmes sont allés tendre une embuscade près du bâtiment affecté à la 2e Compagnie. Vers 1 heure du matin cette embuscade a intercepté 2 civils qui, après avoir escaladé la clôture du Quartier s’apprêtaient à forcer la fenêtre (barreaudée) de l’armurerie de la 2e compagnie. Les prisonniers, menottes aux mains ont été embarqués dans la voiture de la gendarmerie et cette dernière est immédiatement partie pour une destination inconnue du Chef de Poste. Conformément aux consignes reçues, ce dernier a sur le champ, rendu compte, par téléphone, au Chef de Corps, du succès de l’embuscade. »

Dans le courant de la matinée, nous reçûmes de Paris un nouveau télégramme chiffré nous prescrivant de lever les mesures de garde dans les armureries. Le train-train journalier reprit. Selon toute vraisemblance, personne ni dans la population civile ni dans les autres corps de troupe de la garnison ne s’était douté de rien. Je n’avais dû qu’au hasard le fait de savoir ce qui s’était passé, le déroulement normal des tours de garde avait voulu que le Poste de garde du quartier soit occupé, du samedi soir au dimanche soir, par un élément de ma compagnie. J’avais interrogé le sergent de service sur la façon dont s’était déroulée la nuit.

J’avais été très impressionné par la maîtrise de notre Contre-espionnage qui semblait lire à livre ouvert dans les projets de l’adversaire. C’est seulement plus tard que j’ai appris que toute l’affaire avait été menée par le Colonel Roger Lafont (ou plus exactement, par le Capitaine Bernard).

 

 L’AFFAIRE DE SAINT-AVOLD : 2e  EPISODE

Nous sommes en 1934. Le bataillon était rentré depuis peu de manœuvres au camp de Bitche .Je me rappelle également que, peu de mois auparavant, le Bataillon avait représenté l’Armée Française aux obsèques du Roi des Belges, Albert Ier.

 

Le 16e Chasseurs à pied voisinait, à Saint-Avold avec le 18e Chasseurs à Cheval. Naturellement les deux corps manœuvraient assez fréquemment ensemble. C’est à l’occasion d’une de ces manœuvres que j ‘ai fait la connaissance du « Capitaine Bernard ». 

Ma compagnie devait jouer le rôle de Plastron-infanterie » tandis qu’un peloton du 18e  jouerait le rôle de plastron-cavalerie. 

Le Colonel Compain, commandant le 18e Chasseurs à cheval avait convoqué les deux chefs de plastron car il fallait que l’enseignement à tirer de la manœuvre ressorte nettement sans que les mouvements :

— cessent d’être vraisemblables,

— causent des dégâts aux cultures,

— soient exécutés à contretemps des mouvements de l’autre camp. 

Ce n’était pas évident et une discussion s’était engagée entre mon collègue cavalier et moi.

A ce moment on vint annoncer au Colonel qu’un « Officier d’Etat-major, demande à être reçu sans retard. Le Colonel donne l’ordre d’introduire le visiteur et nous voyons entrer.., un civil de taille moyenne, bien en chair mais sans obésité, le teint frais, de gros sourcils, l’œil vif de teinte marron, la lèvre ornée d’une petite moustache brune « à l’américaine », le cheveu châtain commençant à s’éclaircir. Il avait plutôt l’air d’un placide rentier que d’un traîneur de sabre de garnison frontière. Il ne présentait aucune ressemblance avec les beaux ténébreux, chers aux romans d’espionnage. 

Ce civil se met au garde-à-vous devant le Colonel et se présente : « Capitaine Bernard », de l’Etat-major de l’Armée... Mes respects, mon Colonel... Puis-je vous demander de faire vérifier si tous les fusils-mitrailleurs du Régiment sont bien à leur place ? Tiens, tiens, me dis-je, voilà une formule qui me rappelle quelque chose. 

Le Colonel paraît surpris de la requête; mais le Capitaine « Bernard » lui a montré son ordre de mission. La requête du Capitaine « Bernard » est transmise à tous les escadrons.

Le Capitaine « Bernard » est assis dans un coin et ne paraît pas spécialement passionné par le thème de manœuvre, dont l’exposé a repris.

Périodiquement un fourrier frappe à la porte et annonce : « Tel escadron, vérification faite ; Rien à signaler. » 

Puis un temps mort d’une dizaine de minutes...

Le Capitaine « Bernard » sort de sa rêverie et demande

« Mon Colonel, ... tous les Escadrons ont-ils rendu compte?

— Non, répond le Colonel, il manque le compte rendu Nième Escadron.

— Ah ? dit le Capitaine “ Bernard “. Je m’y attendais... Vous serait-il possible de faire appeler le fourrier de cet Escadron? »

 

Le Colonel est inquiet... Une minute après se présentent, verdâtres : le Capitaine commandant le Nième Escadron flanqué de son comptable et de son armurier « Nième Escadron... manquent deux FM. »

Le Colonel est, visiblement, très désagréablement surpris.

Le Capitaine Bernard reste toujours calme. Il s’adresse au Commandant de l’escadron cambriolé : les F.M. manquants ne sont-ils pas les n° X et Y ? » (Nota : les F.M. de l’époque portaient des matricules composés de deux lettres suivies d’un nombre de cinq ou six chiffres.)

« Oui », répondent ensemble le commandant d’escadron et son armurier, médusés.

Eh bien, annonce le “ Capitaine Bernard “, vous pouvez aller les récupérer, ils sont dans ma voiture que j’ai laissée à la garde du Poste de Police. »

Puis, s’adressant au Colonel stupéfait

« Mon Colonel, le Cavalier P..., du Nième Escadron est parti hier soir en permission exceptionnelle, au chevet de sa mère gravement malade. « En réalité, il partait, avec vos F.M., rejoindre sa maîtresse, "la belle Sophie" qui joint à son métier de serveuse plus ou moins montante dans un bistro de la ville, la fonction moins voyante et plus dangereuse d’espionne. Les deux tourtereaux ont été arrêtés ce matin au saut du lit et doivent être actuellement arrivés à la Prison “ militaire de Metz “. »

Après les salamalecs d’usage, exit le Capitaine « Bernard-Lafont », je ne devais plus le revoir qu’en août 1942 lorsqu’il prit le Commandement du T.R. au P.C. « Cambronne » dans la périphérie nord-ouest de Marseille.

 _______

A cette époque, il y avait déjà une vingtaine de mois que j’étais entré au Contre-espionnage et j’avais eu l’occasion, à plusieurs reprises, de consulter le dossier du Cavalier P.... J’y avais appris des détails fort instructifs

1°) P... n’était pas un appelé du contingent mais un engagé volontaire de trois ans. Il avait manifesté le désir de faire carrière mais n’était pas bien noté.

2°) A l’époque à laquelle P... avait commis son crime, la loi ne prévoyait qu’une peine maxima de cinq ans de prison. Les juges de Metz, trouvant ridiculement faible crurent bien faire en condamnant P... non pas pour trahison mais pour vol de matériel appartenant à  l’Etat, délit puni de vingt ans de prison au maximum. Et P... fut effectivement frappé du maximum. Quelques mois plus tard survint une amnistie et notre P... se retrouva libre.

3°) Il n’eut rien de plus pressé que d’aller se mettre sous la protection de son ex-employeur allemand, le Capitaine Dernbach, chef de l’antenne Abwehr de Sarrebruck. Ce dernier le remit aussitôt en piste pour espionner nos chantiers de la ligne Maginot.

4°) P... n’avait pas eu plus de chance dans ce second emploi que dans le premier et s’était retrouvé, assez rapidement à la prison de Metz. Il avait eu, à nouveau, l’occasion de se tirer à bon compte de ce mauvais pas. Il avait été échangé contre un de nos agents capturé par l’Abwehr.

5°) A peine libéré, il avait été muté au poste Abwehr de Lindau et remis au travail contre nos chantiers de fortifications. Arrêté pour la troisième fois en 1939 il venait juste d’être condamné (à mort, cette fois) lorsque l’avance foudroyante des Panzer-division permit aux Allemands de le libérer. Il ne resta pas longtemps chômeur. L’Abwehr faisait la guerre et le travail ne manquait pas pour un espion francophone confirmé et pour un « trompe- la-mort » comme P....

Je fus amené, en 1941, à m’occuper de son cas. Il faisait partie, à cette époque, du Poste Abwehr de Dijon et opérait dans une équipe fort dynamique, dirigée par le Major Kœnnig et son adjoint, le Capitaine Kircheimer. Cette équipe utilisait quelques Français dont P... et la sémillante « Suzanne » alias Suzanne Martin, dont le véritable nom était Suzanne W., femme légitime d’un certain François W. installé rue des Pâtures à Paris 16° où il dirigeait un important centre de recrutement pour l’Abwehr (Nous lui avons capturé 92 de ses agents en 1941-1942.) 

Inutile de dire que nous étions désireux de faire venir en zone libre le Cavalier P... et Suzanne Martin. Nos appâts furent vains. La dernière fois que j’entendis parler de P... c’était au cours de l’automne 1942. L’Abwehr lui donnait un avancement mérité, en l’expédiant sur le front russe.

Cette affaire de Saint-Avold, révèle quelques principes de travail du Colonel Lafont.

1°) Extrême précision du renseignement. Le Capitaine « Bernard » sait pratiquement tout de l’opération montée par l’Abwehr. Sa pénétration chez l’ennemi est profonde et sûre.

2°) Connaissant (probablement par expérience) l’incrédulité de beaucoup de militaires à l’égard des mises en garde diffusées par les Services Spéciaux, le Capitaine « Bernard » ne se borne pas à avertir le 16° B.C.P. du danger et à lui conseiller des mesures de défense. Il lui fait donner des ordres par le plus haut échelon du Commandement. 

Par contre, la précision des renseignements qu’il a recueillis lui permet de limiter l’alerte au seul Corps de Troupe menacé. Ni le Centre Mobilisateur, ni le 18e Chasseurs à cheval ne se doutent des mesures de précaution prises au 16e Chasseurs à pied.

3°) Les moyens mis en œuvre pour contrer les attaquants sont largement calculés, mais la préparation de l’opération est entourée de précautions et du secret absolu.

 

OÙ L’ON RETROUVE SES « CLIENTS » D’AVANT-GUERRE

Nous sommes en juin 1944, " Camélia " (1), compte, parmi ses « fleurs », un poste basé sur Saint-Etienne et commandé par le capitaine Kessler. Ce dernier se fait soigner les dents par un dentiste de Lyon qui joint à ses mérites médicaux les qualités d’ami personnel de Kessler et d’honorable correspondant du Service T.R.

Dans la seconde quinzaine de juin 1944 , le dentiste signale à Kessler que sa clientèle s’est enrichie depuis peu d’un colonel allemand et que ce colonel vient de lui annoncer, tout à trac:

1°) qu’il le soupçonnait d’être plus ou moins en rapports avec la Résistance.

2°) qu’il ne lui voulait aucun mal de ce genre de contacts.

3°) qu’il désirait, lui-même, colonel allemand, prendre contact avec un chef valable des Services Spéciaux français.

4°) qu’il comptait sur le dentiste pour l’aider à trouver un tel contact.

Le colonel allemand avait bien spécifié qu’il ne voulait à aucun prix un contact avec un amateur ou avec un sous-fifre comme on en rencontre à tous les coins de rue. Il voulait engager « une négociation sérieuse, aussi utile aux intérêts français qu’à ceux du Reich ».

Le dentiste avait fait une réponse prudente sur le thème général : « je connais (naturellement) personne dans la Résistance mais je vais me « renseigner ».

Sourire (un tantinet ironique et remerciements (polis) du colonel allemand qui donne en outre au dentiste quelques « conseils amicaux » destinés à lui faciliter la « découverte » d’une filière d’accès à la Résistance lyonnaise).

Il résulte de ces judicieux conseils que le colonel est bien renseigné. Il commande l’Abwehr locale; il s’appelle Dernbach. C’est avec dix ans et quelques grades en plus, le sémillant Capitaine Dernbach Chef de l’Abwehr de Sarrebruck en 1931 et 1934, le client du Capitaine  « Bernard »...

Mis au courant de l’incident, le Colonel Roger Lafont estime que ce bon Colonel Dernbach essaie de nous rouler mais a, peut-être d’excellentes raisons de ne pas croire aveuglement au Reich d’Adolphe Hitler. Nous sommes en juin 1944, le débarquement allié en Normandie n’a pas été rejeté à la mer et les nouvelles du front de l’Est ne sont pas réjouissantes. Les relations entre l’Abwehr et les S.S. sont loin d’être cordiales.

D’un autre côté M. Verneuil ne peut oublier qu’il est le chef d’un grand réseau, toujours actif et même plus fort qu’en 1942, mais très en flèche. Il a subi, à de nombreuses reprises, des pertes douloureuses.

Il ne pense pas que l’offre de Dernbach puisse permettre d’aider les cadres ou les agents T.R. qui ont été capturés. Peut-être sera-t-il possible d’aider les familles de nos camarades arrêtés ou recherchés. Depuis plus de deux ans les Allemands ont systématiquement mis la main sur les femmes, les enfants, les parents, voire la parentèle plus éloignée des hommes de chez nous. Certaines familles, comme celles du Capitaine A.-M. Mercier, du Capitaine Klein, du Capitaine Rohmer, etc... ont été très éprouvées, voire décimées. Beaucoup de femmes ont été arrêtées soit en même temps que leur mari (telle Mme Ambs) soit à la place d’un mari en fuite ou en Afrique du Nord (telles Mme Sérot, Mme Lutteig, etc...).

Peut-être, en gagnant du temps, pourrions-nous éviter le départ en déportation d’une partie des familles de nos camarades. En chef conscient de ses devoirs Verneuil estima qu’il devait affronter les risques personnels que lui faisait courir un contact personnel avec Dernbach.

Le Capitaine Kessler reçut donc des directives très précises :

1°) Prendre contact avec Dernbach (à charge pour le réseau de régler les conditions du contact de telle sorte que l’Allemand n’ait aucune possibilité de faire « filer » son interlocuteur)

2°) S’arranger pour obtenir de Dernbach le plus de précisions possibles sur la nature des  « négociations » qu’il suggère.

3°) Dire à Dernbach que son chef est  « M. Verneuil ». Nous savons, par les Fahndungalisten (bulletins de Recherches allemands) que l’Abwehr n’ignore rien de l’identité de Roger Lafont, ni des pseudos qu’il a utilisés au cours de sa carrière. Elle lui fait même l’honneur de le considérer comme le chef « de l’espionnage, du contre-espionnage et du sabotage en France ». Il est précisé que cet individu « très dangereux doit être mis au secret le plus rigoureux et  « transféré immédiatement » à Berlin dès sa capture.

4°) Avertir, in fine, le colonel Dernbach :

- a) qu’aucune « négociation » ne pourra avoir lieu avant la libération de toutes les personnes apparentées à des membres de notre réseau et arrêtées par vengeance ou dans un but de chantage.

- b) que si des négociations devaient avoir lieu, elles ne pourraient avoir lieu sans l’accord préalable du « véritable Gouvernement Français », celui d’Alger et non pas celui de Vichy.

Une entrevue Kessler-Dernbach eut donc lieu, entourée de multiples précautions.

Quand Kessler annonça que son chef était « M. Verneuil », Dernbach leva les bras au ciel et s’écria « Ach der Verneuil! Ah! Le Verneuil! Vraiment une huile! (Littéralement : vraiment du gros bétail! ça, c’est un vrai professionnel : Voilà plus de dix ans que nous luttons l’un contre l’autre... Je lui dois la plus belle” engueulade “que j’ai reçu de toute ma carrière! »

Et Dernbach raconte à Kessler... l’histoire des F.M. de Saint-Avold vue du côté allemand. Pour conclure plein d’admiration.

« C’était une vacherie, ce maudit Lafont, il « m’a arrêté toute mon équipe Saint-Avoldienne d’un seul coup! Il m’a cambriolé mon propre bureau !... ça c’est un vrai professionnel !... Oui, oui, c’est bien avec lui que je veux négocier. » 

Malheureusement pour Dernbach, la « négociation » proposée consistait à mettre la Zizanie entre les Alliés et à brouiller, en France, l’Armée Secrète et les F.T.P.

La D.S.M. d’Alger, tenue au courant de l’initiative Dernbach nous fit savoir par T.C. chiffré, que toute initiative de ce genre devait être repoussée systématiquement.

Le récit fait à Kessler par Dernbach m’avait appris un détail qui ne figurait nullement dans le dossier P... de nos archives : Les F.M. dérobés étaient bel et bien parvenus jusqu’au bureau de Dernbach et y avaient été récupérés par Verneuil. Il y avait là quelque chose d’inexpliqué. On n’improvise pas en quelques minutes le cambriolage de l’Abwher. Je demandais à Verneuil de m’expliquer ce mystère. Il avait éludé le sujet en me répondant seulement « Bah! Ce sont de vieilles histoires, nous avons mieux à faire que de revenir sur le passé.

 

(1) Organisation T.R. du Centre.

 

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 160

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