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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
UNE ACTUALITÉ BRULANTE LES FORCES ARMEES SOVIETIQUES A UN TOURNANT CAPITAL DE LEUR EXISTENCE
 

par le Colonel Michel GARDER

La révolution par la tête - pour le moment relativement paisible - qui est en train de dynamiter intégralement le système totalitaire bolcheviste fondé par Lénine et mis en forme par Staline, a déjà ébranlé plus que fortement les trois piliers de ce système : l'Appareil du Parti, le K.G.B. et les Forces Armées.

Cet ébranlement provient de la mise en oeuvre sinon par Gorbatchev lui-même, du moins par le « clan » qui le supporte de la triade explosive : LE NOUVEAU MODE DE PENSÉE - LE PARLER VRAI - LA RECONSTRUCTION.

C'est dans cet ordre qu'il y a lieu d'envisager les trois termes de cette triade et non - comme le font les soviétologues, dans l'ordre inverse, en traduisant de plus « perestroïka » par « restructuration », ce qui est un faux sens.

En effet, c'est l'ancien mode de pensée hérité de Lénine et renforcé par Staline : celui du conflit inexpiable entre le « bastion socialiste » (devenu depuis 1945 le camp socialiste) et le « camp capitaliste » - devant s'achever sur la victoire du premier nommé, qui a déterminé les structures et la vie même du « bastion » d'abord, du « camp » ensuite.

 

En « temps de guerre » on ne peut pas dire ce qui est, on ne peut dire que ce qui sert. Lorsque l'on est assiégé on érige des remparts, on construit envers et contre tout une cité idéale.

La remise en cause de l'ancien mode de pensée par Vadim Medvedev dans le « Kommounist » N° 2 de janvier 1987 supprimait les fondements mêmes du système. En niant le caractère inexpiable de l'affrontement, en mettant en doute la notion même de camps, en découvrant les deux systèmes pluralistes, celui des socialismes et celui des capitalismes, le nouveau mode de pensée » réduisait ledit affrontement à une cohabitation « grincheuse » entre voisins se rendant visite et ayant des intérêts communs.

Désormais l'U.R.S.S. n'avait plus d'Ennemis. Il lui restait des concurrents avec lesquels on pouvait s'entendre - voire même on devait s'entendre pour le bien commun.

 

Cette nouvelle vision du monde allait être diffusée dans toutes les instances du Parti et, par voie de conséquence, du K.G.B. et des Forces Armées.

En même temps, puisque l'on ne se trouvait plus « en temps de guerre », il n'y avait plus lieu d'appliquer la « censure » et il était même beaucoup plus utile de dire ce qui servait réellement, à savoir la vérité. La vérité d'aujourd'hui découlant de celle d'hier, on se mit à partir de février-mars 1987 à « remonter le temps » jusqu'à la mort de Lénine en 1924.

 

Ayant ainsi sauvé l'essentiel, c'est-à-dire le Père infaillible, on décréta qu'il fallait reconstruire à partir de cette date fatidique : celle de la N.E.P. lancée en 1922.

 

En attendant, rien n'empêchait plus - dans la mesure où il n'y avait plus d'Ennemi - de s'entendre d'un côté avec les États-unis et les Occidentaux européens et, d'un autre côté avec les Chinois et les Japonais, au besoin au prix de sérieuses concessions.

C'est ainsi que l'exigence de l'arrêt de l'I.D.S. fut abandonnée face aux Américains et que vis-à-vis des Chinois on accepta les trois conditions : retrait l'Afghanistan, réduction du dispositif à la frontière sino-soviétique et une diminution du soutien soviétique au Vietnam (assorti d'un retrait vietnamien du Cambodge).

 

L'IMPACT DE LA TRIADE SUR LES FORCES ARMEES SOVIETIQUES

Jusqu'en mai 1987, le Haut Commandement put - à tort - se croire à l'abri de la tornade qui se levait au sein du système. L'affaire Mathias Rust constitua un premier avertissement. Gorbatchev qui avait déjà été indirectement à l'origine du limogeage du Maréchal Ogarkov en 1984, n'avait pas manqué l'occasion pour « assainir » le Haut Commandement et se faire élire à la tête du Comité de Défense.

Désormais il avait les mains libres pour ses négociations à l'Ouest comme à l'Est et pour faire toutes les concessions qu'il jugeait utiles sans consulter les militaires.

Le Haut Commandement quant à lui, devait s'habituer à l'idée qu'il n'y avait plus de véritable Ennemi, qu'il v avait lieu d'accepter un Budget réduit et d'envisager une reconstruction de l'énorme appareil des Forces Armées.

Il fallut néanmoins attendre la révolution de palais du 30 septembre 1988 - faisant suite à la XIX ème Conférence du Parti de juin de la même année, pour que l'Institution Militaire comprenne l'ampleur du phénomène et surtout son caractère irréversible.

C'est ainsi que la date limite du retrait des troupes soviétiques d'Afghanistan fut impérativement fixée au 15 février 1988 et que Mikhaïl Gorbatchev eut les mains libres pour annoncer des réductions unilatérales de ses Forces Armées - en se privant au passage des services du Maréchal Akhromiev.

Dès le mois de novembre 1988 on dut se résigner au Ministère, à l'Etat­major Général et à la Direction Politique Principale des Forces Armées à étudier les hypothèses d'avenir, compte tenu d'un budget réduit, des effets de la « défaite en Afghanistan » et du futur État de Droit promis par Gorbatchev.

C'est d'ailleurs par ce dernier point qu'il y a lieu de commencer l'analyse, car il s'agit de la place des Forces Armées au sein de ce mystérieux État de Droit.

 

LES FORCES ARMEES AU SEIN DE L'ÉTAT DE DROIT SOCIALISTE?

De 1918 à nos jours, l'Armée Rouge des Ouvriers et des Paysans, puis l'Armée Soviétique à partir de 1946, avait été essentiellement l'outil de la Stratégie Totale du Parti Communiste de l'Union Soviétique, et très accessoirement l'émanation des peuples de l'U.R.S.S.

Le gouvernement soviétique dont faisait partie le Ministre de la Défense n'était qu'une courroie de transmission du système intégralement aux ordres du Bureau Politique par l'intermédiaire de l'Appareil du Comité Central, cet énorme État-major Général de la Stratégie Totale du Kremlin. Cet appareil contrôlait l'outil d'une part grâce à la Direction Politique Principale des Forces Armées (non subordonnée au Ministre) et, d'autre part, en lui imposant la férule du K.G.B. sous la forme du G.U.K.R. (Direction Principale du Contre-Espionnage - une sorte de D.P.S.D. dirigée et animée par des officiers du G.B.).

Or dans le futur État de Droit la réalité du pouvoir devrait revenir au Président élu et au Gouvernement dirigé par lui, le Parti Communiste devenant un organisme d'inspiration idéologique et non plus de Direction Effective.

Le Ministre de la Défense devenant dans un tel système le véritable patron de son Ministère, il n'est pas du tout certain que le titulaire du poste soit un militaire. C'est là un des points qui angoisse actuellement le Général Iazov et ses subordonnés. De même, le Général Lizitchev doit-il se demander quel rôle exact sera dévolu à l'avenir à la Direction Politique des Forces Armées. Il se pourrait fort bien que cette imposante bastille soit tout simplement subordonnée au futur ministre, en jouant un peu le rôle d'une « Aumônerie Générale » doublée d'un « service social ».

Il n'est pas certain non plus que le Contre Espionnage demeure toujours l'apanage du K.G.B., l'avenir de ce dernier organisme étant des plus incertains.

Reste enfin la nature de l'outil lui-même. C'est là que d'âpres discussions agitent l'ensemble du corps des officiers. Certes, en apparence, le problème a été tranché par le ministre Iazov et le Chef d'Etat-Major Général Moyssev : la conscription sera maintenue, l'Armée sera celle du peuple. Pourtant nombre de jeunes officiers supérieurs sont d'un avis différent et préconisent une armée de métier, réduite en nombre mais efficace. Au sein du « clan » l’ idée compte quelques partisans et Gorbatchev lui-même y serait assez favorable, surtout du fait des séquelles de la défaite en Afghanistan.

 

UNE DÉFAITE AUX CONSEQUENCES DURABLES

On ne parvient pas à comprendre en Occident que la Guerre d'Afghanistan a été finalement plus grave pour l'U.R.S.S. que ne l'a été le Vietnam pour les États-unis ou la guerre d'Algérie pour la France.

Les séquelles de cette aventure stupide, mal préparée et encore plus mal conduite, commencent seulement à se faire sentir. La première et la plus grave découle du fait que près de 500.000 jeunes du contingent y ont participé sans trop savoir pourquoi, subissant d'abord des brimades odieuses de leurs anciens et infligeant ces mêmes brimades à leurs jeunes découvrant la drogue (sous forme de haschich) et souvent l'homosexualité.

A ces terribles expériences individuelles viennent s'ajouter celles d'une guerre particulièrement atroce, du fossé s'agrandissant entre les officiers et la troupe, du favoritisme caractérisant la société soviétique - les « fils de famille » étant systématiquement exempts, du bas niveau des soins dans les hôpitaux militaires, des mutilés attendant indéfiniment leurs prothèses, etc …

Enfin il y a le fait même de la défaite que les couplets de la propagande sur le devoir internationaliste glorieusement rempli » ne peuvent atténuer. Le printemps et l'été prochains pourraient bien réserver des surprises dans les républiques islamiques d'Asie Centrale en tant que conséquences de cette « perte de face des chouravis (russes) ».

En attendant, le Ministre, le Chef d'État-major Général, le chef de la Direction Politique Principale ont cru bon de dénoncer les « brimades (diedovstvo) et le fossé existant entre officiers et la troupe. On assiste à un défilé de soldats du contingent dans les salles de rédaction des journaux pour se plaindre des brimades des anciens et de l'indifférence des officiers.

Même en période de « parler vrai » le fait mérite d'être souligné.

 

ECONOMIES ET CHANGEMENT DE DOCTRINE

Le budget militaire soviétique a toujours constitué un mystère, même semble-t-il pour les responsables eux-mêmes. Aussi la réduction de 14,2  %  annoncée par le Kremlin et confirmée par le Ministre de la Défense et Chef d'État-major Général ne nous fournit qu'une indication très vague. Il en va de même des 19,5 de réduction de la production des armements. En revanche il y a de fortes chances que la réduction des effectifs de 500.000 hommes ne représente qu’un début et que d’ici deux ans, c’est-à-dire entre 1991 et 1992, il y ait une mesure de même ampleur.

Comme en 1959, la première réduction d'effectifs comportera grosso modo le dégagement de 10 % des cadres : dont 9 % d'officiers et 1 % de sous-officiers rengagés (praporchtchiks). Toutefois, alors qu'il y a 30 ans ce dégagement s'est opéré dans un désordre indescriptible - au point de faire croire à un sabotage de la part des autorités militaires, il semble que cette fois de sérieuses mesures soient envisagées. Le Ministre et le Chef d'État-major ont parlé de « péréattestatsia » (examen d'aptitude) des officiers, lais­sant entendre par là que l'on conservera les meilleurs.

En même temps que débute cette mesure redoutée par des dizaines de milliers d'officiers, le Haut Commandement multiplie les promesses d'un dégagement ordonné, équitable et humain. Malheureusement pour les « dégagés », leur retour à la vie civile va coïncider avec des mesures de réduction d'effectifs dans les administrations et les entreprises.

Quant aux heureux élus maintenus en fonction, les dirigeants leur promettent des logements décents (qui paraît-il faisaient défaut à un millier d'officiers de l'État-major Général résidant à Moscou) et la fin du « favoritisme ».

Reste la révision de la doctrine militaire. Celle-ci était traditionnellement offensive. La hantise de déplaire au pouvoir rend le passage au défensif à la fois déchirant et difficile. En la matière il faut noter que l'État-major Général a récemment tenté sous la plume de son chef, le Général Moïssev, de livrer dans la PRAVDA du 13 mars 1989 un combat retardateur. Le général s'incline devant la nécessité d'élaborer une doctrine défensive - déjà esquissée d'après lui, mais ne manque pas de souligner l'attitude et l'orientation offensives des forces américaines et de celles de l'O.T.A.N. - On peut y voir entre autre un reproche voilé à Mikhaïl Gorbatchev et à Edouard Chevarnadzé de faire des concessions sans contreparties.

 

UN AVENIR INCERTAIN

Jusqu'ici, une des caractéristiques essentielles du système soviétique était la planification dans tous les domaines, ce qui permettait aux responsables de croire qu'ils étaient maîtres de l'avenir. Cette caractéristique était particulièrement sensible dans la composante militaire du système, ne fût-ce qu'en raison des moyens mis à sa disposition.

La révolution en cours est venue troubler les certitudes qui faisaient la force de ce « cerveau » de l'outil militaire que représente l'État-major Général. On lui a enjoint de penser en catégories nouvelles ; de limiter ses ambitions face à des armées étrangères qu'il ne saurait juger autrement qu'en ennemies potentielles. En même temps l'élite militaire qui peuple ses bureaux ne peut s’empêcher d’envisager des hypothèses d’explosions insurrectionnelles à la périphérie de l’Union, voire même une guerre civile en U.R.S.S.

A cela s'ajoute la crainte de voir remise en cause l'intangibilité de l'Empire avec la perspective d'un retrait sur la métropole des divisions stationnées en R.D.A., en Tchécoslovaquie, en Hongrie et en Pologne.

Enfin il y a eu les élections du 26 mars 1989 où nombre de Généraux et d'Amiraux de haut rang ont été battus par des officiers supérieurs partisans d'une armée de métier. Le « rouleau compresseur » se trouve pour le moment en panne... et cela pour un temps difficile à déterminer.

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 141

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