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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
MA MISSION « T.R. JEUNE » (2)
 

par Georges de GASQUET

Nous poursuivons le récit « dicté » de notre camarade dont nous avons publié les deux premiers chapitres dans les B.L. 123 et 124.

Après avoir suivi un stage à la D.S.M.- Alger, au printemps de 1943 avec d'autres camarades du T.R.-Jeune, GASQUET embarque à bord de " la Perle"  en compagnie de LA VALLEE et de SEVERE, le 25 juin 1943, à destination de la Côte Varoise mais, tout près du but, leur débarquement n'a pas lieu.

DÉTOUR PAR LA BAIE DE NAPLES

Je ne sais pas quelle tête ont fait les camarades qui étaient à terre mais j'ai su, par la suite, qu'ils étaient quand même revenus la nuit suivante refaire des signaux. Pour notre Pacha, il n'était pas question de recommencer l'opération la nuit suivante. Il n'était pas comme L'herminier et n'appréciait pas du tout ce genre de mission.

J'ai oublié de dire qu'il régnait à bord du sous-marin une ambiance tout à fait particulière. Malgré le peu de confort et le peu d'agrément que pouvait présenter la vie à bord, une solidarité énorme unissait tout le monde, officiers et matelots, tout le monde se sentait solidaire et la discipline était vraiment librement consentie. Une petite anecdote caractérise bien la vie à bord. Tous les matins, un officier se munissait d'une bouteille de jus de citron concentré et d'un petit verre. Il passait devant chaque homme d'équipage et l'obligeait à ingurgiter devant lui avec force grimaces cet infâme breuvage indispensable pour lutter à l'époque contre le scorbut.

" La Perle " avait une mission secondaire. Il s'agissait d'aller croiser en face du port de Naples pendant deux ou trois jours dans l'espoir de couler un bateau entrant ou sortant de ce port. Nous arrivons assez vite devant Naples et là nous faisons les cent pas si je puis dire, donnant un coup de périscope toutes les heures et surtout surveillant les mouvements éventuels des bateaux au moyen de l'Asdic. L'Asdic est un appareil d'écoute qui amplifie les sons et donne la direction ainsi que la distance approximative de leur source. Les sons se propagent très bien dans l'eau, alors que les ondes électromagnétiques sont rapidement arrêtées.

Il y a à bord un homme en écoute permanente. Il signale tous bruits d'hélices ou de moteurs perçus et amplifiés par son appareil. Nous passons ainsi deux jours devant Naples. Toutes les heures nous montons donner un coup de périscope. Rien, le ciel et la mer sont désespérément vides. Le deuxième jour, nous faisons surface périscopique et à la grande surprise du commandant, un bateau, au-dessus de nous, s'éloigne à toute vitesse ! L'Asdic n'a rien repéré et je regretterai toujours de n'avoir pu assister à un torpillage. La nuit suivante un incident dramatique survient. Le sous-marin était en surface pour recharger ses batteries. Tout à coup alerte ! coups de klaxon traditionnels, ce klaxon qui vous arrache les oreilles et les tripes ! Branle-bas de combat. Le sous-marin plonge le plus rapidement possible et, comme toujours dans ces cas-là, chahute pas mal au moment de la plongée ce qui n'a rien d'inquiétant, l'important est que le sous-marin disparaisse en moins d'une minute. Les hommes sont à leur poste et au bout d'un moment le sous-marin au lieu de se stabiliser commence à prendre de la pointe, c'est-à-dire à piquer du nez. L'officier de quart donne l'ordre de doubler la vitesse des moteurs électriques pour que les ailerons permettent la stabilisation du sous-marin. Tous ces mouvements se font très lentement mais le sous-marin ne réagit pas. Il continue à piquer du nez vers le fond.

Un des hommes d'équipage a pour fonction d'annoncer la profondeur du sous-marin tous les cinq mètres. Dans le silence profond on entend égrener... dix mètres, quinze mètres, vingt mètres, etc. L'officier donne l'ordre « en avant toute » espérant redresser le bateau par la vitesse. Il ne se produit toujours rien. Il ne se produit toujours rien. Il décide alors de refaire surface et donne l'ordre « chassez partout » ! On entend le sifflement de l'air comprimé dans les ballasts. Rien ne se produit, le sous-marin continue à piquer du nez et à plonger de plus en plus profondément. Nous atteignons bientôt trente-cinq mètres. Là le sous-marin a une inclinaison qui devient inquiétante. Ordre est donné de faire machine arrière toute, pour essayer de tirer le sous-marin vers le haut. Sans succès. Entre temps le commandant qui s'était rendu compte des événements sort de sa cabine et prend le commandement dans le kiosque. On recommence toutes les manoeuvres « chassez partout » ! Aucun effet. Imperturbable, le matelot continue à égrener... cinquante mètres, cinquante-cinq mètres... et nous continuons à descendre et à piquer. Plusieurs chasses successives restent sans effet. Les ailerons sont braqué à fond et absolument inefficaces. Nous arrivons à soixante-dix mètres. Nous avons dépassé largement les limites de sécurité de plongée du sous-marin.

 

RETOUR SUR ALGER

Le sous-marin est tellement incliné sur l'avant que tout commence à dégringoler à bord. Soudain ce sont les batteries d'accumulateurs qui se renversent, l'acide se répand et un nuage suffocant envahit le sous-marin. A ce moment-là on entend distinctement le commandant dire « nous sommes foutus ». Severe était à côté de moi, nous nous regardions dans les yeux sans rien dire. Entre temps un matelot dont c'était la fonction, avait distribué une poignée de caramels spéciaux, très mous. Ils avaient un goût excellent mais avaient la particularité de coller terriblement aux dents, ce qui fait que les matelots qui se débattaient avec leurs camarades avaient leur attention déviée et ne paniquaient pas.

Un silence de mort régnait à bord. Tout le monde attendait le pire ! Tout à coup du fin fond du bâtiment un hurlement « fermez les purges, bande de cons ». C'était un jeune quartier-maître ; sitôt dit, sitôt fait. Les purges fermées, on chasse partout et le sous-marin se décide enfin à remonter vers la surface. Nous sommes montés tellement vite que je suis persuadé qu'arrivés à la surface, nous avons dû faire un bond hors de l'eau tel un poisson volant. Nous avons appris par la suite que nous avions atteint trente-cinq degrés de pointe. A trente-sept degrés un sous-marin ne peut plus se redresser. Il était temps.

Arrivés à la surface il n'y a pas eu besoin d'ordres, il n'y a pas eu de fainéants, tout le monde s'est précipité pour ouvrir tous les trous d'hommes, mettre en route les ventilateurs et éponger l'acide avec tout ce qui pouvait traîner comme chiffons et draps de lits.

Remis de nos émotions, nous sommes repartis le plus vite possible, mais nous nous sommes rendu compte que le sous-marin avait malgré tout souffert de sa plongée trop profonde, notamment au niveau du périscope. Le presse étoupe en avait pris un coup et pissait comme un panier.

Nous rentrons sans histoire dans le port d'Alger. Nous accostons devant l'amirauté et de là nous téléphonons à El Biar : « Coucou ! nous revoilà »!! Je ne me souviens plus qui était au bout du fil ce jour-là mais il a été très surpris. Il avait peine à nous croire prétendant qu'un message codé avait annoncé que l'opération s'était bien déroulée. En sortant du " tube " nous avions l'impression de relever de maladie. Nous étions incapables de marcher, de respirer au grand air et de voir du soleil, nous titubions. C'était le 13 juillet 1943. Une voiture est venue nous prendre et nous a conduits dans une villa à l'extérieur de la ville. On nous a demandé de ne pas bouger et de ne pas prendre contact avec nos camarades de peur de les démoraliser. Cela nous a amusés car aucun de nous n'était démoralisé, nous étions même fiers d'avoir vécu ces aventures.

 

PARACHUTE EN FRANCE

Le 21 au matin on me prévient qu'une mission urgente m'attendait et que je serais parachuté la nuit suivante en métropole. Toute la journée s'est passée en préparatifs. J'étais reçu à nouveau par le Colonel Paillole qui m'a remis des directives, du courrier et de l'argent. On a déterminé le point de parachutage en liaison avec les Anglais chargés de l'opération. Vu l'urgence, il n'était pas question d'alerter un comité de réception. J'allais donc être parachuté et ce qui m'ennuyait beaucoup, parachuté tout seul. Un premier point de parachutage a été choisi dans les monts de l'Ariège. Il a été refusé par les aviateurs sous prétexte qu'il faisait courir un trop grand risque.

C'est alors que Chantal, notre célèbre Chantal de Bardies, la secrétaire du Patron, nous propose un point de chute chez un de ses amis, entre Pamiers et Saverdun, au château de l'Arlinque. Elle me fournit un mot de passe pour le propriétaire du Château. Les aviateurs consultés acceptent ce nouveau point de parachutage. On me rassure « soyez sans crainte, ce sont des spécialistes, ils vous déposeront à cinq cents mètres près du château »!! J'avais deux parachutes de bagages car ma mission était triple.

La première qui justifiait l'urgence de mon départ était d'apporter à De Bonneval (1) qui était chef de poste à T.R. à Toulouse, un poste émetteur-radio, du courrier et de l'argent. La seconde était d'établir un réseau de contre-espionnage parallèle à celui de De Bonneval... pour pouvoir, éventuellement, prendre le relais en cas de coup dur. J'avais, enfin, une troisième mission qui était d'établir la liaison avec Taillandier dit Morhange. Je devais lui permettre d'avoir des contacts radio avec Alger, et lui donner les directives de la Direction et, peut-être essayer de le modérer un peu. Ceci était beaucoup plus aléatoire étant donné la personnalité de Morhange et mon jeune âge.

On me munit d'un tas de gadgets : une très belle montre suisse, un magnifique poignard de parachutiste, une boîte de survie permettant de tenir six jours dans les pires conditions, un stylo boussole, c'était une toute petite boussole camouflée dans le capuchon du stylo qui, par ailleurs, marchait très bien, un stylo révolver qui tirait des cartouches de gaz paralysant. On me fournit, également, des boutons de culotte boussole (il suffisait d'arracher deux boutons de culotte et de les poser l'un sur l'autre pour qu'un petit point lumineux indique le nord), des bretelles truquées dans lesquelles on pouvait glisser des documents ou, éventuellement, une petite carte, un peigne de poche tout bête, mais dans le dos de ce peigne il y avait une scie à métaux à double denture. Le soir, dîner d'adieu à El Biar. Caillot (2) se surpasse pour créer l'ambiance en cassant quelques assiettes. Après dîner nous voilà partis pour Blida d'où je dois décoller. Je suis en civil.

A Blida, on me fournit des bandes Velpeau pour entourer mes chevilles puisque je vais sauter en civil et en souliers bas, un casque de caoutchouc et une combinaison que je mets par dessus mes vêtements. Cette combinaison comportait une poche amovible agrafée à la jambe du pantalon, dans laquelle je glisse deux lampes torches et quelques bricoles pouvant être utiles. Après présentation à l'équipage, j'embarque sur un magnifique Halifax, bombardier quadrimoteur. Je n'ai jamais compris pourquoi on n'a pas jugé bon de me donner des compagnons de route, ne serait-ce que ceux qui étaient dans le sous-marin avec moi. Je n'ai jamais éclairci la raison de mon départ en solitaire alors que le Halifax était capable d'emmener cinq tonnes de bombes et qu'il aurait pu sans difficulté avaler quelques passagers supplémentaires, ce qui eut été pour moi plus sécurisant.

Le décollage ne cause aucun problème. Le Halifax se sentait vraiment très léger. Il y avait bien quelques tracts à bord qui devaient être lancés dans le sud-ouest pour justifier le passage d'un avion et camoufler mon parachutage. Le survol de la Méditerranée s'effectue sans encombre, l'équipage est vraiment décontracté. Je suis surpris de voir que personne ne porte de parachute. La moitié au moins du personnel se trouve en permanence réuni dans le tout petit carré servant de cambuse et dans lequel de nombreux thermos, des sandwichs, des cigarettes, etc. étaient à sa disposition. J'étais assis dans mon coin, ne bougeais pas. Ces chameaux d'Anglais ne m'ont pas demandé une seule fois si je voulais boire ou manger. Ils s'empiffraient tranquillement sans s'occuper de leur colis.

Lorsque nous parvenons sur les côtes de France, entre Perpignan et Narbonne, nous volons assez haut car la D.C.A. nous salue au passage avec des affûts multiples. On voit très bien le départ des coups. A bord personne ne paraît s'en soucier. Nous survolons la France pendant un long moment, un temps qui m'a paru très long. Nous tournons, nous virons et à un moment donné on me dit « préparez-vous ». On ouvre la trappe, je m'installe, prêt à sauter, un des aviateurs est à côté de moi, le bras levé. A un moment donné il baisse le bras en hurlant « Go ». Me voilà parti. Je prends une gifle magnifique alors que, normalement, en sautant par la trappe ça se passe beaucoup mieux qu'en passant par la porte latérale. Je me mets en vrille, il suffit de tirer sur les suspentes pour stopper ce mouvement. A peine, si j'ai le temps de regarder où j'atterris, le sol est déjà là, tout près. Il fait un beau clair de lune. Malédiction, j'atterris (ou je crois atterrir) dans une vigne. Comme il est de règle, je serre les jambes, les genoux mais les fesses aussi, la vigne étant la bête noire du parachutiste. A ma grande surprise, l'atterrissage est très doux ; je suis, en réalité, dans un champ de maïs. Seul dans la nature je repère la direction dans laquelle s'éloigne l'avion pour pouvoir récupérer mes parachutes de bagages qui doivent suivre. J'essaie de les apercevoir, mais en vain. Nous avions des parachutes camouflés, impossible d'apercevoir leur trace. J'enlève mon harnachement et je pars dans la direction qu'avait prise l'avion à la recherche des fameux parachutes. Je fais quelques centaines de mètres en écarquillant les yeux à droite et à gauche sans succès. Je reviens à mon point de départ. J'avais pris des repères et je repars dans la bonne direction. Impossible de retrouver mes colis, je n'allais jamais assez loin.

Après plusieurs essais, j'arrive, enfin, à retrouver le premier parachute, mais toujours pas le second. De temps en temps, je jetais un oeil à droite et à gauche, j'écoutais pour voir si rien d'insolite ne se passait. Finalement, je récupère mon deuxième parachute aux quatre cents diables. J'étais bien dans la bonne direction mais il était beaucoup plus loin que je ne pouvais l'imaginer. J'enlève ma combinaison, je m'aperçois, à ce moment-là, que la poche amovible a été arrachée pendant le saut. Adieu mes lampes torches. Je camoufle sommairement les parachutes d'un côté, les valises de l'autre et observe, plus attentivement, les environs, espérant apercevoir la fameuse route et la voie ferrée ou le château de Chantal de BARDIES.

 

UNE ÉTAPE DE TRENTE KILOMETRES

J'aperçois une route en contrebas, bizarre, j'étais sur une colline. Je me dirige vers la dite route. Je cherche désespérément la voie ferrée qui devait lui être parallèle. Les choses commencent à être inquiétantes. Je me mets en marche à la recherche d'une bifurcation avec un panneau indicateur. J'arrive alors à une espèce de carrefour. Les poteaux indicateurs espérés sont bien là et j'ai une surprise très désagréable.

Je vois « Carcassonne : 6 km », d'un autre côté « Pennautier et Moussou­lens » deux petits patelins qui ne me disent absolument rien. Je remonte sur ma colline récupérer mon matériel. J'avais repéré sous la route un petit caniveau, je décidai d'y camoufler mes parachutes. On nous avait munis d'une petite pelle bêche pliante pour les enterrer mais ça ne m'amusait pas du tout de creuser un trou au mois de juillet dans les terres arides du Midi. J'enfourne mes parachutes dans ce fameux caniveau ainsi que les enveloppes de protection des valises et ma combinaison, puis je cherche des caches pour mon matériel. Je repère un tas de fagots de sarments de vignes. Le tas était assez gros, je décide d'y camoufler l'un des deux postes radio. Je soulève quelques fagots et enfouis la valise radio que je recouvre du mieux possible. J'avais également repéré un champ moissonné dans lequel il y avait des gerbes de blé, j'y enfouis une valise et je ne garde avec moi que mon poste radio, l'argent et une petite partie du courrier, la partie la plus importante. Entre-temps, le jour commençait à se lever. De temps en temps, j'écoutais, j'observais, rien ne bougeait. A tout hasard, je prends la direction de Mous­soulens. Lorsque j'arrive en vue du village je me camoufle dans un petit bois en attendant qu'il fasse jour et que le village s'anime. Je grille quelques cigarettes, mâche un peu de chewing-gum et lorsque je vois des gens commencer à circuler je reprends ma route. J'arrive au village et je m'adresse à une vieille femme ; je prends mon air le plus bête pour lui demander la route de Saverdun. A son air ébahi, j'ai tout de suite compris que ce n'était pas dans le secteur. Je voyais à peu près sur la carte de France où était Carcassonne de Saverdun dans l'Ariège. De toute évidence, j'étais loin du compte ! Je ressors du village et m'installe dans un coin pour réfléchir. Ma situation était plutôt critique.

A force de réfléchir je me suis souvenu que le Rouquin m'avait donné l'adresse d'un de ses amis, Monsieur  de Laurent Castelet, habitant au Castelet près de Castelnaudary. Il m'avait dit, quand vous serez installé à Toulouse, allez le voir, ce Monsieur est capable de vous rendre de grands services. Je n'avais plus que cette carte à jouer. Je demande à un brave paysan la route pour Castelnaudary, il me l'indique et me voilà parti. J'avais tout de même environ trente-cinq kilomètres à faire.

 

JE SUIS ENFIN DEPANNE

J'étais jeune et entraîné et malgré mes pieds plats je décide de rejoindre Castelnaudary mon poste sous le bras. Ce qui me gênait le plus c'était le million et demi que je transportais enroulé dans du papier journal et attaché à la ceinture ; c'était un paquet assez volumineux. A l'entrée de Castelnaudary, je rencontre deux gendarmes à qui je demande la route pour Le Castelet. Ils me demandent où je vais, je donne le nom de Monsieur de Laurent Castelet, bien connu dans la région, honorablement connu, aucun problème ils m'indiquent le chemin mais il y a encore une dizaine de kilomètres à pied à faire. J'arrive finalement au Château de Monsieur de Laurent, un joli manoir que les Allemands brûleront par la suite, sans que j'y sois pour rien. Monsieur de Laurent m'accueille avec quelques réserves. Il avait été prévu, heureusement, que la B.B.C. passerait pendant deux jours de suite des messages indiquant « Bonne chance au chasseur ». Je lui demande de vérifier le message le soir même. Ce qu'il fait. Complètement tranquillisé, toutes les portes me sont ouvertes, on me réconforte du mieux possible, on me permet de prendre une douche. Il est décidé de me prêter un vélo avec une remorque pour que le lendemain je puisse retourner chercher mon matériel caché.

Mon fameux équipage anglais de « spécialistes » s'était magnifiquement trompé. Faute de repérer le secteur de Saverdun il m'avait lâché n'importe où. Les aviateurs ont dû rentrer en disant « mission accomplie », les parachutes se sont bien ouverts. Ils ont dû boire à ma santé et aller se coucher sans aucun remord. Me balançant n'importe où ils n'ont pas réduit le régime des moteurs et c'est ce qui explique la gifle magnifique que j'ai reçue en sautant. C'est ce qui explique aussi que les parachutes qui ont été jetés après mon éjection soient allés aussi loin. Le lendemain, après une bonne nuit de repos, me voilà reparti avec le vélo et la remorque. Je fais la route en sens inverse et j'arrive à l'endroit où j'avais été parachuté. J'ai attendu, camouflé dans un fourré, que les gens évacuent les champs pour aller déjeuner. Quand les lieux m'ont paru déserts, je grimpe sur ma colline, je récupère ma valise. Je me mets en quête du poste radio. Je retrouve assez facilement le tas de sarments de vignes. Je commence à creuser, j'enlève quelques fagots, rien. Il ne me semblait pas avoir enfoui si profondément mon poste mais enfin je continue à creuser, rien. Je commence à m'inquiéter, à regarder de tous côtés. Je continue à défaire les fagots, et j'aperçois une tôle. De plus en plus inquiet je fais un tour d'horizon, j'écoute, j'attends, rien ne bouge, je soulève délicatement la tôle et j'aperçois une bouteille. J'attrape cette bouteille fou furieux et la balance au loin. J'ai eu tort. A ce moment j'aperçois ma valise radio. Je la récupère à la poignée, un morceau de raffia et un bout de carton avec ce petit message « à bientôt ». Je ne prends pas le temps de réfléchir, je décide d'évacuer les lieux au plus vite. Je rejoins mon vélo et me dépêche me mettre le plus de distance possible entre ce secteur qui devenait malsain et moi-même.

De longues années après, j'ai eu l'explication de ce mystère. Me trouvant à Carcassonne et n'ayant pas grand-chose à faire je décide d'aller revoir avec ma femme l'endroit où j'avais été parachuté. Je le retrouve sans trop de mal. J'aperçois un paysan qui travaillait dans le coin, je lui demande s'il n'a pas entendu parler d'un parachutage dans le secteur pendant la guerre. « Oh, me dit-il, si, on a d'ailleurs retrouvé par la suite pas mal de choses. Moi, je ne suis pas dans le coup mais vous pourriez aller voir le forgeron qui a récupéré différents objets. » Bien entendu, je suis allé voir le forgeron ; je lui repose la même question, il me dit « Effectivement, il y a eu un parachutage près d'ici ». Alors je sors de mon portefeuille le petit carton que j'avais conservé comme fétiche et que j'ai toujours sur moi. Je le lui tends. Plus aucun doute n'étant possible, je suis accueilli à bras ouverts et nous buvons ensuite le pot de l'amitié. Alors il me raconte ce qu'il était advenu.

Pendant que je marchais allègrement vers Castelnaudary il paraît qu'il bruinait. Je ne m'en étais pas rendu compte tant j'étais absorbé par mes problèmes. Ne pouvant pas travailler dans les champs le forgeron et son frère avaient décidé d'aller chercher quelques fagots de sarments. Ils partent avec la charrette, commencent à charger et tombent sur ma valise. Intrigués, ils l'ouvrent, comprennent tout de suite qu'il s'agit d'un poste radio. Ils font le rapprochement avec le bruit infernal qu'avait fait un avion dans la nuit en passant à basse altitude au-dessus du village. Comme il pleuvait, ils ont décidé de mettre une tôle qui traînait par là pour protéger la valise. Ils y ont ajouté le petit message et une bouteille de vin pour me réconforter. Je l'avais dédaignée ! Le lendemain, ils sont revenus voir si la valise était toujours là. Ils avaient même attendu pleins de bonnes intentions.

Par la suite, d'autres paysans avaient retrouvé les lampes torches puis les parachutes qui avaient fait leur bonheur. A l'époque les tissus étaient rares et les parachutes, bien que bariolés pour le camouflage étaient de première qualité. Le forgeron me montre mon casque et mon poignard que je n'avais pas récupérés. Il les avait conservés religieusement. J'étais bouleversé et fort heureux de récupérer ces souvenirs.

Je rejoins sans encombre Castelnaudary et le Castelet où ce brave de Laurent met tout en oeuvre pour m'aider. Il est décidé que je partirai par le train pour Toulouse en empruntant le minimum de choses. Le reste sera acheminé par un camionneur. Ce monsieur de Laurent m'a rendu de nombreux services par la suite, me procurant même un logement à Toulouse. Son château a été brûlé par les Allemands à cause de ses activités dans la Résistance. Il l'a reconstruit. Hélas, aucune comparaison entre le château moderne et l'admirable petit manoir de l'époque.

Je parviens de la sorte à Toulouse. Mais mes mésaventures ne sont pas terminées pour autant.

 

(1) Le Colonel de Bonneval devint l'aide de camp du Général de Gaulle.

(2) Futur Général CAILLOT, Chef du Service des Transmissions de la D.S.M. à ALGER (Ndlr).

 

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 125

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