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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
LA MISSION BADEN-SAVOIE T.R. JEUNE (14)
 

Nous poursuivons la publication des mémoires de notre camarade Elly Rous, alias Serra, chef de la mission Baden-Savoie. Le récit reprend au moment où Serra s'apprête à interroger de soi-disant aviateurs britanniques recueillis par les résistants locaux.

par Elly ROUS

AVANT LA RENCONTRE

Après quelques minutes de silence, je lui posai à brûle-pourpoint une question qui le fit sourire :  « Avez-vous du vin là-haut ? » «  Oui, Louis doit en avoir monté quelques bouteilles pour les Anglais, mais ils ont préféré de l'eau. Peut-être est-ce que vous avez soif ? » ajouta-t-il ; « Non, ce n'est pas pour moi, mais un bon pinard peut aider à délier les langues ». Vous voulez les saouler lança-t-il sceptique... »  « Oui, c'est un peu ça et il faudra m'aider ». « Vous avez peu de chances, car ils n'ont  pas l'air d'aimer notre pinard ». « Vous m'en apporterez et vous me laisserez faire ». « D'accord, comme vous voudrez »... me répondit-il sans insister.

 

Nous arrivâmes enfin sur un mamelon où se dressait une vieille masure de pierres et un peu plus loin, près d'un bosquet et d'un carré de hautes fougères, une cabane en planches en assez bon état, sans doute une bergerie. « C'est là » me dit mon compagnon en me montrant du doigt les deux constructions. Les deux hommes sont dans la cabane, puis il se mit à siffler longuement.

 

Un petit homme trapu, les cheveux en désordre sortit aussitôt de la bergerie. « C'est Louis, celui qui s'occupe d'eux » murmura mon ami. « Il faudrait que je le vois tout seul avant d'entrer ». Louis vint vers nous. « Adieu Paul dit-il à celui qui était avec moi et dont j'entendais pour la première fois prononcer le prénom. Je me présentai et lui serrai la main. Je l'amenai avec moi un peu à l'écart, tandis que Paul se dirigeait vers la cabane. « Comment vont-ils ? » demandai-je.

 

« Ils sont encore très fatigués, tracassés ; ils ont bien mangé ce matin, mais d'après ce que j'ai cru saisir, il leur tarde de voir quelqu'un qui les sorte d'ici ». « Vous ont-ils posé des questions ». Oh, pas beaucoup, car ils voient bien que je ne les comprends pas, mais je crois qu'ils voudraient gagner le maquis et l'un d'eux, celui qui a un blouson de cuir m'a dit : « vous verrez, moi bon... tac ...tac... contre nazis... » pour m'expliquer qu'il voulait combattre avec nous ».

 

Je lui exposai ce que je voulais faire. « Je suis venu ici pour vous aider, car vous vous êtes peut-être mis dans de drôles de draps. Ecoutez-moi et exécutez très strictement les ordres que je vais vous donner... il y va de votre vie et de celle de vos amis ». En écoutant très attentivement mes explications, je m'apercevais que ce pauvre Louis, mal à l'aise, blêmissait et me considérait avec un air de plus en plus catastrophé.

 

« Avez-vous une arme ?» « Oui, j'ai mon fusil là-bas » me dit-il en désignant la maison de pierres. « Allez le prendre, chargez-le bien, restez caché à proximité et à portée de la cabane pendant que je discuterai avec les deux Anglais ». « Si j'appelle ou s'ils sortent en courant descendez-les immédiatement ». « D'accord » me répondit enfin Louis pâle d'émotion.

 

Je dus alors abattre mon jeu pour mieux me faire comprendre. « Nous sommes peut-être en présence de deux agents allemands qui essayent de se mêler aux résistants pour vous faire tous fusiller ; est-ce clair ? Je vais essayer de voir si ce sont des amis ou des ennemis ». Une lueur passa dans les yeux du bon Louis qui cette fois avait compris. Il se contenta de murmurer : « c'est pas possible, je n'aurais jamais pu imaginer une chose pareille » et il partit à la recherche de son fusil. J'entrai dans la cabane... Paul qui avait ouvert la fenêtre pour laisser passer un peu plus de clarté annonça simplement comme je le lui avais recommandé « Voici le Capitaine »... Les deux hommes qui étaient assis par terre sur un tas de paille recouvert d'une couverture se levèrent et me tendirent la main.

 

« Joly » leur dis-je m'affublant du premier nom qui me venait à l'esprit, mais qui était facile à retenir, suivi du conventionnel « How do you do ? » « Brown » répondit le premier, « Laughton » lança l'autre. Pendant que Paul approchait un vieux banc et un tabouret bancal, je dévisageai rapidement les deux gaillards. Ils étaient blonds tous les deux et à peu près de la même taille. Le premier, Brown, plus fort, plus large que son compagnon qui avait un visage assez dur et anguleux. Ils étaient vêtus d'un bleu de travail assez délavé, déchiré, d'un gros pull-over et le cou entouré d'un cache-nez de laine. Auprès d'eux, à terre, leurs imperméables et des godillots cloutés de type classique ; leur regard avait quelque chose de méfiant et d'inquisiteur à la fois.

 

UN INTERROGATOIRE ARROSÉ

Je m'efforçais de prendre une attitude joviale et détendue. Mon plan était simple : essayer de savoir le maximum à leur sujet sans que mes questions puissent apparaître comme un interrogatoire prémédité et naturellement leur donner l'impression de ne rien leur cacher, sans divulguer quoi que ce soit d'important. Je commençais donc par leur avouer que je parlais très mal leur langue, ce qui était faux, mais qui allait me permettre de vérifier comment ils s'exprimaient eux-mêmes.

 

Cette première considération parut particulièrement intéresser Laughton, le plus mince, qui jeta un coup d'oeil vers son camarade comme pour lui dire « cela vaut mieux ainsi ». Après les avoir félicité de leur évasion, je me lançai alors dans des explications improvisées, mais tout à fait plausibles sur la situation actuelle, parlant du ravitaillement, des difficultés, du malheur du peuple français, de la guerre interminable, de notre crainte d'être pris pour aller travailler en Allemagne, en prenant soin l'incorporer de temps en temps quelques questions précises : « Y a-t-il longtemps que vous êtes tombés en France ? D'où venez-vous ? A quel endroit êtes-vous tombés ?

 

Je remarquai bientôt que seul le gros répondait à mes questions, tandis que l'autre se contentait de « yes » et de « no » assez timides. Paul avait écouté attentivement, mais hélas sans comprendre nos propos, se contentant d'essayer de constater certaines réactions. « Si vous alliez nous chercher une bouteille de bon vin, nous allons boire à leur évasion » lui dis-je et j'ajoutai en anglais pour les deux autres « je sais que les aviateurs britan­niques adorent le vin de Bordeaux et avec ce temps frais cela va nous faire du bien »...

 

« D'accord » se contenta de répondre le gros sans enthousiasme. Paul sortit tandis que je reprenais la parole. Il y avait quelques minutes que la conversation était ainsi engagée, presque unilatéralement et l'attitude du gros qui ne me quittait pas des yeux ne me permettait pas de penser encore que j'avais gagné leur confiance quand, de la façon la plus innocente, je leur posai la question qui vraisemblablement allait le plus les intéresser : « Que puis-je faire pour vous ? ».

 

Cette question, Brown devait l'attendre depuis longtemps, car il me parut la saisir comme une truite se précipite tout à-coup sur un asticot. « Nous voudrions aider les « terroristes » puis gagner l'Espa­gne pour continuer la lutte contre les nazis. Nous pourrions, mon copain et moi, vous rendre de très « intéressants services » répondit-il dans un excellent anglais où seuls l'emploi du mot « terroristes » et la prononciation du terme « intéressant » me parurent un peu suspects (prononcé à la manière germanique « intrésant »).

 

Je rétorquai « nous avons besoin de solides garçons comme vous et puis nous serions heureux de vous aider à passer la frontière ».

 

Cette fois, je compris que j'avais frappé juste, car le visage de mon interlocuteur changea subitement pour exprimer son contentement. « Vous pourriez faire ça pour nous ; ce serait formidable »...

 

Paul était revenu avec deux bouteilles d'un vin du pays dont il remplit quatre timbales. Je portai un toast à la Victoire en français et en anglais et vidai mon verre d'un seul trait. Les deux évadés se regardèrent quelques secondes et pour ne pas être en reste firent comme moi. Tandis que Paul remplissait à nouveau nos timbales, Brown s'étant rapproché de moi, je sentais qu'il tenait à tout prix à poursuivre notre conversation.

 

A ce moment, son ami se leva précipitamment en nous faisant comprendre qu'il allait satisfaire un petit besoin naturel. Je dus faire alors un gros effort pour dissimuler mon inquiétude car pendant quelques secondes je me mis à redouter le pire à la pensée que Louis, voyant sortir l'Anglais assez rapidement risquait d'exécuter à la lettre mes ordres et de l'abattre. « Allez avec lui Paul et indiquez-lui un endroit propice, car il ne faut pas que quelqu'un nous aperçoive ici ; il pourrait y avoir des bergers ou des ramasseurs de bois ». Étonné Paul rejoignit aussitôt l'évadé qui fort heureusement n'était allé qu'à quelques mètres de la cabane près d'un tronc d'arbre et tout heureux de ma présence d'esprit,

 

j'enchaînai m'adressant à Brown : « je vais voir des camarades, leur parler de vous et si tout va bien, demain à la tombée de la nuit on viendra vous chercher ». Dès que l'Anglais fut revenu avec Paul qui semblait encore se demander pour quelle raison je l'avais prié de suivre Laughton, je levai une deuxième fois mon verre à leur santé, les contraignant ainsi implicitement à m'imiter. Je leur demandai alors dans un anglais volontairement assez rudimentaire de me raconter un peu d'où ils venaient, comment ils avaient été abattus, à quel endroit, par qui ils avaient été recueillis.

 

DES ANGLAIS DE PLUS EN PLUS SUSPECTS

Je posai mes questions d'une façon assez insidieuse et en les mêlant à d'autres propos anodins. La boisson commençait à faire son effet et à créer une certaine euphorie plus propice à l'expansion. Le maigre, celui qui jusqu'ici avait été fort peu loquace, entreprit de me donner quelques explications qui pouvaient se résumer ainsi :« je suis un Irlandais, Sergent de la R.A.F., venu larguer des parachutistes en France », mais il n'alla pas plus loin car l'autre lui lança aussitôt un regard qui le stoppa net tandis que se substituant à son compagnon, il poursuivait « mon camarade a été très choqué et ne sait pas trop ce qu'il raconte ».

 

« Je vois ça » lui dis-je en riant pour le rassurer. « Il vaut mieux que vous vous expliquiez vous-mêmes car les amis auprès desquels je vais vous conduire demain vont me demander des renseignements à votre sujet ».

 

Je m'aperçus alors que son embarras devenait de plus en plus grand. Nous en étions au troisième verre. Paul avait compris et reversait à boire dès qu'une timbale était vide. « Le gros » s'était lancé dans une relation assez vaseuse de son arrivée en France avec son compagnon, parlant tour à tour de la Flak 4 puis de son saut avec un pépin, de sorte qu'il m'était difficile de savoir s'il s'agissait d'un agent parachuté ou d'un aviateur dont l'appareil avait été descendu.

 

A chacune de mes questions il répondait assez évasivement, insistant pour me dire qu'il était un bon soldat et qu'il lutterait de bon cœur avec les « terroristes ». De toute façon, je commençais à me faire une idée de plus en plus claire de la situation tandis que le deuxième aviateur voulait à tout prix prendre la parole et que sous l'effet de la boisson, tenant beaucoup moins bien le coup que son ami, simulant d'avoir en mains une mitraillette, ne cessait de répéter... « Moi, tac...tac... contre « terroristes »...

 

Une fois encore, le gros le foudroya du regard. A brûle-pourpoint je posai une nouvelle fois la question : « Savez-vous approximativement où vous êtes tombés ? » « Pas loin de Paris » dit le maigre ; « pas tout à fait, près de Lyon » lança le gros dont je sentais monter la colère. N'ayant pas l'air d'avoir enregistré que quelques secondes avant Brown m'avait bien spécifié qu'ils étaient sur le même appareil.

 

« Vous n'étiez pas ensemble ? » insinuai-je naïvement. « Non » trancha le gros. « C'est bien, vous vous êtes alors rencontrés où ? » « A Lyon » répondit Brown un peu calmé.

 

Quelques minutes après j'apprenais que c'était une femme qui les avait accompagnés de Lyon-Perrache à Toulouse et leur avait donné les deux seuls papiers qu'ils possédaient : deux cartes d'identité françaises tamponnées d'un Commissariat de Lyon. Elle leur avait recommandé de ne pas parler afin de ne pas dévoiler leur nationalité. A Toulouse, avant de repartir, elle les avait confiés à un homme petit, gros, jeune qui devait les amener avec sa camionnette à Boussens pour être dirigés à Viella où on les attendait, puis à Andorre d'où on les conduirait à Barcelone.

 

Pour des raisons qu'ils ignoraient, la camionnette ne s'était pas arrêtée et les avait conduits dans la montagne à proximité de leur lieu de passage où ils avaient rencontré au dernier moment leur guide, « un grand sec assez âgé et deux autres Anglais qu'ils ne connaissaient pas ». Ils avaient marché deux heures environ, puis tout à-coup avaient été attaqués par les Allemands. Il faisait nuit et ne savaient pas exactement ce qui s'était passé et ce qui était advenu de leurs compagnons.

 

Je n'insistais plus, m'attachant simplement à leur dire combien ils avaient eu de la chance et que demain ils seraient en lieu sûr, ce qui les rassura. Je m'efforçais de me montrer assez joyeux pour détourner leur attention.

 

A la tête de Paul, je voyais qu'il comprenait de plus en plus combien les deux hommes étaient suspects, surtout depuis qu'il avait entendu, sans comprendre l'anglais, qu'ils m'affirmaient venir de Lyon et de Toulouse, alors qu'à leur premier contact ils avaient parlé de Limoges. Je sentais que mes doutes se confirmaient au fur et à mesure que les minutes passaient, mais hélas, je ne pouvais prendre une décision sans avoir une certitude. Je dois avouer qu'à ce moment-là, je fus servi par de très heureuses circonstances.

 

En Français cette fois je m'adressai à Paul, lentement et très distinctement « nous allons aller à la maison là-bas quelques minutes avec Louis pour voir comment et dans quelles conditions nous viendrons chercher ici demain nos deux amis ».

 

Le gros écoutait mes paroles et j'eus la nette impression qu'il comprenait notre langue bien mieux qu'il ne nous l'avait laissé paraître. Puis, me tournant vers les deux évadés, je leur lançais :« restez tranquilles, ne vous montrez pas et à demain »... ils me serrèrent la main.

 

J'avoue que le dernier regard du gros me parut assez suspect ; il traduisait à la fois la colère contenue et en même temps une inquiétude, une sorte de pressentiment que nous n'étions pas dupes. J'en eu d'ailleurs la confirmation presque immédiate.

 

En partant, Louis avait bien refermé la porte de la cabane. Or, quand je me retournai, très discrètement, je vis cette porte légèrement entrebâillée. Les deux hommes et plus certainement le gros nous épiaient et s'assuraient que nous allions bien entrer dans la construction de pierres à une trentaine de mètres de là. Nous venions à peine de pénétrer que Louis, le fusil à l'épaule, nous rejoignit. « Alors, c'est bon ou mauvais ? ».

 

«  Je crains que cela ne soit pas très bon, lui dis-je, mais ce n'est pas fini » et sans prêter attention à leur étonnement, je poursuivais « Paul, restez devant la porte comme si vous me parliez à l'intérieur ». « Louis, allez reprendre votre garde et s'ils sortent en courant, tirez puis approchez-vous et tenez-les en joue. Moi, j'en ai pour cinq minutes et je reviens ici où vous me rejoindrez ».

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Article paru dans le Bulletin N° 117

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