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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
LA MISSION BADEN-SAVOIE T.R. JEUNE (9)
 

Après avoir séjourné quelques jours dans la région de Vic-de-Bigorre et réglé tous les problèmes de liaisons et d'acheminement du renseignement qui s'y posaient (cf. B.L. 104) notre camarade Elly ROUS décide de gagner Pamiers.

par Elly ROUS

Il était six heures et demie le lendemain matin quand je quittai l'annexe de l'Hôtel de l'Orient pour aller chercher ma bicyclette à la Place aux Bois chez REULET. Je n'étais pas arrivé au carrefour devant la mairie quand je rencontrai ce dernier, mon vélo à la main, qui venait vers moi. Très touché de cette délicate attention, je le remerciai. « Ce n'est rien me dit-il ; il y avait devant le café deux camions, arrêtés depuis une heure qui ne me disaient rien de bon... », il fit quelque pas avec moi..., je lui serrai la main avant de remonter en selle. « Vous trouverez un petit casse-croûte dans vos sacoches » me lança-t-il.

 

La route de Toulouse était déserte. Pour gagner un peu de temps, je décidai d'éviter de faire le détour prévu par la Barthe-de-Neste et m'engageai dans la descente qui passe devant la gendarmerie avec sa petite tour caractéristique. A quelques mètres de là, je bifurquai en bas de la côte sur la droite vers le haut d'Escala. Il faisait frais, une légère pluie commençait à tomber quand je traversai Cantaous-Tuzaguet pour me retrouver sur la départementale de Montréjeau. Arrivé au raidillon d'Anères, j'appuyai davantage sur les pédales et poursuivis par Saint-Laurent. A l'exception de deux ou trois paysans qui se rendaient aux champs, je ne rencontrai personne.

 

J'aimais cette température qui me permettait de maintenir une bonne allure. Je remarquai alors que mon vélo semblait mieux rouler que d'habitude et je compris bientôt que ce brave REULET, sans rien me dire, avait dû graisser un peu mon pédalier. J'aurais voulu pouvoir, comme d'habitude, m'évader un peu par la pensée, mais j'avais l'impression qu'il me fallait à présent tellement faire attention que mon esprit, malgré moi, se concentrait sur le travail particulièrement important que je devais effectuer au cours de cette journée. Montréjeau, Pointis-Rivière, Martres, Valentine venaient de se succéder et déjà je distinguais devant moi, sur ma gauche, la haute tour carrée qui domine Saint-Gaudens et ses paliers étagés d'habitations et de jardins. La traversée de Miramont me parut interminable. Je croisai deux gendarmes qui me dévisagèrent sans rien me demander. A Pointis-Isnard, je sortis rapidement du village en passant le pont sur la rivière. Après les Artigues, je grimpai en danseuse jusqu'à Figarol, dépassai la bifurcation de Montsaunès et après un court passage plat qui me permettait d'apercevoir les hautes cimes enneigées des Pyrénées ariégeoises qui se découpaient à l'horizon je me lançai dans la longue descente qui mène à Marie à proximité du Monument aux Morts et du pont sur le Salat. Quelques minutes après, je frappai à la  porte de la cuisine du transporteur Boué et entrai dans la vaste pièce où brillait un bon feu de bois.

 

La maîtresse de maison s'occupait de sa petite fille et de son ménage.  Elle me reçut très gentiment, mais avait l'air anxieuse et préoccupée. Elle  alla aussitôt chercher son mari dans l'atelier voisin. Quelques instants après celui-ci arrivait. De petite taille, le visage rond surmonté d'un béret, le regard malin et pétillant, Boué  qui par son métier de transporteur, sa connaissance du pays et ses rapports étroits avec les résistants du secteur, pouvait nous  donner de précieux renseignements, était en relation directe avec nos amis de Lannemezan par l'intermédiaire desquels nous étions entrés en contact avec lui.

 

De son vaste entrepôt voisin où étaient rangés plusieurs gros camions, il fit venir deux jeunes gens qu'il me présenta par leurs prénoms et qui se préparaient à partir pour Boussens. Je compris qu'il s'agissait de deux chauffeurs qui devaient ravitailler le maquis ou s'occuper du déplacement de certains résistants. Un troisième homme, qu'il appela ADRIEN, passa rapidement, me serra la main, lui parla quelques minutes à voix basse puis repartit, tandis que je recueillais les renseignements précis sur la situation de la Résistance dans l'Ariège, l'arrivée de miliciens à Foix, les dangers que présentait actuellement un séjour à Saint-Girons, notamment aux alentours de la gare à l'arrivée des trains. Mme Boué  nous prépara une tasse de café de sa fabrication que je dégustai avec un plaisir extrême.

 

Quelques instants après, je prenais congé de mes hôtes et me retrouvais sur mon vélo. Le temps était frais, un vent léger faisait courber l'herbe déjà haute de chaque côté de la route tandis que plus en retrait, les teintes verdoyantes des arbres semblaient vouloir annoncer que le printemps s'apprêtait à céder sa place à l'été.

 

J'avais bien marché car il y avait une heure à peine que j'avais quitté Marie et j'apercevais déjà la pittoresque colline de Saint-Lizier au pied du Salat. A l'entrée de Saint-Girons je pris une allure beaucoup plus lente, susceptible de moins éveiller l'attention. Le terre-plein devant la gare était encombré de camions entourés de soldats allemands qui chargeaient de grandes caisses. Je ne m'attardai pas et quelques minutes après j'étais sur la route de Foix qui, jusqu'à Lescure, était assez plate et peu fatigante. Parvenu à la bifurcation, je m'élançais dans la longue montée de Clermont et après Maury, je descendais quelques minutes pour souffler un peu et manger mon sandwich. Je traversai la Grotte du Mas d'Azil qui était déserte. Arrivé à la sortie, au moment précis où je revenais au grand jour, je remarquais sur le bas côté de la route plusieurs bicyclettes de l'armée allemande reconnaissables à leur forme et à leur couleur vert-de-gris. Leurs propriétaires ne devaient pas être très éloignés. Je me tenais sur mes gardes un peu inquiet mais m'efforçant de ne pas le paraître. Je continuais à pédaler très tranquillement, sans accélérer mon allure et j'arrivai ainsi au village du Mas d'Azil sans qu'aucune présence ennemie ne se soit manifestée. Je ressortais bientôt sur la route qui mène à Sabarat, étonné de ce calme qui ne me disait rien de bon. Décidément, j'avais de la chance en ce moment, car j'étais passé sans encombre dans un secteur que je redoutais. Cet heureux concours de circonstances allait me stimuler pour grimper les côtes longues et prolongées qui se dressaient devant moi. Je franchissais Menay et Pailhès, coupais la nationale de Toulouse à Foix et m'engageais dans la dernière partie de l'itinéraire qui par Gouses, Rhodes et Escosses, devait me conduire au terme de mon étape.

 

UN AVERTISSEMENT INQUIÉTANT

Je venais de traverser cette dernière localité et de décider d’éviter Escosse en prenant un raccourci qui allait me conduire plus directement à Pamiers et, malgré le mauvais état de ce tronçon de route, me faire gagner un peu de temps, quand j'aperçus à quelques mètres devant moi un cantonnier au travail près du fossé au bord de la chaussée. Dès qu'il me vit, il me fit un signe amical de la main et s'avança vers moi de ce pas lent, traînant de montagnard habitué aux longues marches dans les sentiers abrupts. « Ça c'est une chance et je suis bien content de vous voir SERRA » s'écria-t-il en me tendant la main ; « vous arrivez à point, car je vous guettais depuis plus de vingt-quatre heures sans grand espoir de vous découvrir... Mme GUICHARD a appris par JOUCLA que vous alliez venir, mais nous ignorions quel jour et à quel moment ». Dès les premières paroles, j'avais reconnu le vieil ami de la famille GUICHARD et de Mlle MAILLARD - le brave FAURE - qui se rendait parfois chez le « Percepteur » où je l'avais rencontré un soir. Je le connaissais peu, mais je savais que c'était un homme discret et sûr qui servait parfois d'agent de liaison entre un patriote très actif de la région, le journaliste bien connu Pierre DUMAS, camouflé dans sa demeure campagnarde d'Escosse sous le pseudonyme de Saint-Jean et quelques-uns de ses amis de la Résistance ariégeoise.

 

Épongeant son front ruisselant de sueur, il regarde tout autour de lui afin de bien s'assurer qu'il n'y avait personne dans les parages, et avant que je n'aie eu le temps de lui poser la moindre question, enchaîna : « JOUCLA vous attend avec impatience car il a beaucoup de nouvelles pour vous, mais il a eu je crois quelques ennuis et m'a bien recommandé de vous dire, si je vous apercevais avant votre arrivée à Pamiers d'aller directement chez lui sans prendre contact avec personne ; il a bien insisté : absolument personne, même pas vos amis. Si vous n'étiez pas venu, je crois qu'il avait l'intention de vous envoyer une jeune femme que vous connaissez bien qui aurait essayé de vous trouver à Lannemezan ou ailleurs et vous faire part de cette même recommandation. Dans ces conditions, je ne vous demanderai pas de passer chez moi, par Escosse, où j'aurais eu beaucoup de plaisir à trinquer avec vous, ni d'aller essayer de voir Saint-Jean qui n'est peut-être pas encore rentré de Toulouse où il est parti hier précipitamment... ».

 

J'avais écouté le cantonnier très attentivement et sans l'interrompre en imaginant déjà ce qui avait bien pu arriver pour provoquer de la part de JOUCLA, qui n'était pas un homme à perdre facilement la tête ou à s'effrayer inconsidérément, une telle réaction de méfiance. Il fallait vraiment un ou plusieurs motifs très graves, une alerte, une menace sérieuse, une arrestation, un coup dur imprévu... J'en arrivai bientôt à me demander si tout ceci n'était pas en rapport avec le passage de JEAN, mon rendez-vous avec VELLAUD, nos postes-radios cachés chez le Percepteur, mon fichier dissimulé dans le mur du jardin... toutes ces suppositions assaillaient tout à coup mon esprit mais, comme d'habitude, je m'efforçai de ne pas laisser apparaître mon inquiétude... « Je vous remercie de tout ce que vous venez de m'apprendre ; j'espère vous rencontrer un de ces jours chez le Percepteur ou chez Mme GUICHARD... Soyez persuadé que je ne m'arrêterai nulle part avant d'avoir vu JOUCLA, car il me tarde à présent d'y voir plus clair ». « Je vous comprends très bien et tout compte fait, vous avez raison de ne pas passer par Escosse aujourd'hui... malgré les nids de poule que nous n'avons pas encore eu le temps de réparer, le chemin que vous allez prendre est plus sûr... bonne route et à bientôt »... « A mentor, je l’espère » répondis-je tandis que rapidement remonté en selle je poursuivais ma route...

 

Plusieurs éventualités accaparaient successivement mes pensées et pour chacune d'entre elles, j'essayai de trouver la solution qui me paraissait la plus adéquate ; plus exactement, étant donné qu'il ne pouvait s'agir que d'événements fâcheux ou tout au moins imprévus, celle qui, dans la mesure du possible, me permettrait de limiter au mieux les dégâts et de poursuivre ma tâche dans les conditions les moins mauvaises.

Je dois avouer qu'à défaut de parvenir dans chaque cas à un résultat satisfaisant, cette évaluation prévisionnelle et calculée des dangers qui me menaçaient et qui était hélas bien loin d'être exhaustive, présentait déjà pour moi un avantage immédiat : celui de m'avoir permis de parcourir sans m'en apercevoir les derniers kilomètres de mon étape.

 

LE MESSAGE DE VELLAUD.

J'étais parvenu en effet au centre de la ville quand je pris tout à-coup conscience que j'allais arriver à l'entrée de la large avenue qui monte vers la gare et où se trouvait, en haut sur la gauche, près d'un rond-point, la demeure de mon ami le Percepteur. Malgré mon impatience, je stoppai à deux reprises, feignant de vérifier l'état de mes pneus, mais profitant de ces arrêts pour jeter un coup d'oeil à la ronde et m'assurer que je n'étais pas suivi. Je passai ensuite devant la Perception sans m'arrêter. Tout était bien tranquille ; je revenais sur mes pas, descendais de bicyclette et sonnais à la porte d'entrée. JOUCLA vint lui-même m'ouvrir et me reçut avec son affabilité coutumière, mais malgré son sourire, son regard ne pouvait dissimuler entièrement une certaine anxiété.

 

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 105

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