logofb

 

 
 
line decor
Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
line decor
 

 


 
 
 

 
 
PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
LA MISSION BADEN-SAVOIE T.R. JEUNE (7)
 

par Elly ROUS

Nous reprenons la suite des souvenirs de notre camarade Elly ROUS, chef de la mission Baden-Savoie du T.R. Jeune opérant en 1944 dans le sud­-ouest de la France occupée (1).

 

Une nuit assez fraîche m'avait apporté le réconfort d'un sommeil profond et réparateur dont j'avais bien besoin. Je me réveillai à l'aube dans la quiétude de cette ambiance champêtre seulement troublée par la voix éraillée d'un coq et le sifflement d'un merle dans une haie voisine.

 

LE RENDEZ-VOUS AVEC GASTON.

Le jour se levait peu à peu tandis que j'appréciai le bol de café au lait que venait de me servir mon hôte. " Je vous ai fait préparer un casse-croûte pour la route " me dit-il en me montrant un petit paquet qui renfermait un morceau de pain et une tranche de jambon du pays. Tandis que je le remerciai il poursuivit " un gendarme envoyé par son capitaine, est venu me confirmer hier à Béraut, le rendez-vous que vous deviez avoir avec GASTON pour la semaine prochaine ". Au sourire ironique qui apparaissait au coin de ses lèvres en prononçant ces paroles, je compris qu'il connaissait fort bien à la fois l'officier de gendarmerie, résistant très actif que j'avais eu l'occasion de rencontrer lors de mon dernier passage à Condom et le personnage qui se cachait sous le pseudonyme de GASTON, c'est-à-dire le colonel anglais HILAIRE. " Le messager reviendra demain soir prendre votre réponse " ajouta-t-il. " Que dois-je lui dire ? " Je réfléchis un instant, car cette nouvelle risquait de perturber très sérieusement mes projets immédiats. En effet, des contacts excessivement importants étaient déjà prévus dans le cadre de ma mission et deux tâches prioritaires, qui ne pouvaient en aucune façon être retardées s'imposaient : celle de faire le point des courriers et des télégrammes-radios à Vic-­Bigorre, avec mes coéquipiers et celle capitale pour " Baden-Savoie " et quelques réseaux amis, de me rendre à Pamiers, retrouver mon ami le capitaine VELLAUD, responsable des T.R. Jeunes.

 

" Vous pourrez dire au gendarme que je ne serai pas en mesure d'aller moi-même au rendez-vous car je dois me rendre d'urgence dans l'Ariège, mais que JEAN, mon adjoint, me remplacera et viendra à l'endroit que lui fixera GASTON la semaine prochaine. Auparavant, il passera d'ailleurs par ici pour vous voir, s'assurer que tout est en ordre et connaître les conditions précises, date et lieu de la rencontre. Si d'ici là il s'était passé quelque chose de grave concernant ce contact, coup dur, arrestations, dites bien à JEAN que ce rendez-vous est supprimé et qu'il revienne immédiatement pour m'en informer ". " J'ai bien compris, vous pouvez compter sur moi " me répondit le brave homme tandis que nous nous acheminions ensemble vers la grange attenante qui précédait la maison au-dessus du tertre près de quelques grands chênes centenaires. Je récupérai rapidement mon " piano " roulé dans un vieux sac de jute qui s'était un peu imprégné de l'odeur désagréable de la cachette. Sans perdre de temps, je rangeai mes affaires dans ma valise, comme d'habitude, le poste au fond, séparé par quelques journaux et de mon linge, avant de fixer le tout sur mon porte-bagages à l'aide de plusieurs courroies.

 

LES  INFIRMIÈRES  DE CAMBRONNE.

J'étais à la fois ennuyé et navré à la pensée de ne pas avoir la possibilité de discuter moi-même avec ce fameux GASTON que, pour des raisons spéciales, à la suite de divers renseignements, nous avions surnommé " Cambronne ". J'étais persuadé que nous n'aurions certainement pas manqué d'échanger quelques précieux " tuyaux " et d'aborder de nombreux problèmes particulièrement intéressants pour mener à bien des tâches respectives différentes qui convergeaient cependant vers les mêmes objectifs. Je connaissais d'ailleurs le rôle important, assez controversé parfois mais réel et efficace joué par cet officier anglais d'adoption, dans la résistance de la région. Il constituait pour moi l'une de ces figures marquantes dont le dynamisme et les décisions à l'emporte-pièce risquaient de choquer un peu les timorés et les temporisateurs. Je n'étais pas sans ignorer non plus que la présence à ses côtés de ses deux jolies adjointes dont nous avions appris l'arrivée nocturne en France, et que pour des raisons de prudence nous appelions " ses infirmières " dans nos fiches et nos courriers, n'avaient pas manqué de provoquer des commentaires divers. Personnellement, la présence de l'équipe de CAMBRONNE, malgré quelques dangereuses excentricités de Colette, en réalité " sa pianiste " et le précieux appoint d'Annette qui, accompagnée de Claude, était venue les rejoindre quelques semaines après par la même voie aérienne, me paraissait à la fois très utile et sympathique. Cette dernière appréciation était sans doute due au fait que leur mission avait commencé en France en même temps que la nôtre, c'est-à-dire dans les premiers jours de janvier et aussi, je dois l'avouer, à une certaine admiration que j'ai toujours éprouvée à l'égard de ces jeunes femmes qui volontairement avaient accepté de tout sacrifier pour nous aider dans notre difficile et terrible besogne.

 

" Encore un mot " dis-je à mon hôte en lui serrant la main: " si quelqu'un venait vous trouver de ma part, vous ne savez rien et vous ne me connaissez pas tant qu'il n'aura pas prononcé ces paroles " l'histoire de Saint-Orens est magnifique "; ceci est valable, même pour mes collaborateurs directs... je crois que je repasserai bientôt par ici car les événements se précipitent... ". " Vous serez toujours le bienvenu ; si par hasard je n'étais pas là, vous me trouveriez à Béraut, à deux pas d'ici... ". " L'histoire de Saint-Orens est magnifique ", me lança-t-il en souriant malicieusement tandis que je descendais à pied le court raidillon caillouteux qui mène à la route en contrebas et que quelques secondes après j'enfourchai ma bicyclette en lui adressant un signe amical de la main.

 

REPRISE DU VOYAGE.

Le temps s'était considérablement amélioré depuis la veille. Les premiers rayons de soleil, encore timides, perçaient les nuages clairs à l'horizon. Comme une légère fumée, une buée blanche montait des champs de maïs et de blé en exhalant le parfum caractéristique de la terre humide. Des martinets zigzaguaient dans le ciel en poussant des petits cris aigus. On aurait pu croire que la nature s'efforçait de distraire mon esprit afin de lui faire oublier la triste réalité des circonstances présentes, mais hélas, je n'étais pas dupe et il me suffisait de me remettre en selle et surtout de retrouver ma valise et son dangereux contenu pour que malgré mes multiples préoccupations et mes graves soucis, je me remémore tout à coup ma terrible aventure de la veille et que j'imagine un instant qu'elle pourrait se renouveler cette fois, peut­-être, avec moins de chance. Je m'efforçai alors de penser uniquement à l'itinéraire que j'allais emprunter, celui que j'avais choisi compte tenu des circonstances et de mes derniers renseignements. Peu à peu, mes craintes et mes appréciations s'évanouirent. Je roulais à présent, à bonne allure, sur l'étroit chemin qui rejoint la route de Condom à Saint-Puy et qui en obliquant à droite, de suite après l'avoir atteint, passe par Maignaut, proche du château de Tauziac pour gagner Valence-sur-Baïse et de là par Marembat, Vic-Fezensac. En évitant Peyrusse-Grande et Bassouès, je comptais poursuivre ma route par Lupiac, Mondebat, Plaisance, Ladevèze-Rivière, Auriebat et Maubourguet. Là, je ne prendrais pas la nationale de Tarbes, trop fréquentée, pour arriver à Vic-Bigorre par ces petites voies bien tranquilles que je connaissais bien et qui, au milieu des champs de maïs et des bois de peupliers en traversant Lafitole, Gensac et Artagnan me permettraient d'entrer à Vic-Bigorre par le quartier de la gare, précisément à l'endroit où, chez mon ami VERGEZ, je devais retrouver enfin mes collaborateurs.

 

EN PÉDALANT AVEC UN " PIANO " DANS LA VALISE.

Je pédalais fermement tout en surveillant attentivement les alentours et en observant les moindres détails, ce qui présentait l'avantage de me faire oublier mon piano et les documents dissimulés dans le cadre de mon vélo. Pour parvenir encore mieux à ce résultat, je ne tardais pas à utiliser, une fois de plus, les quelques trucs personnels, devenus familiers dont j'ai parlé précédemment à maintes reprises et qui jusqu'ici ne m'avaient pas mal réussi. Je me concentrais sur des souvenirs précis, la plupart du temps assez drôles ou gais, je répétais mes mots de passe à voix basse, les heures et les lieux de mes rendez-vous, je résumais les grandes lignes du travail accompli, ce qui finalement me permettait de faire le point de la situation présente. C'est ainsi que j'évoquais successivement au gré d'associations d'idées en apparence assez incohérentes la soirée passée en Algérie avec VELLAUD dans ce restaurant - style hawaïen - au coeur de la forêt de Baïnem, au cours de laquelle nous nous étions racontés des histoires tellement drôles que nos rires nous avaient, un instant, empêchés de goûter aux délicieux plats exotiques qui figuraient au menu. Dieu sait pourtant si nous avions bon appétit ! Je revois encore sa mimique quand je lui narrai comment je m'étais laissé prendre à la chasse " aux Tchibeks " par mes amis de l'A.S. de Bouffarik, l'aventure de l'infortuné consul d'Italie à Alger lors du débarquement du 8 novembre 1942 lorsque son chauffeur, un collaborateur de mon ami ACHIARY, patron de la D.S.T., l'avait conduit dans la cour du commissariat central ; la réponse de mon vieil adjudant de compagnie de Bel-Abbès qui croyant à une plaisanterie classique répondit au gouverneur général de l'Algérie, M. BORDES qui me demandait amicalement au téléphone " si vous êtes le gouverneur, moi je suis le pape... " et les désopilantes fables de La Fontaine récitées, en sabir, avec un talent particulier par Alain de SERIGNY, directeur de L'Echo d'Alger quand nous faisions ensemble notre culture physique à l'hôtel Aletti, quelquefois sous les yeux étonnés de quelques membres de la commission d'armistice allemande !

 

RÉTROSPECTIVES DES COURRIERS D'ESPAGNE.

C'est ainsi qu'en appuyant régulièrement sur mes pédales, contraint parfois de me mettre " en danseuse " quand les montées étaient trop raides, je traversais la belle campagne gerçoise dont les nombreux promontoires qui se succédaient à la manière des montagnes russes m'offraient cependant l'avantage de pouvoir découvrir, loin devant mes yeux les routes à flanc de côteaux et au fond des vallons. Posément, je passais en revue dans ma tête les faits saillants de mes derniers courriers d'Espagne, c'est-à-dire les renseignements que je transmettais par l'intermédiaire de CABALLÉ via Bourg­Madame à destination de la " Calle Montaner " et " Cid-Barcelone ". J'avais fait une demande de contrôle d'étanchéité concernant certaines anciennes filières dont celle empruntée par Monique, la fille du général GIRAUD, pour se rendre à Alger, afin de savoir si ce passage pouvait encore éventuellement servir pour certains acheminements urgents qui nous étaient demandés pour des personnalités attendues en A.F.N. J'avais également sollicité des vérifications d'identités de personnes " importantes " dont le caractère absolument sûr n'était pas évident à mes yeux. Ainsi furent " laissés pour compte " ou " interceptés " dès leur arrivée dans un port ou sur un terrain d'aviation d'Afrique du Nord et mis en état d'arrestation à leur grande stupéfaction des individus spécialement envoyés par nos ennemis pour noyauter la Résistance et dont les papiers étaient apparemment en règle. Dans la catégorie des indésirables moins dangereux figuraient aussi des opportunistes, plus ou moins recherchés par la Gestapo comme ils l'affirmaient, dont le seul souci était de passer la frontière sans encombre, pour poursuivre leur commerce en Espagne ou de l’autre côté de la Méditerranée.

 

A LA SATISFACTION D'ALGER.

Nous souhaitions aussi recevoir des détails sur les boîtes aux lettres d'Axat et de Prades qui avaient bien fonctionné et connaître des nouvelles voies à travers les Pyrénées que nous pourrions utiliser pour recevoir des postes émetteurs de Barcelone. Nous avions aussi réussi à faire passer des collections entières de journaux du Midi et de nombreuses autres provinces françaises. Un contact précieux avait été établi par nos soins entre CABALLÉ et le lieutenant des douanes qui travaillait pour nous sous le nom de MARTIN dans le secteur de Bourg-Madame à la frontière. Un rendez-vous avait été fixé pour qu'ils se rencontrent à Pamiers afin d'effectuer quelques rectifications et modifications qui me paraissaient tout-à-fait souhaitables pour accroître la sécurité des passages dans la région de Puigarda à l'avenir. Nous avions passé le signalement complet et l'identité d'un agent important de la Gestapo qui, sous l'aspect inoffensif d'un commerçant espagnol opérait dans ce secteur, vraisemblablement sous la protection et avec l'aide des autorités administratives locales. De nombreux courriers avec une foule de renseignements militaires et civils avaient été envoyés à Alger par nos soins en transitant par " Cid-Barcelone ". A ce sujet, ce qui me réjouissait particulièrement et présentait en même temps une importance capitale, c'étaient les délais, plus que satisfaisants et encourageants, dans lesquels s'effectuaient ces délicats passages. Ainsi, notre courrier du 4 mai était parvenu le 6 au matin à Barcelone qui, après en avoir pris connaissance, l'acheminait dans la soirée de la même journée en " couinant " l'essentiel à CAILLOT ou à RIQUET à " El Biar ". En dehors des émissions radios directes souvent quotidiennes mais hélas trop courtes, quarante-huit heures pour tenir Alger au courant des événements qui se passaient autour de nous et ceci au milieu des pires dangers et des difficultés de toutes sortes qui grandissaient chaque jour, il y avait de quoi se montrer fier et je ne manquais pas de communiquer cette fierté à mes collaborateurs directs et à tous mes amis du réseau. Par ailleurs, les compliments d'Alger, éloquents et adroits dans leur concision, venaient sans cesse stimuler notre ardeur : " Bravo ", " continuez ", " sincères félicitations ", " vous travaillez comme des dieux ", inévitablement accompagnés des classiques conseils de prudence " en cas d'alerte stoppez travail ", " essayez de gagner lieux sûrs "... se succédaient presque sans interruption. L'une de ces recommandations dans son laconisme sans doute involontairement humoristique avait eu pour effet de provoquer chez moi un immense éclat de rire ; elle précisait très exactement " en cas de danger pressant, faites le mort "... or, il y avait de grandes chances que si l'étau continuait à se resserrer autour de nous comme il le faisait de plus en plus, nous risquions " de faire le mort " sans qu'il s'agisse d'un simulacre !

 

UNE SITUATION DE PLUS EN PLUS DIFFICILE

Il est certain qu'en cette fin d'avril la situation de notre filière franco-espagnole devenait de plus en plus critique et cela au moment même où le volume des tuyaux importants et urgents s'accroissait dans des proportions considérables. Personnellement, j'élaguais, je triais, j'en arrivais à ne passer presque exclusivement que des indications et des nouvelles de la catégorie " A ", c'est-à-dire de valeurs " très sûres ". Par mesure de prudence, j'avais prévenu " Cid-Barcelone " et Alger qu'un prochain " courrier-bidon " présentant toutes les apparences d'un courrier authentique mais marqué d'une croix de Lorraine en coin ne renfermerait en réalité que des tuyaux crevés mais plausibles, de façon à pouvoir vérifier l'étanchéité de notre filière. En ce sens, j'avais stipulé, entre autres " un rendez-vous très urgent " dans un café de Barcelone, proche de la Rambla de las Flores, dont j'indiquais l'adresse exacte ainsi que le jour et l'heure et un mot de passe pour le patron (qui n'était pas dans le coup et naturellement ne comprendrait rien).

(1) Cf. B.L. 92.

 

 

 
Début / Suite / Haut de page
 

 

Article paru dans le Bulletin N° 95

Dépot légal - Copyright

Enregistrer pour lecture hors connexion.

Toute exploitation, de toute nature, sans accords préalables, pourra faire l'objet de poursuites.

Lire l'Article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle. - Code non exclusif des autres Droits et dispositions légales....