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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
UNE ÉQUIPÉE T.R. EN ALBANIE (Janvier 1945)
 

Dans le vivant récit qui va suivre, l'un de nos camarades, ex-chef d'un poste T.R. important, raconte avec tact et discrétion sa première mission dans ce pays peu connu qu'est l'Albanie, bastion avancé des Républiques populaires sur l'Adriatique.

L'image qu'il en brosse est saisissante, comme est saisissante l'idée qu'il donne de son travail: plein de risques mais vaste, divers et toujours passionnant.

L'initiative, l'observation, le courage sont à l'honneur autant que le sens aigu des intérêts de la France et des besoins de sa défense.

Nous sommes sûrs que nos adhérents apprécieront cette contribution magistrale à l'Histoire de nos Services.

 

Bien que chargé du service français de contre-espionnage en Italie et dépendant du XVe Groupe d'Armée (8e Armée britannique et 7e Armée américaine, dont faisait partie le C.E.F., notre corps expéditionnaire) je n'en avais pas moins reçu de mon chef d'Alger, le commandant PAILLOLE la mission de renseignements secondaire " de chercher toute occasion de reprendre pied dans les Balkans ".

A cet effet j'entretenais depuis juillet 1944 sur la côte adriatique, à BARI, une antenne chargée de recueillir les renseignements ramenés par les éléments de toutes provenances et de toutes nationalités ayant passé le canal d'Otrante. J'avais obtenu des Anglais que mes officiers puissent participer aux interrogatoires des réfugiés, ou les interroger eux-mêmes.

C'est ainsi qu'un beau jour le capitaine W., qui commandait l'antenne française me fit savoir à ROME que des officiers albanais de partisans avaient débarqué à BARI, déclarant que des missions parachutées russe, britannique et américaine venaient d'arriver à TIRANA. D'où l'envoi de deux chiffrés : l'un sur BARI prescrivant de faire annoncer à TIRANA l'arrivée imminente d'une mission française, l'autre sur ALGER rendant compte du premier.

 

En route pour TIRANA

Le service se servait alors pour ses liaisons de petits bimoteurs CESSNA, conçus comme avions-école, mais que nous utilisions allègrement pour des parcours relativement longs. Ils se posaient sur le terrain militaire du LITTORIO, désaffecté depuis, situé à proximité du PINCIO où se trouvaient les deux villas de mon P.C. romain ; si nos radios n'avaient pas " accroché " l'avion, celui-ci nous prévenait en toute simplicité par une ou deux " passes " à basse altitude : c'était le bon temps.

Je ne me souviens plus si j'ai décollé de ROME ou de BARI, où je serais allé recueillir les derniers renseignements sur " l'esprit de la partie " ; toujours est-il que la mission du Gouvernement provisoire de la République Française se composait essentiellement du sous-lieutenant radio C. et de moi-même, sans mandat officiel.

Il faisait un temps radieux au-dessus de l'ADRIATIQUE, dont la traversée fut d'autant plus brève que nous échafaudions toutes sortes d'hypothèses sur l'aventure qui s'annonçait et qui pouvait fort bien se terminer mal, car les partisans albanais, tous communistes, avaient la détente joyeuse et facile, et nous le savions.

Première émotion en abordant DURAZZO : les couleurs françaises ont le bleu très clair, et comme nous nous présentions à contre-jour (c'était l'après-midi), nos hôtes pouvaient le prendre pour du vert. Les marques italiennes du temps du fascisme consistaient bien en un anneau blanc englobant trois faisceaux parallèles également blancs, il n'empêche que les Albanais pouvaient supposer que les avions de BADOGLIO avaient repris les couleurs nationales ; mais il ne faut pas oublier que depuis le fameux débarquement du Vendredi Saint 1937, à DURAZZO, aucun Italien n'était en odeur de sainteté outre-adriatique ! Force nous fût de nous dandiner en battant des ailes, pour montrer que nous étions des amis et afin de ne pas risquer la giclée d'un servant de D.C.A. ému et ignare.

Autre émotion en abordant TIRANA, dix minutes plus tard : une partie du terrain était plantée " d'asperges "- pieux de défense contre les parachutistes - et la piste encore partiellement parsemée de trous et encombrée de prisonniers italiens occupés à la déminer. C'est ainsi, en tout cas, qu'un avion français a eu l'honneur de se poser le premier sur le terrain d'une capitale dont la libération n'était pas même achevée. Je passerai sous silence les affres par lesquelles nous sommes passés au cours de ces longues minutes, car nous n'étions pas inconscients, mais il y allait de l'honneur du pavillon puisque nos alliés nous avaient malencontreusement précédés par parachutage.

Un major botté, portant au calot l'étoile rouge à cinq branches nous a accueillis avec un certain ahurissement, mais semblait pourtant prévenu de notre éventuelle arrivée, il s'exprimait en un français correct (il valait mieux ne pas utiliser l'italien) et je n'ai eu aucun mal à obtenir de lui une audience du chef du Gouvernement National (et généralissime) Enver HODJA, qui devait me recevoir le lendemain matin. Une voiture munie d'un garde armé, nous conduisit à l'hôtel de grand luxe dont j'ai oublié le nom (celui, je crois bien, du sommet dominant la ville et sur lequel l'inscription " Duce " était encore mal effacée). Nous roulâmes à travers une ville hétéroclite rappelant celles de tous les pays neufs : des masures et de modestes bâtisses à un étage voisinaient avec des immeubles modernes, des chantiers d'ailleurs en panne - à cause des événements - jouxtant des terrains vagues élus par des troupeaux de chèvres, de moutons ou de cochons noirs pendant que des chiens faméliques se disputaient des tas d'ordures. Passablement de bourricots rappelant l'Afrique, comme les minarets élancés analogues à ceux de Tunisie, avec l'anneau de leur balcon circulaire et leur chapeau conique ; une ou deux mosquées à la façade précédée d'arcades, ont leurs murs extérieurs peints de fresques de tonalité sanguine, à motifs végétaux et présentant beaucoup de caractère.

Un immense quartier à la voierie encore défoncée, et qui occupe peut-être le quart de la superficie de cette capitale pourtant étendue et aérée à la fois, est de construction italienne très récente : il s'agit d'un très imposant ensemble, digne de cette tête de pont de la " Spinta verso l'Oriente " (1) , en direction de la péninsule entière des Balkans. Ces bâtiments grandioses devaient abriter les ministères d'un royaume dont personne ne croira jamais qu'il devait se limiter aux dimensions modestes d'un petit pays d'un million d'habitants : ici comme ailleurs l'ITALIE fasciste cherchait instinctivement à se pousser dans les pas des légions le long des deux voies d'ailleurs plus ou moins naturelles de pénétration vers l'intérieur (la géographie ne les favorise pas toujours) la via EGNATIA aux bornes militaires frappées de l'aigle romain, et la via di ZENTA, le long de laquelle ne subsiste plus aucun vestige du lion ailé de la République de Venise.

C. et moi, nous nous sommes bornés, pour ce premier soir, à reconnaître sur les terrasses de l'hôtel la hampe où nous hisserions le lendemain les couleurs (un immense pavillon de croiseur, venant de l'« EMILE-BERTIN » (2) et les appuis entre lesquels nous déploierions notre antenne orientée vers notre base radio de Rome.

Une femme à l'aspect farouche, en uniforme à pantalon qui moule désagréablement ses fortes hanches, aux cheveux graisseux et à la mitraillette russe " balalaïka " à chargeur circulaire, nous signifie qu'elle fera les cent pas dans le couloir pour assurer, conformément aux ordres qu'elle a reçus, notre protection pour la nuit. Et c'est ainsi que nous nous apercevons combien la confiance règne : nous sommes à demi-prisonniers, et en tous cas suspects ; notre milicienne est restée intraitable quand nous lui avons fait comprendre que nous n'avions besoin de personne et estimions d'ailleurs ne pas risquer grand'chose, en dépit des coups de feu qu'on entendait de temps à autre dans les environs immédiats.

Le lendemain soir, notre peu appétissante amazone était remplacée par un gamin de douze à quatorze ans, tout aussi rogue - comme j'exprimais la crainte qu'il commette quelque imprudence avec une mitraillette qui n'était pas un jouet, je me suis fait vertement répondre qu'il était le soldat le plus sérieux et le plus discipliné de sa compagnie.

 

HODJA et ses ministres

Le major botté de la veille est venu à l'heure convenue nous chercher en voiture pour nous mener à l'audience d'Enver HODJA. Il préside toujours comme Dictateur, aux destinées de son pays et je ne me doutais certes pas, à l'époque, qu'il inaugurait un règne aussi long. Lui non plus, peut-être, car il ne chercha pas à m'impressionner au cours de la bonne heure d'entretien qu'il nous accorda.

C'était un homme d'assez haute taille, probablement d'un âge voisin du mien, aux traits réguliers déjà un peu empâtés par un embonpoint précoce et bien oriental. Il s'exprimait à peu près sans accent dans un excellent français, ayant pratiqué notre langue plusieurs années au lycée français de KORTCHA (GORITZA) où il avait été élevé et se trouvait encore comme " pion " en 1937 au moment de sa fermeture par les autorités fascistes.

Il ne me donna aucun renseignement tant soit peu précis sur le processus de la libération du territoire, peut-être en était-il incapable et n'avait-il que de précaires liaisons avec des maquis qui n'en faisaient qu'à leur tête ? La politique l'intéressait manifestement beaucoup plus que les opérations militaires et nous avons eu droit à une longue protestation de foi communiste sentant la leçon apprise, avec références à la vaillante lutte du peuple soviétique, et allusions à l'aide (mais de quelle sorte?) apportée par les missions russes et titistes. Notre désir de partager pour un temps l'existence d'un des glorieux maquis progressant en direction de la frontière du DRIN, ne souleva pas le moindre écho auprès de notre hôte qui s'intéressait au contraire beaucoup à la régénération de l'Armée française par les partisans venus à travers l'Espagne : or, nos F.F.I. n'avaient encore guère de contacts avec l'Armée d'Afrique, et celle-ci que seule je connaissais, était dans son immense majorité encadrée d'éléments de carrière. Notre interlocuteur devenant soupçonneux, force me fut de m'extasier sur la vitalité des cadres surgis du peuple (heureusement mon sous-lieutenant radio était un ouvrier revenant d'une mission parachutée en France), et sur l'apport presque décisif des F.T.P. (3) dans les combats engagés pour notre libération.

Heureusement, il ne me fut pas demandé quel était l'objet exact de ma mission (censée avoir été décidée par le Général de GAULLE en personne) - lequel s'en souciait comme d'une guigne - et aucun document officiel m'accréditant auprès du mouvement révolutionnaire albanais ne me fut réclamé : après tout, je devais bien avoir de faux papiers - je ne m'en souviens même plus - comme auraient pu aussi bien en exhiber des espions français à la solde des Allemands...

MEHEMET SHEHU, ministre de la Guerre, était beaucoup plus pittoresque que son semi-intellectuel de chef. Il n'avait pas besoin de forcer son talent pour paraître vraiment révolutionnaire, mais il était aussi plus ombrageux ; il avait en particulier conservé un mauvais souvenir des gardes mobiles français qui l'on gardé dans le camp des Pyrénées (4) où avaient été internés les débris des brigades internationales (car il en avait fait partie pendant la guerre d'Espagne).

Je ne me souviens plus des autres ministres (dont aucun ne combattait plus) si ce n'est de celui de la Santé publique, un docteur je crois bien, dont la femme était française et nous aidait à nous retrouver tant bien que mal dans ce milieu inconnu et mouvant, constamment agité de remous et d'intrigues politiques.

Une autre Française était mariée à un Aroumène (minorité apparentée aux Roumains) qui malheureusement pour lui ne réussissait pas en donnant des gages au régime, à faire oublier qu'il était un affreux " ci-devant ". Nos relations avec ce ménage durent s'espacer car elles étaient presque aussi compromettantes pour nous que pour lui...

Mais l'élément le plus précieux qui servit à la mission pour l'aider à faire le point dans cet imbroglio auquel elle n'avait guère eu le loisir de se préparer, ne pouvait être qu'un interprète (5) et si possible français. Cet oiseau rare, nous le découvrîmes en recherchant le personnel de la Légation, fermée par les Italiens au moment de leur mainmise sur le pays sept ans plus tôt.

Ce fut M. B., vraisemblablement attiré par notre pavoisement sans complexe ; il avait, je crois bien des attaches albanaises pour ne pas s'être fait rapatrier, mais il appartenait au corps des " Interprètes d'Orient " du Ministère des Affaires étrangères ; et bien qu'il n'ait jamais dû faire de service militaire, j'en fis un aspirant dès que j'eus acquis la conviction que, ne nourrissant aucune sympathie pour le régime. il ne risquait pas d'adultérer notre objectivité ; il nous a même, par sa connaissance du milieu, évité beaucoup de pièges dangereux.

C'est en particulier, grâce à ses recherches et à ses démarches que, délaissant l'hôtel cadrant mal avec le caractère de stabilité que je voulais donner à la mission, nous installâmes nos pénates dans le quartier des villas diplomatiques, dans l'élégant bâtiment moderne en briques roses qui avait été l'Ambassade de GRECE, entre-temps la Gestapo en avait fait son P.C., des taches produites par des éclaboussures de cervelle maculaient les murs du sous-sol, mais les Grecs non plus n'étaient pas près de revenir.

 

L'équipe TR s'installe

Nous dûmes accepter l'inévitable garde de partisans locaux, qui était censée assurer notre protection mais s'efforçait en réalité (quand le chef de poste, le seul sachant lire, n'était pas absent) de filtrer nos visiteurs. Nous n'en descendions pas moins de temps à autre à l'hôtel, où la surveillance était moins facile, en particulier dans la prétendue boîte de nuit du sous-sol, où un orchestre italien serinait les derniers airs à la mode du temps où Victor-Emmanuel était encore roi d'ALBANIE. On coudoyait dans ce local, une faune pittoresque, d'ailleurs rarement féminine, la quasi totalité de la clientèle se pavanant dans des uniformes hétéroclites, mais inévitablement l'étui révolver au côté.

Parmi les personnages hauts en couleurs de ce prétendu lieu de perdition, un géant blond-roux aux traits réguliers, aux angéliques yeux bleus et à la barbe de Christ, anarchiste convaincu : c'était un Italien de TRIESTE, capitaine partisan, auquel le fait de savoir pointer quatre mortiers de 81 mm, avait valu le titre ronflant de " Commandant de l'artillerie divisionnaire ".

Bien entendu, j'étais allé rendre visite très protocolairement aux chefs des autres missions, qui ne m'ont pas trop considéré comme un intrus, en dépit de leur arrivée antérieure à la mienne, manifestement les Anglais relevaient de l’I.S.. les Américains de l'O.S.S., quant aux Russes, ils étaient naturellement impénétrables. Les plus froids étaient les Yougoslaves titistes bien sûr, représentés par des géants monténégrins ne parlant aucune langue connue. Aussi, n'était-il pas question avec ces derniers de s'interpeller joyeusement, comme il nous arrivait entre occidentaux, par le rituel : " Liberté au peuple, mort au facisme ! " qui figurait réglementairement comme en-tête sur tous les documents officiels.

Pendant les trois semaines que j'ai passées en ALBANIE, je n'ai jamais entendu parler d'opérations, le malheur voulait que seuls les communistes se soient lancés dans un mouvement de résistance dont les hauts faits m'ont d'ailleurs échappé. Le nord du pays peuplé de Mirdites catholiques n'avait pas bougé, le sud orthodoxe avait sympathisé avec les Grecs, le centre musulman avait, en partie, collaboré avec l'occupant italien, puisque c'est là que se trouvait la capitale et donc les fonctionnaires. Tant et si bien que le souci principal du pouvoir révolutionnaire était de faire la chasse au parti du " Bali Kombtar " (orthographe phonétique, et transcription approximative, ma mémoire me trahissant peut-être) dont les membres traqués étaient sévèrement condamnés, lorsqu'ils n'échappaient pas aux dénonciations et aux recherches. C'est ainsi que sur une des places principales de TIRANA, normalement réservée au souk, eurent lieu plusieurs séances de pendaisons ;

on m'a certifié que parfois les gibets étaient si bas que les gamins s'offraient l'espièglerie de jouer avec les orteils des suppliciés... J'avais, en tous cas, souvent beaucoup de mal à me représenter que je n'étais pas au fin fond de l'Asie cruelle et impassible... Il faut croire que le pays n'avait guère changé depuis l'époque du XVe siècle et du héros national SKANDERBEG, au casque étincelant surmonté de deux cornes torsadées d'antilope ; ce ne devait pas être un enfant de choeur, non plus que le roi ZOG.

 

Derniers jours en ALBANIE

Préoccupé par la nécessité de faire à ma mission une place au soleil pour que son caractère officiel ne soit pas mis en doute, désireux, d'autre part, de laisser à mon successeur une situation à peu près saine et les moyens nécessaires pour travailler, je n'ai pas eu beaucoup de loisirs à consacrer au tourisme. Il y avait fort à faire sur le plan matériel, ne serait-ce que pour nous procurer de la monnaie locale (francs albanais et leks) à partir de lires ou même de dollars dont personne ne voulait. Acheter une voiture posait un problème compliqué, monter un bureau ne l'était guère moins.

Je n'ai eu que rarement l'occasion de me mêler à la foule grouillante des quartiers commerçants, aux odeurs épicées de souks orientaux : les civils étaient uniformément coiffés du petit fez blanc national, mais les femmes étaient vêtues à l'européenne et la seule pièce originale du costume des paysannes consistait en chaussons montants de laine tricotée aux couleurs vives entre­mêlées de fil d'or.

Une fois, je fus convié à un repas mortuaire, dans une assemblée d'hommes qui ne paraissaient pas très affligés ; on entendait pourtant crier et gémir les pleureuses dans la pièce voisine où les femmes entouraient le cercueil ouvert. Je n'étais pas très rassuré, parce que le décès avait été occasionné par une épidémie de typhus, qui battait son plein, et aucun d'entre nous n'était vacciné : on ne peut pas penser à tout, mais je trouvais peu intelligent de risquer ainsi bêtement notre peau...

Je ne quittai la ville qu'une fois, pour une randonnée dans l'intérieur dont j'ai oublié la raison : nous sommes allés à EL-BASAN, par une route de montagne  serpentant en plein maquis, et je me souviens de notre débouché sur un balcon dominant la vallée : le bourg aux minarets pointus, les rideaux de peupliers égrenés le long de la rivière. Nous y avons déjeuné du plat national des Balkans, le  yoghourt plantureux servi dans des cuvettes individuelles beaucoup plus grandes que des plats à barbe.

Ce voyage m'a permis de me rendre compte de l'effort accompli par les Italiens pendant leur domination, sous l'angle des voies de communication : non seulement les routes étaient correctes, mais l'infrastructure de la voie ferrée était prête à recevoir ballast et rails, les remblais et déblais comme les ouvrages d'art étant terminés : ce qui n'empêcha pas le régime de se vanter, par une méthode bien connue depuis et pratiquée par tous les gouvernements libérés, en ASIE et en AFRIQUE, d'avoir en un temps record équipé leur pays délaissé par les colonialistes...

Il ne m'a malheureusement pas été possible de pousser jusqu'au très beau lac d'OHRID (OKRIDAI qui venait de servir de frontière avec la BULGARIE, celle-ci ayant été autorisée à l'époque par l'Axe, à annexer la MACEDOINE.

Les frontières étaient d'ailleurs assez incertaines en ce temps-là : la petite ALBANIE n'avait pas été la dernière à profiter de l'éphémère victoire italo-allemande, car pour punir la YOUGOSLAVIE, on avait autorisé le Gouvernement fantoche pro-italien de TIRANA à annexer les bassins de la METOHIJA et du KOS­SOVO, où vivent effectivement près de 100.000 Albanais, ces féroces Kossovars, à la réputation de bandits et de tortionnaires bien établie.

Mais TITO, par sa présence dans le camp communiste, avait fait remonter les actions serbes après l'élimination du Gouvernement imposé par l'Axe et celle des partisans royalistes de MIKHAILOVITCH.

La YOUGOSLAVIE restaurée dans son intégrité territoriale encerclait de nouveau aux deux tiers la petite ALBANIE, et il n'était pas question de créer au victorieux TITO la moindre inquiétude au sujet d'un irrédentisme périmé : c'est ainsi que j'ai vu passer au pilon, dans une imprimerie de TIRANA un ouvrage officiel édité sous l'occupation italienne et qui comportait des cartes de la grande ALBANIE éphémère taillée par Victor­-Emmanuel aux dépens de ses voisins yougoslave et grec... toute allusion à ces rêves de grandeur a été instantanément bannie de toutes les conversations, à croire qu'il n'avait jamais existé de farouches Shkipetars gémissant l'année précédente encore sous la domination étrangère.

Sans autres instructions (6), la mission française d'ALBANIE, qui avait désormais pignon sur rue (7), s'est trouvé très vite une mission supplémentaire à remplir : celle de regrouper et de rapatrier les Alsaciens et Lorrains déserteurs de la Wehrmacht qui étaient passés aux partisans locaux au fur et à mesure de la déconfiture de l'Axe.

Ce ne fut pas, on peut le croire, une petite affaire, de distinguer le bon grain de l'ivraie (beaucoup d'Allemands, au besoin prisonniers évadés, se prétendaient français). Les autorités révolutionnaires d'autre part n'étaient pas du tout pressées de se priver des services de ces éléments souvent excellents, et quelquefois irremplaçables parce qu'ils savaient lire et entretenir leurs armes.

Je dois à la vérité historique que ces braves gens n'étaient pas fâchés de se débarrasser de l'étoile rouge dont on avait affublé leurs calots, et c'est ainsi que vingt à vingt-cinq jeunes compatriotes purent rejoindre leur armée nationale, puis leurs familles, dans des conditions de sécurité et de rapidité inespérées.

Cette récupération aurait suffi à justifier l'utilité d'une mission lancée dans des conditions aventureuses. Mais indépendamment des renseignements de première importance recueillis sur place notamment sur le processus de communisation des Balkans, et en dehors de toute question de prestige (n'oublions pas que nous sommes en Orient), elle s'attaqua à quantité d'autres problèmes susceptibles de servir les intérêts de la France.

Ce rapide galop d'essai outre rideau de fer m'avait en tout cas mis l'eau à la bouche. Lorsque je pris congé du pavillon traditionnellement rouge à l'aigle noir désormais sommée de l'étoile à cinq branches, je me jurai bien de revenir faire plus ample connaissance avec l'ahurissant régime installé presque à nos portes.

(1Correspondante italienne du « Drang nach Osten » germanique.

(2) Vieux camarade de combat depuis la campagne de Norvège où je l'ai vu a quelques encablures encaisser sans dommage une bombe qui s'est logée dans la soute à mazout sans éclater.

(3)Francs-Tireurs et Partisans Français, formations à majorité communiste.

(4) Camp de Vernet, dont Arthur Koestler a parlé et qui supporterait selon lui la comparaison avec Buchenwald.

(5) La langue shkipetare comportant les deux dialectes tosque et grègue, est assez difficile et absolument unique, en ce sens, qu'elle ne s'apparente à aucune langue contemporaine - sauf paraît-il dans une certaine mesure, au basque. Elle est antérieure au latin et des travaux récents sur l'étrusque, qu'on commence à déchiffrer, révèlent des coïncidences troublantes. Il existe d'ailleurs en Italie, non plus en Toscane mais dans les Abruzzes et en Calabre, des populations albanaises qui ont gardé le costume traditionnel (notamment les femmes de Sulmona).

(6) Le chef des Services de C.E., le Commandant P. Paillole avait quitté la Maison fin novembre 1944.

(7) Si bien qu’elle sera remplacée six mois plus tard par une mission officielle.

 

 

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 36

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