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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
HUBERT VORAGE : PRÊTRE ET SOLDAT (2)
 

Dans notre dernier BULLETIN (n° 28), nous avons commencé la reproduction de la première partie du livre écrit par l'Abbé VORAGE, Aumônier des Services Spéciaux de la Défense Nationale, décédé le 9 août 1959.

Le prêtre, après avoir décrit la naissance de sa vocation sacerdotale et de son entrée au S.R. a exposé ses premières missions secrètes pendant la première grande guerre.

L'Agent " 37 bis ", alias " NORBERT ", identifié par les Services de Contre­-espionnage Allemands a été condamné à mort par contumace et sa tête mise à prix.

Il doit se réfugier en France où, jusqu'à la fin du Conflit, il devra se contenter, sur l'ordre exprès des Services Spéciaux, d'exécuter des missions d'importance secondaire qui ne peuvent suffire à son activité.

L'Abbé " NORBERT " achève ses études théologiques et se consacre à son Sacerdoce dans la Paroisse qui lui est désignée dans la Vallée de Chevreusee: Beaurières.

La Paix revenue, le démon du " renseignement " le poursuit et il exécute périodiquement, sous des identités diverses, les missions que lui confient les Services Spéciaux avec lesquels il demeure en contact permanents.

L'ennemi le recherche toujours et c'est avec de multiples précautions que le SERVICE l'utilise.

La deuxième guerre mondiale éclate.

L'Abbé VORAGE " NORBERT", désormais naturalisé Français, veut encore servir.

Le Colonel RIVET, chef du SERVICE, lui confie des missions très précises tout en évitant de le remettre en contact direct avec l'Allemagne.

La défaite accable l'Agent " 37 bis ", mais il ne renonce pas à la lutte et nous allons voir dans les pages qui suivent quelle fut, à partir de 1940, son existence d'Agent de renseignements et de Résistant.

L'Agent " 37 bis "  est mis " au vert "

...Ce 14 juillet 1940, disait l'Abbé " NORBERT " en veine de confidences, est le plus beau que j'aie vécu. J'ai vu celui de 1919. C'était celui de la Victoire. Défilé, fanfares... Mais celui de 1940, quand tout était perdu, quand nous n'avions plus rien, ce fut une vraie fête ! RIVET nous avait réunis dans une maison du boulevard des Italiens à Clermont-Ferrand. Nous, je veux dire tous ses collaborateurs dispersés par la défaite. Il nous expliquait le nouveau dispositif qu'il avait dressé, nous distribuait les consignes, nous exposait comment la présence de l'ennemi, écrasante en zone nord, occulte en zone sud, nous contraignait à un camouflage plus rigoureux, à des ruses plus subtiles. Par surcroît, il faudrait se méfier aussi du gouvernement, ligoté par la convention d'armistice.

Nous allions devoir travailler en " artistes ". Comme disait PAILLOLE : " du travail sans filet "...

Autour du chef très aimé du SERVICE se tenaient alors tous les fidèles : d'ALES, PAILLOLE, RONIN, LAFFONT, MANGES père et fils, PERRUCHE, de VILLENEUVE. SIMONEAU, PELLISSIER, MULLER, et tant d'autres, tous bien résolus à retrouver la victoire en niant la défaite. Faisant mine d'acquiescer au slogan officiel du " Retour à la Terre ", ils camouflèrent leurs activités sous des raisons sociales diverses. L'abbé " NORBERT ", lui, pouvait continuer de servir sans autre camouflage que la transformation de son nom en " DESGOUTTES ".

La paroisse que lui avait confié l'évêque de Clermont-Ferrand était un petit village juché dans la montagne, à 1.150 mètres : Borderolles. Il s'y installe au lendemain de ce 14 juillet. Privés de prêtre depuis longtemps, les montagnards lui firent fête. A la messe du premier dimanche qui suivit son arrivée, l'église regorgeait de fidèles. Se souvenant de l'auditoire qui l'avait accueilli le jour de son installation à Beaurières, il pensait que la foule montagnarde était venue, elle aussi, sous l'impulsion de la curiosité.

Il se trompait. Cette foule était pieuse. Chaque dimanche, l'église recevait le même peuple, où les hommes étaient aussi nombreux que les femmes. Il en était heureusement surpris. Ces paysans d'Auvergne étaient décidément des paysans selon son coeur, comme il aurait voulu que fussent aussi ceux de Beaurières. Ils avaient envers lui, comme envers les êtres et les choses, cette " benevolentia " qui manquait un peu aux paysans de son canton de l’Île-de-France.

Il s'était présenté comme un prêtre fatigué, surmené, que l'on avait envoyé à Borderolles parce que l'air y était particulièrement pur. Et sans chercher à en connaître davantage, ils lui avaient donné leur confiance et leur respect. C'étaient des gens simples et débonnaires. Les événements les déconcertaient. Le dimanche, au sortir de la messe, l'abbé " NORBERT " les trouvait devant l'église, groupés autour du maire et de l'adjoint :

- Alors, Monsieur le Curé, et cette situation ?

Et derechef il se faisait pour eux chroniqueur, historien, commentateur politique, professeur de patriotisme. Aucun d'eux n'avait d'informations sur rien. Personne ne lisait  les journaux. Lui seul avait un poste de radio. De temps à autre, il leur faisait des conférences dans une salle, leur expliquait les causes de la défaite, leur communiquait sa foi dans la Victoire finale de la Patrie, aidée de ses alliés. L'abbé " Desgouttes " en chaire, l'agent " 37 bis " dans la cité, rivalisaient ainsi pour porter le Curé à son plus haut degré de zèle et d'efficacité.

La mairie était submergée par les circulaires, les instructions, les notes, les décrets. Il en arrivait tous les jours. Le secrétaire perdait pied et appelait au secours. C'était l'agent " 37 bis " qui répondait.

Vichy demandait-il des renseignements statistiques sur les terres arables et leur superficie ? On lui répondait en arpents, toises, pieds. Réclamait-il une déclaration sur la récolte des pommes de terre ? Les champs devenaient brusquement ingrats, la récolte tombait au quart de sa valeur véritable.

Tout ce zèle et tous ces soins ne parvenaient pas à le détourner de la pensée de Beaurières et de ses paroisses d'Île-de-France. Il y revenait parfois clandestinement, furtivement, pour s'assurer de la bonne marche des choses et réconforter ses amis. Il arrivait à Beaurières le soir, se gardait de quitter de tout le jour le presbytère où venaient le voir ses fidèles les plus sûrs, et repartait la nuit suivante.

Beaurières lui était présent d'une autre manière que par le souvenir. Il avait auprès de lui, à Borderolles, un de ses jeunes paroissiens, son fils spirituel, HENRI, que la mobilisation avait affecté aux services du Colonel RIVET.

A la réunion du 14 juillet, à Clermont-Ferrand, le Colonel avait démobilisé son jeune chauffeur :

- Retourne auprès de ta mère.

HENRI s'était récrié :

- La guerre n'est pas finie, Monsieur le Curé. Je veux combattre auprès de vous. Je ne veux pas vous quitter.

Il était resté auprès de " NORBERT-DESGOUTTES ". Il était son chauffeur, son garde du corps, son aide en toutes circonstances.

Comme à Beaurières, l'abbé se multipliait, faisant tour à tour les métiers les plus divers. A la fin du premier été, l'école de Borderolles fut fermée pour raison d'hygiène : une invasions de poux accablait les enfants. Il fallait du savon, le curé en fabriqua. Un agent du S.R. était chimiste ; c'est lui qui fournit la formule, la soude, la gomme arabique. La graisse lui fut donnée par les bouchers de la région.

L'école une fois rouverte, la fabrication continua, les paysannes venaient de dix lieues à la ronde pour échanger du beurre contre du savon. Cette industrie prospère procurait des ressources, car il en fallait pour subvenir aux besoins des patriotes recherchés et des amis dans la peine.

Le 23 décembre 1940, à la nuit tombante, un camion militaire s'était arrêté devant le presbytère. Deux officiers en étaient descendus. Ils étaient en route depuis la veille. Il leur avait fallu toute la journée pour gravir la pente enneigée qui conduit de la vallée jusqu'au sommet où est bâti Borderolles. Encore n'y fussent-ils point parvenus sans l'aide de quelques chevaux et de plusieurs couples de vaches.

Le camion apportait au prétendu " DESGOUTTES " quatorze caisses qui contenaient des documents secrets appartenant, partie aux Affaires Étrangères, partie au Ministère de la Guerre. Dans une lettre qu'il lui adressait, le Colonel RIVET confiait cet important dépôt à l'agent " 37 BIS ", en lui enjoignant de le détruire en cas de danger. " 37 BIS " enferma les caisses dans une chambre dont la clé ne le quitta plus. Il n'était pas peu fier.

" DESGOUTTES " se souvenait des rêves d'enfant du petit BERTUS et mesurait le chemin parcouru.

Il arrivait parfois  qu'un officier du SERVICE, épuisé par son travail et mal nourri, vint se refaire chez le curé de Borderolles.

Le samedi saint de l'année 1941, il reçut ainsi le colonel S... Celui-ci était porteur d'une nouvelle considérable : des officiers allemands rencontrés à Vichy, et dont il avait gagné la confiance, lui avaient appris qu'Hitler méditait d'attaquer la Russie afin de prévenir, par une attaque foudroyante, la formation d'un second front : " La première fois qu'ils m'en ont parlé, ils étaient tout tristes, disait le colonel S... Je les ai revus hier, ils étaient incroyablement gais. Je les ai interrogés : Il est tout puissant, m'ont-il dit. Tout lui réussit. Donc tout ira bien. "

- C'est de la puérilité pure, dit NORBERT-DESGOUTTES. Ou je me trompe fort, ou c'est le commencement de la fin.

Ainsi se succédaient les jours. Presque tous apportaient au curé de Borderolles l'occasion de s'employer, dans la formule ambivalente qui lui était propre.

Le 9 novembre 1942, au début de la matinée, la sonnerie du téléphone retentit.

De Vichy, le Colonel RIVET priait l'abbé DESGOUTTES de venir le voir, toutes affaires cessantes: Borderolles est à 125 km de Vichy. Il s'embarque aussitôt et force l’allure. A Amber, il s'arrête chez son ami le docteur de WILLIANCOURT, patriote ardent, qui devait périr à la Libération sous les balles communistes (1) .

Ensemble ils commentent l'événement du jour : le débarquement américain en Afrique du Nord. Le docteur retient l'abbé à déjeuner. Celui-ci n'arrive à Vichy qu'à trois heures.

- Hélas, l'abbé ( lui dit le Colonel RIVET ), vous arrivez cinq minutes trop tard. L'avion vient de partir.

- Quel avion, mon Colonel ?

- L'avion d'Alger. Nous vous y avions retenu une place. Des gens comme vous ne sont plus en sécurité ici. D'un instant à l'autre, nous allons être à notre tour, envahis par les troupes d'occupation.

- Mais, vous-même, mon Colonel, vous restez ici ?

- Hélas, non, c'est impossible. Ma place est retenue dans l'avion de nuit.

- Et le Maréchal, que fait-il ? reprit l'abbé.

- Ce matin, il paraissait décidé à partir. Mais je crains que son entourage ne l'en dissuade. Je suis d'ailleurs convoqué par lui, pour cette heure même, et je dois vous quitter. Si vous voulez m'attendre, vous serez fixé.

Le Colonel ne revient qu'à 6 heures, sombre, mais résolu.

- Il ne part pas, dit-il. Moi, je suis contraint de maintenir ma décision. Pour vous, mon cher abbé, je ne sais quel conseil vous donner. Soyez prudent et vigilant, dans tous les cas. Si vous parvenez à vous cramponner, puis-je vous demander de veiller sur ma femme et mes enfants ? Ils sont à Lyon. L'an prochain, MONIQUE doit faire sa première communion. Si vous êtes encore là...

Il n'acheva pas. L'émotion lui serrait la gorge.

Avant de se quitter, les deux hommes s'embrassèrent, en frères d'armes qu'ils étaient. Telle était leur amitié, toujours hachée de séparations ? Se reverraient-ils jamais ? L'abbé regagna son refuge de Borderolles, en proie à une tristesse extrême. Il sentait déjà tout le poids de la solitude qui allait s'abattre sur lui. Elle ne fut pas toutefois aussi grande qu'il le craignait. Quelques officiers du SERVICE étaient demeurés. Ils ne tardèrent pas à se replier sur le presbytère de Borderolles, qui devenait ainsi, peu à peu, leur P.C. réel. Alors c'étaient de longs entretiens, au coin du feu, seulement coupés par les émissions de la radio de Londres, passionnément écoutées.

De l’angélus de l’aube  à  l’angélus du soir

Le 9 mai 1943, le curé de Borderolles emplit deux valises de victuailles et de friandises et descendit vers Lyon. Le lendemain était le jour où Monique RIVET devait faire sa première communion. Il tenait, comme il le lui avait promis, à remplacer le Colonel aussi bien à table qu'à la cérémonie même. Arrivé chez Mme RIVET au milieu de la journée, il revêtait aussitôt son tablier blanc, et requérant les services de la vieille Sophie, fidèle servante de la famille depuis vingt ans, il commençait à préparer la frairie.

Un coup de sonnette précipité retentit. Mme RIVET alla ouvrir. Elle se trouva devant deux femmes d'officiers du S.R. qui venaient lui dire leur commune inquiétude. Leurs maris n'étaient pas rentrés depuis deux jours. Peut-être y avait-il à cette absence insolite une raison de service connue de Mme RIVET ? Hélas ! celle-ci n'en connaissait aucune. Elle voulait toutefois s'informer et elle pria ses visiteuses de la retrouver à quatre heures précises, dans un autre quartier de la ville, devant telle maison qu'elle leur indiquait :

- D'ici là, dit-elle, j'aurai vu quelqu'un de ma connaissance qui pourra sans doute me donner une explication.

Et elle partit sur le champ, laissant " DESGOUTTES " à ses fourneaux.

A quatre heures et demie, elle était de retour. A sa vue l'abbé comprit tout de suite que les choses n'allaient pas.

- Je suis allé chez le Colonel C..., dit-elle. C'est sur lui que je comptais pour me donner l'explication que je souhaitais pouvoir fournir aux deux femmes de tantôt. Il n'était pas là, Mme C... non plus. Leur concierge ne les a pas vus depuis deux jours. Et figurez­vous, Monsieur l'Abbé, que les femmes de tout à l'heure ne sont pas venues non plus au rendez-vous.

- Et chez S..., dit le curé, vous n'y êtes pas allée ?

- Je l'attendais hier soir, répondit-elle, il n'est pas venu.

- Je vais aller chez lui, dit l'abbé, en détachant le tablier. C'est encore le meilleur moyen de savoir quelque chose.

Les S... habitaient une rue déserte, dans le quartier de la Demi-Lune. Au coup de sonnette de

" DESGOUTTES ", c'est Mme S... elle-même qui vint ouvrir. Elle n'avait jamais vu " 37 BIS " mais elle sût tout de suite qui était devant elle :

- C'est vous l'abbé " NORBERT " ! Oh ! Monsieur l'abbé, n'entrez pas chez moi. Vous sommes surveillés par la Gestapo. Cette nuit les policiers sont venus fouiller la maison de fond en comble. Ils n'ont rien trouvé de suspect. Mais ils n'ont rien dit non plus. Je suis bien perplexe.

- Et votre mari, Madame ?

- Il n'a pas reparu depuis quarante-huit heures !

C'était plus qu'une alerte. L'abbé " NORBERT " était persuadé que le S.R. venait de subir une nouvelle et grave épreuve. Après s'être assuré d'un coup d'oeil que la maison n'était pas surveillée, il franchit le seuil. Il fallait arrêter tout de suite un plan d'action. Un jeune garçon de 14 ans, fils du Commandant, était là. L'abbé le dépêche à la recherche d'un chauffeur du SERVICE, qu'il sait domicilié à trois cent mètres de là. L'enfant revient bredouille : le chauffeur est au courant de la perquisition, il n'ose venir. Il a peur. " 37 BIS " se fâche, renvoie son messager auprès du trembleur :

" Tu lui diras que c'est un ordre du Service, qu'il n'a pas à discuter ".

Quelques instants plus tard, l'homme est là. Pour se donner une contenance, il a acheté un paquet de cigarettes, et l'a tenu à la main tout le long du parcours.

- Votre chef est absent, dit l'abbé d'un ton sans réplique. C'est moi qui prends sa place. Vous allez mettre tout de suite à ma disposition une voiture du Service.

Le chauffeur tente encore de se dérober :

- Je n'ai qu'un gazogène. C'est dur à mettre en route.

- Dur ou non, vous le ferez, sinon, je considérerai votre dérobade comme une refus d'obéissance.

Le chauffeur s'incline. Rendez-vous est fixé à l'entrée d'un pont, distant de quatre cents mètres. Un quart d'heure plus tard, comme l'abbé " NORBERT " s'en approche, il est accosté par une femme toute agitée qui lui dit :

- C'est vous l'abbé " NORBERT " ? Écoutez-moi.

- Parlez moins haut, Madame, je vous en conjure, dit le curé.

C'est la femme d'un autre chauffeur du SERVICE.

- J'allais informer Mme S...., dit-elle. Mon mari vient de rentrer. Le Colonel et lui ont été arrêtés hier soir et mis à la question toute la nuit à l'hôtel Terminus. Malgré les tortures mon mari n'a pas parlé. Il a prétendu qu'il faisait du marché noir. La Gestapo l'a relâché, mais le Commandant est toujours en prison.

- Voici ma consigne, Madame, quittez votre maison tout de suite, votre mari et vous, et cherchez refuge chez X... Je vais le prévenir.

Lui-même monte aussitôt dans la voiture qu'il a requise et se fait conduire chez Mme RIVET :

- Pour moi, la fête est finie, Madame. J'ai des précautions à prendre.

Il songeait aux archives. Elles ne pouvaient rester au presbytère. Tout donnait à penser que la Gestapo ne tarderait pas à se manifester à Borderolles. Qui pouvait dire si elle ne l'avait point déjà devancé ? La voiture arriva au presbytère à minuit. Le fidèle HENRI ne l'attendait guère. Il comprit tout de suite qu'il s'agissait d'une chose grave. Un repas copieux fut servi au chauffeur, de manière à lui assurer une nuit tranquille, et on l'envoya se coucher aussitôt.

Dès qu'il fut endormi, le curé et son acolyte se glissèrent sans bruit hors de la maison, pénétrèrent dans le pré où ils savaient trouver une vache et un tombereau. Ils attelèrent et amenèrent l'équipage, toujours sans bruit, devant le presbytère. Une à une les quatorze caisses furent chargées sur le tombereau. Le curé avait depuis longtemps repéré dans la montagne une sorte de hutte de berger où l'on faisait le fromage et qui portait dans le pays le nom de " buron ".

C'est là que l'attelage conduisit les archives. Le " buron " était encombré d'un amas de paille pourrie, entassée là depuis des temps immémoriaux. Ce fumier séculaire fut écarté, les caisses prirent sa place, puis il fut ramené par-dessus.; Les deux hommes le piétinèrent, l'écrasèrent, se roulèrent sur lui à plein corps, de manière à lui rendre son aspect premier. Quand ils y furent parvenus, l'aube n'était pas loin. La vache fut ramenée à son pré, le tombereau dételé, et le curé put s'accorder un peu de repos.

Quelques heures après que les deux hommes étaient rentrés au presbytère, deux inspecteurs de la Sûreté Nationale s'y présentaient à leur tour. Le curé les reçut avec une courtoisie toute sereine. Ils venaient demander, le plus poliment du monde, s'il y avait, des maquisards dans les environs.

- Comment voulez-vous que je le sache ? dit l'abbé. Ces paroissiens-là ne viennent pas à la messe !

Toujours très polis, les policiers se retirèrent pour continuer ailleurs leurs investigations. Le soir ils revenaient. Très poliment encore. Ils demandèrent au curé l'hospitalité pour la nuit. Comme bien on pense, elle leur fut libéralement accordée.

Cette visite pouvait être fortuite. Elle pouvait tout aussi bien être un avertissement muet de ces policiers eux-mêmes ou d'une autorité plus haute. Ce détour était parfois employé par des policiers amis pour signifier à un suspect qu'il eût à devancer une police moins débonnaire.

L'abbé décide de faire un " voyage " et fixe son départ au dimanche 4 juillet. Pour plus de commodité, il avança l'heure de la messe et chargea les enfants de l'école de faire savoir à leurs parents que le Saint Sacrifice serait célébré, exceptionnellement, à 9 heures.

Au jour dit, tous les paroissiens étaient présents. Les moins avisés commençaient de soupçonner que la guerre n'était point un état de tout repos.

Sitôt la messe dite, le curé de Borderolles, renonçant à son habituel " tour d'horizon " activa ses préparatifs de départ. Il troqua sa soutane contre un déguisement de trimardeur et commença, avec l'aide d'HENRI, de garnir sa valise. Le bruit d'un moteur les fit tous deux tressaillir. Une voiture entrait dans le village. C'était très insolite. Jamais, depuis la guerre, on n'avait vu personne monter à Borderolles le dimanche matin. " DESGOUTTES " fut tout de suite inquiet. Henri tendit l'oreille :

- C'est une traction, dit-il.

"DESGOUTTES " se précipita à la fenêtre, et se retira aussitôt.

Police allemande !

La voiture s'immobilise devant le presbytère, elle porte la marque fatidique : POL (Polizei). Pas le temps de délibérer. La sonnette de l'entrée a déjà retenti. Par bonheur la porte est verrouillée. L'abbé a le temps de se précipiter au jardin, tremblant que la maison ne soit cernée. Elle ne l'est pas. Il peut se glisser dans le chemin creux qui sépare je presbytère du champ de seigle voisin. Il rampe sur les genoux pour traverser le champ. Il atteint la montagne, se blottit dans un creux d'où il peut voir l'église, le presbytère, la voiture sinistre arrêtée devant celui-ci, et il attend.

Entre temps HENRI est allé ouvrir la porte. Il s'est trouvé devant trois hommes et une femme qui, brutalement l'on écarté pour s'engouffrer dans le vestibule :

- L'abbé DESGOUTTES est-il là ?

- Non, que lui voulez-vous ?

- Police allemande ! Où est-il ?

- Je n'en sais rien, il ne me dit jamais où il va.

- Nous allons bien voir, dit l'Allemand qui a parlé jusque-là. Et se tournant vers ses compagnons : Fouillons la maison.

Avec une précipitation extrême, ils se jettent dans toutes les pièces, ouvrant tous les placards, tous les meubles. Mais ils ne touchent à rien. C'est tout juste s'ils donnent un coup d'oeil aux quelques papiers qui traînent çà et là. Ils ne s'arrêtent même pas à la soutane que l'abbé, dans sa hâte, a suspendue à une patère, dans le vestibule, et qui contient tous ses papiers, tout son argent.

HENRI est derechef interrogé

- Depuis quand est-il parti ?

- Depuis... mercredi.

Les policiers ne disent plus rien. Ils se retirent, laissant HENRI affreusement perplexe. Il les voit qui se dirigent vers l'église.

Sans doute espèrent-ils y trouver celui qu'ils cherchent. Mais ils s'arrêtent pour interpeller une femme qui passait :

- Dîtes-nous, Madame, y a-t-il une messe au village, aujourd'hui ?

- Ah ! Messieurs, répond l'innocente, si c'est pour la messe, vous arrivez trop tard.

- Et à quelle heure a-t-elle donc été célébrée ?

- C'était à neuf heures. Notre curé devait aller en voyage, à ce qu'il nous a dit.

- Et qui est votre curé ?

- L'abbé DESGOUTTES.

Les policiers ont fait demi-tour. Ils s'engouffrent de nouveau dans le presbytère. HENRI est assailli, roué de coups, jeté sur le carreau, piétiné :

- Ah ! tu veux jouer au patriote. Eh bien, prends ceci. C'est pour la France. On lui applique sur la tempe le canon d'un révolver.

- Tu as trois minutes pour parler. Trois minutes, montre en main. Si tu ne parles pas, dans trois minutes, tu ne seras plus qu'un cadavre.

Menace vaine, HENRI tient bon.

Il est de nouveau roué de coups. Il subit une ignoble et atroce torture. Il résiste toujours, et répète obstinément :

- Je n'ai rien à dire.

Ils ne le tueront pas. Ils se contentent de lui mettre les menottes et de le jeter sur une chaise, pantelant, meurtri dans tous ses membres, tordu par une souffrance indicible.

Ce beau travail a creusé l'appétit des tueurs. Ils se partagent goulûment le déjeuner qui mijotait sur le fourneau. La femme se distingue par sa goinfrerie. C'est une Alsacienne, on le saura bientôt. On la connaît par son surnom : " La Panthère ". Quant à HENRI, il n'a même pas droit à un morceau de pain.

Leur repas terminé, les Allemands recommencent à fouiller la maison. Mais cette fois, c'est pour la mettre a sac. Ils font main basse sur tout ce qui leur plaît, argenterie, vaisselle, linge, provisions.

Entassent leur butin dans les valises et les caisses qu'ils ont pu trouver dans la maison, arriment ces bagages sur le toit et sur les ailes de leur voiture, à grand renfort de ficelles et de fil de fer. Elle est belle, elle a fière allure la STAPO quand elle reprend sa route à 15 h 30 vers la vallée !

Du refuge d'où il a pu tout observer, l'abbé " NORBERT " la voit passer à cent mètres de lui. Il pleure de rage et d'impuissance. Couché sous un arbrisseau, il est paralysé par l'angoisse, si totalement qu'il lui paraît impossible de se relever jamais.

Mais des sifflets, des appels se font entendre. Les villageois, qui s'étaient terrés tout le temps que la Gestapo était là, sont maintenant sortis de leurs maisons. Ils vont à la recherche de leur curé. Le garde-champêtre et le boulanger ont deviné la direction où il fallait marcher pour découvrir sa cachette. Ils s'avancent vers elle. L'abbé se décide à quitter son abri. Ils lui confirment l'affreuse chose qu'il devinait, qu'il n'osait croire :

- Ils ont emmené Henri.

Bouleversé, il regagne le presbytère. Il souffre comme un père à qui l'on viendrait de ravir son enfant.

Le pillage a été complet. Il n'y a plus sur le parquet que du linge en lambeaux et des débris de vaisselle ? Tout à coup il songe à la soutane qu'il a laissée, le matin accrochée à la patère du vestibule.

Il se précipite, la soutane est toujours là mais ses poches sont vides. Les policiers ont tout emporté, tout, c'est-à-dire tous les papiers de l' " Oncle NORBERT ", les vrais avec les faux, son argent, ses économies, ce qu'il nommait, dans un langage ironiquement pompeux, son trésor de guerre.

Le seul parti à prendre est la fuite immédiate. Pour la suite, on avisera. Il coiffe sa vieille casquette, se munit d'une canne plus antique encore, et s'en va. Quelques paroissiens sont toujours là, devant le presbytère, qui commentent avec tristesse les scènes qu'ils épiaient de leurs fenêtres. Le curé leur fait ses adieux.

- Vous devinez pourquoi je m'en vais. Vous comprenez que je ne puis rester avec vous. Pour l'instant, pour longtemps, il faut m'oublier, faire comme si vous ne m'aviez jamais vu. Après la Victoire, je viendrai vous revoir. je vous le promets.

Il a pris la direction du sud. Mais ce n'est qu'une feinte. Car désormais, il faut que sa méfiance s'étende à tout et à tous.

Dès qu'il est hors de vue des villageois, il rebrousse chemin, et par un long détour, remonte vers le nord. C'est Viverolles qu'il veut atteindre. Il y arrive fourbu à la nuit close, il trouve refuge chez le docteur CHATAING devenu depuis longtemps son ami.

Au cours de sa longue marche, il a fait une chute et s'est blessé. Le docteur le panse, puis fait appeler le curé-doyen. Les trois hommes tiennent conseil. Il est clair que la région toute entière est devenue dangereuse pour l'abbé " NORBERT ". Mais le rôle qu'il joue dans les liaisons du SERVICE est trop important pour qu'il l'abandonne sans se faire remplacer.

Depuis les arrestations de Lyon, les cadres se sont amenuisés. Le docteur et le doyen ne connaissent qu'une partie des activités de " NORBERT ". Ils s'étonnent que leurs conseils reçoivent de lui un accueil non toujours bienveillant. Et la discussion dure... dure. Le pays devenait intenable pour l'abbé ? Tôt ou tard, il s'y ferait prendre. Il fallait le quitter.

Ce qu'il fit, le coeur infiniment triste.

"Double mètre" maquisard

Depuis que les Généraux ont pris l'habitude de mourir dans leur lit, personne ne peut plus reprocher à un Évêque d'être déjà couché dans le sien à onze heures du soir. Comme disait la vieille domestique de Mgr PICOT, évêque de Saint-Flour : " Onze heures, ce n'est pas une heure pour venir déranger les braves gens. "

Elle disait ceci à une sorte de géant barbu, vêtu comme un trimardeur, et qui lui inspirait la plus grande méfiance par son insistance à demander audience, à cette heure insolite :

- Comment aurais-je pu venir plus tôt ? disait-il, je suis prêtre dans le maquis.

Pour cette vieille, ce n'était pas une recommandation. Être prêtre et maquisard, c'était réunir deux états contradictoires. Elle finit toutefois par céder et consentit à avertir Mgr PICOT. L'Évêque se leva. L'abbé " NORBERT " sut l'intéresser si bien, qu'à deux heures du matin l'entretien durait encore. De ce jour, la vieille femme commença de penser que la Sainte Église avait, en ce moment, de drôles d'apôtres.

L'abbé demandait les pouvoirs ecclésiastiques habituels. Mgr de Saint-Flour les lui accorda. Par surcroît, il lui proposa l'aumônerie d'un orphelinat, dans une région désertique, à la Devèze, en bordure du barrage de la Truyère.

Mais dans le moment même où l'abbé " NORBERT " se disposait à rejoindre son nouveau poste, le supérieur du Grand Séminaire lui faisait parvenir le contre-ordre de Monseigneur : l'orphelinat venait d'être occupé par la Gestapo.

Dès lors il ne restait plus au saint homme qu'à laisser son grognard de grand-père revivre en lui tout entier. Puisque la Gestapo venait toujours à son encontre, même quand elle ne le recherchait point nommément, eh ! bien, il relevait le défi. Il n'aurait plus désormais qu'une seule tâche : le combat. Le combat clandestin, le combat souterrain, le combat nocturne : il était redevenu " BERTUS ", le " GRAND BERTUS ", le Limbourgeois ami de la terre, ami de la nuit, ami de la chasse.

Le chef du maquis de Saint-Flour était le docteur MALLET, militant d'action catholique, brûlé du zèle apostolique le plus fervent, et qui montrait envers les pauvres un dévouement, une bonté, une miséricorde inépuisable.

Il entretenait parmi ses troupes un esprit de combat et une camaraderie qui faisaient merveille. Il avait interdit expressément deux choses à l'abbé " NORBERT ": la première, de quitter de jour, fût-ce pour aller au jardin, la chambre qu'il occupait chez les ROUQUES ; la seconde, de dévoiler aux autres maquisards sa qualité de prêtre. Les deux consignes étaient également difficiles à observer.

L'abbé " NORBERT " y parvint cependant, dans les premiers temps tout au moins. Il ne fut d'abord qu'un maquisard anonyme, à qui ses camarades donnèrent bientôt le sobriquet de " Double Mètre ".

Il suscitait leur curiosité par l'ascendant qu'il exerçait sur eux, par son acharnement à stimuler leur zèle, par son goût du commandement. Il participait à tous leurs coups de main. Il y déployait une force, une adresse, un sens du combat en tous points remarquables.

Le maquis de Saint-Flour n'avait d'autres armes que son audace, sa ruse et ses bâtons ! Il est vrai que nos Auvergnats maniaient ceux-ci avec une maîtrise singulière.

Le curé mena à bien avec eux une suite étonnante d'opérations difficiles : sabotage d'une ligne téléphonique souterraine, assaut d'une réserve allemande de carburants, d'où quatre tonnes d'essence furent enlevées, rapt d'un coffre-fort contenant plusieurs millions et que les nazis retrouvèrent quelques jours plus tard éventré dans un ravin, non loin du camion et de la citerne, qui avaient servi au transvasement de l'essence dans les réservoirs du maquis, rapt encore de onze cents kilos de dynamite qui prirent le même chemin, mais l'exploit qui réjouissait le plus son âme de paysan fidèle, c'était le « coup du Cantal ».

Chaque semaine à Murat, plusieurs wagons de fromages partaient vers l'Allemagne. A chaque fois, le train était dans la nécessité de s'arrêter à un passage à niveau, entre Murat et Saint-Flour. Avec la complicité des cheminots, les wagons étaient descellés, une partie du chargement était enlevée et prenait la direction du maquis. Puis les plombs étaient refaits. Au retour, " Double Mètre " jubilait, comme un enfant qui vient de faire une bonne farce.

Cependant il était difficile à un homme de son espèce de rester coi tout le jour, au fond d'une chambre. Un matin, il s'accorda une promenade dans le jardin des ROUQUES. Moins d'une heure après, une voisine accourait aux nouvelles :

- Alors, Madame ROUQUES, il paraît que vous hébergez un Juif ?

Au bout de deux mois, le maquis apprit qu'il était prêtre. Son sobriquet fut changé : on l'appela désormais " le curé Double-Mètre ". Ce qui ne laissait pas de l'inquiéter, car un nom comme celui-là, s'il venait à la connaissance de l'ennemi, pouvait aider singulièrement à l'identifier.

Tout donnait à penser que la Gestapo finirait bien par l'apprendre. Dans tout le maquis, et bien au-delà, il devenait célèbre. Il n'était question partout que du " curé Double Mètre ". Aussi dut-il songer bientôt à quitter Saint-Flour, comme il avait quitté Borderolles, comme il avait quitté Loudun, comme il avait quitté Beaurière, comme il avait quitté le Limbourg.

Le service de la France avait décidément fait de lui un homme traqué. Mais avant qu'il put organiser son nouvel exode, il lui fut donné de connaître une des plus belles joies de sa vie d'apôtre, en évangélisant le maquis même.

Non que celui-ci n'eut pas de vie spirituelle. Bien au contraire, chaque semaine, un jeune prêtre de Saint-Flour allait célébrer, en plein air, dans la montagne, une messe où les maquisards venaient nombreux. Mais il ne leur était point permis à tous de s'y rendre. Le Docteur MALLET, chef du maquis, avait interdit les mouvements de groupe sur de trop longs parcours.

Il se trouva ainsi que huit jeunes gens, en poste à l'altitude 1.400, dans un lieu totalement désert, fussent privés de tout contact avec le monde, et de cette messe hebdomadaire dont bénéficiaient leurs camarades. Ils s'en plaignaient à Marcel ROUQUES qui, chaque semaine, venait leur apporter de la viande et du pain, camouflés sous un chargement de foin, dans une charrette traînée par un âne :

- Jour et nuit, nous sommes seuls. Nous ne voyons jamais personne. Nous n'avons plus rien à nous raconter. Cela devient intenable.

- Eh ! bien, dit un jour Marcel ROUQUES, je vous enverrai le 3 curé Double Mètre ".

La rencontre eut lieu par une nuit d'août, au clair de lune, dans une cabane de berger.

- Je ne vous dirai pas mon nom, dit l'abbé " NORBERT ". Et je ne vous demanderai pas les vôtres.

Les jeunes gens tinrent néanmoins à donner à " Double Mètre " quelques indications sur eux-mêmes. Le plus jeune avait dix-huit ans, l'aîné vingt-huit. Ils exerçaient les métiers les plus divers. Il y avait un ébéniste d'Aubervilliers, un instituteur laïc, un bachelier dont le père était notaire en province, un chaudronnier, un tourneur des Usine Renault, trois paysans, enfin, dont un grand gaillard du Nord, trayeur de vaches en Normandie, qui exhibait ses mains énormes en disant : " Vingt vaches ne me font pas peur ". Aucun n'était marié. Tous se lamentaient et il est bien vrai que leur dénuement était fort grand. Les fermiers qui les employaient, par intermittence. ne les payaient pas et les nourrissaient chichement, estimant en avoir assez fait pour eux quand ils leur avaient donné un abri misérable.

Le sermon dans la montagne

Quand ils eurent bien vidé leurs coeurs, l'abbé " NORBERT " commença par leur servir quelques-uns de ses paradoxes :

- Vous souffrez ? J'ose dire que c'est tant mieux.

- Vous avez faim ? Bravo. Vous vous ennuyez ? Je vous félicite, vous êtes de vrais combattants. Vous prouvez ainsi qu'en refusant à travailler pour le S.T.O., c'est-à-dire pour l'ennemi, vous n'avez pas cédé à je ne sais quelle paresse, mais pris le parti du courage et de l'abnégation. Tous les combattants souffrent en ce moment. Ceux qui sont derrière les barbelés ou dans les chambres de tortures souffrent plus que vous encore. Que sont, d'ailleurs, dans la vie d'un jeune homme, quelques années de souffrance? Elles seront courtes, je vous l'atteste. Un jour viendra où l'Armée de Libération vous tendra la main. Il faut tenir jusque-là.

Dans l'ombre du " buron ", il était impossible au " curé Double Mètre " de distinguer les traits de ses interlocuteurs. Mais leur attention, la qualité de leur silence, indiquaient assez que ce langage austère avait été entendu. Les jeunes hommes qui étaient là, étaient-ils donc capables, non seulement de souffrir, mais de donner un sens à leur souffrance, d'en tirer parti pour leur propre élévation et pour le salut commun ? L'abbé le pressentait sans d'ailleurs trop oser y croire. Alors, peu à peu, et comme à tâtons, avec autant de patience et d'obstination qu'il en fallait pour scruter les visages dans la lumière de la lune, il étudia ces âmes mal éclairées. Plus ses propositions étaient sévères, mieux elles étaient accueillies. Il sut enfin qu'il pouvait leur révéler toute sa pensée.

A peine l'abbé s'est-il tu, que le petit ébéniste d'Aubervilliers parle à son tour :

- Monsieur le Curé, merci. Depuis ma première communion, je n'avais plus mis les pieds à l'église. C'est idiot, maintenant ça va changer, j'ai compris... Dites donc, les gars, voulez-vous sortir? Il faut que je me confesse.

Les autres s'exécutèrent. Tandis qu'il recevait les humbles aveux de ce pêcheur, en vérité si peu coupable, l'abbé " NORBERT " laissait son regard errer sur le rude paysage auquel la lumière de la lune donnait une tranquille majesté.

Il pensait à la parabole du berger qui abandonne son troupeau pour rechercher la brebis égarée et il se disait qu'il valait la peine d'avoir subi tant de tribulations pour être venu jusque-là et retrouver cette âme. Mais quand il eut donné l'absolution à ce pénitent inattendu, et qu'il vit lui succéder un autre plus surprenant encore, et qu'un troisième eut pris la place de celui-ci, et que tous enfin se furent succédés dans le " buron " transformé en tribunal-sacré, alors il sentit la présence de Dieu.

Dans cette haute solitude, au milieu de l'immense décor gris et bleu, le sacrement prenait un caractère auguste : c'était l'éternelle irruption du Christ rédempteur dans les retraites où se réfugient les siens, quand viennent les temps de la colère et des tumultes. " NORBERT " songeait aux chrétiens des Catacombes à l'Église sous la Terreur.

Et quand le moment fut venu de quitter ces fidèles, inespérément retrouvés, il les embrassa tour à tour. Le jour venait de poindre. Les jeunes hommes repartirent vers leurs refuges. A chaque pas qu'il faisait vers Saint-Flour, le " curé Double Mètre " se retournait pour regarder leur groupe qui montait dans le matin profond.

Cet épisode heureux ne pouvait toutefois empêcher que la présence à Saint-Flour de l'abbé " NORBERT " ne fût, de jour en jour, plus périlleuse. Sa renommée grandissait sans cesse, la curiosité publique aussi. Le Docteur MALLET lui conseilla de déguerpir.

Telle était aussi son intention. Mais la difficulté commençait quand il fallait passer à l'exécution. Où irait-il et comment? Un officier du S.R. vint de Clermont-Ferrand pour l'aider à résoudre le problème.

Plusieurs solutions étaient possibles : le passage en Suisse, le départ pour Alger en sous-marin, le transit par l'Espagne. L'abbé en choisit une autre, plus rapide et plus facile : demander à LONDRES, par radio, un avion qui viendrait l'enlever la nuit. Dans le langage de la guerre clandestine, c'est ce qu'on appelait un " pick-up ".

Mais là aussi, les difficultés commençaient avant l'exécution. Qui appeler à LONDRES ? Qui d'assez sûr pour que la réponse fût celle qu'on attendait ?

Il fallut à l'abbé bien des semaines d'attente avant qu'il put résoudre ce problème. Cette attente même avait fait renaître un obstacle qu'il avait cru définitivement anéanti. L'abbé GRIVE, qui avait répondu à son appel, pour le remplacer dans les liaisons S.R., avait dû fournir un effort physique prodigieux.

Chaque semaine, le lundi, " NORBERT " le voyait arriver, portant en bandoulière une sacoche, qui contenait invariablement un demi pain et la moitié d'un saucisson. Il était toujours souriant, malgré la fatigue d'un voyage périlleux qui ravivait chaque fois ses anciennes blessures et le contraignait à mille ruses et détours pour échapper aux contrôles allemands de la ligne de démarcation.

L'agent " 37 bis " lui donnait ses consignes. L'abbé GRIVE repartait pour quelque mission nocturne à Clermont-Ferrand ou à Saint-Étienne, à Limoges ou à Lyon, à Nîmes, Marseille, Perpignan, sans oublier Borderolles.

Parfois, pour mener à bien une expédition plus importante, il lui fallait quitter la route, marcher à travers champs, escalader des haies. Le samedi, toujours souriant, il revenait à ses paroisses de l'Est pour y reprendre ses devoirs de desservant. Aucun de ses fidèles ne se doutait de la raison qui, la semaine durant, rendait son curé invisible. Chaque fois qu'il voyait arriver ou repartir ce patriote exemplaire, l'agent " 37 bis " ne pouvait s'empêcher de pleurer comme un enfant. Il se disait qu'à la longue, son ami succomberait à la tâche.

De vrai, l'été n'était pas fini que l'abbé GRIVE devait s'avouer vaincu. Il était épuisé. En neuf semaines, il avait parcouru, à travers la France, des milliers de kilomètres. " Sans l'un ou l'autre de nous deux, songeait douloureusement Norbert, que vont faire les autres ? "

L'adieu au maquis

Appeler LONDRES, c'était vite dit. C'était infiniment plus difficile à faire. Car il fallait savoir à qui l'abbé " NORBERT " pourrait s'adresser. Convaincu que l'art de vivre consiste principalement à tirer parti des circonstances, il attendit la circonstance.

Elle se présenta, cette bienheureuse, de la manière qu'il attendait le moins. Le 12 septembre 1943, alors qu'il écoutait la radio suisse, il entendit le speaker annoncer qu'à LONDRES un " MONSIEUR POUSSIN " venait d'être chargé, par le COMITE FRANÇAIS, d'une mission importante auprès des alliés.

POUSSIN était le nom d'un vieil ami de l'abbé " NORBERT ". Ils s'étaient rencontrés au Petit Séminaire.

Le " GRAND BERTUS " avait pris sous sa protection ce cadet brillant, étonnamment doué, qui cachait sous sa petite taille la volonté forcenée de faire carrière. C'était lui qui, en l'éclairant de ses conseils et en se portant caution pour lui auprès des supérieurs, avait réuni les conditions favorables d'un départ heureux vers le succès. Ne doutant point que la communication faite par la radio ne concerna son valeureux ami, l'agent " 37 bis " mit aussitôt en oeuvre le plan de campagne arrêté par lui depuis longtemps. Il appela Marcel ROUQUES :

- Je vais te confier, dit-il, une mission où tu joueras ma liberté et ma vie. Tu prendras ce soir le train pour Roanne. Tu y arriveras à cinq heures du matin. De là, tu iras à pied jusqu'au village de Renaison. C'est loin, c'est haut, c'est dans la montagne. Cela te fatiguera beaucoup, mais nous n'avons pas le choix. Quand tu auras atteint le village, tu demanderas au curé ou bien au boulanger où demeure Madame MACHELIDON. Puisque tu es du S.R. je peux bien te dire que MACHELIDON est un nom de guerre. Son vrai nom est MARANDET. C'est la femme du commandant MARANDET, un bon ami à moi.

Et tendant à son messager une feuille de papier à cigarettes :

- Ceci est un message pour Londres. Tu le remettras à Madame MARANDET, en lui disant que je prie son mari de le transmettre immédiatement.

Avant que Marcel Rouquès le quittât, l'abbé Norbert tint à lui donner encore quelques conseils :

- Le commandant MARANDET, dit-il, est un homme méticuleux, honnête jusqu'au scrupule. Ne t'étonne pas de le trouver pointilleux. Il est possible même qu'il hésite à envoyer mon message. Mais pour moi, c'est une question de vie ou de mort. Je te commande expressément de rester chez lui tout le temps qu'il faudra et de revenir seulement quand tu sauras que le message est expédié.

Situation désespérée

Le message contenait ces mois : " POUSSIN (Londres) - Situation désespérée - HENRI déjà arrêté - Envoyer avion sauveur. Rassurez-moi via B.B.C. 21 h. 15 - Amitiés - BERTUS. "

Marcel ROUQUES roula la feuille autour d'une cigarette, accrocha celle-ci derrière son oreille et se mit en route. Il était de retour trois jours plus tard.

- Mission exécutée, dit-il, quand il se retrouva devant l'agent " 37 bis ".

Ah ! l'abbé, vous êtes un sacré veinard. Écoutez ça : Comme vous me l'avez annoncé, je suis arrivé à Roanne vers les 5 heures du matin. A 7 h. 1/2, j'étais déjà à Renaison, ce qui, soit dit sans me vanter, était un assez joli record. Car c'est une route de 14 km et qui monte tout le temps. Le boulanger m'indique la maison de Madame MACHELIDON, c'est la dernière du village, au fond d'une ruelle. J'y vais tout droit, je me trouve devant une sorte de villa, au milieu d'un jardin entouré d'une grille. Je veux pousser celle-ci : elle est fermée. Il y a une cloche, je sonne, pas de réponse. Je sonne encore, silence. La colère commence à m'échauffer, je saisis de nouveau la chaîne et je me mets à carillonner de toutes mes forces. Cette fois, il y a de la réponse. Une femme entrebâille la porte : " Vous faites erreur, Monsieur, je ne vous connais pas. "  (Ce qui, entre nous, l'abbé, n'était pas bien malin. C'était autant dire : " Si c'est Madame MARANDET que vous cherchez, eh ! bien ce n'est pas moi ".)

Sans me laisser le temps de rien dire, elle referme la porte, j'étais vexé. Je recommence à carillonner. Aucun résultat. J'avise au bout de la grille une petite porte, sorte de porte de service ou de jardinier. J'y cours. J'y frappe, je tambourine : pas plus d'écho que si je chantais Malbrough sur l'air de la Passion. Alors je quitte la porte, je reviens tirer la sonnette, puis je retourne tambouriner, et ainsi de suite.

A la fin des fins, ça bouge dans la maison. La porte s'ouvre de nouveau, la femme reparaît et répète sa ritournelle : " Je ne vous connais pas, Monsieur. Vous devez vous tromper. "  Alors je me suis fâché tout rouge et j'ai crié plus fort qu'elle : " J'ai un message pour le commandant MARANDET. Je veux le lui remettre. C'est de la part de l'abbé " NORBERT ". Et comme dans les belles histoires..., la grille s'est ouverte.

- Tu vois, dit l'abbé, j'avais eu bien raison de te donner son vrai nom.

- C'est plus encore le vôtre, l'abbé, qui a fait merveille, répliqua Marcel ROUQUES.

Au nom de " NORBERT ", en effet, le commandant lui-même s'était montré et avait fait entrer Marcel dans la maison. Marcel lui avait tendu le message du " curé Double­Mètre ".

- Tiens, dit Marcel, je croyais " NORBERT " en sûreté depuis longtemps. Je ne puis malheureusement rien faire pour lui. Je suis moi-même traqué, j'ai perdu tout contact avec nos camarades, je ne sais même plus où est le service du chiffre.

- Eh ! bien, mon commandant, je vais donc m'installer chez vous jusqu'à ce que le contact soit rétabli, avait répliqué Marcel ROUQUES. C'est l'ordre formel de l'abbé. Pardonnez-moi !

- Effarés, mais beaux joueurs, l'Officier et sa femme avaient instantanément acquiescé. Et c'est alors que devait se manifester la chance insolente et jamais démentie de l'insaisissable « BERTUS ».

Le facteur était entré sur ces entrefaites et avait remis au commandant une enveloppe bleue et toute parfumée, où une main de femme avait tracé, dans une calligraphie très élégante, l'adresse de Monsieur MACHELIDON, à Renaison. Le commandant l'ouvrit, parcourut la lettre et partit d'un éclat de rire énorme. Puis il la tendit à sa femme, qui, à son tour, s'esclaffa et la mit sous les yeux de ROUQUES. C'était une page érotique, d'un dévergondage insensé, qui aurait fait rougir une caserne de gendarmes. Le messager du " curé Double Mètre " en était tout éberlué.

- Vous avez compris, j'espère, lui dit le commandant. C'est le post-scriptum qui compte.

ROUQUES le relut :" Le plus grand plaisir que tu puisses me faire, disait cette folle, c'est d'être au rendez-vous que je te donne pour lundi soir, au même endroit et à la même heure que la dernière fois. Mon corps et mon coeur sont à toi. "

Il commençait à comprendre, MARANDET acheva de l'éclairer :

- C'est un message que m'envoie le chef du S.R. en France. Il me donne rendez-vous pour aujourd'hui au soir. Il a une femme très habile. C'est elle qui a inventé cette manière de camoufler les messages.

- L'entrevue eut lieu à Roanne, dans un café proche de la gare. ROUQUES fut admis auprès du Chef. Il lui montra, à lui aussi, le message de l'agent " 37 bis ".

- Vous assurerez l'abbé de toute mon amitié, lui dit l'Officier. Vous lui direz que son message sera transmis à Londres dans deux ou trois jours. Qu'il prenne l'écoute à partir de jeudi.

Ainsi avait pris fin l'expédition du jeune messager. C'est à bon droit qu'il pouvait dire : " Mission terminée. "

Espoirs et déceptions

L'abbé " NORBERT " allait dès lors connaître à nouveau les affres de l'attente. l'exaspérante alternance de l'espoir et de la déception. Le jeudi, Marcel ROUQUES et lui étaient à l'émission fameuse de 21 h. 15, agenouillés chacun devant un poste de radio. Pour capter ce que l'on nommait alors les messages personnels, il valait mieux être deux à tendre l'oreille. Mais ni l'un ni l'autre n'entendit, ce soir-là, rien qui répondit à leurs voeux. Et ce fut une déception très pénible.

Le lendemain, jubilation : le speaker disait :" Poussin s'occupe de son ami. " Et comme, s'il voulait faire bonne mesure, il répétait la phrasé avec, semblait-il, une sorte de complaisance bienveillante, en détachant soigneusement chaque syllabe. Hélas ! l'exaltation de l'abbé et de son auxiliaire devait retomber bientôt.

- Nous nous emballons comme des chevaux sauvages, dit " Double Mètre ". Qui te dit que ce POUSSIN soit bien le nôtre ?

- Moi, dit Marcel ROUQUES, mais je ne dis rien.

- Tu fais bien, car à Londres, il doit y avoir plus d'un Français à s'appeler POUSSIN. Il poussa un soupir où il semblait que toute son âme allait passer, et il ajouta :

- Allons, c'est raté. N'y pensons plus.

Il se trompait. L'opération était en cours dès ce jour-là, et elle devait arriver à bonne fin. Mais c'est à Saint-Flour même, quelques jours plus tard, qu'elle manqua de tourner court.

Un matin, peu avant le déjeuner, Madame ROUQUES vint dire à son hôte son inquiétude :

- Je viens d'éconduire un étrange personnage, dit-elle, un homme grand, distingué. portant la cinquantaine.

- C'était un galant pour vous, Madame ROUQUES

- Monsieur l'abbé, vous allez me faire rougir ! Je croirais plutôt que c'était quelqu'un qui se trompait ou un agent secret de la Gestapo. C'est pourquoi j'ai voulu vous avertir.

- Il ne vous a pas donné de prétexte pour justifier sa visite ?

- Oui, il m'en a donné un. Et c'est pourquoi je me suis méfiée. Il m'a demandé à voir un Monsieur BERUSSE ou BETUSSE.

L'abbé hurla :

- Ni BETUSSE, ni BERUSSF, Madame ROUQUES, mais BERTUS. Oui, BERTUS, BERTUS, c'est moi. Courez, Madame, rattrapez cet homme à tout prix.

L'irascible abbé criait encore que l'excellente femme était déjà dans la rue. Elle n'eut pas à aller bien loin. L'inconnu était attablé dans un café. Il semblait tout déconfit. Mais quand Madame ROUQUES se fut approchée et fait reconnaître, il se rasséréna et revint avec elle auprès de son hôte. (2) 

Quand les deux hommes furent en face l'un de l'autre, ils eurent le même cri :

- C'était donc vous !

L'abbé s'étonnait d'avoir devant lui le Commandant BERTRAND le chef même du chiffre du S.R...

BERTRAND, de son côté, apprenait que BERTUS ne faisait qu'un avec l'agent " 37 BIS ". Il lui apportait la réponse qu'il avait reçue de Londres : " Opération certaine, mais pas avant le 8 octobre. Vers cette date, un nouvel émissaire se présentera et dira à BERTUS : " Puis-je parler à M. DUPONT ? ". Et BERTUS devra répondre : " Il est midi ". Partir sur le champ. Aucun bagage possible. Papiers en règle nécessaires. Amitiés. Poussin. "

Il n'y avait lieu, ni pour l'un ni pour l'autre de s'attarder en conciliabules prolongés. Sa mission étant terminée, le Commandant BERTRAND repartit, laissant l'abbé " NORBERT " à la fois exultant et bouleversé. Jusqu'au 8 octobre, il y avait trois semaines encore à attendre !

Comment supporter cette attente sans mourir d'impatience ? Afin de tromper le temps, l’abbé refit cent fois la revue des précautions à prendre pour assurer le succès d'une entreprise aussi difficile. Il s'infligeait à lui-même mentalement, plusieurs fois par jour, un examen minutieux de sa nouvelle identité de " CHATAING ", qu'il était allé quérir dans la banlieue de Paris au cours de sa dernière expédition clandestine en zone nord, et qui était attestée par des papiers en règle.

Il composait aussi les longs mémoires où étaient soigneusement formulées les consignes détaillées qu'il entendait laisser à chacun de ses amis. Il ramassait enfin tous les précieux documents qu'il donnerait à Londres.

Le 7 octobre au soir, il fit savoir au docteur MALLET qu'il souhaitait le voir. Le chef du maquis vint au milieu de la nuit.

- Docteur, dit l'agent " 37 BIS ", je vais partir, vous le savez. Soyez assuré que ma pensée reviendra souvent par ici. Dîtes-moi ce que je pourrai faire pour vous et pour notre maquis quand je serais là-bas.

Le docteur MALLET est un patriote à la mode antique. Il aime les formes et la solennité. Il se lève, se raidit dans un impressionnant garde-à-vous :

- Monsieur l'abbé, je sais que je ne pourrais jamais avoir de meilleur avocat que vous. Voici donc ce que je vous demande. Pas d'argent, pas de vivres, pas de vêtements, pas de médicaments, pas de chocolat, pas de tabac, mais des armes, oui, rien que des armes.

L'abbé NORBERT a son tour s'est levé. Il a des larmes plein les yeux. Est-ce lui-même qui parle ? Il ne reconnaît plus sa voix :

- Docteur, mon bon ami, je jure devant Dieu, à vous qui représentez tous nos camarades du maquis, que je n'aurai ni trêve ni repos que je n'aie obtenu les armes que vous me réclamez. C'est pour moi une mission sacrée. Je l'accomplirai.

Au moment de se quitter, ils n'ont pas la force de se dire adieu. Sur cette terre, ils ne se reverront plus. Le pressentent-ils déjà ? Ils se regardent, se jettent dans les bras l'un de l'autre. L'agent " 37 BIS " parvient cependant à articuler : " VIVE LA FRANCE ! ".

Dans le numéro suivant : L'ENLÈVEMENT DU « 37 bis »

(1) Le malheureux- fut accusé par les communistes de collaboration avec l'ennemi, jugé sommairement et fusillé par eux.

L'abbé NORBERT obtient par la suite sa réhabilitation pleine et entière. En 1953, un service solennel fut célébré à sa mémoire en l'Église d'Ambert, et son corps enterré au cimetière de Valcivières (Puy-de-Dôme).

(2) BERTUS était. au " 2 bis " 7ème  psezado du " 37 bis ", donc le seul connu du Cdt BERTRAND

 

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 29

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