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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
SOUVENIRS D'UN HONORABLE CORRESPONDANT DU S. R. (1)
 

OU COMMENT UN « FESSEUR » CÉLÈBRE EN LITTÉRATURE ET LES PIPES DU GÉNÉRAL MANGIN ONT CONTRIBUÉ A DÉLOGER DE LA CÉBALA DU MORNAG L'ÉTAT-MAJOR DE VON ARNIM

Lors du débarquement allié en Afrique du Nord, j'étais substitut du Procureur de la République à Bizerte.

Le tribunal était de création récente, et n'avait été installé que le 1er octobre 1942.

Faute de Palais de Justice ad hoc, l'État avait acheté et aménagé un immeuble entre l'église et les quais.

Seul, un alignement de maisons, l'immeuble Ossude, nous séparait du port. Position idéale pour recevoir un maximum de bombes, au cas où...

J'avais oublié de faire un changement d'adresse à la gendarmerie comme officier de réserve.

Deux jours, sauf erreur, après le débarquement, je reçus un télégramme m'avisant que le Commandement Supérieur des Troupes de Tunisie (C.S.T.T.) m'avait envoyé une convocation par estafette.

Le téléphone fonctionnait encore ; j'appelai le C.S.T.T. L'officier que j'eus au bout du fil me dit en substance :

Mon cher camarade, vous êtes mon dernier correspondant, je vais détruire le central. Les troupes évacuent Tunis pour une destination inconnue, vous ne pouvez plus nous rejoindre. Restez à Bizerte, joignez-vous à la garnison, ou restez à votre poste. Faites pour le mieux, et bonne chance.

Bonne chance à vous aussi.

 

Quelques heures plus tard, les premières vedettes rapides italiennes et allemandes s'amarraient au quai.

On a poursuivi l'amiral DERRIEN pour avoir livré Bizerte sans combat.

J'ignore comment il s'est défendu à son procès, mais je dois à la vérité et à sa mémoire de dire que je suis un des rares civils, peut-être le seul, à avoir connu sa première réaction.

L'encre était à peine sèche sur sa signature quand j'ai eu en main son ordre du jour. En substance, il disait que la place était imprenable par la mer, que l'on reprenait le combat contre l'Allemand, que si les renforts de l'armée de terre arrivaient à temps, la place résisterait indéfiniment, sinon, civils, officiers, marins et soldats mourraient pour la France dans l'honneur.

Une demi-heure plus tard, le capitaine de vaisseau qui, enflammé, m'avait fait lire cet ordre, revenait me demander ma parole d'honneur de n'en parler à personne pour la sauvegarde de l'amiral.

Il n’est pas difficile de deviner le drame de conscience de ce Prince de la Mer (1) qui était placé devant le choix terrible du devoir d'obéissance à  l'autorité civile et son honneur de guerrier.

A-t-il fait un mauvais choix, devait-il désobéir au président combattre ? Je ne sais.

Par la terre, Bizerte, pour se défendre, avait besoin de chars d'assaut et d'une forte garnison qu'on n'avait pas.

Le général C.S.T.T. avait choisi de rameuter tous les réservistes, d'évacuer Tunis et de faire retraite vers les monts de Kroumirie, formant le carré et proclamant qu'il ouvrirait le feu sur le premier attaquant : allemand ou anglo-américain. Cela lui donnait le temps de réfléchir et de négocier en gardant ses forces intactes, montrant les dents.

Excellente stratégie qui a réussi. Mais, par là, il abandonnait DERRIEN à ses seules forces... et à son sort. Je crois que le général a eu raison. Mais il n'en faut pas moins rendre hommage au Seigneur de la Mer qui a héroïquement choisi la solution la plus dure : l'obéissance contre l'instinct et l'honneur du guerrier.

Dès le premier bombardement allié, la ville se vida de sa population, comme escamotée par un prestidigitateur.

 

En deux jours, des 45.000 habitants, il ne resta que quelques civils, les magistrats, les fonctionnaires et militaires (sans leur famille) ; tous les magasins avaient fermé, sauf une pharmacie dont le vieux titulaire impavide devait se maintenir en place six mois, et un restaurant envahi (relativement) de clients, qui resta ouvert dix jours. Ensuite, tout le monde constitua des popotes et beaucoup eurent faim.

En violation du protocole signé avec l'amiral, les allemands désarmèrent la garnison et occupèrent les forts. Seuls, les aviateurs de la base de Karouba y échappèrent, leurs avions ayant le plein d'essence, et s'envolèrent pour l'Algérie. Je crois bien qu'ils ont tous été condamnés à mort pour rébellion ou trahison. Parmi eux se trouvait le lieutenant MANGIN, fils du général.

Tous laissaient leur famille à Bizerte, d'où, devant les bombardements, elles devaient aller se réfugier chez des amis à Tunis.

Le plus comique, c'est que malgré les condamnations des maris, les femmes échappèrent à la misère, car l'Intendance leur versa de pseudo-délégations de solde, qui n'existaient pas : les maris n'avaient évidemment pas prévu les événements.

Notons au passage, pour confirmer ce qu'a écrit le colonel PAILLOLE, que ce n'est pas la seule manifestation d'idées et de sentiments opposés à la politique officielle par l'Armée. Jusqu'au débarquement allié, le Tribunal Militaire de Tunis n'a jamais cessé de fonctionner et de juger et faire fusiller les espions italiens et allemands. Et, non seulement, ceux qui étaient arrêtés en Tunisie, mais ceux qui étaient clandestinement, et illégalement, du point de vue juridique de la compétence, transférés en secret de Marseille à Tunis.

Tous les anciens magistrats, et avocats de Tunisie peuvent en témoigner. Personnellement, j'ai connu, entre autres, le cas d'une espionne russe pro­allemande, qui a fait le voyage bras dessus, bras dessous avec son pseudo mari, gendarme muni d'un faux ordre de mutation. On n'a jamais vu couple plus uni : le bras dessus, bras dessous cachait les menottes. Elle fut condamnée, je crois, à 20 ans de travaux forcés. Prévenue, la commission italienne d'armistice l'a fait libérer, et son avocat l'a épousée. Je n'ai pas eu de faire part de mariage, mais un peu plus tard, j'ai reçu un faire part de naissance et de baptême de leur premier enfant ! ! !

Incohérence politique et amoureuse...

 

Le jour du désarmement de la garnison, deux événements tragi-comique se passèrent.

Le Tribunal s'était replié dans une caserne de la périphérie, car il était sévèrement bombardé par les anglo-américains qui visaient le quai, à cent cinquante mètres, à la cadence d'une visite... amicale toutes les deux heures.

Les magistrats ont été retenus prisonniers toute la matinée et malgré le froid, j'ai eu des sueurs froides, car gelé et sans manteau, j'avais commis la sottise de mettre mon manteau militaire de cavalerie ; c'était chaud, mais suspect. L'officier allemand qui m'a relâché s'est... moqué de moi. J'allais bien le lui rendre pendant six mois.

Le même jour, une voiture fut volée aux Travaux Publics ainsi que cent  litres d'essence par des inconnus. Le téléphone n'était pas encore coupé pour les administrations françaises. Les gendarmes prévenus firent des barrage: arrêtèrent l'automobile et ses trois occupants et les amenèrent au Tribunal.

Nos inculpés étaient trois jeunes fonctionnaires des Travaux Publics. Je crois bien, Dieu me pardonne si je les calomnie, que les gendarmes, de mauvaise foi, avaient suggéré aux « voleurs » de ne pas dire qu'ils étaient à la recherche des lignes françaises, mais allaient voir leurs fiancées à Béja. Il n'y eut jamais d'instruction plus cocasse entre les trois voleurs, moi qui n'avais pas le droit d'y assister et le juge d'instruction, mon ami R. DUPERTUYS, actuellement Premier Président.

Nous ne pouvions pas faire un non lieu « faute d'intention coupable » comme nous en avions envie. Nous avons averti nos prévenus que le dossier dormirait dans un tiroir tout le temps nécessaire, mais qu'allions-nous faire d'eux ? Toute circulation était interdite, voulaient-ils être libérés et renvoyé à leur administration au risque d'une dénonciation aux allemands ou voulaient-ils aller en prison ? A l'unanimité ils optèrent pour la prison.

 

De toute l'histoire de la Pénitentiaire, sauf avant 1789, à la Bastille et autres prisons d'État, réservées aux « bénéficiaires » de lettres de cachet on n'a pas vu de détenus plus chouchoutés : repas à la table des gardiens,  lits dans une pièce de l'appartement du gardien chef, permissions de sortie ad libitum, courses de ravitaillement de marché noir dans la campagne et fonction de facteurs pour apporter (sans gardes) le courrier à la Poste c'est-à-dire à la gendarmerie chargée du courrier officiel et au Tribunal.

Deux à trois jours plus tard, je recevais une lettre de Tunis de Mme MANGIN. Elle me rappelait que je l'avais connue fillette, me disait qu'elle s'était réfugiée avec ses enfants chez ses parents, M. et Mme QUINEL que je connaissais bien ; elle n'avait emporté qu'une valise et me priait d'aller dans son appartement de l'immeuble Ossude, de forcer la porte et de lui emballer une ou deux malles de vêtements et de linge, mais surtout de sauver dans le salon un magnifique râtelier de pipes ayant appartenu à son beau-père, le général MANGIN.

Cette demande devait avoir une suite inattendue pour les Allemands et... leur général en chef VON ARNIM.

L'appartement des MANGIN était, comme mon propre studio, dans les immeubles Ossude, entre le Palais de Justice et les quais. Les bombardements avaient soufflé portes et fenêtres ; je n'eus donc pas à forcer la porte.

J'y trouvais une équipe de marins allemands occupés, sous la surveillance d'un officier, à rouler consciencieusement les tapis de Kairouan du salon et de la salle à manger.

Je ne suis pas coléreux mais pour une fois je perdis mon sang-froid et l'officier qui, pour son malheur, comprenait le français en entendit de vertes, les pendules et horloges de 1870 ne furent pas oubliées, ni la personnalité du général MANGIN. Les pipes étaient encore là sous mes yeux. Blanc et raide, l'officier me présenta ses regrets : « les tapis étaient destinés à un mess d'officiers ». Il donna un ordre de départ, me salua impeccablement.

Soit dit en passant, tous ceux d'entre nous qui se risquaient sur les quais entre les bombardements pouvaient constater que les ponts des vedettes rapides étaient encombrés de pianos et de rouleaux de tapis.

Mes gêneurs partis, je me mis à l'emballage ; je réussis à trouver un charreton et son conducteur arabe et emportai deux malles. Une semaine plus tard, les gendarmes toujours complaisants, chargeaient ces malles sur le toit d'une de leurs voitures de liaison allant à Tunis porter le courrier officiel, la poste ne fonctionnant plus.

Quelques jours après, deux lettres de remerciements me parvenaient de Mme MANGIN et des QUINEL, avec une pressante invitation à leur rendre visite, quand je pourrais aller à Tunis.

Cette invitation devait, en avril 1943, valoir à VON ARNIM une pluie de bombes.

 

(1) Amiral, de l'arabe Emir el Bahr : le Prince de la Mer.

 

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 111

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