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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
LE DEBUT D' UNE VOCATION (5 ème Partie)
 

Par le Colonel Michel GARDER
Dans le B.L. 73, Michel GARDER a rappelé comment, au cours de l'été 1941, il a fait la connaissance à Paris, par l'intermédiaire du « Dominicain » d'un soi-disant officier de l'Intelligence Service.

Une aventure abracadabrante.

Un jour de Novembre 1941, sortant des Deux-Magots, je me trouvais face à face avec le « Dominicain ». En toute innocence, je le saluai en m'enquérant de l'état de sa santé. Il parut contrarié. « Comment, me dit-il, vous m'avez immédiatement reconnu ?». La question me parut curieuse. A mon tour, je me permis de l'interroger. Sa voix tonnante me laissa pantois. « Je constate que vous n'êtes absolument pas observateur. Ainsi j'ai changé de chapeau, je porte des lunettes et je me suis teint la mous­tache et vous m'abordez comme si vous n'aviez rien remarqué! »

J'évitais prudemment d'entamer une discussion sur cet aspect particulier de la technique des Services Spéciaux de peur, en raison de l'organe puissant de mon interlocuteur, d'y associer les passants. D'ailleurs, le « Dominicain » s'était brusquement calmé. « Si vous avez une minute, venez avec moi rue Bonaparte, chez mon ancienne secrétaire. J'ai des choses importantes à vous dire !»
Il était effectivement plus prudent d'apprendre ces « choses importantes » ailleurs que dans la rue ou même dans un café.

Au domicile de la bonne dame qui avait naguère milité avec le « Dominicain » pour la défense des intérêts des petits constructeurs des postes de radio, j'eus effectivement droit à un récit de la plus haute importance  pour ma propre sécurité. Il s'agissait de « Paul » l'officier de l'Intelligence Service, avec lequel j'avais dîné à la Chope du Pont-Neuf. Le « Dominicain » lui avait fait connaître plusieurs « vrais patriotes » avec lesquels il avait organisé un réseau particulièrement actif. Malheureusement, il y avait quelques jours, Paul et deux de ses collaborateurs - deux industriels amis du Dominicain - avaient été arrêtés par la Gestapo quelque part en banlieue. Emmenés en voiture par deux policiers allemands, le Britannique et ses camarades français avaient néanmoins réussi à assommer leurs gardiens et à s'évader.

Actuellement tous trois se trouvaient à l'abri dans des cachettes différentes, en dehors de Paris.
Paul avait réussi à reprendre le contact avec sa « fiancée », laquelle à son tour avait pu joindre le « Dominicain » en lui demandant de trouver des vêtements et des faux papiers pour les trois évadés. Il avait déjà réussi à trouver des complets et des pardessus, mais ne possédait aucune filière pour avoir des cartes d'identité.
Ce roman d'aventurier me parut immédiatement suspect. Je déclarai qu'à mon grand regret je n'avais, moi non plus, aucune possibilité en matière de faux papiers. Cet aveu valut une fois de plus quelques remarques désobligeantes du Dominicain aux services dont je faisais partie. Je profitai de mon impuissance pour quitter au plus vite le Dominicain.

Je ne devais plus le revoir. C'était d'ailleurs facilité par le fait qu'il ignorait ma nouvelle adresse.

Un début d'explication.
Fin Novembre 1941, comme tous les mois, j'effectuai une « liaison » en Zone Libre. A CLERMONT- FERRAND, je rendis compte à JOHANNES, entre autres affaires, des nouveaux exploits du Dominicain. Mon chef fut d'avis que je devais éviter tout contact avec ce brave homme. Toutefois il m'encouragea à mettre au clair d'une façon ou d'une autre l'histoire embrouillée de l'officier britannique.
A ma grande surprise, je devais entendre parler de ce dernier le jour suivant, lors de mon entrevue traditionnelle avec le Capitaine SIMONNEAU. Je venais de lui remettre mes « fournitures S.R. » lorsque, brusquement, il me dit :« Vous qui êtes polyvalent et qui grenouillez pas mal à Paris, vous n'avez pas entendu parler à Paris d'un certain officier de l'I.S. qui se fait appeler « Monsieur Paul » ? ». J'étais suffoqué car j'avais pris pour règle que « Popov » ignorât ce que faisait « Michel » et inversement En l'occurrence, je dus contrevenir à cet impératif et mis au courant le Capitaine de mes démêlés avec le « Dominicain » et le représentant de l'I.S. En retour j'appris que des H.C. du S.R. avaient été également mis en contact par le remuant « Dominicain » avec Monsieur Paul, mais que l'aventure s'était mal terminée. Il y avait eu arrestation, non pas du sieur Paul, mais de certains H.C. Les rescapés de cette aventure avaient ainsi acquis la certitude que « Paul » travaillait pour les Allemands.
Pour une fois, mon « androgynie » devait servir à accélérer les transmissions entre le S.R. et le T.R. De Vichy je revins précipitamment sur CLERMONT pour y alerter JOHANNES et par son intermédiaire le « grand patron » à Marseille - autrement dit le Commandant PAILLOLE.

Un épilogue provisoire.

L'épilogue de cette lamentable affaire devait se jouer en deux parties.
Tout d'abord, lors de ma liaison de Décembre 1941 à CLERMONT, j'appris que la Surveillance du Territoire avait, sur la demande du T.R., mis la main sur le « Dominicain » qui s'était réfugié en Zone Libre.
Sous le prétexte d'un « examen de situation », les policiers de la S.T. avaient flanqué au « Vieil amateur de Renseignement » la plus belle frousse de sa vie. II s'était engagé à se faire oublier quelque part en Zone Libre, à ne plus revenir à Paris et surtout à cesser de jouer les « Capitaines Benoist ».


Il fallut cependant attendre le mois d'Avril 1942 pour que Monsieur Paul vienne également en Zone Libre accompagné de sa « fiancée ». C'est à Lyon, si mes souvenirs sont bons, que la S.T. mit un terme à la carrière `de « l'Officier de l'Intelligence Service ». J'eus l'occasion, quelque temps plus tard, de lire, au poste T.R. de CLERMONT, le Procès-Verbal de son interrogatoire. Je ne me souviens plus si le nom de D... était effectivement le sien, en revanche l'essentiel de ses aveux demeure gravé dans ma mémoire. Sergent dans une unité du Génie du Corps Expéditionnaire Britannique en France, Paul avait été blessé fin Mai quelque part dans la région de Calais et fait prisonnier par les Allemands, s'était retrouvé dans un hôpital de Lille. Avec l'aide de patriotes locaux, il avait réussi à s'évader fin 1940 et à gagner la Zone Libre où quelqu'un l'avait aiguillé sur le Consul de Grande-Bretagne à Marseille. Ce dernier qui cherchait à créer des filières d'évasion pour les prisonniers de guerre britanniques qui se trouvaient encore détenus dans des camps du Nord de la France et de la Belgique avait proposé à « Paul » de repartir pour Lille avec des fonds afin de ramener sur Marseille quelques compatriotes évadés. Paul s'acquitta parfaitement de cette mission et revint en Zone Libre avec un groupe de militaires britanniques. Dans la région de Lille, il s'était fait des amis français tout heureux de pouvoir oeuvrer contre l'occupant. Le Consul le renvoya dans le Nord avec la même mission que précédemment, en lui demandant par ailleurs de glaner quelques renseignements. II accomplit ainsi plusieurs voyages. Malheureusement, le poste Abwehr de Lille se mit de la partie. Arrêté à l'occasion d'une de ses missions et menacé d'être fusillé pour espionnage, Paul accepta de travailler pour le Contre-Espionnage Allemand.

Pour commencer, il livra à ses nouveaux maîtres ses amis français de la région lilloise. Devenu inutilisable sur place, on l'expédia sur Paris à la disposition des Services Spéciaux allemands de la Capitale. C'est là qu'il devait faire la connaissance du « Dominicain » qu'en toute bonne foi il prit pour un authentique « commandant Bernard » du 2e  Bureau français. Ses employeurs lui recommandèrent une extrême prudence, persuadés qu'ils étaient eux aussi de l'importance du « Dominicain ». Selon eux, il fallait commencer par décimer des réseaux de ce « gros ponte » des Services français et n'arrêter ce dernier qu'à la fin.


Ce jeu subtil explique pourquoi le « Dominicain » a pu aussi longtemps évoluer en liberté. En somme « l'examen de situation » de la S.T. assorti de l'interdiction formelle de revenir en Zone Occupée devait éviter au tonitruant « Agent de Renseignement » l'arrestation par les Allemands et qui sait, peut-être, la mort.


Des P.-V. d'interrogatoires il ressortait également que la « fiancée » de Paul, ignorait tout de son double-jeu. La malheureuse avait cru jusque là que l'ami, qu'elle devait épouser plus tard, était un authentique officier anglais et qu'en lui servant d'interprète, elle accomplissait son devoir de bonne française. Paul fut condamné à mort. Il semble toutefois que l'on n'ait pas eu le temps de l'expédier en Afrique du Nord avant Novembre 1942 et qu'il ait été libéré par les Allemands lors de l'invasion de la Zone Libre.
J'ignore malheureusement l'épilogue définitif de cette histoire, dont moi aussi j'aurais pu faire les frais à la suite de mon dîner avec « Paul » et le « Dominicain » à la Chope du Pont-Neuf.

 

Après un an d'apprentissage.
L'épilogue provisoire de l'affaire « Paul D... » m'a fait faire un bond de plusieurs mois dans le temps,. Revenons donc au début de l'Automne de 1941. Il y avait un an alors que je me trouvais à PARIS.
Une année de clandestinité représente pour un novice en matière de renseignement un excellent apprentissage sur le tas. En ce qui concerne ma spécialité de base : le contre-espionnage offensif, je ne pouvais évidemment pas, à l'instar des Postes de la Zone Libre, « manipuler » des « doubles ». De même il ne pouvait être question pour moi de me « fourrer » dans la « gueule du loup ». Il ne me restait que la possibilité de la « pénétration » indirecte, c'est-à-dire le « contrôle » par des amis collaborationnistes dans lesquels l'Abwehr et de plus en plus le S.D, qui s'efforçait patiemment d'empiéter sur les attributions du premier nommé, puisaient principalement leurs agents.

Cette méthode, moins rentable dans l'immédiat que l'utilisation des doubles, devait avec le temps s'avérer payante. Elle m'avait permis en particulier d'identifier et de suivre un certain nombre d'agents des Services Allemands, les uns travaillant sur Paris et d'autres expédiés en Zone Libre. Parmi ces derniers, je me souviens en particulier de deux cas : celui d'un ancien brigadier-chef de mon propre régiment : le 11e Cuirassiers, D... dit GELLABERT, et d'un certain M... dit « Nonceil », signalés par mes soins au T.R. D... envoyé en mission à LIMOGES par l'Abwehr I devait s'y faire prendre malheureusement après avoir incité à la trahison deux sous-officiers du 6e Cuirassiers. Quant à « Nonceil », sa carrière d'espion avait été brutalement interrompue dès son arrivée à CLERMONT- FERRAND par la S.T. locale.

Il faut dire que les rivalités qui opposaient les « 2e Bureaux » des différents partis collaborationnistes facilitaient singulièrement la tâche de ma petite équipe. S'espionnant mutuellement, ces aimables officines tenaient à connaître les membres de la maison rivale qui travaillaient pour les Allemands, dans la louable intention de les surveiller et au besoin de les dénoncer à leurs employeurs comme traîtres ou incapables. Les besoins de la « cause » amenaient également les Chefs des dits « 2e  Bureaux » à suivre de près les rivalités des différents Services Allemands afin de savoir sur quel pied danser. II y avait là des éléments d'information très inté­ressants car c'était probablement le seul domaine dans lequel ces messieurs travaillaient bien, dans la mesure où il y allait vraiment de leur intérêt personnel.

Grâce à leurs efforts conjugués, nous avions une vue assez claire du jeu des Services Allemands et à chacune de mes liaisons je pouvais amener à T.R. 113 une honorable moisson de Renseignements C.E.
Dans le domaine du S.R., je connaissais enfin mon métier et mes tournées « pastorales » en province me permettaient de surveiller d'un oeil sûr l'évolution de l'Ordre de Bataille Allemand.

(A suivre.)

 

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 76

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