logofb

 

 
 
line decor
Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
line decor
 

 


 
 
 

 
 
PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
LE DEBUT D' UNE VOCATION (1 ère Partie)
 

Par le Colonel Michel GARDER  

Je n'eus pas l'honneur de rencontrer ce mystérieux PAILLOLE. A sa place, le Capitaine LAMBERT me fit rencontrer dans un café de VICHY un non moins mystérieux Capitaine JOHANNES avec lequel il me laissa en tête à tête. Posément, mon nouveau patron m'interrogea sur mon passé et mes aspirations héroïques. J'ignore l'impression que je produisis sur lui, mais en revanche lui-même me plut énormément. On sentait dès le premier contact qu'on avait affaire à un homme d'une droiture exceptionnelle avec lequel tout devait être facile à la condition de ne pas décevoir sa confiance. Nous convînmes d'un nouveau rendez-vous, cette fois à Clermont-Ferrand pour y parler plus à fond de mon départ pour la zone occupée.

" Nous n'allons pas perdre de temps, me dit-il. Je pense que, d'ici une semaine vous pourrez partir ! Après-demain je vous attends 52, avenue d'Italie, à Clermont. "

En attendant de préparer techniquement mon départ, il me fallait penser à des choses aussi terre à terre, que ma garde-robe. A vrai dire, ce fut le Commandant CAZIN d'HONINCTHUN qui attira mon attention sur ce point, car grisé par la proximité des émotions fortes, j'avais totalement oublié le problème vestimentaire.

 

L'élégance n'ayant jamais été ma qualité dominante, je me trouvais parfait avec le petit complet de confection gris acheté chez SIGRAND à Vichy pour remplacer le blouson et la culotte de golf avec lesquels j'étais arrivé, deux mois plus tôt conquérir la capitale provisoire de l'Etat Français.

Le soir même, escorté par Suzanne RENAUD, car CAZIN n'avait nulle confiance en mon goût, je dus me soumettre aux simagrées professionnelles d'un tailleur bulgare sensé me métamorphoser en " Brummell " dans le délai record de cinq jours.

 

L' ANTRE DU T.R. 113 Ma nouvelle " administration ", celle des Travaux Ruraux, avait tout simplement élu domicile dans les anciens locaux du Bureau Central des Renseignements de la 13ème Région Militaire. C'était en quelque sorte un camouflage au second degré.

La meilleure fausse barbe, dit-on, est celle que l'on ne porte pas. L'immeuble abritant désormais un organisme officiel de police : la B.S.T. de Clermont-Ferrand, la petite équipe du Capitaine JOHANNES s'y trouvait à l'abri des regards indiscrets.

 

Il faut dire que le personnel de la S.T. ne comprenait que des anciens ayant de longue date travaillé la main dans la main avec le C.E.

J'ignorais évidemment tous ces détails le jour où je me présentai pour la première fois dans cet antre. Tous ces sigles bizarres : S.T. - B.C.R. - T.R. ne me disaient strictement rien. Seule m'intéressait la mission périlleuse dont j'allais être investi.

Dans le bureau, outre mon nouveau patron, il y avait un vieux Monsieur qui avait droit à l'appellation de " mon Colonel ", ce qui ne manquait pas de m'impressionner, et un Secrétaire dactylo au visage congestionné qui répondait au nom sonore de TRIMOUILLAS.

 

Le " Colonel " prétendait s'appeler MERLIN - ce n'est que plus tard, quand nous fîmes mieux connaissance, que j'appris qu'il était en fait le Colonel MANGES, un des grands noms de nos Services.

 

TRIMOUILLAS, lui, ne prétendait pas à grand chose. Je devais apprendre plus tard qu'il avait été mis à notre disposition par la S.T., ses patrons ayant perdu tout espoir d'en faire un enquêteur.

 

Les présentations furent brèves et devenu définitivement " Michel ", je fus adopté par cette équipe curieuse dont le chef était un Capitaine, le conseiller technique un Colonel et le Secrétaire un policier manqué.

 

Mon stage d'initiation ne dépassa pas trois jours. Au fond, et ceci je ne le compris que plus tard, on ne se représentait pas encore très bien le rôle que je pouvais jouer en zone occupée. En tant que représentant clandestin à Paris de la " Succursale Clermontoise " de l'Office des Travaux Ruraux, il n'était évidemment pas question pour moi d'aller me fourrer directement dans la " gueule du loup " en me faisant embaucher par les Services Allemands.

A l'époque les quelques agents de pénétration que possédait l'ensemble de la " Maison PAILLOLE " étaient encore des " anciens ", rescapés de la guerre.

 

Envoyés périodiquement par leurs " employeurs " allemands en zone non-occupée, ils y retrouvaient leurs vrais patrons français, leur remettaient une partie des fonds que l'Abwehr avait eu la générosité de leur donner ainsi que la liste des questions auxquelles ils étaient censés trouver des réponses, grâce à leurs dons naturels.

 

En retour, les dits patrons français se faisaient un devoir de leur fournir les réponses voulues et les réexpédiaient en zone occupée où leurs " employeurs " allemands recueillaient avec satisfaction leur ample moisson de renseignements.

 

Dans ce circuit qui fonctionnait si bien, les " patrons français " se trouvaient en zone libre relativement à l'abri des " employeurs allemands ".

 

Charger directement un blanc bec de mon espèce de m'installer en " patron " à Paris, à la barbe des " employeurs allemands " et d'y organiser un circuit restreint entre eux et moi grâce à des " agents de pénétration " que j'aurais recruté et formé moi-même paraissait pour le moins risqué.

 

On préféra demeurer dans le vague en m'expédiant en zone occupée un peu comme un jeune chien que l'on flanque à l'eau pour lui apprendre à nager.

 

Bien sûr on me fit comprendre combien les faits et gestes de nos bons amis de l'Abwehr intéressaient la Maison, mais on se garda bien de m'indiquer la recette magique grâce à laquelle il me serait donné de détecter les dits " faits et gestes ".

 

On m'enjoignit accessoirement de m'intéresser à tout ce qui se passait en général et dans tous les domaines sous le règne de l'occupant. Le Colonel MERLIN me donna l'adresse d'un " type bien ", un officier de réserve résidant à Amiens et le Capitaine JOHANNES me conseilla d'aller voir, avec prudence et discrétion, un ancien de la Maison nommé " l'Amiral " en raison de son état d'officier de réserve dans la Marine.

La Maison n'étant pas riche on m'alloua généreusement, en plus de ma solde mensuelle qui s'élevait à l'époque à 2.000 francs, la somme forfaitaire de 2.500 francs pour mes frais de déplacement et de " représentation ".

 

Grâce au complet rutilant, chef-d'œuvre du tailleur bulgare, à un pardessus neuf, au premier chapeau mou de mon existence et à ce pactole, j'étais paré enfin pour jouer les Capitaines BENOIT !

Il restait deux points importants à régler : le problème de ma " couverture " et celui du franchissement clandestin de la ligne de démarcation.

 

Le Grand Ecrivain Henri MASSIS, que j'avais connu à l'Etat-Major de l'Armée Huntziger à l'issue de mon épopée dans les Ardennes et qui se trouvait présentement " chargé de missions " au Ministère de la Jeunesse à Vichy, me permit de résoudre le premier.

 

Introduit par lui auprès de M. de CARBONNEL, un diplomate exilé dans " la Jeunesse ", je reçus de ce dernier une vraie fausse carte d'Attaché à son Ministère ainsi que le conseil de me présenter à Paris à son collègue M. de CROYE, également détaché du Quai d'Orsay pour s'occuper des " jeunes " : " Vous pouvez avoir confiance en lui ! " ajouta-t-il avant de me souhaiter bonne chance.

En ce qui concernait la ligne de démarcation, JOHANNES m'avait donné un mot pour le Commissaire spécial de la Madeleine, un ancien de la S.T., dans lequel il le priait de m'aider.

 

Il fut convenu que je reviendrai dans un mois, aux environs du 25 Octobre 1940. LE DEBUT DE L' AVENTURE

Dans le car poussif qui m'emmenait de Vichy à la Madeleine, j'étais loin de me sentir à mon aise.

 

La veille à la popote de Nemo, on avait arrosé mon départ. Alors tout paraissait facile, je me voyais déjà à Paris déjouant tous les traquenards de la Gestapo, m'introduisant avec facilité dans toutes les officines de l'Abwehr.

 

A présent, assis à côté d'une grosse paysanne qui exhalait sa rancoeur contre de mystérieux " ils " qui " ne pensaient qu'à embêter le pauvre monde ", mon avenir me paraissait beaucoup moins exaltant.

 

Il y avait d'abord cette sacrée ligne à franchir, en attendant d'autres obstacles plus menaçants les uns que les autres.

 

Pour tenter de dissiper cette peur lancinante de l'inconnu qui me tenaillait de plus en plus, je m'efforçais de soutenir la conversation avec ma voisine en dénonçant moi aussi les méfaits des " ils ". A la Madeleine nous nous quittâmes comme de vieux amis.

Le Commissaire spécial me reçut avec cordialité mais ne me cacha pas que le franchissement clandestin de la ligne n'était pas aussi aisé que d'aucuns ne se l'imaginaient.

 

Il connaissait certes un passeur résidant à MOULINS mais ne pensait pas pouvoir le voir avant le lendemain vers midi. Je dus coucher à la Madeleine, en retardant de vingt-quatre heures le début proprement dit de mon aventure.

Le passeur, un jeune camionneur de Moulins fut fidèle au rendez-vous. Carré en affaires, il m'annonça immédiatement son tarif : 100 francs payables d'avance, réclama une photo d'identité, que je possédais heureusement et qu'il colla séance tenante sur la carte de frontalier de son cousin en l'agrémentant d'une esquisse de tampon exécuté à l'aide d'un bout de pomme de terre.

 

Grâce à cet artifice magique, je changeai de personnalité (et même de signalement) en devenant le représentant de commerce MARTIN Eugène, 1 m. 80, cheveux châtain clair, yeux bleus, demeurant à MOULINS.

 

Comme il n'était pas question ni de me faire grandir ni de modifier la couleur de ma chevelure et de mes yeux, il ne me restait qu'à prier le Seigneur de faire en sorte que des sentinelles allemandes ne soient pas trop exigeantes quant à mon signalement.

Le jeune frère du passeur, un gamin d'une quinzaine d'années, qui participait à l'opération devait me précéder à bicyclette en portant, camouflée dans une de ses chaussettes, ma précieuse carte officielle d'Attaché au Ministère de la Jeunesse.

 

Mon bagage, qui se réduisait à une petite valise fut pris en compte par le passeur lui-même qui disparut aussitôt en me donnant rendez-vous dans un café de Moulins.

Vers deux heures de l'après-midi, j'abordai dans le sillage de mon éclaireur cycliste l'entrée du pont sur l'Allier.

 

Pour la première fois depuis le 24 Juin je me retrouvais face à face avec des soldats allemands, mais cette fois je n'étais plus qu'un civil honteux titulaire par surcroît d'une pièce d'identité de la sainte farce.

 

Devant moi le gamin passa en lançant une plaisanterie qui parut du goût du colosse casqué en Feldgrau, lequel daigna émettre un rire barrissant repris par son collègue planté sur l'autre trottoir.

 

Le coeur battant, je me présentai à mon tour, m'efforçant d'afficher sur mon visage la sérénité du frontalier habitué à être contrôlé plusieurs fois par jour. " Gut " grogna le colosse en me rendant ma fausse carte.

 

La traversée du pont me parut interminable, mais ni le feldwebel qui contemplait la rivière, ni les deux sentinelles postées à l'autre bout ne firent attention à moi.

J'étais enfin en " territoire ennemi ".

 

Ici les montres étaient avancées de deux heures et les Allemands en armes ou sans armes grouillaient partout.

 

Dans un bistrot discret, je retrouvai mon passeur, ma valise et ma véritable identité. Afin d'éviter un contrôle inopportun en gare de Moulins, je me payais le luxe d'un taxi jusqu'à Nevers. Désormais je ne doutais plus que les dieux étaient avec moi.

 

LE " GROSS PARIS " ...

Le 26 Septembre 1940, vers 9 heures du matin, je découvrais en sortant de la Gare de Lyon la ville que j'aimais le plus au monde sous la botte de l'occupant.

Les Allemands étaient partout... dans les rues, sur les places, dans les cafés et dans le métro. Des pancartes et des flèches ornaient tous les carrefours, certains trottoirs étaient interdits aux indigènes, un peu partout des guérites aux couleurs de la Wehrmacht transformaient des hôtels en quartiers généraux.

 

Comme beaucoup de Français, je sentais monter en moi une rage impuissante mais en même temps l'idée que je venais à Paris en combattant clandestin me rasséréna.

 

J'ignorais encore ce que j'allais pouvoir faire effectivement, mais je ne doutais pas de l'issue finale.

 

J'étais, à moi tout seul, 113 Bis, l'antenne avancée du T.R. 113

et la minable chambre au 3ème étage de l'Hôtel de la Haute-Loire, rue Guisarde, Paris (6°), où j'élus domicile en raison de la modicité du prix, me parut belle parce qu'elle était celle du début de ma mission.

 

 

 

 
Suite / Haut de page
 

 

Article paru dans le Bulletin N° 69

Dépot légal - Copyright

Enregistrer pour lecture hors connexion.

Toute exploitation, de toute nature, sans accords préalables, pourra faire l'objet de poursuites.

Lire l'Article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle. - Code non exclusif des autres Droits et dispositions légales....