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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
" CHINE 2000 : le dragon ne se réveillera pas de si tôt... "
 

Par Marcel CULAS - A l’occasion du Congrès de juin 2000  

C'est par un contrepoint volontairement provocateur d'une part à la célèbre prophétie d'Alain Peyrefitte (" Quand la Chine s'éveillera, le monde tremblera " - 1973) et d'autre part à " La Chine s'est éveillée " (1996) que je souhaite aborder le sujet de notre entretien c'est-à-dire l'état de la Chine au tournant du XXe siècle.

Avec 4.000 ans d'histoire derrière elle, l'immense, lointaine et secrète Chine a toujours fasciné l'Occident, nourri des relations de voyages ou des récits de commerçants, de religieux, de scientifiques, de militaires ou de diplomates, tous aventuriers en quelque sorte, qui, à partir du XIIIe siècle ont tenté d'expliquer ce que les Chinois dénomment non sans fierté le "pays du Milieu " (zhong guo), un pays enfermé pendant de longues années derrière sa Grande Muraille mais qui, en moins d'une décennie est parvenue à dépasser le niveau de production de l'Allemagne ou du Japon et a construit à Shanghai (pour ne prendre que l'exemple le plus excessif), 3.500 grattes-ciel, soit l'équivalent de 40 fois la Défense !...

Aussi, pour comprendre l'ambiguïté du comportement des dirigeants chinois actuels, de leur politique et ses contradictions, paraît-il nécessaire de remonter au début du XIXe siècle. L'empire est alors au sommet de sa puissance (il ne recouvre pas moins de 11 millions de km2 contre 9,5 actuellement), sa prospérité économique est affirmée grâce au commerce international du thé, de la soie et de la porcelaine sans compter une agriculture bien gérée. Toutefois l'équilibre social est déjà troublé par une série de révoltes dans les provinces périphériques et une recrudescence des activités de sociétés secrètes. C'est dans ce contexte, vers 1834, que se situe l'arrivée des premiers européens à la recherche de nouveaux marchés pour leurs produits industriels.

La confrontation d'une société figée avec des occidentaux aux appétits commerciaux et colonisateurs va plonger ce pays dans un demi siècle de bouleversements militaires, économiques et démographiques qui se termineront par l'effondrement en 1912, de la dynastie des Oing et donc du système impérial. Pas moins de huit " Traités inégaux ", comme les ont appelés les Chinois, vont permettre à des puissances étrangères (Royaume-Uni, Allemagne, Russie, France, Italie, Autriche, États-Unis et même Japon) de s'attribuer des concessions territoriales et des indemnités de guerre.

Les plus connues de ces expéditions militaires sont le " Sac du Palais d'été (1860) et " les 55 Jours de Pékin ou la Révolte des Boxers " (1900) parce qu'elles ont été immortalisées par la littérature et le cinéma. De cette époque, naîtront les maîtres mots qui guideront les dirigeants chinois de tous les temps : méfiance envers l'étranger et ses idées (souveraineté), peur du chaos (pouvoir fort) et enfin lutte contre la famine (développement et modernisation).

Les premières années du XXe siècle seront aussi fertiles en événements lourds de conséquences. En effet, quand l'émigré activiste, Sun Yatsen, (connu en Chine sous son nom de guerre de Zhong Shan et proclamé depuis comme " père de la Nation ") est élu président provisoire de la nouvelle République deux mois plus tard, il ne parvient pas à établir un pouvoir fort suffisamment longtemps et la Chine bascule à nouveau dans l'instabilité. Les " seigneurs de guerre " vont se partager le pays pendant des dizaines d'années.

Deux mouvements politiques, tous deux héritiers de la pensée de Sun, se font cependant jour, tous deux chargés d'idéaux louables : d'une part, les " nationalistes " de Tchang Kai-Tchek (ou Jiang Jieshi), successeur de Sun et qui ont fondé le Guomingtang et d'autre part, les " communistes " qui, harcelés par leurs adversaires, sortent de la clandestinité en 1934 pour une " Longue Marche " vers l'Ouest, sous la direction d'un certain Mao Zedong.

Ces luttes internes seront mises à profit par les Japonais qui, dès 1931, ont occupé la Mandchourie et resteront en Chine jusqu'à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, non sans avoir commis bon nombre d'atrocités comme le massacre de Nankin où périrent 300.000 civils en une semaine. Entre 1937 et 1945 le bilan du conflit sino-japonais s'élèvera à quelque 20 millions de morts.

Regroupés un instant dans une union sacrée contre l'occupant, nationalistes et communistes chinois sont toutefois prêts à s'affronter à nouveau pour le pouvoir. L'exode à Taïwan en 1949, d'environ deux millions de personnes à la suite du gouvernement nationaliste, marque sur le continent, la naissance d'un nouvel ordre, celui des communistes, avec un gouvernement fort, le premier sans doute depuis un siècle.

Cette restauration nationale qui s'effectue dans un enthousiasme populaire sans précédent marque le début de " l'ère maoïste " (pour reprendre les mots d'Alain Peyrefitte : " une société de défiance dopée par l'enthousiasme révolutionnaire "). Elle prendra fin le 9 septembre 1976, à la mort du " Grand Timonier ", après 26 années d'espoirs déçus (les Chinois les appellent maintenant " les années noires ") et dont les moments forts nous sont mieux connus parce que plus proches de nous : la " Réforme agraire ", l'annexion du Tibet et l'engagement dans la guerre de Corée (1950), la campagne contre les bureaucrates - les " trois anti " - (1951), la campagne contre les bourgeois - les " cinq anti " - (1952), les " Cent fleurs " (1956), le " Grand Bond en Avant " avec ses communes populaires et ses hauts fourneaux (1958), la famine (1959-1961) qui décimera de 15 à 20 millions de civils, la " Grande Révolution Culturelle " (1966-1976) avec ses " Gardes Rouges " enragés et leur " Petit Livre Rouge ", et enfin la " rééducation des masses " à la campagne (1969), sans parler de la dernière guerre du XXe siècle menée par les Chinois, au Vietnam et qui se solda par 20.000 soldats tués (1979).

Après la mort de Mao, c'est en 1977, que Deng Xiaoping, un ancien " purgé ", nommé Vice-Premier Ministre, s'affirme comme le leader incontesté du camp des réformistes, la tendance droitière qui, s'oppose aux gauchistes au sein du Parti. Son programme des " Quatre modernisations " (agriculture, industrie, sciences et défense nationale) connaît dès 1980 un succès incontestable. Parallèlement, le slogan " Réformer et ouvrir " lance la campagne destinée à accueillir les investissements étrangers (4,8 milliards de dollars) dans les fameuses " Zones Économiques Spéciales " de la province de Canton.

Ces ouvertures salutaires sont toutefois freinées par deux événements de politique intérieure : la nomination comme Premier Ministre en 1987 de Li Peng, représentant de la faction dure des conservateurs, et la crise du 4 juin 1989 qui sera connue en Occident grâce aux images de la manifestation d'étudiants et d'ouvriers réprimée par l'Armée Populaire de Libération sur la place Tian anmen à Pékin.

Pourtant la décennie 1990 va connaître une incroyable poussée des réformes et des succès économiques. L'exhortation de Deng Xiaoping lors d'une tournée dans le Sud du pays (" il est glorieux de s'enrichir ") sera entendue.

Toute une partie de la société chinoise, fonctionnaires de province ou de la capitale et leur administration compris, se lancent dans les affaires privées (xiahai = littéralement descendre vers la mer), des sociétés d'investissements (ITIC) sont créées pour trouver des financements. L'A.P.L. se trouve ainsi à la tête d'un empire de près de 50.000 entreprises commerciales (qu'elle devra laisser dès 1998, à la suite de nombreux scandales).

" L'économie de marché socialiste ", officialisée en 1992, génère des milliers de vocations d'entrepreneurs à l'intérieur du pays dans la plus grande anarchie et attire des investisseurs étrangers qui voient dans la Chine le plus grand des " marchés émergents ".

A la mort de Deng Xiaoping (1997), dernier leader historique à avoir connu la " Longue Marche ", c'est une troisième et nouvelle génération qui prend le pouvoir. L'accession de Zhu Rongji (économiste libéral et ancien maire de Shanghaï) au poste de Premier Ministre en mars 1998, marque le souci de l'état d'accorder la priorité à l'économie. De son côté, Jiang Zemin, choisi par Deng Xiaoping, accède à la Présidence de la République, au Secrétariat Général du Parti et à la Présidence de la toute puissante Commission Militaire. Il devient, comme le nomme le Figaro, le " troisième empereur communiste " et conforte sa stature de réunificateur le 1er juillet 1997 lors de la rétrocession sans heurts de Hong Kong à la République Populaire de Chine et, le 20 décembre 1999, celle de Macao orchestrée comme l'ultime étape avant Taïwan.

A cette occasion, il se déclare " confiant dans un règlement au plus tôt de la question de Taïwan ". C'est donc un véritable triomphe que Jiang Zemin peut s'offrir lors du défilé militaire d'octobre 1999 à l'occasion du 50e anniversaire du régime (1949-1999).

La génération des dirigeants actuels pourrait être relativement satisfaite de son bilan. Les années passées ont montré que la modernisation tant redoutée pouvait aller de pair avec souveraineté. De bonnes performances économiques (un étonnant taux de croissance qui est parvenu dans certaines zones à plus de 10 %), une réunification nationale relativement réussie pourraient donner aujourd'hui l'image d'une Chine forte.

Restée discrète sur le plan international (elle n'a été reconnue par la France qu'en 1964 par le gouvernement du Général de Gaulle et admise à l'ONU en 1971), la Chine a retrouvé au Conseil de Sécurité, particulièrement depuis 1990, une position de " grande nation " avec laquelle il faut désormais compter (elle dispose de l'atome, lance non sans succès des satellites dans l'espace et aurait mis au point récemment une bombe à neutrons).

Elle est un des éléments importants de l'équilibre du monde à la veille du XXIe siècle... Celui-ci pourrait alors trembler " si le dragon venait à se réveiller "! Mais en dépit des affirmations souvent répétées, cette apparente bonne santé, cache en réalité de nombreux problèmes tant sur le plan domestique (état de droit, disparités économiques et sociales, minorités en quête d'identité) que sur le plan international (droits de l'Homme, question taïwanaise, OMC).

" La Chine, un état autoritaire mais faible " titrait Roland Lew dans le Monde Diplomatique " d'octobre 1999. Je rappellerai aussi le pavé jeté dans la mare en octobre dernier par la revue américaine de politique internationale (" Foreign Affairs ") avec son titre provocateur " Does China matter ?"(est-ce que la Chine a encore quelque importance ?). Gerald Segal y passe au crible ses atouts supposés pour conclure :" La Chine est au mieux, une puissance moyenne de second rang mais qui a réussi à projeter à l'extérieur grâce à sa maîtrise de l'art de la diplomatie, du théâtre, l'image d'un géant en devenir ".

Comme à l'époque impériale ou à l'ère maoïste, l'État qui préside aux destinées d'un 1,25 milliards de citoyens est doublé par un gigantesque appareil fort d'environ 100 millions de membres (le Parti Communiste Chinois) qui, sous prétexte du maintien de la stabilité dans un pays aussi immense exerce un régime arbitraire dans le domaine de la politique et ne tient que par un rigoureux appareil répressif. Les luttes de clans et de factions, qui ont caractérisé l'histoire du pays ont commencé avec encore plus de férocité depuis que la soif d'enrichissement est venu rajouter une dimension nouvelle à cette quête du pouvoir à tous les échelons de la hiérarchie.

La propagande du PCC a beau marteler le thème ultranationaliste :" la grande renaissance de la race chinoise n'est possible que sous la direction du Parti ", ce dernier n'intéresse plus les jeunes qui lui préfèrent la libre entreprise, la musique techno et Internet (autant de victoires conquises récemment sur le pouvoir en place).

Incapables de maîtriser la stupéfiante évolution de la société chinoise, les dirigeants au pouvoir voient arriver le XVIe Congrès du PCC en 2002 avec inquiétude. Le Président a 74 ans et le Premier Ministre 72 ans, leur succession est à envisager. Quel clan accédera aux fonctions suprêmes ? celui des Shanghaiens ou celui des Pékinois ? On spécule déjà sur la montée du Secrétaire général du Parti de la province méridionale du Guangdong... Les luttes de faction qui sont le moteur des décisions politiques, à l'interne comme pour la politique étrangère, vont donc se raviver au cours de ces deux prochaines années, car il n'existe plus, pour cause d'âge, de chef historique incontesté. Une incertitude demeure sur les hommes qui hériteront du pouvoir et sur leurs capacités à maintenir le Parti dans cette tourmente.

Lancée dès 1996 sous le titre de " Frapper fort ", la campagne contre la criminalité s'est soldée par un nombre impressionnant d'exécutions (environ 5.000 par an souvent en public pour l'exemple), le nombre de prisonniers dans les 500 laogai (camps de réforme par le travail) s'élèverait entre 5 à 15 millions d'individus.

Tout cet appareil est orienté sans distinction vers la répression de la criminalité comme de l'opposition politique. Il y aurait encore 2.000 prisonniers politiques enfermés en dépit des violentes campagnes menées à l'étranger par des dissidents célèbres comme Wei Jingsheng ou Wang Dan. La Chine reste classée par la Fédération Internationale des Droits de l'Homme en catégorie 1, c'est-à-dire pays de répression absolue mais en recourant à une manoeuvre procédurière, elle a pu échapper, une nouvelle fois, le 18 avril dernier à une condamnation de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies à Genève.

Mais tout cet impressionnant arsenal répressif n'a pu empêcher, au cours de cette décennie, la mise au grand jour d'époustouflantes affaires de corruption et de scandales financiers, certains éclaboussant l'entourage immédiat des plus hauts dirigeants. On relève à ce sujet la mort, en 1995, de Wang Baosen, le vice-maire de Pékin, qui s'est tiré une balle dans la tête alors qu'on enquêtait sur une fraude de 50 millions de francs, la condamnation en 1998 à 16 ans de prison, du Secrétaire général du PCC de Pékin, Chen Xitong pour détournement de fonds, plus récemment, la compromission du propre neveu du Président dans un scandale financier de 8,5 millions de francs, celui de l'épouse d'un membre du Politburo, Jia Qinglin, l'un des plus proches amis de Jiang Zemin, impliquée dans un détournement de 100 milliards de francs à Xiamen, l'arrestation du Vice-Président de l'Assemblée Nationale du Peuple, Cheng Kejie, protégé de Li Peng, pour avoir touché 33 millions de francs de pots-de-vin alors qu'il était gouverneur d'une des provinces les plus pauvres du Sud de la Chine, et enfin, le mystérieux suicide du directeur de l'administration des changes, Li Fuxiang, proche du Premier Ministre, chargé notamment de contrôler la fuite des capitaux à l'étranger, qui s'est jeté du 7e étage de l'hôpital où il suivait un traitement...

La corruption a pris au cours de ces dernières années une ampleur particulière avec le développement du libéralisme pragmatique que l'on nomme " l'économie de marché socialiste ". Ne déterminant pas clairement les frontières entre les intérêts publics et privés, ce nouveau dogme laisse la porte ouverte à tous les agissements (pensons à cette célèbre maxime de Deng Xiaoping :" qu'importe que les chats soient noirs ou blancs pourvu qu'ils attrapent les souris ").

Toutes ces affaires font perdre beaucoup de crédibilité aux campagnes anti-corruption lancées dès 1996, en particulier en direction de l'APL accusée, à juste titre, de contrebande (cigarettes, voitures). L'enrichissement de la " Chine bleue " (celle des provinces côtières a eu pour conséquence une fragilisation du tissu social de l'ensemble du pays. Les inégalités entre riches et pauvres sont de plus en plus flagrantes. Cette explosion économique s'est bien entendu accompagnée du développement d'activités illégales comme la contrefaçon, la contrebande, la prostitution et la drogue.

Les " triades " jusque-là maintenues à Hong Kong, Macao et Canton se sont organisées surtout dans le Sud de la Chine et se distinguent encore dans des créneaux tels que le kidnapping d'hommes d'affaires ou le trafic clandestin des émigrants à destination de l'Europe ou des États-Unis.

Face aux critiques de plus en plus ouvertes de la base, les dirigeants tentent de conserver une certaine légitimité en mettant en avant leurs réussites dans le développement économique et l'augmentation du niveau de vie (plus de 10 % par an). Pourtant, après avoir fait figure de pôle de stabilité dans la crise financière qui a secoué l'Asie, depuis l'année dernière la Chine inspire de vives inquiétudes au moment où ses voisins redressent la tête.

Deux événements se sont produits : - sur le plan conjoncturel, la croissance ne cesse de s'essouffler. On est loin des 14,2 % de l'année 1992, officiellement affiché à 7,4 % le taux de l'année 1999 devrait baisser cette année à 6,9 %. Or, les experts considèrent qu'un taux de croissance de 8 % est nécessaire pour que le chômage n'augmente pas. Le vigoureux plan de relance de la demande intérieure n'a guère porté ses fruits et n'a pu amortir une légère déflation. Les importations ont certes augmenté mais ont amputé de la moitié le solde de la balance commerciale.

Jusqu'à présent l'essoufflement de la demande intérieure était compensé par la croissance des exportations mais avec la crise asiatique les débouchés de la Chine ont été considérablement réduits. Un rapport sur la compétitivité internationale vient de souligner que la Chine était passée de la 13e, à la 25e, place mondiale ; - mais beaucoup plus grave, c'est sur le plan structurel que l'avenir économique de ce pays est en train de se jouer.

On note actuellement un fort courant au sein du Parti pour freiner les réformes pourtant indispensables. A la fin de l'année dernière, le régime semblait divisé sur la restructuration des entreprises d'état, l'ouverture aux investissements étrangers, et même l'accession de la Chine à l'OMC. En effet, le psychodrame provoqué par le bombardement de l'ambassade de la RPC à Belgrade qui s'est accompagnée d'une flambée de nationalisme bien orchestrée a permis aux conservateurs de montrer leur hostilité à l'ouverture et de fragiliser la position du Premier Ministre réformateur Zhu Rongji qui a dû ralentir son programme.

Le " dégraissage " des administrations (40 % des effectifs) et des entreprises d'État pléthoriques et endettées ne sont pas des mesures populaires auprès des masses en dépit de leur bien-fondé. On estime à 30 millions les sureffectifs du secteur industriel public sur une masse de 100 millions d'ouvriers. Quinze millions ont déjà été licenciés lors des deux dernières années, plusieurs millions doivent l'être cette année. La perspective du chômage (actuellement évalué dans les villes à 45 millions de personnes) constitue pour ceux qui étaient habitués au " bol de fer " ou la " chaise de fer " (l'emploi à vie) un véritable traumatisme déclencheur de chaos.

Ainsi, fin février, l'armée a dû affronter 20.000 mineurs licenciés dans une ville du nord-est de Pékin. Ces déshérités se joignent aux deux millions de fonctionnaires sortis de la fonction publique et surtout aux paysans qui sont sans doute les plus touchés. En effet, la terrible sécheresse du Nord de la Chine ou les inondations catastrophiques du Centre de ces dernières années ont ruiné des régions entières.

En trois années, 30 millions de ruraux ont dû abandonner leurs terres et dans certaines provinces occidentales les revenus sont passés de 200 F. à 8 F. par an entraînant de nombreux malheureux à mendier ou à se louer comme des serfs à des entrepreneurs peu scrupuleux. (A titre de comparaison, un jeune ingénieur gagnait 200 F. par mois en 1990, dix après il peut gagner 8.000 F. dans une société étrangère).

On évalue ces " migrants " privés de protection sociale ou de droits des travailleurs à près de 100 millions de personnes. Si l'on ajoute les inégalités sociales qui ne cessent de s'amplifier, les écarts de revenus entre régions (de 1 à 10 entre Shanghai la prospère et la province du Guizhou, une des plus pauvres), on comprend la diffusion du mécontentement. Depuis deux ans on a compté 300.000 conflits à caractère social qui vont du sit-in aux émeutes violentes. Ils sont souvent réglés localement avec moins de dureté que dans la capitale par une police qui a vu tout de même ses effectifs doublés depuis dix ans.

La crise asiatique a eu pour conséquence le ralentissement des investissements directs étrangers. Ils ont globalement baissé de 10 %. Depuis 1990, les investisseurs relèvent que la Chine est le pays qui offre le moins de retour sur investissement (à peine 4 % par an) et une enquête lancée en 1999 par un cabinet auprès des grands groupes internationaux implantés en Chine, concluait que plus de 50 % des projets n'avaient pas réalisé de bénéfices depuis leur démarrage.

Le Président Jiang Zemin, conscient de ce danger a donc décidé, moins par conviction libérale que par nécessité économique de relancer l'ouverture. Un accord bilatéral sino-américain est signé le 15 novembre 1999, il débloque partiellement l'entrée de la Chine dans l'OMC, il se poursuit maintenant dans le cadre d'une négociation avec les Européens. Et pourtant l'administration chinoise n'est pas prête pour la libéralisation annoncée. Les réglementations en matière économique se contredisent d'une manière inquiétante. Toutefois, des mesures récentes d'abaissement des droits de douane sont proposées et certains secteurs traditionnellement fermés aux capitaux étrangers (télécoms et services financiers) sont désormais accessibles.

Les dirigeants chinois clairvoyants ne croient plus au néonationalisme économique ou protectionnisme. Ils espèrent que l'entrée de la Chine dans l'OMC sera un aiguillon salutaire pour la réforme des entreprises d'État. En revanche, ils restent très frileux dans leurs décisions à venir à cause de l'importante question sociale qui est en train de déstabiliser le régime. Ce tableau déjà noir ne serait pas complet si l'on ne faisait mention, toujours sur le plan social, de la délicate affaire de la secte Falungong (litt. : " Société de la Roue de la Loi "). Cette secte qui mêle techniques et rhétoriques taoïste et bouddhiste, présente une organisation typique des sociétés secrètes traditionnelles de la Chine ancienne comme les " Boxers " (rebelles nationalistes et xénophobes qui pratiquaient les arts martiaux) ou les " Taïping "(litt. : " Grande Paix ", mouvement égalitariste qui s'attaquait aux nantis pour distribuer leurs biens aux déshérités).

C'est en mai 1992, qu'un dénommé Li Hongzhi, natif de la province de Jilin en Mandchourie lance sa pratique du qigong (maîtrise du corps et du souffle). Selon les sources officielles, la secte regrouperait deux millions d'adeptes et selon ses dirigeants, 70 à 100 millions... Dès 1996, après l'exil de son chef pour les États-Unis d'où il continue de la diriger, la secte est déclarée interdite aux fonctionnaires et aux militaires. C'est alors qu'elle se dévoile au grand jour en avril 1999.

Pour protester contre les mesures discriminatoires dont elle se dit victime, un sit-in silencieux de 10.000 personnes est organisée devant Zhong Nan Hai, le siège du gouvernement et la résidence des dignitaires de l'État situé contre le Cité Interdite. (Pris de court par cette manifestation imprévue, le Président de la République en personne se serait fait conduire dans une voiture banalisée sur les lieux de la manifestation pour en apprécier l'ampleur). Depuis, des incidents ont lieu régulièrement entre la police et les adeptes dont 35.000 auraient déjà été emprisonnés et 5.000 détenus dans des camps de rééducation sans jugement.

Près d'une centaine de responsables de la secte ont écopé de peines allant de 7 à 18 ans de prison. Le procès de l'État-major de Falungong à Pékin est le point d'orgue d'une vague répressive d'une ampleur inconnue en Chine depuis l'écrasement du " Printemps de Pékin " (juin 1989). Les autorités restent très préoccupées par l'enseignement délivré par Li Hongzhi sous forme de livres et cassettes qui circulent sous le manteau et dont la vente alimente le trésor de la secte.

En effet la philosophie et la morale de Falungong se substituent au vide spirituel laissé vacant depuis deux décennies et curieusement remplace par un nationalisme exacerbé l'ancienne idéologie marxiste-léniniste.

Le régime a ainsi favorisé l'apparition d'un phénomène qu'il est obligé de réduire. Apparue au grand jour exactement cent ans après les " Boxers ", cette résurgence s'inscrit dans un cycle historique que les autorités ne peuvent négliger.

Leur réaction exagérée atteste de la fragilité du régime actuel et de sa prise de conscience d'une remise en cause de sa légitimité. Tout aussi insidieuse est la question du Tibet qui a fait, à nouveau, le devant de la scène en décembre dernier avec l'annonce de la fuite en Inde (quarante ans après celle de Tenzin Gyatso, l'actuel dalaï lama) du XVIIe karmapa, le troisième plus haut dignitaire du bouddhisme tibétain. Cet adolescent courageux, âgé de 14 ans, exceptionnellement reconnu en 1992, conjointement par ses propres autorités religieuses et les dirigeants chinois inflige à ses hôtes, un retentissant camouflet et démontre la vanité de leur stratégie à l'égard des chefs spirituels tibétains.

Pékin devra tirer les leçons de cet échec d'autant plus imprévisible que le jeune prêtre avait été invité en plusieurs occasions dans la capitale et avait même rencontré le Président de la République. On misait sérieusement sur lui pour contrecarrer le " séparatisme " du dalaï lama. Il ne reste plus aux Chinois qu'une seule carte, celle du XIe panchen lama (autorité spirituelle suprême par comparaison avec le dalaï lama qui est l'autorité temporelle suprême).

Le jeune Gyaicain Norbu, âgé de 10 ans a donc été intronisé en 1995 par les autorités chinoises comme panchen lama " patriotique " et il est gardé dans une villa de la banlieue pékinoise. Alors que le jeune Gedun Choeky Nyima, 9 ans, agréé par le dalaï lama, après avoir été kidnappé, serait tenu au secret probablement dans la province du Gansu et selon certaines sources aurait même disparu !...

La querelle autour de ces dignitaires représente le plus gros obstacle à la reprise du dialogue avec le dalaï lama et d'une manière générale au règlement de l'agitation qui règne au Tibet pratiquement depuis qu'il a été annexé en 1950 et qui vaut à la Chine une réputation de brutalité et de violation constante des droits de l'homme.

La Chine des hauts plateaux de l'Ouest (provinces de Qinghai, Tibet et Xinjiang) ne représente guère que 2 % de sa population totale mais 37 % de son territoire. Les " Nouveaux Territoires " (Xinjiang, anciennement : le Turkestan chinois) ont longtemps servi de bouclier contre les envahisseurs venus d'Asie centrale, maintenant ils ont une valeur stratégique (pétrole et gaz, bases de tirs atomiques souterrains).

En dépit de terribles campagnes de répression, les indépendantistes ouïgours musulmans revendiquent avec de plus en plus de violence, en ayant même recours à des attentats dans la capitale (1997) avec l'aide technique de fondamentalistes islamiques. En janvier, des hélicoptères de l'APL ont attaqué près d'Aksu et cinq militants ont été fusillés. Les responsables militaires effectuent souvent des tournées dans les républiques ex-soviétiques (Kazakhstan, Kirghistan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Turkmenistan) pour les exhorter à ne pas apporter d'aide aux rebelles transfrontaliers.

La province de l'Ouest certes lointaine reste un sujet supplémentaire de préoccupation pour le pouvoir. Mais c'est la question de Taïwan qui reste sans doute au coeur de ses préoccupations. Le dossier est considéré par le pouvoir comme une question de politique intérieure et non d'affaires étrangères : Taïwan est une " province de la Chine ". Le 18 mars, 15 millions de Taïwanais sont allés aux urnes pour élire leur président et malgré le black-out imposé par la censure sur le continent, les Chinois savent désormais que leurs " cousins de l'autre côté du détroit " ont éliminé pacifiquement et démocratiquement l'ancien parti unique au pouvoir depuis 55 ans (le Guomingtang) en élisant le candidat du Parti Démocrate Progressiste, Chen Shui-bian (49 ans). Bête noire du régime communiste car son parti avait fait campagne avec un programme proche de l'indépendance, le nouveau chef d'État ne pourrait être reçu à Pékin qu'à la condition de reconnaître " une seule Chine ", seule condition acceptable pour rouvrir un dialogue.

Poussés par le lobby militaire, les dirigeants de Pékin n'ont pas hésité en maintes occasions à montrer qu'ils seraient prêts à recourir à une solution militaire pour ramener l'île rebelle dans le giron de la mère-patrie. Des menaces à peine voilées ont été proférées lors de la rétrocession de Hongkong puis de Macao et on se souvient des tirs de missiles d'intimidation en 1996 (suffisants pour déplacer la Flotte américaine) et même des déclarations enflammées à la veille des élections de mars. Lors de son discours d'investiture du mois de mai, le nouveau Président Chen a su trouver les mots qui conviennent pour son électorat tout comme pour le régime de Pékin. Il a toutefois conclu en évoquant " la liberté et la démocratie ", un slogan que l'on entend mal de l'autre côté du détroit où les dirigeants redoutent avant toute chose une action sécessionniste. On n'exclue pas alors que le Président Jiang Zemin pourrait donner l'ordre de recourir à la force en dépit des conséquences lourdes sur le plan intérieur (comment légitimer une guerre fratricide contre ceux qui ont tant investi financièrement dans la mère-patrie ?).

Le bombardement de l'Ambassade à Belgrade et la campagne électorale taïwanaise ont permis aux militaires d'obtenir des rallonges budgétaires pour se préparer à résister contre ce qu'ils nomment " l'encerclement de l'alliance anti-chinoise menée par Washington ". Plus que jamais l'APL avec ses 2,5 millions d'hommes se pose comme la " Grande Muraille d'acier qui protège le Parti ". Le lobby des militaires exerce actuellement une forte pression sur le chef de l'État qui n'a plus beaucoup de marge de manoeuvre sur cette question très sensible.

La carte nationaliste est un des derniers atouts pour sauver un parti qui s'émiette et qui grogne. En conclusion au moment où la Chine aborde le XXIe siècle, je ne saurais mieux résumer l'état de ce pays que Claude Imbert dans un récent éditorial du " Point " (avril 2000) : "... Pour l'heure le Gulliver chinois est encore à étirer son corps gigantesque dans un réveil fort inégal. A Pékin, à Shanghai, c'est le branle-bas permanent, on s'affaire dans des champignonnières de buildings... On démantèle le secteur public. On assourdit les vieux mandarins à coups de téléphones portables tandis que l'Internet prolifère chez les " quadras ". Mais dans les immensités de l'Ouest, 600 à 700 millions de Chinois croupissent dans une épaisse misère. Et sur chacun de leurs villages médiévaux veillent encore des dragons de légende et le gros oeil du Parti. Bref, la Chine d'aujourd'hui est hémiplégique ".  

Le dragon ne se réveillera donc pas de si tôt...

 

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 185

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