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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
OPÉRATIONS CLANDESTINES SUR LA CÔTE VAROISE EN 1943
 

(Article paru dans le n° 1796 du 31 mars 1984 de la revue " Cols Bleus ")

Par le Contre-Amiral (2s) Jean SABBAGH

L'A.A.S.S.D.N. remercie la rédaction de " Cols Bleus " pour son aimable autorisation et pour l'hommage rendu ainsi aux courageux sous-mariniers et aux agents de nos Services Spéciaux pour ces opérations dans la région de Ramatuelle où nous allons commémorer le 8 mai prochain le 40e anniversaire de notre Mémorial.

" Les agents secrets sont des hommes intelligents, doués, prudents et capables de se frayer un chemin dans le camp ennemi ", dit Sun Tzu, auteur chinois de l'un des plus anciens traités de stratégie. Encore faut-il que ces agents secrets aient la faculté de franchir les seuils du territoire de l'ennemi.  

Parmi les idées les plus ingénieuses appliquées au cours de la Seconde Guerre Mondiale pour forcer les accès, figure la mise en pratique des qualités de discrétion et d'audace des sous-mariniers. Dans toute la gamme des variantes de cette guerre de l'ombre, la méthode française conduite sur la côte varoise en 1943, simple et efficace, est remarquable par la détermination et le savoir-faire.  

En novembre 1942, le Général Giraud s'évade de France et rallie Alger à bord d'un sous-marin britannique. Attentif à tirer tout l'avantage possible de cette expérience, le Commandant Paillole, chef du contre-espionnage des Services Spéciaux de la Défense Nationale, offre au Capitaine de Corvette L'Herminier, Commandant du sous-marin Casabianca, d'assurer une véritable navette entre la France et l'Algérie.

L'Herminier, combattant audacieux qui vient de s'échapper de Toulon avec son bâtiment, accepte sans hésiter ; peut-être se souvient-il à cet instant de la boutade lancée en 1921 devant les élèves de sa promotion de l'École navale par le Maréchal Foch :" Vous serez les serruriers de la mer ! ". Il sera donc le serrurier dont Paillole a besoin et il fera le nécessaire pour adapter son unité aux " coups de main " décrits par les instructions sur l'emploi de ces navires de guerre.

Ainsi s'amorce une organisation complexe qui, dans la région de Ramatuelle - Cap Camarat, va de février à octobre 1943 forcer à huit reprises la porte des frontières maritimes au profit d'évadés, et, en sens inverse, amener d'Alger des agents pour le combat clandestin sur le territoire national.

 

Élaboré par le commandement français avec l'appui des alliés, ce réseau de transit dispose en zone occupée d'un service d'exécution, dit des travaux ruraux, ou " TR ", et des agents - dont Michel Hacq, de la Sûreté de Toulon, et une quinzaine de ses collaborateurs - les chefs de maquis Delabre, Despar, Mesplet et Ollivier, le passeur Jean Charlot et, dernier jalon près de la mer, Achille Ottou de la ferme des Tournels à Ramatuelle.

 

Quatre sous-marins sont engagés : deux de 1.500 tonnes - le Casabianca (C.C. L'Herminier), le Marsouin (C.C. Mine) - et deux de 600 tonnes - la Perle (L.V. Paumier) et l'Aréthuse (L.V. Gouttier). Tous relèvent du Vice-Amiral Moreau, Préfet maritime de la Quatrième Région, à Oran. Ils sont inclus dans le dispositif des sous-marins alliés en Méditerranée aux ordres du " captain S "- S comme Submarine - embarqué sur le HMS Maidstone.

 

Lors de l'appareillage d'Algérie - comme lors de leur retour - ces unités ont l'appui d'une escorte. Quand elles sont isolées, une aire neutre large de dix milles et longue de quarante est délimitée autour d'elles - afin que les avions alliés ne les attaquent pas.  

Une quinzaine de personnes s'évadent de France grâce aux sous-marins : des agents des Services Spéciaux rentrant de mission comme l'Américain Brown - des officiers, les colonels Chouteau et Zeller, qui seront chacun gouverneur de Paris - des ingénieurs militaires, Henri Ziegler, l'un des pères de l'Airbus - des marins, le C.C. Barthélémy, futur commandant en chef pour l'Atlantique - les deux capitaines de Neuchèze et Vellaud, héros de la Résistance.

En sens inverse, une vingtaine d'agents prennent pied en France : le L.V. Flichy, le capitaine Caillot du service des transmissions, Brown déjà cité ; en même temps, des armes, des munitions, du courrier sont acheminés.

S'opposant à cette activité secrète un dispositif germano-italien étoffé se développe - espions, patrouilles terrestres, navales et aériennes, sous-marins, champs de mines, pièces d'artillerie et nids d'armes automatiques, projecteurs.

Ainsi nos agents TR, les groupes de résistance et les sous-marins devront opérer dans la zone côtière à proximité d'un QG italien, d'un poste de guet allemand, de deux batteries de côte et de mitrailleuses placées à moins de mille mètres des points où convergent les agents et le matériel en provenance d'Algérie. Si elles ne peuvent ignorer la perméabilité de la frontière maritime, les autorités de l'Axe, toutefois, ne parviennent pas à surprendre les clandestins au cours d'une action de vive force.

Pour sa première mission, en février 1943, alors que le Casabianca se présente près du lieu où il a rendez-vous avec des partisans à l'embouchure du Loup, entre Antibes et Nice - une sorte de redite de l'entreprise menée à bien trois mois plus tôt par le sous-marin HMS Seraph qui a pu enlever le Général Giraud - un message d'Alger l'informe que la région est en état d'alerte. Attendu en Corse le lendemain, L'Herminier renonce - en accord avec ses passagers - à les débarquer avec leur stock d'équipements de télécommunications ; il va les déposer ailleurs et sans aucune aide des amis français.

L'affaire réussit mais sa témérité sera critiquée et elle ne sera pas renouvelée. Désormais, tout débarquement sera précédé d'un contact établi avec les agents de terre. L'Herminier choisit la bande littorale entre Ramatuelle et le Cap Camarat car elle est éloignée des routes et des voies ferrées et présente un relief, des fonds marins et des conditions climatiques convenables pour tous les participants venant de la mer ou de l'intérieur du pays. Cette même zone sera utilisée jusqu'en octobre 1943 et selon un canevas précis : - Un rendez-vous unique, un point à terre, est précisé à tous aux dates correspondant à trois nuits sans lune et dans une tranche horaire délimitée.

 

Il serait plus aisé et moins risqué pour le sous-marin qu'une embarcation vienne à sa rencontre, mais l'intense activité adverse l'interdit ;

- Les services de M. Hacq protègent et acheminent - notamment à partir de Saint-Raphaël - les postulants à une évasion vers la ferme des Tournels en les cachant de la plage ; - Le bâtiment arrive en plongée de jour, vérifie sa navigation, observe l'état du temps puis se pose sur le fond près du lieu de rendez-vous, assez profond pour n'être pas décelé par la veille aérienne.

A la nuit, il attend en surface les signaux de reconnaissance optiques ou radio. Alors il se rapproche et procède au débarquement en mettant les embarcations à la mer. S'il y a doute, la manoeuvre est remise au lendemain ou, le cas échéant, au surlendemain.

Le Casablanca fait tête le 4 février aux abords du Cap Camarat. Un courant violent l'a déporté vers l'ouest et il a talonné. Il rectifie sa navigation et, dans la nuit, embouque la baie de Bonporteau où nul ne l'attend. Il parvient à cent cinquante mètres de la plage ; en seize minutes le premier maître Barbotin dépose les passagers et revient ; le sous-marin s'éloigne aussitôt.

A terre, le lieutenant Guillaume camoufle le matériel de transmission, puis, après un contact fortuit avec M. Ottou qui lui prête assistance, il se rend à Toulon et présente l'agent de renseignements Brown à M. Hacq.

De retour dans la nuit du 5 mars le Casabianca est attendu à Bonporteau mais la houle est forte. Il est à l'heure au rendez-vous mais ne peut interpréter des signaux lumineux émis de terre. Pour en avoir le coeur net, le Commandant fait mettre un youyou à l'eau ; le vent est si violent qu'il se fracasse contre le balast.

Le sous-marin se retire vers le large et revient le 13 mars. On prépare le débarquement mais le ressac très dur gêne toute manoeuvre ; les amis de terre ne se manifestent pas et le Casabianca reprend le chemin d'Alger avec les passagers et leur matériel.

Le 5 mai au cours de la première phase, en plongée de jour, le Marsouin essuie une attaque d'un avion mais peut se dérober. Le lendemain le temps est mauvais et le 7, dans l'après-midi, il se pose sur le fond. Revenu en surface et progressant vers la terre il reçoit le signal peu après, à 22 h 30. Le 8, à 0h20, il débarque ses agents qui, une heure plus tard, sont remplacés par des évadés.  

 

Le C.C. Mine relate ainsi le détail des préparatifs :" C'est tout un déballage ; il faut enlever de larges panneaux de pont et disposer des tubulures d'air comprimé pour gonfler les embarcations. Si un projecteur nous surprenait dans cette situation il provoquerait un beau désarroi pour rentrer à l'intérieur et nous dégager de ce coin où il y a des rochers dangereux et pas assez d'eau pour plonger.

Les ordres sont donnés à voix basse, de bouche à oreille ; de la passerelle nous voyons à peine et nous n'entendons pas les équipes qui s'affairent sur le pont. Du côté du rivage des mélodies d'oiseaux résonnent dans la nuit, on pourrait croire que ce sont nos amis qui s'amusent.

A minuit les embarcations sont prêtes avec, à bord, les hommes du commando de reconnaissance, les agents et leurs bagages et cinq cents kilos d'armes et munitions. L'E.V. Dumont prend la direction de la terre.

Notre armement de mitrailleuse est à son poste, prêt à riposter si l'ennemi nous cherche querelle. Farceur, le ciel se découvre et la visibilité s’améliore. Pas longtemps heureusement. A cinquante mètres du rivage Dumont mouille le youyou et, accompagné de trois hommes, achève d'atteindre la plage sur un radeau en filant un bout qui le relie au youyou et qui lui permettra de battre en retraite rapidement s'il est attaqué.

Arrivé à terre il rampe vers les amis qui viennent à sa rencontre. Il avouera qu'il a eu une seconde d'émotion en échangeant les mots de ralliement. Bien qu'il ait fait diligence, son absence nous a paru interminable ".

Le 29 juin, à son tour, la Perle est dans la zone. Le 30, la houle est trop forte et, le 1er juillet, une erreur de navigation provoque un retard. A terre, le groupe d'accueil compte trop de volontaires pour l'évasion : ils sont douze au lieu des cinq ou six que peut accepter le sous-marin. Épuisés et tendus par l’attente, neuf d'entre eux renoncent et s'éloignent dans la campagne ; il n'en reste que trois quand le mouvement commence.

Peu avant d'arriver à terre, l'EV Carpentier perçoit le bruit d'une dispute puis le claquement d'un coup de feu ; il revient à bord pour rendre compte et les signaux que l'on reçoit alors ne sont pas conformes au code. A cet instant, au Cap Camarat, un puissant projecteur se démasque comme en prélude à une attaque.

Le commandant ordonne une plongée rapide, les embarcations sont détruites et le sous-marin rallie Alger. Ce n'était pourtant qu'une fausse alerte : les résistants varois sauront plus tard que les Italiens ont procédé à un essai fortuit d'un projecteur nouvellement installé.

Le 29 août, peu après minuit, l'Aréthuse, en surface aux abords de la plage, patiente vainement pendant une heure puis fait demi-tour et plonge. Les bruiteurs révèlent une activité nautique toute proche ; Alger a alerté le Commandant Gouttier du fait que les Allemands ont ordre de couler, coûte que coûte, le sous-marin de la Résistance.

Il faut manoeuvrer vite et serrer la côte. Le 31 août, à 0 h35, l'Aréthuse est à son poste et capte aussitôt les signaux convenus. Le transfert de dix personnes se fait en moins d'une heure.

Un mois plus tard, le 29 septembre, l'Aréthuse est là à nouveau. A l'intérieur, la chaleur moite est éprouvante. L'air est saturé de vapeur d'eau par le contact de la coque plus froide ; cette condensation ruisselle en abondance sur les appareils électriques dont les isolants datent de longtemps.

Un coup de feu se produit dans un moteur de propulsion, l'isolement général des circuits est au plus bas et le gyrocompas tombe en panne. La houle se forme et le vent vire à l'est : circonstance fâcheuse car la plage ouvre justement à l'est.

Alors que le commandant attend l'accalmie avec optimisme, un cargo allemand défile à portée, une cible magnifique mais qu'on ne peut attaquer sans trahir sa présence et compromettre la mission. C'est une grosse déception !

Dans un tel climat, à la fois opérationnel et technique, les passagers sont éprouvés ; les secousses brutales de la mer, l'air raréfié et pollué les éprouvent et sapent leur moral. L'Aréthuse fait enfin surface à 22h05 et, à 22h30, après l'aperçu des signaux, la mise à terre a lieu dans le calme et avec précision. Moins d'une heure et demie après, l'échange de douze personnes et de leur matériel est chose faite.

Le 29 octobre, la Perle se présente ; l'ami transmet un avis de changement de programme : un nouveau poste allemand est en effet installé à proximité du point initial. Le lendemain, le contact radio est établi mais l'ami, qui ne distingue pas le bâtiment, voudrait qu'il s'approche. Est-ce un piège ? Après un échange de mots codés le sous-marin refuse en raison des hauts fonds mais, néanmoins, le débarquement se passe bien. La Perle rentre à Alger sans ramener d'évadés mais seulement du courrier.

Le 29 novembre, la Perle, revenue dans la zone de transit, ne reçoit pas d'appels de terre ; le rendez-vous est manqué : le groupe d'accompagnement a été accroché par une patrouille allemande ; il y a eu deux prisonniers français et un tué de part et d'autre. Avec cette entreprise avortée sur la côte varoise s'achèvent les acheminements par " le tube " - nom de code donné par les Services Spéciaux.

 

L'alerte de novembre confirme qu'il est difficile de masquer l'arrivée et la présence non loin de la plage, pendant trois jours, d'un clan de postulants à l'évasion. D'autre part, les conditions météorologiques hivernales ne favorisent pas la navigation précise d'un sous-marin serrant le rivage. Autant de faits qui obligent à trouver une solution moins aléatoire pour assurer les liaisons clandestines entre la France et l'Algérie : ce sera le relais de l'Espagne ; les évadés prendront place sur des embarcations qui rejoindront les sous-marins.

 

Grâce à ces mesures, lors de chacune des quatre opérations de transfert entre avril et juin 1944, la Sultane (L.V. Javouhey, un ancien du Marsouin) et l'Archimède (C.C. Bailleux) ne demeureront pas plus d'une dizaine de minutes en surface.

 

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 180

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