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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
LA RUSSIE EN QUÊTE D'ÉQUILIBRE
 

Conférence prononcée par M. Pierre de VILLEMAREST, lors du Congrès national de 1997  

La roue a tourné en Russie depuis que le 9 mai dernier j'ai tenté d'esquisser un état des lieux, en Russie et en Asie Centrale ex-soviétique.

Aussi .... , il m'a semblé devoir reprendre et compléter cet exposé. Pour comprendre l'instabilité par moments très visible, autour du Président Eltsine, il faut avant tout garder à l'esprit dans quelles conditions il a, en 1991, poussé dehors Mikhaïl Gorbatchev.

Ce dernier s'imaginait, ou feignait d'y croire, qu'il suffirait de réformer le Parti de l'intérieur pour déboucher sur une ère nouvelle. Utopie bloquée d'avance tant les apparatchiks se cramponnaient à leurs privilèges tandis que l'économie de l'Empire se trouvait en faillite. De plus, les plus lucides des dirigeants, dont ceux du K.G.B., avaient prévu l'effondrement du système et planifié, selon une circulaire secrète en date du 23 août 1990, la création " d'une économie invisible " (sic) non pour le pays mais pour que l'appareil, ayant des fonds et investissements secrets à l'étranger puisse préparer la renaissance d'un communisme mieux adapté aux circonstances.

Un rêve absolument copié sur celui des nazis qui, de 1943 à 1945, ont à l'époque organisé le transfert clandestin à l'étranger de 70 % de la fortune du Reich. Il est regrettable que la plupart des soviétologues n'aient pas tenu compte ou aient sous-estimé les conséquences de cette circulaire. Car en effet, les trois quarts du trésor de l'U.R.S.S. sont passés à l'étranger, et ce dans une alliance entre apparatchiks, officiers du K.G.B. et filières qu'utilisaient pour eux jusqu'alors les " barons " des hautes mafias soviétiques.

Celles-ci ne sont pas nées de la chute de l'Empire. Elles ont pris pied dans l'État sous Brejnev, avec des complicités dans son propre entourage, puisque son gendre et sa fille, pour leurs besoins personnels, s'enrichissaient ainsi, et que toute économie en faillite engendre marché noir et combinaisons illégales. Chypre, où les apparatchiks avaient droit d'accès sans visa, est devenu dès 1990 une plaque tournante pour l'argent secret du Parti et des trafiquants, avec environ 250 comptes secrets avant 1991, mais plus de 2.000 à ce jour.

Ce que j'ai précisé sur plusieurs radios-télévisions et quotidiens ou hebdomadaires. A l'étranger bien sûr, sauf en France dans Le Quotidien de Paris, courant 1992. A partir de 1991, et jusqu'en 1994, deux phénomènes ont résulté de ces " affaires " :

- D'une part environ 2.370 kgébistes mis à la retraite ou limogés ont réussi à se faire élire soit dans les Parlements régionaux, soit à la Douma, cependant que les privatisations accélérées, conseillées par les Occidentaux, ont permis à trois quarts de " l'argent secret " de revenir de l'étranger, en sorte que les apparatchiks initiés puissent acheter les usines, banques, entreprises privatisées.

C'est ainsi qu'à côté de ce qui est resté du Parti, soit un peu plus de 500.000 irréductibles groupés derrière Ziouganov, son actuel n° 1, s'est constituée une caste de " managers " dont beaucoup se sont installés dans l'économie en prenant goût à ces nouveaux avantages, et dont une minorité se dit " socialiste " ou " démocrate ", pour plaire aux Occidentaux, mais travaille en coulisse avec Ziouganov.

Une autre minorité affairiste vient purement et simplement de la fortune acquise par les différentes mafias, gérées en ex-U.R.S.S. par quelques 200 " barons ", et dans le monde (il en sera question plus loin) par un tiers d'entre eux. De là viennent les séries de règlements de comptes et d'assassinats commis chaque année dans les milieux d'affaires, les banques, et dans les allées du pouvoir, la rivalité des uns s'ajoutant à la discipline que veulent imposer les autres.

Sans parler des journalistes assassinés pour leur curiosité à cet égard. De l'aveu même du Ministère de l'Intérieur (M.V.D.), quelques 40 % des 2.000 banques russes et plus de 1.500 entreprises d'envergure ou moyennes sont, début 1997, sous contrôle des mafias qui ont réussi de plus à s'infiltrer dès 1990-1991 dans l'intendance militaire, particulièrement à partir des armées qui occupaient encore l'Allemagne de l'Est.

Opération facile : puisque Moscou ne payait pas les soldes, ne ravitaillait pas suffisamment ses bases, les intendants ont prétexté qu'ils devaient, pour calmer leurs hommes, améliorer leur ordinaire en écoulant camions et surplus de leurs stocks, et finalement des armements.

Une vingtaine de généraux et trois amiraux ont fini par être arrêtés et condamnés, après deux ans de scandales dénoncés dans la presse de Moscou, où nombre de confrères exercent courageusement leur métier...

 

DES POUVOIRS PARALLÈLES

Qu'on aime ou non Boris Eltsine, qui est un homme de transition, il a fait ce qu'il a pu devant une situation dont il a résulté que des castes se sont constituées au sommet du nouvel État qui rivalisent entre elles pour garder le pouvoir ou y accéder plus totalement pas seulement à Moscou, mais aussi dans les républiques et provinces de Russie.

Le pouvoir du Président est jusqu'à présent conditionné par ces castes : - Celle des ex-apparatchiks installés dans l'économie, dont le Premier Ministre Tchernomyrdine est l'exemple le plus parfait, après trente ans à la direction de Gazprom.

Du fait de son poste gouvernemental il n'a pas eu besoin de " l'argent secret ", mais autour de lui gravitent des hommes qui viennent de l'autre caste évoquée déjà : - Celle des banquiers dont treize entourent Eltsine avec sept d'entre eux comme sortes de permanents au Kremlin. A eux seuls, au sommet des 2.000 banquiers de la Russie, ils pèsent quelques 10 milliards de dollars.

On s'est peu posé de questions dans nos pays sur la façon dont cinq des sept " premiers " se sont enrichis, et, à moins de 40 ans sont milliardaires. Tel Boris Berezovsky, qui avec six autres " confrères " suscite un antisémitisme certain, puisqu'ils sont de même origine et que de nouveau des vétérans russes évoquent à leur sujet les premiers temps de la révolution bolchevique...

Les extrémistes de droite aussi bien que les nationaux-communistes de Ziouganov s'entendent là-dessus, tout en camouflant leurs ressentiments dans des critiques sur " l'affairisme " de Berezovsky, Goussinsky, Aven et autres banquiers...

- Reste l'Armée, désemparée, qui entre 1990 et aujourd'hui n'a pas trouvé de " grand chef " pour appliquer les réformes visant à réduire ses effectifs et exiger du pouvoir qu'il paie les soldes de son encadrement. Elles ne sont versées qu'avec six à dix mois de retard et souvent partiellement.

Le seul secteur qui n'a pas manqué d'argent a été celui des recherches et fabrications de nouvelles armes. Ce dernier point explique la montée en popularité du Général Alexandre Lebed - mais toutes les castes, dont celle des banquiers, se sont liguées depuis un an pour le neutraliser - et maintenant du Général Lev Rokhline qui est Président de la Commission de la Défense à la Douma. Mais ce dernier est plus national-communiste (et lié au P.C.) que Lebed, qui refuse jusqu'à présent toute idée d'un retour au pouvoir des communistes.

Un homme règne à part : Evgueni Primakov, chef de l'espionnage sous Gorbatchev et passé aux Affaires étrangères tout en gardant la main sur son ancien organisme (le S.V.R.). Il est resté communiste et entretient d'étroits rapports avec ses homologues de Pékin, de Téhéran et d'anciens ou nouveaux " agents " de Moscou dans le monde arabo-musulman, et en Amérique du Sud, aussi bien qu'en Inde.

 

DANS LES EX-RÉPUBLIQUES DE L'U.R.S.S.

Jusqu'à présent Moscou a joué des imbrications économiques et des personnels à sa solde dans les républiques qui, dès 1991, du Caucase à l'Asie Centrale et l'Extrême-Orient, ont réclamé ou pris leur indépendance, pour les réintégrer dans son giron.

Une méthode a consisté à jouer des ethnies les unes contre les autres, comme en Arménie et en Géorgie, en armant les deux côtés. Du coup Moscou a rétabli ses bases dans ces deux États, comme autrefois.

Ailleurs, le prétexte " afghan " a servi à maintenir des troupes dans les républiques limitrophes du pays en question. Mais la situation évolue à une vitesse grand V, en raison des richesses naturelles (pétrole, gaz, minerais rares) de pays qui sont courtisés par les investisseurs étrangers.

Avant cinq ou huit ans une configuration géopolitique jamais connue naîtra, sauf révolution ou guerre. Ainsi le Kazakhstan vient de passer des accords à la fois avec Pékin et les occidentaux pour exploiter rapidement ses réserves pétrolières avec construction de suite d'un oléoduc vers la frontière chinoise.

Pékin ne peut exploiter aussi vite ses propres réserves et son développement exige de trouver de suite de quoi couvrir 30 % de ses besoins en pétrole.

Les pétroliers américains sont également sur place en Turkménistan comme ils le sont en Azerbaïdjan, où G. Aliev, Président, est un vieux renard qui a passé toute sa vie dans l'appareil du K.G.B., mais a pris goût au pouvoir, et a déjoué toutes les tentatives de Moscou de l'éliminer.

Ici se posent les problèmes d'oléoducs existant déjà ou à développer vers la Turquie, puis la Méditerranée, vers Novossibirsk, au nord de la Mer Noire, sous contrôle de Moscou ; à travers l'Arménie, la Tchétchénie ou la Géorgie, etc...

Les intrigues en cours n'ont pas fini d'émailler de leurs éclats l'actualité internationale. Enfin il y a l'Ukraine, côté européen, où il semble que l'indépendance soit irréversible (sauf guerre ou guerre civile). Les Américains y sont plus puissants qu'on ne le dit ou l'imagine.

Pour " apaiser " Moscou, Washington a proposé à la Russie un " partenariat " américano-russe qui chapeauterait le continent eurasiatique. Son bureau permanent fonctionne déjà. La France est absente du " jeu ", faute de s'être souvenue que le poids d'un pays ne se mesure pas seulement et pas toujours en termes économiques, mais aussi en influence politique et morale.

Un " ensemble " européen pouvait naître, des États baltes à l'Ukraine en passant par la Pologne, tant on attendait (je l'ai constaté sur place plusieurs fois) que Paris se manifeste. Mais visiblement nos gouvernements successifs avaient peur d'irriter Moscou. Washington a tenté de combler ce vide, et l'activité culturelle française est si nulle, depuis des années, que notre langue disparaît.

 

LE NOUVEAU DANGER

La Russie se cherche, après plus de soixante-dix ans de dictature. Son économie renaît lentement, par à-coups, malgré le cancer dont nous avons parlé : ces rivalités de castes dont celles des hautes mafias.

Elle retombera dans une sorte d'anarchie larvée si le pouvoir, quel qu'il soit, ne s'attaque à ce danger, qui n'est pas seulement en Russie, mais de portée internationale.

Il faut savoir en effet qu'entre 1990 et aujourd'hui, une vingtaine de " barons " des mafias de Russie (qui ne sont pas des truands, mais sortent des Universités) ont d'abord ramifié leur pouvoir dans toutes les Républiques ex-soviétiques, et en ex-Europe de l'Est, avec concertations régionales avec les mafieux de ces pays.

En même temps, à partir de Chypre, de la Baltique, de la Mer Noire, ils sont essaimés vers New York et Miami, et de là vers l'Amérique du Sud, en créant des bases financières dans les Caraïbes (Aruba, Antigua, Saint-Martin, Saint-Vincent).

24 " barons " russes se sont installés au Canada et aux États-Unis, en accord avec les dirigeants locaux de la pègre. Ils dominent les mafias de ces régions aujourd'hui, car ils ont apporté dans leurs circuits les techniques et la discipline des ex-kgébistes en même temps qu'environ 1 milliard de dollars par an.

Les trafics de drogue paient la livraison, par exemple en Colombie récemment, d'armements légers mais aussi de missiles terre-air et d'hélicoptères de combat. Cette internationale des Mafias devient vraiment un nouveau danger pour l'Occident, aussi bien que les Triades chinoises, tolérées par Pékin du moment qu'elles n'opèrent pas en Chine.

 

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 175

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