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           Par   le colonel Jean Deuve 
           ancien chef de groupement franco-lao « Yseult »  
          Qui mieux que nombre des membres de notre Association pourrait apporter le   	témoignage d’événements vécus ou le fruit de leurs recherches : cette   	rubrique leur est ouverte sans exclure évidemment les signatures qui   	voudront bien nous confier leurs travaux.   	   	Nous devons au Colonel Jean Deuve, ancien chef du groupement franco-lao «   	Yseult » cette remarquable étude sur « le Service Secret d’Action en   	Indochine », travail historique qui complète les articles de même qualité   	des Colonels Daugreilh et Ruat publiés naguère. 
           ( NDLR : voir également  AASSDN - Extrait du Bulletin : Conflits outre-mer   	45-56 (1 à 5 ) En juillet 1943, à Alger, le Général De Gaulle fait décréter que « la   	libération de l’Indochine et la défense des intérêts français en   	Extrême-Orient est une opération prioritaire ». Parmi les mesures prises   	dans cette perspective, figure la création immédiate d’un service secret   	d’Action, intégré sous le nom de Section Indochine Française (French   	Indochina Country Section) au sein de la Force 136. Cette force, service   	secret britannique, dépend, comme son équivalent européen, le Special   	Operations Executive, du Ministry of Economic Warfare et opère dans le cadre   	du South East Asia Command. 
             
           NAISSANCE ET MISE EN PLACE DU SERVICE «ACTION» EN INDOCHINE   	  
           Les premiers membres de ce Service Secret d’Action arrivent aux Indes en   	octobre 1943, venant de tous les horizons de l’empire français, volontaires,   	en grande partie réservistes, tous ayant eu une expérience dans la pratique   	de la guerre irrégulière ou du renseignement.   	   	 
          L’entraînement dans la Force 136, mené en grand secret, est très dure et la   	sélection sévère. Les agents passeront un temps indéterminé en jungle   	profonde (certains membres de la F.136 viennent d’y passer trois ans déjà!)   	d’où il ne sera pas question de revenir : 3.000 kilomètres de territoires   	occupés par les Japonais séparent le Bengale de l’Indochine.  
          Il n’est   	question ni de pick-up ni de ramassage en hélicoptères.   	   	Après l’entraînement — type commandos britanniques comme hors-d’œuvre — les   	membres du service suivent des stages spécialisés fort exigeants mer   	(navigation, pratique de tous les types d’embarcations, nages, passage de la   	barre,...), jungle et survie, parachutisme, renseignement et action   	subversive, action psychologique et agit-prop, connaissance de l’armée   	japonaise, liaisons et pratique radio, chiffre, sabotages, silent killing...   	   	 
          Les premiers arrivés en octobre 1943 ne partiront pas avant la fin de 1944,   	soit après un an d’entraînement poussé, dont plusieurs mois passés en jungle   	dans des conditions aussi proches que possible du réel.   	 
          Quelques opérateurs radio sont parachutés dès la fin de 1944 pour maintenir   	une liaison entre la Force 136 aux Indes et les organisations de résistance   	qui se structurent en Indochine.  
          Le premier groupe Fabre-Deuve (5 Européens   	et 5 autochtones) est parachuté en janvier 1945 au Nord Laos, le second   	(Tual) en février, également au Nord Laos, ainsi qu’un groupe précurseur du   	corps Léger d’Intervention (commandos préparés en Algérie) non-membre du   	service secret.   	   	 
          Les deux groupes parachutés doivent:   	— se préparer à agir contre les Japonais;   	— recevoir des parachutages destinés à renforcer l’armée d’Indochine et la   	résistance;   	— instruire les cadres de l’armée d’Indochine dans les nouvelles techniques   	et l’art de la guérilla.   	   	 
          En septembre 1944, devant les avances alliées dans le Pacifique et le   	Sud-est asiatique, les Japonais ont décidé de constituer un môle de   	résistance Chine-Indochine. Pour réaliser cela, ils ne peuvent se permettre   	de laisser une armée d’Indochine, même faible, sur leurs arrières. Ils ont   	donc planifié sa destruction.   	 
          Le 9 mars 1945 au soir, sans même attendre la réponse à un ultimatum   	présenté au gouverneur général, les Japonais attaquent sur l’ensemble du   	territoire et submergent les garnisons françaises, souvent grâce à leurs   	habituelles traîtrises. A Lang-son, ils décapitent tous les défenseurs. Des   	massacres de militaires, de femmes et d’enfants ont lieu. A Thakhek, au   	Laos; ce soir même ou les jours suivants, 52 assassinats dont deux évêques   	sont commis.   	   	Les garnisons n’ont pas la possibilité de rejoindre les zones de guérilla où   	quelques dépôts avaient été préparés.  
          Les Chinois et les Américains refusent   	de parachuter vivres et médicaments, encore moins armes et munitions.   	Quelques milliers de soldats, Européens et tirailleurs, atteignent la Chine   	après de durs combats. Les 40.000 civils français sont enfermés, mis en   	zones clôturées ou envoyés dans les camps de la mort. L’administration   	française n’existe plus.  
          Les Japonais forcent les souverains locaux à   	déclarer l’indépendance et leur promettent de les intégrer dans leur sphère   	de co-prospérité... s’ils collaborent à l’effort de guerre nippon.   	   	 
          Il ne reste en Indochine, libres de leurs mouvements, que les groupes du   	service Action, déjà parachutés ou que l’on parachute dans les jours   	suivants. Bientôt ceux du Vietnam et du Cambodge vont disparaître, victimes   	de dénonciations. Ceux qui sont capturés par les Japonais sont assassinés,   	sans exception, dans des conditions cruelles.   	   	 
          Seuls de toute l’Indochine resteront jusqu’à la capitulation du Japon les   	groupes du Laos, qui vont bénéficier de la complète amitié et de   	l’extraordinaire loyauté des populations lao.   	   	 
          Au 9 mars 1945, il n’y a que trois groupes (2 du Service Secret et un du   	C.L.I.). Ces groupes vont se diviser et des parachutages vont apporter des   	renforts, si bien qu’au 15 août 1945 (cessez-le-feu) il y aura 12 groupes.   	72 membres du Service Secret et des renforts venus de France auront été   	parachutés. A cette date du 15 août, il y aura environ au Laos 200   	Européens, la plupart récupérés d’Indochine, et 300 Lao volontaires dans les   	groupes de guérilla, sans compter les centaines d’agents lao qui font du   	renseignement. 
             
           LE SERVICE «ACTION» APRÈS L’INVASION JAPONAISE. 9 MARS 1945   	  
           La mission des membres du Service Secret Action a complètement changé. Les   	chefs de groupes reçoivent par parachute des lettres de service, au nom du   	Général De Gaulle, leur donnant «  tous les pouvoirs civils et militaires et   	toute autorité sur toute personne en Indochine, quelque soit son grade ou sa   	fonction ».  
          Il leur revient maintenant non plus seulement d’assurer des   	missions techniques de l’Action, mais d’organiser et de diriger la   	résistance, de maintenir la présence française, de prendre en main la   	défense des intérêts français en Indochine, tout en recherchant et   	transmettant le renseignement au profit du gouvernement français et du   	Commandement allié du sud-est asiatique.   	   	 
          Il n’y a plus qu’eux pour mener la guerre militaire et politique, à 3.000   	kilomètres de leur base arrière, reliés simplement à cette base et au   	gouvernement français par une fragile liaison à travers des postes émetteurs   	récepteurs portatifs.   	   	 
          En mars et avril 1945, les groupes en place au Laos se livrent à une intense   	guérilla contre les Japonais, sabotages de ponts, de navires fluviaux,   	embuscades, coupures... C’est si efficace que plusieurs des chefs de groupes   	ont l’honneur d’avoir leurs têtes mises à prix et que les Nippons mettent en   	œuvre des moyens considérables pour éradiquer cette guérilla.   	   	 
          En avril 1945, il n’y a plus que trois postes E.R. à maintenir une liaison   	radio avec l’extérieur et la détermination japonaise de lutter avec   	d’immenses moyens contre les groupes rend indispensable la suspension des   	opérations actives. Les groupes doivent se fondre dans la jungle, survivre à   	tout prix, maintenir les liaisons radio, assurer une présence française,   	renseigner et préparer la reprise de la guérilla après la saison des pluies,   	dans 6 mois.   	   	  
             
          LA RÉSISTANCE FRANCO-LAO DE MAI AU 15 AOÛT 1945   
           La structure générale de la résistance franco-lao prend forme peu à peu.  
          Par   	province, un P.C. de groupement commandant:   	— quelques groupes de guérilla .en activité, chacun d’une douzaine   	d’autochtones, se chargeant de la réception des parachutages, du stockage   	des approvisionnements et de la préparation à la reprise de la guérilla;   	— des groupes en réserve;   	— des réseaux de sécurité destinés à prévenir des campagnes d’encerclement   	et d’anéantissement que les Japonais ne cessent de monter;   	— des réseaux de renseignements destinés au S.E.A.C. et au gouvernement   	français et portant sur l’ordre de bataille des Nippons, sur leurs activités   	militaires et politiques, sur la situation locale et sur celle des pays   	limitrophes.   	   	 
          Les liaisons avec les Indes sont assurées par des postes à quartz émetteurs-récepteurs portatifs (les B.2) dont les batteries, très sensibles à   	l’humidité de la forêt et de la saison des pluies, sont rechargées par des   	procédés mécaniques (les fameuses manivelles à main ou les « bicyclettes »)   	ou, comble du progrès, par de petits moteurs à vapeur miniatures. Il faut   	fréquemment changer de fréquences et d’emplacement d’émission à cause de la   	radiogoniométrie japonaise.   	   	 
          La vie en grande jungle, souvent en haute altitude (2.600 à 2.800 mètres)   	requiert des habitudes de sécurité draconiennes pour éviter de se faire   	repérer par l’ennemi. Ce dernier scrute les taches de savon dans les   	rivières, envoie ses avions d’observation repérer les clairières ou la   	fumée, lance agents sur agents à la découverte des guérillas.  
          Certains des   	membres du Service Secret Action ont déjà passé 4 ou 5 mois de jungle aux   	Indes. Ils seront contraints à la même existence de longs mois. Certains   	n’émergeront de la jungle indochinoise qu’en mars ou avril 1946 avec   	l’invasion chinoise et après 19 ou 20 mois de grande forêt, ayant résisté   	aux Japonais, mais aussi aux moustiques, aux sangsues, aux dartres, à la   	bourbouille, aux blessures,...   	   	 
          Les réseaux sont reliés aux P.C. de groupements par boites aux lettres,   	simples flacons hermétiques enterrés au pied d’un arbre, ou par courriers   	qui, comme les chefs de groupes en déplacement, utilisent la pirogue, le   	cheval ou, surtout, la marche à pied, voire la nage dans la forêt inondée.   	 
          Le fonctionnement de certains de ces réseaux (remplacement systématique des   	boites aux lettres, envoi des questionnaires, réception et tri des   	informations reçues, leur exploitation, leur traduction) nécessite la   	travail d’une douzaine d’étudiants lao, de sous-officiers ou de jeunes   	instituteurs volontaires.   	   	 
          La densité d’Européens est variable. Le groupement Yseult au Nord Laos qui   	couvre 150 kilomètres sur 100, soit la moitié de la Normandie, compte en   	tout 3 membres du Service Action, 3 sous-officiers de l’ancienne armée   	d’Indochine, un missionnaire mobilisé comme infirmier chef et chiffreur, une   	douzaine de jeunes volontaires au service des réseaux, 10 groupes de   	guérilla en réserve, deux groupes en activité (réception des parachutages et   	préparation de la reprise), quinze réseaux de renseignements (200 agents).   	 
          Dès le début d’avril, le pays entre en saison des pluies il pleut chaque   	jour et dans la haute montagne (il y a 52 sommets de plus de 2.800 mètres au   	Laos) les brouillards règnent toute une partie de la journée, parfois   	jusqu’au soir.  
          Les " Liberator " de la Force 136 qui viennent de Jessore, au   	Bengale et qui volent environ 7 heures avant d’atteindre les D.Z. (autant   	pour revenir) en évitant D.C.A. et chasse japonaises de Birmanie, passent   	souvent au-dessus des feux préparés sans les voir et ne peuvent lâcher leur   	chargement, à la grande déception de l’équipe de réception en bas.   	   	 
          Les Japonais occupant les plaines en permanence, il faut faire les   	opérations de parachutages en montagne, parfois sur le sommet (avec les   	containers qui roulent sur les pentes!) ou en pleine forêt (avec les   	parachutes qui restent accrochés à 40 mètres de hauteur!).   	   	 
          Les parachutages sont annoncés par des messages personnels émis par « All India Radio », qui joue ici le rôle de la B.B.C. en Europe. Ce message   	indique la date du prochain largage, la D.Z. et le « Time Over Target ». Un   	message radio séparé indique les signaux à faire au moment du parachutage.   	 
          Les " Liberator " amènent armement, explosifs, vivres de réserve, médicaments,   	lames de rasoirs, papier et crayons, savon, vêtements.., (qui s’usent très   	vite en jungle!).   	   	Les vivres reçus (rations) servent en cas d’urgence ou pour la survie. La   	nourriture habituelle est faite de riz, acheté dans les villages, de piment,   	de bananes sauvages, de poisson péché dans les rivières, de petits   	mammifères pris aux pièges, mais aussi de légumes de la forêt, de lézards,   	serpents, œufs de tortue, queues de varans. Parfois de la volaille venant   	d’un village ou du maïs de la montagne.   	   	 
          La reprise des opérations de guérilla est préparée par le stockage de   	matériel dans des caches, l’instruction des réservistes autochtones, la   	reconnaissance d’objectifs, la mise en place de réseaux dormants,...   	   	  
             
          LA PRÉSENCE FRANÇAISE MAINTENUE   
           En dépit des Japonais, la présence française est maintenue. Les Européens   	des groupes circulent beaucoup, en uniforme, sans se cacher, sachant que les   	villages les préviendront de tout danger.  
          Ce qui reste secret est le repaire   	des guérillas.   	   	Le roi du Laos a fait passer partout la consigne d’aider les Français,   	persuadé que l’occupation nipponne est seulement un mauvais moment à subir.   	 
          Aucun mouvement d’indépendantiste ou anti-français ne se lève. Des gamins de   	douze ou treize ans viennent demander à se battre contre les Japonais en   	racontant qu’ils ont dix-huit ans.  
          L’élite du Laos est restée à côté des   	Français. Des dizaines de personnalités locales commandent des groupes de   	guérilla ou animent des réseaux. Des contrebandiers dévoilent leurs   	anciennes pistes secrètes. Des tribus aborigènes abritent des guérilleros   	dans leurs caches ancestrales.  
          Partout les franco-lao trouvent aide,   	assistance, complicité. Les chefs entretiennent des rapports secrets, mais   	permanents avec les autorités lao restées en place (souvent sur ordre).   	Certaines zones excentriques sont pratiquement des zones « libérées » où les   	Japonais n’ont aucune influence. La France n’est pas absente.., mais elle   	est peu nombreuse.   	   	 
          Les Japonais signent le cessez-le-feu le 15 août 1945. Les guérillas franco   	lao émergent de la jungle, croyant peut-être que leur guerre est finie.   	   	Elle ne fait que commencer, car cette poignée de Français, membre du Service   	Action, rescapés des garnisons d’Indochine, renforts venus de métropole,   	après avoir, avec un culot fou, réoccupé les centres du Laos, se heurtent à   	l’invasion chinoise et à la révolution vietminh qui tente de s’emparer du   	Laos.  
          Il leur faut retourner en jungle... 
          
              
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