logofb

 

 
 
line decor
Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
line decor
 

 


 
 
 

 
 
PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
CINQUANTIEME ANNIVERSAIRE DE LA LIBERATION : Parlons encore de la Corse
 

Qui mieux que nombre des membres de notre Association pourrait apporter le témoignage d’événements vécus ou le fruit de leurs recherches, cette rubrique leur est ouverte sans exclure évidemment les signatures qui voudront bien nous confier leurs travaux.

 

LE S.R. « KLEBER » ETAIT AU RENDEZ-VOUS

AVANT-PROPOS

L’œuvre remarquable du réseau Pearl Harbour, mandaté en décembre 1942 par nos Services Spéciaux d’Alger pour préparer la Libération de la Corse a été maintes fois évoquée dans nos Bulletins, notamment par les témoignages si réalistes de notre ami Toussaint Griffi, chef adjoint de cette héroïque mission.

Il faut pourtant que l’Histoire retienne que, parallèlement à Pearl Harbour, notre réseau clandestin Kléber avait implanté dans l’île, au lendemain de son occupation par l’armée italienne (novembre et décembre 1942) une antenne S.R., camouflée dans un organisme administratif vichyssois. Son travail, à partir de janvier 1943, vint compléter à Alger (via le poste P 5 de Kléber à Marseille) celui de Pearl Harbour.

Le Commandant (er) Marcel Cima qui fut le chef de cette antenne clandestine à Ajaccio nous a fait le récit de son odyssée en Corse, dans nos Services Secrets puis dans le Bataillon de Choc du futur Général Gambiez. (Nous publions ci-après de larges extraits de son témoignage.) Sorti de Saint-Cyr (promotion 1937-1939), le Commandant Cima, à l’issue d’un stage au Centre d’Etudes Européennes de Clermont-Ferrand, avait, en 1942, volontairement rejoint nos Services pour poursuivre la lutte contre l’Axe. Nous le remercions de son témoignage.  

 

DU S.R. AU BATAILLON DE CHOC par le Commandant (er) Marcel CIMA

A VICHY

J’arrivai à Vichy, où j’avais été convoqué après la fin des cours du Centre d’Etudes Européennes, vers le 10 juin 1942. Avec toute la discrétion désirable, je me présentai à la Villa des Songes où était installée clandestinement une Direction du Service de Renseignements du futur Général Rivet.

C’est dans cette villa modeste, que rien ne distinguait des autres, que je fis mes premiers pas d’officier de renseignements. L’accueil, amical et discret qui me fut réservé par les Anciens du Service, la qualité des relations humaines qui les unissaient, la foi qu’ils avaient tous dans leurs missions, me réchauffèrent le cœur.

Je me rendais compte surtout que la lutte contre l’Allemagne et l’Italie n’avait pas pris fin avec l’Armistice de juin 1940. Le Service (S.R. et C.E.) dont la direction était installée jusqu’à juin 1940 au 2 bis de l’avenue de Tourville à Paris, n’avait jamais cessé le combat, jamais.

Depuis juillet 1940, il le poursuivait clandestinement. Le Commandant Pellissier, était le chef de la Section italienne où je fus affecté. Je fus frappé par sa courtoisie et le climat de confiance et de sérénité qu’il savait créer en dépit d’un demi-sourire énigmatique qui le quittait rarement.

Je me plongeais dans l’étude de l’armée italienne. Je connus ainsi pendant quelques semaines une existence studieuse, spartiate et discrète à laquelle l’invasion de la Zone libre par les Allemands le 11 novembre 1942 mit un point final.

Cette invasion conduisit notre Patron à prendre diverses mesures de sécurité. Il fut en particulier indispensable que certains Officiers du Service quittent le pays, ainsi mon camarade et ami le Lieutenant Gogues, qui avait dirigé l’antenne de Zagrea après l’armistice de 1940 dut rejoindre l’A.F.N. Quant à moi, dans le cadre des mesures de dispersion, je fus mis à la disposition du Poste P5 de Marseille, sous les ordres du Commandant Manaranche.

Je rappelle que notre S.R. camouflé dans le réseau Kléber, disposait de postes clandestins répartis en zone Sud. Ils avaient tous un indicatif spécifique et P5 était celui de Marseille créé à l’origine, en 1940, par le Colonel Barbaro. Parti en 1942 faire un temps de commandement dans l’Armée de l’Armistice, c’était son adjoint Manaranche qui avait pris sa place et dirigeait désormais le travail clandestin de recherches sur l’Italie et la zone d’occupation italienne en France, donc en Corse.  

 

A MARSEILLE

En arrivant à Marseille fin novembre 1942, j’allai m’installer chez mes parents. Peu de choses avaient changé dans ma ville natale, mais la présence de l’uniforme allemand avait quelque chose d’incongru, comme le serait un opéra de Wagner joué dans un décor de Marcel Pagnol.

Aussi discrètement que j’étais arrivé à la villa des Songes à Vichy, je me présentai au rendez-vous qui m’avait été fixé par un des adjoints du Commandant Manaranche. Il me conduisit dans un immeuble de la rue de Rome. Là, au 2 étage, se trouvaient les bureaux modestes du Poste P5.

Le Commandant Manaranche m’accueillit avec la chaleur et la bonhomie qui constituaient avec la finesse et la prudence, le fond de son caractère. Il m’intégra tout de suite dans l’équipe, me fit visiter la Maison, me présenta au personnel et me précisa ses fonctions.

C’est ainsi que je fis la connaissance — du Capitaine Gobis (1), adjoint du Commandant, — du Capitaine Martin, — du Lieutenant Malet, — du Capitaine Gallizia , chef de l’annexe de Nice, — du Lieutenant Perier, chef de l’annexe de Chambéry.

Je fus mis sous les ordres du Capitaine Martin. Remarquable technicien, il connaissait dans les moindres détails l’organisation, la composition et l’ordre de bataille de l’armée italienne. Il me chargea de l’exploitation des renseignements, secrets ou pas, qui parvenaient à P5 (il y en avait beaucoup).

Je devais tenir à jour l’ordre de bataille pour être ensuite communiqué par courrier ou par radio à Alger où se trouvait désormais la Direction du S.R.- S.M. reconstituée officiellement depuis novembre 1942. C’est ainsi que me devinrent familiers les noms des divisions italiennes, les noms de leurs généraux ainsi que les insignes (Mostrine), caractéristiques de leurs unités que les militaires italiens portaient avec l’étoile (Stelleta) sur le revers de la vareuse.

Après l’invasion de la zone libre par la Wehrmacht, la mission de P5, orientée jusque-là sur l’armée italienne, fut étendue à la recherche du renseignement sur l’armée allemande.

Le Commandant Manaranche me demanda de me rendre à Nîmes pour y rechercher les unités allemandes stationnées dans cette ville et dans sa région. Excellent exercice pour la mémoire à une époque où il valait mieux limiter les bouts de papier !

Quelques jours après, le Chef de Poste, le Capitaine Martin et moi, partîmes faire le point, de visu, de la situation des troupes d’occupation sur la frontière des Alpes. Je pus apprécier combien, sous la truculence du verbe et l’attitude exubérante, Manaranche cachait un grand bonhomme, un technicien exceptionnel et un vrai patron. Ainsi, au fil des semaines, j’approfondissais mes connaissances avec les techniques du S.R., en attendant de pouvoir les mettre en œuvre sur le terrain où l’on n’avait nul droit à l’erreur face à l’Abwehr, à la Gestapo ou au S.I.M. italien.  

 

EN CORSE

En janvier 1943, le Commandant Manaranche me demanda si j’étais prêt à partir en Corse pour y créer une antenne S.R., dépendant du P 5 avec la Mission : renseigner le Service sur l’organisation et l’ordre de bataille du corps d’armée italien qui occupait l’île, ainsi qu’éventuellement la participation allemande à cette occupation.

J’acceptai. Le problème à résoudre était de justifier mon arrivée et ma présence en Corse où je n’avais jamais vécu. Il me fallait disposer d’une « couverture » sans faille. Grâce à ses relations, Manaranche me fit nommer au poste (à créer à Ajaccio) de Délégué Départemental de l’Artisanat. Je devais relever du Ministère de la Production Industrielle et du Commerce.

Je reçus une authentique carte d’identité et une carte d’immatriculation aux Assurances Sociales de la Corse. Une note de service officielle mit à ma disposition une voiture à gazogène. Tout était en règle, à un détail près : Je ne connaissais rien à l’artisanat!

Je fus longuement « briefé » sur l’organisation de mon nouveau ministère, les structures de l’Artisanat en France ainsi que sur la mission qui m’était officiellement confiée. Au moment de mon départ, je n’ignorai plus rien des Chambres des Métiers et des bons-monnaie-matière qui donnaient des insomnies aux artisans.

Autre question à révéler était de disposer en Corse d’une documentation de base minimum sur l’armée italienne. Il me fallait créer un certain nombre de repères aussi peu volumineux et aussi discret que possibles. Je codais pour cela dans mon dictionnaire Larousse les numéros des régiments et des unités de toutes les divisions (infanterie, troupes alpines et forces blindées) de l’armée italienne. Ce travail me parut inviolable. J’eus du moins la candeur de le croire...

Enfin le gros problème à résoudre était celui des moyens de liaison entre P5 et moi. Je ne disposais pas de radio. Seuls pouvaient être utilisés les voyages d’amis entre Marseille et Ajaccio, et l’utilisation de boîtes aux lettres dans les deux sens.

Faute de mieux, je dus m’en contenter. Le jour du départ arriva. Je ne devais revoir Marseille que trente mois plus tard.

Personne ne m’attendait à l’arrivée à Ajaccio. Je passe sur les démarches que je dus effectuer pour trouver un logement, prendre contact avec les autorités locales, chercher des bureaux pour la nouvelle Délégation de l’Artisanat, recruter un adjoint (M. Guillard) et une secrétaire (Mlle Durelli), acheter du mobilier, écrire ou rendre visite aux différents notables et autres officiels qui font fonctionner ou freinent l’administration.

Il était nécessaire que je joue le jeu et entre totalement dans la peau du Délégué Départemental de l’Artisanat. En effet, la Chambre des Métiers, les groupements professionnels d’artisans et les artisans eux-mêmes, qui apprirent rapidement mon existence, ne furent pas longs à venir sonner à ma porte pour exposer leurs problèmes, et Dieu sait s’ils en avaient, à une époque où tous les produits nécessaires à l’exercice de leurs professions faisaient défaut.

J’avais pris la décision de ne pas révéler le véritable objet de ma présence en Corse aux membres de ma famille qui habitaient Bastia. Je me prive ainsi de nombreux contacts qui auraient pu m’être utiles. L’Artisanat par contre, me permit d’établir rapidement d’amicales relations avec des personnes bien placées qui devinrent mes « honorables correspondants » (H.C.) — Parmi eux il me faut citer le Directeur de la Librairie Hachette d’Ajaccio et Jean Tofani, jeune étudiant aixois qui était venu en Corse après avoir servi pendant plusieurs mois dans les Chantiers de Jeunesse.

Convenablement formé en matière de « Mostrine » et autres signes distinctifs de l’armée italienne, je l’envoyai en juillet 1943 à Bonifacio avec la moto de l’Antenne. Il en rapporta des renseignements très précieux sur l’ordre de bataille dans le sud de l’île.

J’étais moi-même mon principal agent de renseignements et mettais à profit mes nombreux déplacements « artisanaux » dans toute l’Ile. Le principal problème restait celui de l’acheminement de mes courriers entre Ajaccio et P5 à Marseille.

Après avoir envoyé à plusieurs reprises à une adresse convenue un courrier codé par la poste, je m’assurai le concours d’un jeune aspirant d’aviation, Marcel Hugues, qui était à Ajaccio, l’adjoint de Michel Libersa, Directeur Départemental de la Jeunesse. Hugues (2) se rendait à Marseille et il accepta, sachant le risque qu’il prenait, de porter mon courrier à P5.

Ainsi en septembre 1943 était en place à Ajaccio l’ Antenne S.R. disposant de sources d’informations secrètes et de moyens de liaisons satisfaisantes avec P5 donc avec Alger. L’arrivée des premières troupes françaises à Ajaccio allait m’ouvrir d’autres horizons.  

 

LA LIBERATION DE LA CORSE

La nouvelle du débarquement des premières troupes françaises à Ajaccio nous parvint au Château de La Punta où nous campions depuis deux jours. C’était le 13 septembre 1943.

Quelques heures plus tard, nous étions à Ajaccio où l’arrivée des premiers éléments du Bataillon de Choc à bord du sous-marin Casabianca suscitait l’enthousiasme de la population.

Mais l’opération audacieuse comportait de grands risques. L’Ile était occupée par un Corps d’Armée italien sous les ordres du Général Giovanni Magli. L’Italie avait signé un armistice avec les Alliés le 3 septembre 1943. L’Armée allemande occupait en force la Sardaigne. Les chances de survie des quelques centaines de chasseurs du Bataillon de Choc amenés en Corse par le Casabianca le 13, et par les torpilleurs Terrible et Fantasque le 14 septembre, dépendaient — de l’attitude des unités italiennes stationnées dans l’île, — de la réaction des troupes allemandes basées en Sardaigne, — de la coordination des missions du Bataillon de Choc avec celles confiées au « maquis », — de la rapidité avec laquelle le Commandement français assurait l’arrivée des autres unités et de la maintenance.

Le 14 septembre 1943, je me trouvais devant une situation nouvelle qui allait modifier celle de la Corse et bien des comportements. Ne pouvant plus désormais recevoir d’instruction de mon chef marseillais le Commandant Manaranche, je décidai de me mettre aux ordres du Commandant Gambiez.

Avec quelques amis, je pris la décision de constituer une unité combattante en recrutant des volontaires. Il n’en manquait pas. C’est ainsi que se regroupèrent autour de Clauzon, Libersa, Mantei, Tofani et moi-même plusieurs dizaines d’hommes déterminés, corses et continentaux.

Ils allaient devenir plus tard la 4e compagnie du 1er Bataillon de Choc. Le Commandant Gambiez, auquel je présentai l’unité nous accueillit avec joie et nous mit sous les ordres du Lieutenant Riquebourg, arrivé avec lui sur le Casabianca.

Il me confia le commandement de la 2e Section. Le Lieutenant Clauzon et l’Aspirant Libersa furent mis à la tête des deux autres sections.

 

(1) Auparavant en poste à Belgrade.

(2) Qui me remplaça comme Attaché Militaire à Sofia en 1951. Ancien délégué départemental AASSDN. à Nice — hélas décédé. Michel Libersa et Jean Tofani me suivirent plus tard lorsque fut mise sur pied la 4° Compagnie du Bataillon de Choc après le débarquement de ce dernier à Ajaccio.

 

 

 

 
Haut de page
 

 

Article paru dans le Bulletin N° 161

Dépot légal - Copyright

Enregistrer pour lecture hors connexion.

Toute exploitation, de toute nature, sans accords préalables, pourra faire l'objet de poursuites.

Lire l'Article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle. - Code non exclusif des autres Droits et dispositions légales....