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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
LA FONCTION PUBLIQUE DANS SA PARTICIPATION A L'ACTION CLANDESTINE SOUS LE RÉGIME DE L'ÉTAT FRANÇAIS (2)
 

par Guy de SAINT-HILAIRE

Chef du Réseau des F.F.C. " Kléber-Marco "

Pour une meilleure compréhension de cette deuxième partie - à moins que l'on ait sous les yeux la fin de la première partie, page 36 du Bulletin précédent n° 152 - il convient de rappeler que le sauvetage des enfants de Vénissieux, ainsi que l'intervention du S.S.E. (Service Social des Étrangers) dans les rafles d'août 1942 en Zone libre, avaient provoqué une " déception " quant au nombre des Juifs que les Allemands avaient pu arrêter et déporter.

Les agissements suspects de Gilbert Lesage ne pouvaient rester sans conséquences.    

 

ENQUETES DE POLICE ET LEURS RÉSULTATS  

Le Ministre de l'Intérieur désigna, pour enquêter, le Commissaire Principal Mortier. Ayant eu la chance de retrouver le rapport Mortier dans son intégralité, et ayant pu d'autre part recueillir les commentaires de Lesage, il m'apparaît que l'auteur de ce rapport ne pouvait être qu'un " résistant ", confronté à la double obligation de faire une sérieuse enquête policière, mais aussi de conclure par l'innocence du vrai coupable.

Il s'agit donc, à mes yeux, d'un véritable chef-d'oeuvre de cette époque quand le système du double jeu s'imposait à tout fonctionnaire en place, astreint à l'obligation hiérarchique, mais également astreint, en conscience, à sauver ce qui pouvait l'être (1).

Pour significatif qu'il soit, le cas du Commissaire Mortier est loin d'être exceptionnel. Combien " d'inévitables " arrestations ont été évitées grâce au gendarme, au policier, ou même au Commissaire, qui ont " fait semblant " d'instrumenter quand la simple routine aurait pu déceler un Résistant.

Mais pour élever le débat au niveau des plus hautes responsabilités, pourquoi ne pas se fier à l'opinion de François-Georges Dreyfus, le dernier en date des historiens ayant traité le problème. Je le cite (p. 785) " Ainsi au-delà du déshonneur qu'est la collaboration dans laquelle Laval engage la France de Vichy le 18 avril 1942, il faut objectivement admettre qu'elle contribua à limiter considérablement les pertes humaines comme les connurent les voisins de la France. La crainte de la polonisation avait, au prix de l'infamie collaborationniste, sauvé nombre de Français.

  France Belgique Pays-Bas

% de pertes civiles

0.4 0.88 1.75

% de juifs déportés non revenus

21.4 45 81.5

% des pertes humaines totales dues à la guerre

1.5 1 2.3

Pour être plus concrets et s'en tenir à certains événements trop justement célèbres, telles que les rafles de Juifs étrangers en juillet 42, je cite encore F.G. Dreyfus (p. 635) : " Mais grâce à la Résistance, parfois à la Police elle-même, il n'y a eu que 12.884 arrestations alors que l'on en espérait 28.000 ! ".  

Si la Police française n'avait pas été chargée de cette pénible et odieuse opération, en contrepartie du renoncement, par les Allemands, à se faire livrer des Juifs français, croit-on vraiment que les policiers allemands auraient fait du porte à porte (ce que firent de nombreux policiers français) pour prévenir, la veille, les victimes recensées qu'ils viendraient, le lendemain, les arrêter ?

Il reste cependant l'erreur de base, fondamentale et impardonnable, du Gouvernement de Vichy d'avoir devancé les exigences allemandes par la mise en vigueur d'un " Statut des Juifs " nécessairement suivi d'un recensement.  

Il faut toutefois mettre aussi à l'actif de la Police française qu'elle ne s'est pas bornée à sauver le plus possible de Juifs ; elle eut souvent beaucoup de bienveillance à l'égard des Résistants, dans des interventions de moindre envergure. C'est ainsi que, pris dans une rafle avec les preuves évidentes de ses activités, Jean Huteau, l'un des plus " culottés " de mes agents, a demandé à voir le Commissaire en personne ; il lui a avoué sa qualité d'officier de Renseignement en mission... et fut libéré.

Le moment venu, il a " renvoyé l'ascenseur " au Commissaire, lui évitant d'être épuré.  

Dans le même esprit, je me rappelle un incident qui aurait pu être tragique et n'a été que comique :   à l'occasion d'un petit incendie accidentel dans l'appartement de famille, où j'avais momentanément installé la Centrale de mon Réseau, je dus (après avoir évacué personnel, matériel et courrier par une deuxième porte providentielle) ouvrir à deux agents de Police, accompagnés de la concierge qui me connaissait depuis vingt ans.

Impossible donc d'obtempérer à leur demande, parfaitement justifiée, de présenter mes papiers... faux évidemment. Je ne pus qu'invoquer un oubli et un changement de veste. Le brigadier hésita quelques interminables secondes et me dit simplement : " Eh bien ! Monsieur, ne recommencez pas ! ".  

 

FAUTE DE LIVRER DES OFFICIERS POLONAIS, LESAGE SE RETROUVE EN PRISON

Mais pour en revenir au C.L.C. et à ses fonctionnaires résistants actifs, je tiens à relater encore ce qui suit : depuis la création de son Service Social des Étrangers, et pour la " bonne règle ", les Officiers polonais démobilisés en France, étaient répertoriés, donc " logés ".

Les Services de Police spécialement chargés de la surveillance des Étrangers avaient évidemment des listes de ces Polonais réputés a priori dangereux.

Cependant lorsque l'ordre fut donné de procéder à leur arrestation, il vint à l'idée des responsables de l'opération de confronter ces listes, pour leur mise à jour, avec celles du S.S.E.

Lesage fut saisi de la question et répondit évasivement. Mais il fit aussitôt diligence par ses propres moyens. De telle sorte que l'opération, qu'il savait imminente, fut un échec total.

Pour les responsables du Ministère de l'Intérieur, ayant des comptes à rendre aux autorités d'occupation, qui d'autre que Lesage avait pu prévenir les intéressés ? Il fut donc arrêté en avril 1944 et enfermé dans une prison parisienne jusqu'à la Libération de la Capitale...  

 

CONSEQUENCES DE L'INVASION DE LA ZONE SUD : NOUVELLE ORGANISATION DES SERVICES SPÉCIAUX

Dès l'invasion de la Zone Sud par l'armée d'occupation, le 12 novembre 1942, les Officiers du 2 ème Bureau et du S.R., présents à Vichy, se réunirent rapidement pour se répartir les tâches, les uns devant rejoindre Alger, les autres restant en Métropole.

Parmi ces derniers, le Capitaine de Peyrelongue décida aussitôt de créer un Réseau militaire " Albert-Armand ", souvent appelé " Réseau des Ministères ", en raison des intelligences qu'il avait dans plusieurs départements ministériels, parmi lesquels celui de la Guerre, bien entendu.

Cette organisation était à même d'assurer aux Officiers des Services Spéciaux de la Défense Nationale, travaillant dans la clandestinité, le concours, et éventuellement la protection, des différents secteurs de la Fonction publique correspondant aux problèmes qui se posaient à eux.  

 

ALLER ET RETOUR PARIS-ALGER

Pressentant une arrestation imminente à la suite d'un contrôle allemand dans l'un des dépôts du C.L.C., je dus entrer en clandestinité, et gagnai par les Pyrénées et Gibraltar, Alger, en août 1943. J'avais, à cette occasion, établi la liaison entre Paris (où Henri Maux était alors Directeur du Personnel du Ministère des Colonies) et Alger (M. Pleven) pour préparer le retour à l'unité entre les deux Ministères.

- Il se trouve qu'un récent ouvrage de Bernard Bléhaut, fils de l'Amiral Bléhaut, alors Ministre de la Marine et des Colonies, publie un témoignage d'Henri Maux confirmant ce qui précède, et que ce témoignage contribua à " blanchir " l'Amiral Bléhaut quand il fut acquitté lors de la révision de son procès en 1955.  

Dans l'objectif de la nouvelle organisation des Services Spéciaux, et compte tenu de mes contacts déjà nombreux parmi les Fonctionnaires, le S.R. d'Alger - lorsque je fus mis à sa disposition en octobre 1943 - m'avait donné pour mission principale de retourner en Métropole pour y créer un Super N.A.P. à son profit, et accessoirement de prendre des premiers contacts à Vichy.  

En débarquant d'un train de nuit, la première personne que je rencontrai fut, par hasard, Robert Ladel, fonctionnaire des P.T.T. et syndicaliste, dont nous reparlerons incessamment. Il m'annonça que la Gestapo était venue pour m'arrêter à mon appartement, presque à la même date que le Commandant Mollard. Je ne pouvais donc que rester clandestin.  

 

CRÉATION D'UN RESEAU DU S.R. ( MARCO ) ET QUELQUES EXEMPLES SIGNIFICATIFS DE RÉSISTANCE ACTIVE DANS LA FONCTION PUBLIQUE  

Mais puisque j'étais à Vichy, et malgré ma nouvelle clandestinité, je pus reprendre contact avec ceux de mes anciens collègues qui n'avaient pas encore été mutés à Paris par suite de la dissolution du C.L.C., ou qui faisaient la liaison entre Paris et Vichy pour le compte de leur Ministère.  

Ayant déjà surmonté les difficultés d'un travail administratif fortement dosé de Résistance, ils m'ont tous proposé d'utiliser leurs nouvelles fonctions à faciliter mon travail de Résistance, quelles que soient ses spécialités.  

Tel fut le cas, notamment, d'André Moosmann que le Ministère du Travail avait détaché au Commissariat au Chômage pour y être chargé des Affaires administratives. Ayant réintégré son Ministère, ses nouvelles fonctions comportaient la liaison Paris-Vichy, ce qui lui valait un Ausweiss permanent. Pourquoi ne pas l'utiliser sur le même trajet pour les liaisons-courrier entre le S.R. Kléber (Capitaine Lochard) à Vichy et ce qui devint le Réseau Marco à Paris ?

C'est ce qui fut fait avec succès (2). Mais au surplus, très introduit dans les milieux parisiens de la Résistance au sommet, il m'a permis d'avoir d'excellentes relations avec Maurice Nègre (Super N.A.P.) et Léo Hamon (C.A.D. : Comité d'action contre la Déportation).  

Dès décembre 1943, la malencontreuse arrestation du Capitaine Antoine du Boys, chef du Poste S.R. de Paris, conduisit le S.R. d'Alger à me désigner pour le remplacer.

Comme je n'avais aucun contact avec ses collaborateurs, ma mission consisterait à créer, pour l'ensemble de la Zone Nord, un véritable réseau de Renseignement (Marco).

Il paraît que ce n'était pas exactement le rôle du Poste S.R. de Paris.   Cette nouvelle fonction s'ajouta donc à celle de Super N.A.P. Par ailleurs, elle m'imposa de faire immédiatement un recrutement de qualité spécialisé dans le renseignement militaire. Problème pour lequel, une fois encore, deux de mes anciens complices " fonctionnaires ", Edmond Humeau et Maurice Perrin, devaient m'apporter une importante contribution par une sélection appropriée, parmi leurs " chômeurs intellectuels ".  

Rappelons que le chômage des intellectuels avait posé de graves problèmes dans les deux zones ; il fut traité, à Vichy, par Maurice Perrin et, à Paris, par Edmond Humeau. Après la dissolution du C.L.C., les deux équipes se rejoignirent au Ministère du Travail, dans la capitale, en septembre 1943, sous la direction de M. Roujou, secrétaire général.  

L'Administration ne perdant jamais ses droits, la tâche d'Edmond Humeau devint de plus en plus difficile en présence des exigences - somme toute logiques ! - de M. R... qui s'inquiétait de sa lenteur à lui fournir la liste nominative des chômeurs intellectuels, enfin engagés sur des équipes (ceux qui avaient été " mutés " au Réseau Marco étant évidemment introuvables...).

Les difficultés de Humeau ne prirent fin qu'à la Libération de Paris !  

Vint un jour où fut proposé à Robert Ladel un poste très important à Paris : Inspecteur général adjoint du S.T.O. (Service du Travail Obligatoire) qu'il accepta avec ma permission et la " bénédiction " d'Alger.   Dès lors il fut bien placé pour nous rendre de nombreux services de tous ordres.

Personnellement j'ai en mémoire la carte tricolore d'Inspecteur de la main-d'oeuvre à Caen qu'il me procura, grâce à laquelle, au cours d'une rafle dans les couloirs du métro Concorde, j'ai pu éviter une fouille qui aurait découvert dans mes poches nos habituels dangereux papiers.

Mais il fut surtout indispensable pour permettre à Léo Hamon (H.C. de mon Réseau), l'un des piliers du C.A.D. (Comité d'Action contre la Déportation), de procéder à la destruction du Fichier central du S.T.O. Place Fontenoy, début mars 1944.

Dans l'allocution que prononça Léo Hamon, le 14 mai 1983, devant les anciens membres du Réseau Marco réunis pour leur Assemblée annuelle, il nous dit : " ... Parmi les grandes opérations dont vont se servir les Allemands, il y aura l'envoi direct des classes 42 et 43 en Allemagne. Si vous pouviez détruire les fichiers, ce serait une très bonne opération. Telle était la consigne. Pour ce faire, nous avons été aidés puissamment par un homme que je me dois de citer : Robert Ladel. Postier d'origine, il avait, par suite de différentes évolutions administratives, été affecté au Service du Travail Obligatoire. Il avait fort bien usé de son bureau puisque, lorsque j'étais allé l'y voir, il m'avait parfaitement expliqué comment il fallait faire pour détruire ce fichier.

- (J'ai lu récemment avec plaisir et grand intérêt le récit complet de cette opération dans l'ouvrage que vient de publier Léo Hamon : " Vivre ses choix ".)   Un autre membre éminent du C.L.C. (... lui aussi fonctionnaire de Vichy !) fut Jean-Jacques Heilmann, décédé en décembre 1989.

Il était Directeur des Services dans la Zone Nord tandis que j'étais chargé des Services généraux en Zone Sud, et nos chemins se sont souvent croisés, soucieux l'un et l'autre de servir le même idéal et d'atteindre le même but.  

Parmi les très nombreuses activités de Résistance que l'on peut porter à son actif, dans les postes officiels de haute responsabilité où il fut nommé (3), je donnerai simplement l'exemple ci-dessous qu'il raconta lui-même au cours de la réunion Marco dont il vient d'être question : "

.., l'offensive contre les chantiers du C.L.C. se déclencha avec violence, et se manifesta d'abord par l'exigence du fichier médical des chômeurs employés sur lesdits chantiers. Là encore une astuce intervint pour brouiller les cartes. J'offris aux Allemands de faire établir ce fichier sur fiches perforées, méthode moderne qui les enchanta mais qui exigeait un délai supplémentaire. Grâce à André Michel, notre ancien régisseur des dépenses devenu Directeur de la CARCO (Caisse de recouvrement des Comités d'organisation), nous pûmes réaliser un fichier de cartes perforées qui représentait, en cas d'erreur, l'avantage de garantir l'anonymat du responsable de l'erreur. Et pour provoquer cette erreur, il suffisait de quelques perforations intempestives de réquisition.

Lorsque les Services allemands passèrent les fiches à la trieuse, ils ne purent que constater le mauvais état de santé de la main-d'oeuvre française ! Ils en furent surpris et déçus, mais ils n'insistèrent pas, ayant déjà décidé d'en finir avec les mesures intermédiaires ou partielles, et de décréter le S.T.O.  

Quant à nous, c'était encore un bon mois de gagné ; et quant à moi, le Ministre Lagardelle avait décidé de se priver de mes services, ce qui me rendait la liberté de choisir d'autres voies et moyens dans la ligne que je m'étais tracée. "  

 

PARTICIPATION DES « CHANTIERS DE JEUNESSE » AU RENSEIGNEMENT EN ALLEMAGNE - AUSCHWITZ ET BERNDORF

- L'instauration du S.T.O. (février 1943), exigé par les Allemands bien entendu, entraîna de grands changements pour les jeunes ayant appartenu aux " Chantiers de Jeunesse " : dès leur temps accompli, ils seraient transférés en Allemagne, souvent regroupés. Les chefs n'étaient pas contraints au S.T.O. par leur âge (classe 42). Mais certains furent cependant volontaires pour accompagner leurs hommes. Telle fut la décision de Georges Toupet, Commissaire-adjoint des Chantiers de Jeunesse.

Au surplus, en accord avec le Général de la Porte du Theil et diverses organisations de Résistance, il avait décidé de faire, à cette occasion, du Renseignement.   Son unité étant affectée au camp de travailleurs de l'usine I.G. Farben d'Auschwitz (où se trouvaient également des prisonniers de guerre transformés et des travailleurs réputés " libres ", à la suite de mesures mises en vigueur par les Allemands durant les années 42-43), il ne pouvait se désintéresser de ce qui se passait dans la toute proche enceinte concentrationnaire d'où l'on voyait sortir un misérable troupeau de travailleurs en " pyjama ", affectés à certains travaux de l'I.G. Farben et visiblement soumis à un effroyable régime.  

Le personnel de l'usine et l'environnement civil immédiat de cette petite ville polonaise de Haute Silésie lui révélèrent peu à peu la réalité, et les procédés de l'extermination - notamment les chambres à gaz et les fours crématoires. A la mi-octobre, il se rendit à Berlin où se trouvait en particulier le Colonel Furioux, son chef direct en Allemagne.  

Les renseignements qu'il apportait furent transmis à Londres, le 6 décembre 1943 par le réseau F2, aux Alliés qui semblent en avoir gardé le secret.   Il renseigna de même le Commandant Pomès-Barrère, venu à Auschwitz, et lui indiqua d'autres possibilités pour obtenir des renseignements militaires de la plus haute importance.

Cet officier supérieur, diplômé d'État-major et des Hautes Études Germaniques, faisait partie, à ce titre, du Réseau Peyrelongue, dit " des Ministères ", et pour ses missions en Allemagne il avait obtenu la fonction civile suivante : chargé de mission au " Commissariat d'Action sociale pour les Français travaillant en Allemagne » (4) , créé par le gouvernement de Vichy, et dont les délégués étaient autorisés à circuler librement.  

Sous cette couverture, et sur les indications de Toupet, il se rendit auprès d'un autre Commissaire-adjoint des " Chantiers de Jeunesse ", du nom de Maurice, dont le Chantier était affecté à l'usine Krupp de Berndorf. Celle-ci fabriquait alors la fameuse fusée V2 dont Pomès-Barrère put ramener en France la totalité des plans et des caractéristiques, dont j'eus immédiatement connaissance, Pomès-Barrère étant devenu, à cette époque, H.C. de mon Réseau, par suite de l'arrestation de ses contacts précédents.    

 

ENCORE QUELQUES EXEMPLES  

Une fois de plus, nous constatons que d'importants renseignements militaires ont pu être obtenus grâce à la couverture et à la coopération de divers Services de la Fonction Publique. C'est ainsi que la plupart des renseignements sur les rampes de lancement des V1 et V2, dans l'Aisne, étaient fournis à l'aide des moyens que l'Intendant de Police, Monsieur Jean-Charles Rouliès avait mis à la disposition du Réseau.  

La fourniture de " cartes officielles ", était évidemment d'un grand secours, j'ai eu l'occasion de le dire précédemment. Et je pense à bon nombre de mes Cyrards, qui avaient d'abord travaillé avec le Commissaire Cottoni, de la D.S.T., et qui sont eux-mêmes devenus, provisoirement, " Inspecteur de la D.S.T. "  

 

FRUITS ET LEGUMES ( LEUR COMITE D'ORGANISATION )

Son Secrétaire général, Antoine Kergall  (5), était l'un de mes proches cousins, mais aussi le Chef du 2ème Bureau des F.F.I. de la Région parisienne (bien qu'appartenant à une famille spirituelle toute autre que celle du Colonel Rol-Tanguy).

L'ayant appris dès mon retour d'Alger et lors de mon installa­tion à Paris, nos " relations d'affaires ", immédiatement décidées et sans cesse consolidées, eurent pour conclusion la combinaison suivante, quelques jours avant la Libération de Paris.  

Sa puissante organisation ne pouvait mieux faire que notre modeste Réseau Marco : empiler les précieux renseignements sur les défenses allemandes hors Paris, et dans Paris, du fait que nos habituels courriers étaient impraticables et nos moyens radio en cours de destruction.  

Ayant décidé de prendre moi-même contact avec les Américains, je proposais à Kergall de me confier son abondant courrier qui fusionna donc avec celui de Marco, enveloppé de papier rose, sur le porte-bagages de ma bicyclette. C'est ainsi que, grâce à l'important apport des " Fruits et légumes ", l'O.S.S. du 2ème Groupe d'Armées, momentanément installé au bord de l'Huisne, dans la banlieue du Mans, put exploiter, dès le 19 août, le maximum de renseignements sur les défenses allemandes de Paris (6).    

 

IMPORTANCE DU SUPER N.A.P. POUR LE RENSEIGNEMENT AU PLUS HAUT NIVEAU  

Déjà cité au chapitre où se trouvent relatés mes premiers contacts à mon retour d'Alger, le Super N.A.P. (c'est-à-dire " Noyautage des Administrations Publiques " au plus haut niveau) mérite d'être mieux connu pour son importance, ses activités, et ses péripéties proportionnées au danger qu'il représentait pour les Allemands.

Les arrestations, en 1944, de Maurice Nègre et Bernard de Chalvron, au niveau national, et de l'équipe du Ministère de l'Intérieur à Vichy (Maisonneuve, Quintard, Austin, Chandier) en apportèrent la preuve.

Alors qu'ils étaient encore libres, tous ceux que je viens de citer me rendirent les meilleurs services, en ma double qualité de Super N.A.P. et de Service de Renseignement.   Mais pour rester dans le cadre précis que je me suis fixé, celui des témoignages, je m'en tiendrai à mentionner que l'un des services rendus à Marco par Maisonneuve, dans le cadre de ses responsabilités de Haut Fonctionnaire et de Chef du Super N.A.P. au Ministère de l'Intérieur, fut à l'origine lointaine d'une " affaire " qui attendit curieusement près de quarante ans pour devenir " l'affaire Papon ".  

Début 1944, Maisonneuve avait indiqué à Roger Bloch, principal membre à Vichy du Réseau Marco - pour le renseignement militaire comme pour le Super N.A.P. - Maurice Papon comme excellent informateur sur Bordeaux et sa région, et lui dit qu'il aurait intérêt à prendre contact avec ce fonction­naire, alors sous-Préfet et Secrétaire général de la Préfecture régionale de Bordeaux.

Ce que Roger Bloch fit à plusieurs reprises, souvent hébergé dans l'appartement de Maurice Papon. Il s'y trouvait, justement, le 8 juin 1944, tandis qu'à son propre bureau de Vichy, le Commissaire des Renseignements généraux P... était venu pour l'arrêter.  

Pour moi, et pour l'histoire de Marco, c'est tout ce que j'en savais jusqu'au début des années 80, époque à laquelle, à la suite d'un article du " Canard enchaîné ", la Presse et un livre " inspiré " affirmèrent que Papon s'était rendu coupable de crimes contre l'humanité.  

Le lecteur attentif se rappellera de ce que j'ai dit, en quelque sorte en avant-propos, au sujet des cas particuliers et que je réitère ici. Laissant à leurs avocats le soin de les défendre, je me contenterai d'invoquer le principe du Droit européen qui s'impose au Droit français et qui peut s'exprimer ainsi : toute inculpation doit avoir une suite judiciaire dans un délai de 10 ans.

- Il n'est pas d'usage que des témoins, ou leurs porte-parole, soient consultés sur la valeur de leur témoignage.

Je me dispense donc de conclure, et me bornerai à regretter que le sujet traité dans les lignes qui précèdent n'ait été que très rarement étudiées dans une objectivité totale. Car, s'il en était autrement, de multiples témoignages analogues au mien seraient venus à l'appui de ce que j'ai tenté de mettre en évidence. (1)

A noter que Lesage s'est imposé une clandestinité nécessaire fournie par son ami, le Sous-Préfet de Belley. Puis il reprit ses fonctions, fin octobre, quand il apprit que le Commissaire Mortier avait seulement estimé qu'il " n'aurait pas encore complètement le sens administratif utile à la direction du délicat et important service qu'il a lui-même organisé ". (2)

Jacqueline Achard, ancienne rédactrice du C.L.C. mutée aux Affaires Étrangères avec les mêmes fonctions de liaison que Moosmann, permit de relayer ce dernier et d'augmenter la cadence des courriers - lesquels repartaient de Vichy pour Alger ou Londres. (3)

En juin 1942, Directeur des relations franco-allemandes au Ministère du Travail, cumulativement avec ses fonctions C.L.C. (4) Cet organisme était sous la responsabilité de M. Gaston Bruneton. (5) Cf. Robert Aron : " Histoire de la Libération de la France " , page 428. (6)

D'autant plus que je fus rapidement rejoint à l'O.S.S. par Sainteny. Tandis que j'étais venu par Étampes, il avait gagné Le Mans par Rambouillet, apportant le courrier du Réseau de Marie­Madeleine Fourcade.

 

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 153

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