| LA FRANCE ET LE CONFLIT       FRANCO-VIET MINH  par le Colonel Clément RUAT  Le Colonel DAUGREILH annonçait       dans le Bulletin N° 149 son       prochain article : LE FILM SOMMAIRE DES       OPERATIONS NOS SERVICES EN INDOCHINE En bas de la même page on       pouvait lire : " LE COLONEL DAUGREILH N'EST       PLUS "  Comme notre Président       m'en a manifesté le désir, et en souvenir de mon ancien et fidèle       collaborateur, et vieil ami, le Colonel Henri Daugreilh, je vais essayer       d'écrire ce qu'il avait annoncé.      Bien que datant de plus       de trente ans, ces événements ont trop marqué leur époque, pour que l'on       puisse entrer dans beaucoup de détails, et encore moins, faire beaucoup de       commentaires. Si l'on veut des récits détaillés, il y a lieu de se référer à       tous les livres qui ont paru, que Daugreilh avait cités dans le Bulletin n°       146, et à tous ceux qui ont pu paraître depuis.     Il est toutefois       nécessaire, avant de parler des Services Spéciaux (objet de cette étude) de       rappeler certains éléments qui permettront, je pense, de se faire une idée       de la situation du pays dans lequel ils étaient appelés à travailler.     I. - Nous commencerons       par une double liste, celle des Autorités Françaises et celle des Autorités Viet Minh. II. - Viendra ensuite un       relevé rapide des principales activités qui, en Indochine, ont marqué cette       époque. III. - Nous traiterons       ensuite des organisations Viet Minh, notre objectif.  IV. - Viendront ensuite       nos Services et leur évolution en fonction d'événements et de notre       expérience. V. - Nous essaierons,       pour terminer de faire un bilan sommaire.    I. - LES HAUTES AUTORITES CÔTE FRANÇAIS   Autorités civiles HAUTS COMMISSAIRES En 1947, M. Bollaert       remplace l'Amiral Thierry d'Argenlieu.  En 1948, M. Pignon lui       succède.  En décembre 1950 c'est       le Général de Lattre de Tassigny qui prend sa place.  En 1952, M. Letourneau       est nommé à ce poste. COMMISSAIRES GENERAUX En 1953, M. Dejean       arrive à Saigon (le nom de la fonction a changé). En 1954, le Général Ely le       remplace. (Il faut citer aussi       S.M. Bao Dai, monté sur le trône en 1944 qui fut déclaré déchu en 1955, mais       dont l'influence fut des plus restreinte.) HAUT COMMANDEMENT Après le Général       Leclerc, c'est en 1946, le Général Valluy qui devient Commandant en Chef. En 1948, le Général       Blaizot le remplace. En 1949, le Général Carpentier lui succède. Fin 1950, le Général de       Lattre de Tassigny (déjà cité comme Haut-Commissaire) arrive à son tour, et,       avec lui, les Généraux Salan et Cogny. Il faut rappeler que       quelques temps auparavant, le Général de Lattre avait reçu une lettre de son       fils Bernard, qui lui disait : " Papa, on a besoin de toi ici. " Le 30 mai       1951, Bernard était tué à Ninh Binh. En 1952, le Général       Salan succède au Général de Lattre.  En 1953, il est à son       tour remplacé par le Général Navarre.  En 1954, après Dien Bien       Phu, celui-ci part. Il est remplacé par le Général Ely, également       Commissaire Général.    DU CÔTE VIET MINH QUE       SE PASSE-T-IL ? Dans le Bulletin no 146,       Daugreilh nous a dressé une notice biographique de : - Ho Chi Minh       ;  - Pham Von       Dong ;   - Vo Nguyen Giap. Le premier est Président       de la République Démocratique du Viet Nam, le deuxième en est le       Vice-Président, quant à Giap,il est le Ministre de la Défense Nationale et       assure le Commandement suprême de l'armée populaire. Nous n'ajouterons à       cette biographie de ces trois hautes autorités, en place, avant, pendant, et       après notre guerre d'Indochine que cette citation d'un texte de Giap de       1950 : " La puissance française       s'accroît peu, cependant que la nôtre augmente chaque jour... Nous allons       commencer la troisième phase de notre guerre. Il y a eu d'abord la guérilla       spontanée, puis la guérilla organisée. Maintenant nous allons passer de la       défensive à l'offensive par la guerre de mouvement.      Dans la contre-offensive       par la guerre de mouvement. Dans la contre-offensive imminente, nos troupes       auront à encercler l'adversaire et à le réduire à merci, jusque dans ses       centres vitaux. Il faut que dans quelques mois soient définitivement       liquidées les dernières bases de la résistance colonialiste. " Mis à part le délai, ce       programme sera rigoureusement appliqué.    II. - PRINCIPALES ACTIVITES MILITAIRES DE       1947 A 1955 Ce fut d'abord, pour les       troupes françaises, une suite de petits échecs : postes attaqués puis rayés       de la carte ; ou simplement abandonnés, soit volontairement par nous, soit à       la suite de la trahison de quelques membres de la garnison.     Mais le plus grave et le       plus pénible fut l'évacuation de Cao Bang et la tragédie de la R.C. 4 de mai       à octobre 1950, dans laquelle nos pertes en personnel furent énormes et la       quasi-totalité de nos stocks abandonnée.     En 1951, ce sont les       vibrants appels du Général de Lattre, pour la mobilisation des vietnamiens,       les jeunes en particulier, et qui eurent un profond retentissement     Ninh Binh, où fut tué       Bernard, tint, grâce au Général Vanuxem.     Après le départ du       Général de Lattre, en 1952, on peut citer Sam Noua et la Plaine des Jarres,       occupés et évacués en 1953.     C'est ensuite Dien Bien       Phu, opération déclenchée le 20 novembre 1953 et qui se termina par la chute       du camp le 15 mai 1954, après deux mois de violents combats. Il est inutile       de rappeler le total des pertes : tués, blessés, prisonniers et disparus,       sans compter le matériel et bien entendu les conséquences politiques : les       Accords de Genève.     Pendant ce temps,       Laichau et le pays Thai avaient été évacués.     Ce fut ensuite le départ       d'Hanoi et le repli sur Haiphong de toutes les troupes et tout le matériel.      Troupes et matériels       furent ensuite, progressivement évacués vers le Sud-Vietnam, jusqu'à la fin       de la " période des 300 jours ".     Un dernier régiment et       le petit E.M. du Général Cogny, quittèrent Doson en mai 1955.     De toutes les questions       que l'on peut se poser, je n'en retiendrai qu'une :     D'où venaient les forces       V.M. qui attaquèrent Dien Bien Phu, et eurent raison de nos troupes, environ       16 000 hommes, tous de régiments d'élite ?        A la frontière chinoise,       sur des centaines de kilomètres, le Viet Minh avait aménagé des routes et       des camps, où furent formés, tant sur le plan politique que militaire, une       masse d'hommes de tous horizons et de toutes origines, sous l'autorité       d'instructeurs militaires, mais encore plus peut-être de commissaires       politiques, surveillés et dirigés par les Chinois.     Ces troupes,       politiquement et rigoureusement éduquées, militairement très bien       instruites, physiquement extrêmement entraînées, et sur le plan matériel,       fortement équipées, toujours par les Chinois, furent organisées en       bataillons et régiments qui composèrent les fameuses divisions telles la       304, la 308, la 320 et autres, qui attaquèrent Dien Bien Phu, sans oublier       le fameux bataillon de renseignement et d'action la 468.    III. - NOTRE OBJECTF - LES ORGANISATIONS VIET       MINH Pour bien comprendre ce       qui va suivre, il faut, en tout premier lieu, se souvenir qu'en Indochine,       il ne s'agissait pas d'une guerre classique, opposant deux armées ennemies,       mais d'une guerre révolutionnaire menée, du côté Viet Minh, non seulement       par des troupes régulières, mais aussi par  une population,       fortement encadrée, et agissant, de gré ou de force, au profit d'une       organisation, elle aussi révolutionnaire.     Nous aurons donc, à côté       d'un S.R. et d'un C.E. classiques, tout un ensemble d'organisations       spécifiques que nous allons passer en revue. Le S.R. Classique, avec       deux services distincts :  - le Tinh Bao dépendant       de la Présidence du Gouvernement.   - Le Diep Bao relevant       du Haut Commandement.     Les méthodes de travail       de ces services classiques, s'apparente étroitement à celles de nos propres       services.     Le S.R. de Contact,       domaine du Quan Bao ou S.R. militaire. Il dispose d'unités de reconnaissance       (Trinh Sat) adaptées à chaque unité et à chaque échelon. Au sommet dépendant       du Haut Commandement, le fameux Bataillon 468 déjà mentionné. Ces unités du Trinh Sat sont les fournisseurs principaux du Quan Bao et utilisent, à       l'exception de la manipulation d'agents, les moyens classiques :       observation, contacts, infiltration, coups de main et interrogatoires.     Le S.R. populaire  C'est, suivant       l'expression V.M. : " La mobilisation de la masse populaire dans les missions       S.R.  Ce S.R. populaire vise non seulement à instruire le peuple, mais aussi       à faire comprendre aux spécialistes, qu'on ne peut rien faire sans le       peuple. " Ce S.R. populaire s'appuie sur les " groupements populaires " :       agriculteurs, jeunes, vieillards, femmes, etc. Si ce S.R. revêt un aspect       mineur par le personnel qu'il emploie, il représente un adversaire       innombrable, qui absorbera une grande partie de l'activité de nos       détachements. (Nous en reparlerons.)     Le C.E.  C'est la mission       essentielle de la Sécurité Publique ou Cong An, et ses méthodes, classiques,       consistent surtout à recruter des agents en place dans les Services       adverses. En outre un effort s'est poursuivi pour faire un Cong An       populaire, dont l'objectif est de faire de tout citoyen, un agent de C.E. et       de protection politique.  Ajoutons qu'au sein de       l'armée, existe un organisme de " protection " le Bao Ve, dont la mission       s'apparente à celle de notre Sécurité Militaire.     Le Dich Van  Placé à tous les       échelons, sous la direction du Parti, c'est un service de propagande à       l'adresse de l'adversaire. On ne compte pas le nombre de postes tombés par       trahison intérieure. Dans la zone d'Haiphong ce n'est que grâce à une lutte       permanente de notre Détachement local, qui se montra très efficace, si les       élèves du Centre d'Instruction des Forces Armées Vietnamienne ne désertèrent       pas en bloc (près de 10 000 hommes). Le Dich Van travaille       avec le Quan Bao (S.R. de contact) et le Cong A (C.E.). En outre des agents       spécialisés exerçaient cette activité Van auprès de populations, amies ou       ennemies.    LES ORGANISMES       POLITICO-ADMINISTRATIFS Ils comprennent les       comités administratifs, ainsi que le front Lien Viet avec des groupements de       catégories de tous les habitants. La destruction de ces organismes ou       organisations était indispensable pour la sécurité de nos troupes. Le Dan Lao Dong C'EST LE PARTI Toutes les directives       que nous avons pu connaître, montrant l'emprise totale du Parti sur les       différents organismes. La plus importante des unités Trinh Sat, le fameux       Bataillon 468, déjà cité, comprenait une proportion de communistes       supérieure à toutes les autres unités. A titre d'exemple, la Compagnie 62,       sur un effectif global de 68 militaires, comptait 44 membres du Parti. Sans       entrer dans plus de détails, rappelons seulement une étude faite par nos       Services en 1954, qui citait ce texte Viet Minh : "... pour détruire l'esprit       proprement technique, les organismes du Parti doivent prendre entièrement le       travail en main ". C'est ce qui fut       effectivement réalisé.    IV. - NOS SERVICES ET LEUR EVOLUTION Dès avant la guerre       d'Indochine, tous nos Services étaient représentés. Daugreilh nous en a,       dans différents bulletins, donné les détails. Les Organismes dépendant du       S.D.E.C.E. furent groupés au sein de la 5ème Section de l'E.M.I.F.T. sous les       ordres du Colonel Belleux.     Ne disposant d'aucune       archive concernant les autres Services, je bornerai, et tout le monde le       comprendra, au C.E. et, en particulier à son évolution depuis 1951.     En janvier 1951, le Chef       du B.C.R. de Saigon adressait au Général Commandant en Chef, une étude dans       laquelle il soulignait un certain manque d'efficacité des Services de       Renseignements, compte tenu que, les différents Services, malgré de bonnes       relations " latérales " travaillaient isolément. On pouvait aussi constater       une prolifération de petits organismes, créés à l'initiative de certains       commandements locaux, sans hiérarchie technique, sans protection et " d'une       efficacité contestable " (Je ne fais que citer).     Il concluait que " de       même que le Commandement disposait de Renseignements Opérationnels       (S.E.H.), il devait pouvoir disposer d'une Organisation de       Contre-Espionnage. " " Cet organisme,       écrivait-il doit être unique et centralisé pour être efficace... " C'est ainsi que le 10       avril 1951, paraissait la décision n° 193/CAB.MIL/ED       du Général de Lattre :     J'ai décidé de mettre       sur pied le Contre-espionnage Opérationnel, dans le cadre des divisions de       marche du Tonkin (Texte souligné       par nous, compte tenu de l'importance de cette décision.) Suivaient les       caractéristiques :  Mission : le Contre-espionnage, sous ses trois formes : offensif, préventif et       répressif.  Commandement : Un officier du C.E. du S.D.C.E.  Composition : Éléments du S.D.E.C.E., des Sécurités Militaires et des Services de       Sécurité du Haut Commissariat.  Emploi : Mise à la disposition du Commandement local.   Hiérarchie,       Technique pour chacun des services représentés.      En application de cette       décision, ce fut :  - le 14 avril 1951 la création de la Brigade       de la 2ème D.M.T à Haiduong.   - le 12 septembre celle de la brigade de la       1ère D.M.T. à Hanoi.   - le 9 novembre celles       de la 4ème à Haiphong et de la 3ème à Nam Dinh.     Furent également créées       des brigades à Saigon et au Laos.     Dès le 14 avril, une       note du Cabinet Militaire, signée par le Général Cogny précisait :  - la mission : déceler       et neutraliser les agents et l'action des services spéciaux ennemis.  - le mode d'action :       Centralisation des renseignements et des documents.     - Mise en place       d'informateurs.  - Interrogatoire des       prisonniers ayant appartenu aux services S.R. Viet Min   - Arrestation et       Interrogatoire des agents ennemis détectés.     Les différentes notes de       service, mettant en place les nouvelles brigades reproduisaient, toutes, les       termes de la première, à un détail près, qui s'est avéré d'importance :     En effet, dès la création de la brigade de la       1ère D.M.T., un inspecteur de Sûreté Nationale       Vietnamienne était ajouté à l'effectif. Grâce à ces fonctionnaires de       police, toutes les actions dans les villes ont revêtu un caractère légal. Il       faut dire aussi que ces fonctionnaires se sont vite et très bien intégrés       dans le nouveau dispositif.     1953 vit le rodage des       Brigades de C.E., mises sur pied l'année précédent ;  pour elles, identifier       leurs objectifs, se constituer des archives, et, pour le Commandement, mieux       les connaître, mieux les utiliser. C'est ainsi qu'une doctrine d'emploi       s'élaborait pendant que les méthodes de travail s'adaptaient aux conditions       spéciales de la guerre au Nord-Vietnam.    ABREVIATIONS B.C.E. : Brigade des       Contre-Espionnage.  B.C.R. :       Bureau de Centralisation de Renseignements, dépendant du       S.D.E.C.E.  C.C.I. : Centre de       Coordination Interarmées.   C.E. :       Contre-Espionnage.   C.E.O. :       Contre-espionnage Opérationnel.   D.M.T. : Division de       Marche du Tonkin.  D.O.P. : Détachement       Opérationnel de protection.   E.M. : État-major.  E.M.I.F.T. : État-major       Interarmées et des Forces Terrestres.   F.A.V.N. : Forces Armées       Viet Namiennes. F.T.N.V. : Forces Terrestres du Nord Vietnam.  R.C.4 : Route Coloniale       N° 4 (reliant Monkay à Caobang, près de la frontière chinoise).  S.D.E.C.E. : Service de       Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage.   S.E.H. : Secteur d'Hanoï       du S.R.I.  S.R. : Service de       Renseignements.  S.R.L : Service de       Renseignement Intercolonial.   V.M. : Viet Minh.  43 N.V.N. :       Quarante-trois Nord Vietnam ! Service du S.D.E.C.E. au Nord Vietnam.    Dans le prochain B.L. :       Épanouissement du C.E. Opérationnel     |