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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
L’OPINION DE MORANGE sur un étonnant et remarquable agent de pénétration dans l’Abwehr
 

Dans le récit de son arrestation à Marseille, le Capitaine MORANGE évoque la personnalité de FRIEDMANN alias FREDERKING agent W. du C.E. français appréhendé en même temps que lui par DUNKER.

Fasciné par ce personnage notre ami lui consacre quelques pages dans son travail historique.

Il nous a paru intéressant de les reproduire. L’opinion de « l’homme de terrain » qu’était MORANGE sur l’efficacité du travail de ce W. est précieuse.

Elle confirme ce que nous pensions de lui et nous nous inclinons devant l’héroïque sacrifice de ce Français d’adoption, volontaire pour la mission la plus difficile et la plus importante que l’on puisse confier à un agent de C.E.

 

 Par le Capitaine MORANGE

«FRIEDMANN, alias Stefan FREDERKING, agent de pénétration du C.E. français dans l’Abwehr »

« Comme il est simple, selon les définitions données par le Colonel PAILLOLE dans son ouvrage de base “ Services Spéciaux “ (chez Robert LAFFONT) aux pages 100 et suivantes à propos de la charte de la « pénétration », de réaliser cette opération; il nous en donne pour exemple cet agent (de pénétration) qu’il recruta lui-même en 1937 et dont il parle longuement aux pages 96 et 97 du même livre; cet agent peut-être codifié« comme W., alors que les W.2 sont les doubles introduits dans nos « Services par l’adversaire puis retournés.

C’est en 1937 que PAILLOLE a pu pénétrer l’Abwehr de WIESBADEN « dans des conditions qu’il rapporte lui-même (1). " Un sous-officier de la Légion étrangère, FRIEDMANN, Yougoslave d’origine, m’a été signalé par " le Bureau Spécial " de la Légion Etrangère (Chargé de la Sécurité à l’intérieur de la Légion) ".

« FRIEDMANN voudrait travailler pour les Services Spéciaux français. Il parle allemand, serbe, italien et, naturellement, le français. Intelligent, "observateur", il rêve d’une vie active, aventureuse. Il est juif et veut « se battre contre le fascisme, les nazis et le racisme. » Et le Colonel PAILLOLE continue : « Je l’ai fait passer clandestinement en Allemagne, il s’est présenté comme déserteur à la Grenzpolizei (Police des frontières) qui l’a conduit au siège de la Gestapo à Sarrebruck. Après des interrogatoires serrés et une mise en observation de plusieurs semaines, la Gestapo a pu acquérir la conviction de sa sincérité (!!!)                        

Il faut dire que nous y avons contribué en diffusant un bulletin de recherches en possession de tous nos gendarmes et policiers au nom de « FRIEDMANN « déserteur ».

« Nous savons que l’Abwehrstelle de TREVES reçoit ce bulletin (2) et le communique à la Gestapo de Sarrebruck. « FRIEDMANN a donc reçu la visite d’un personnage distingué qui se présente sous le nom de “ Docteur BECKER “. Après un bref entretien, il est transféré à WIESBADEN. Il lui est demandé s’il consentirait à retourner en France avec une mission d’espionnage et de nouveaux papiers d’identité au nom de FREDERKING. Il a hésité, s’est fait prier. Finalement, n’a pas résisté aux arguments financiers du” Docteur “. Celui-ci n’est autre que le Major KLEIN, chef de l’Abwehrstelle de WIESBADEN qui est aussi étonné que moi-même de la vivacité d’esprit de FREDERKING. Il va loin dans sa confiance et initie son nouvel agent à la manipulation de l’un des premiers postes émetteurs clandestins de l’Abwehr.

« FRIEDMANN, alias FREDERKING est revenu d’Allemagne, radieux « il est porteur d’une somme d’argent rondelette qu’il me confie (3) et d’un "mot d’introduction" de la Propagandastaffel pour l’Office du Tourisme allemand à PARIS. Il y travaille désormais sans que ses employeurs aient connaissance de sa véritable mission. Quelques jours après son retour en France il a reçu le bulletin de consigne et récupéré Gare du Nord une valise avec le précieux poste émetteur. Nos Services Techniques se sont empressés de l’autopsier. Ils n’avaient jamais vu de tels engins et n’y croyaient guère malgré la défaite française de 1940.

FRIEDERKING nous restera fidèle, démontrant sa loyauté en accomplissant en toutes circonstances avec le même courage tranquille sa mission redoutable. De 1940 à 1942, il nous apportera régulièrement des informations importantes sur les activités de l’Abwehr, PAILLOLE lui fournira en réponse aux questionnaires de l’Abwehr des renseignements d’intoxication vérifiables, qui convaincront les Allemands du dévouement et de l’efficacité de leur agent.

« A noter que le 20 août 1939 FREDERKING était rentré de Berlin et demandait à voir son officier traitant d’urgence. L’entrevue eut lieu au Bois de Boulogne, où il explique qu’il venait de faire un stage de perfectionnement radio d’une dizaine de jours près de Brandebourg (4) . L’Abwehr y organise un camp d’entraînement pour troupes spéciales. " J’ai entendu parler anglais, polonais, hollandais, russe et même ma langue maternelle, le serbe ".

« Il a reçu mission de rechercher jour et nuit des indices sur la mobilisation française. Une somme considérable lui a été confiée pour lui-même et pour les informateurs à recruter dans diverses garnisons de l’Est. Un poste émetteur lui a été remis et des contacts quotidiens ont été prescrits.

« Ainsi, dès 1940, FREDERKING était promu au rang de Chef de Réseau » pour l’Abwehr.

« Chez nous, il sera dorénavant “ traité “ par le Lieutenant GILBERT, adjoint direct de PAILLOLE. Une confiance amicale s’établira entre les deux hommes, confiance sur laquelle sera fondée l’indéfectible fidélité de FREDERKING à notre Service alors que les revers français auraient pu, certes, l’inciter à abandonner tout travail au profit d’une Armée battue et d’un pays asservi. Bien plus, FREDERKING saura si bien affirmer sa position auprès des Allemands que l’Abwehr lui fera décerner la Croix de Fer.

 « En novembre 1942 la dissolution de l’Armée d’Armistice le coupe un instant de notre Service, mais le contact est rétabli le 20 février 1943 par le Lieutenant GILBERT fraîchement débarqué du sous-marin « CASABIANCA » qui l’avait ramené clandestinement d’Alger au Cap CAMARAT. Il retrouve son vieil ami FREDERKING solidement installé à l’Hôtel LUTETIA à PARIS au siège central de l’Abwehr en France.

« Bien que dépendant toujours officiellement du Colonel KLEIN de Wiesbaden, il a son Bureau à l’Hôtel LUTETIA et dispose de trois voitures aux numéros interchangeables. Son travail pour l’Abwehr se fait sous la couverture du ravitaillement en alcools des mess d’officiers allemands ce qui l’amène à pénétrer partout et à se faire des relations dans tous les états-majors. Son rendement est d’un intérêt exceptionnel. GILBERT repartira pour Alger, chargé par lui de documents importants, comprenant outre l’organigramme du commandement de la Wehrmacht en France l’organisation générale de l’Abwehr dans les Territoires Occupés et des projets de mutation des principaux Chefs de Poste. C’est ainsi que les Services Alliés purent connaître les affectations de nombreux officiers  de l’Abwehr, avant les intéressés eux-mêmes...

« FREDERKING réussit à gagner la confiance d’un grand chef nazi, le Maréchal KESSELRING lui-même, dont un portrait sera donné plus loin d’après les indications de notre agent.

Malheureusement, les liaisons avec ALGER étaient ni assez sûres ni  assez rapides pour permettre toujours la transmission des inestimables  documents qu’il pouvait se procurer.

 

PORTRAIT DE KESSELRING D’APRES NOTRE W.

 Né en 1885, KESSELRING est comme ROMMEL le fils d’un instituteur.

 Il fit la Première Guerre Mondiale comme officier au 2° Régiment Bavarois d’Artillerie à pied et servit ensuite dans la Reichswehr jusqu’à l’arrivée d’HITLER au pouvoir. Il était fasciné par l’Aviation et en 1933, à 48 ans il quitta l’artillerie comme Colonel pour prendre le poste de Chef de Bureau administratif de la Luftwaffe. A l’époque, c’était une organisation secrète, interdite par le traité de Versailles. Bien qu’approchant la cinquantaine, il devint pilote, fut promu Général, pendant la Campagne de Pologne, reçut le commandement de la I° Flotte Aérienne. En 1940, il est à la tête de la II° Flotte Aérienne qui participe à la Bataille d’Angleterre avant de partir à l’Est pour l’invasion de l’U.R.S.S. en juin 1941.

 Cette II° Flotte Aérienne est transférée en Italie au début de 1942 et  KESSELRING est nommé Commandant en Chef du Secteur Sud avec  autorité sur toutes les forces allemandes en Méditerranée. C’était un poste exceptionnel et KESSELRING était le seul Général de la Luftwaffe ayant la responsabilité d’opérations terrestres de grande envergure. Son rôle en Méditerranée a commencé par le soutien de “ l’Afrika Corps “. A ce titre, il fut amené en novembre 1942 à envahir la Tunisie pour permettre à ROMMEL de s’y replier.

Au cours de l’hiver 1942-1943, il mit sur pied, une armée complète mais refusa de la gaspiller pour la défense inutile de la Sicile.

Fidèle à HITLER jusqu’au bout, KESSELRING était un nazi fanatique et un chef implacable.(5).

Telle était l’impressionnante personnalité de l’ami de FREDERKING.

Bien qu’il se déplaçât constamment entre ses différents quartiers généraux méditerranéens, KESSERLING se rendait fréquemment à Paris entre deux avions. C’est à l’Hôtel Lutetia qu’il séjournait. Il y donnait des soirées genre “ Bierabend “ où il invitait de nombreux officiers dont les dirigeants de l’Abwehr avec lesquels il fraternisait depuis les années passées de 1933 à 1936 dans la création secrète de la Luftwaffe.

 FREDERKING, lui, circulait, avec aisance, dans tout ce milieu d’Etat Major. Il y pénétrait comme chez lui, au triple titre de fournisseur des mess des officiers, d’agent apprécié de l’Abwehr et d’ami personnel et intime de KESSERLRING avec lequel il participait, parfois, à de joyeuses sorties.

 

(1) « Services spéciaux » de Paul PAILLOLE chez Robert Laffont, p.96 et, plus loin, son portrait par MORANGE.

(2) REILE a réussi à recruter un inspecteur de police de LONGWY que nous arrêterons en 1938.

(3) C’est une règle absolue du contre-espionnage français, l’argent perçu par un agent du Service ennemi est de l’argent impur qu’il n’a pas le droit de conserver. Cet argent entre dans les fonds secrets du contre-espionnage qui a ainsi la satisfaction de se faire financer par le Service adverse et de rétribuer ses W en fonction de leur valeur.

(4) Camp d’entraînement des commandos de l’Abwehr spécialement de l’Abwehr II (LAHOUSEN) dont l’efficacité s’est révélée redoutable en Pologne puis sur le FRONT OUEST en mai 1940. Précédant la Wehrmacht, ils ont le plus souvent procédé à des destructions en pays ennemi.

(5) Arrêté comme criminel de guerre pour les massacres de partisans et de populations civiles commis en Yougoslavie et en Italie par les troupes placées sous ses ordres, il fut jugé et condamné à mort. La sentence fut commuée. On sait avec quel acharnement KESSERLRJNG se battit pendant dix-neuf mois en Italie.

 

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 137

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