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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
UNE VICTOIRE AUX POINTS
 

par le Colonel Michel GARDER

Parmi les grandes maladies psychiques de notre époque, la sommétomanie occupe une place à part dans la mesure où elle affecte en premier lieu les milieux dirigeants et journalistiques du monde non communiste. Ces milieux ont fini par s’imaginer que seuls des contacts directs entre les chefs d’État des pays démocratiques et les monarques du système totalitaire lénino-marxiste pouvaient aboutir à des résultats constructifs en vue de l’établissement d’un ordre planétaire.

Ce faisant, ils ont conféré à ce genre de contacts une valeur magique — d’où l’expression rituelle de l’ « Esprit » de Genève ou bien de Reykjavik et la consécration du terme « sommet » érigé en absolu.

Au même moment les dirigeants du Kremlin, tout en exploitant cette approche superstitieuse de ces conférences au sommet » de leurs adversaires, se contentent de considérer lesdites rencontres comme des actes de guerre. Il s’agit pour eux, en quelque sorte, de duels à l’instar de ceux qui réglaient naguère le sort des batailles par un affrontement direct entre deux souverains.

Ainsi, d’un côté on persiste à s’imaginer que les responsabilités suprêmes devraient inciter n’importe quel Secrétaire Général du P.C. soviétique à voir dans un chef d’État occidental un homologue avec lequel il y a lieu de trouver un compromis honorable dans l’intérêt des deux parties et de la paix mondiale.

De l’autre côté, le souverain lénino-marxiste est censé incarner la « Vérité historique » qu’il s’agit d’imposer par tous les moyens à la partie adverse, en attendant de la vaincre définitivement.

De part et d’autres les règles du jeu ne sont pas les mêmes. Nous sommes en présence d’une confrontation entre un diplomate et un guerrier. Cela ne veut pas dire que le diplomate ne manque pas d’atouts et que le guerrier doive gagner immanquablement; mais de toute façon, vu de l’extérieur, on ne peut jamais parler de compromis.

Comme dans tout combat il y a forcément un vainqueur et un vaincu. La notion même d’une partie nulle est exclue dans la mesure où il n’y a pas d’arbitre et où celui qui a pris l’avantage sait l’exploiter.

Dans le passé nous avons suffisamment d’exemples de conférences de ce type pour nous en convaincre, c’est ainsi que Téhéran et Yalta se sont terminées par des victoires de Staline alors que Postdam a permis à l’incolore Truman de s’affirmer comme un grand président des États-unis. Plus tard, nous avons vu le Général de Gaulle triompher en mai 1960 d’un Khrouchtchev trop sûr de lui. En revanche, un Nixon pourtant en position de force se laissera manoeuvrer par l’équipe du Kremlin, en 1972, et son successeur Ford cèdera du terrain à Vladivostok en 1974 et à Helsinki en 1975. Il nous paraît inutile enfin de revenir sur la grave défaite de Jimmy Carter face à Brejnev à l’occasion de leur entrevue à Vienne en 1979.

Aussi est-ce uniquement sous l’angle de la confrontation et des résultats qu’il s’agit d’analyser le « sommet » de Reykjavik des 11 et 12 octobre 1986.

 

L’ESCARMOUCHE DE GENÈVE

Il y a un an, la première rencontre entre le Président Reagan et Mikhaïl Gorbatchev n’avait constitué en fait qu’une escarmouche. On a beaucoup parlé et écrit en Occident à propos de ce premier contact entre le champion américain de l’anti-communisme et le Secrétaire Général du Parti Communiste soviétique, sans que pour autant les commentateurs aient pu, à notre sens, nous en restituer l’essentiel.

Cet essentiel résidait dans une méconnaissance manifeste de part et d’autre du genre de personnage auquel on avait affaire.

Le Président Reagan, plus ou moins bien renseigné par ses conseillers sur la personne du chef du Kremlin, s’imaginait probablement que ce représentant d’une nouvelle génération de communistes soviétiques était à la fois le maître absolu du système et désirait en priorité réformer celui-ci.

De ce fait on pouvait, en lui parlant à partir d’une position de force, l’amener à infléchir son attitude vis-à-vis de la situation mondiale et, ce faisant, l’aider indirectement à sortir de l’ornière l’économie de son pays.

Il y avait dans cette démarche l’espoir d’un homme âgé tenant à faire entendre raison à un jeune ambitieux en lui parlant le langage de la sagesse.

L’erreur majeure commise au départ par Ronald Reagan consistait ainsi à croire que Mikhaïl Gorbatchev était effectivement le maître de son jeu, alors que le 27° Congrès n’avait pas encore eu lieu, et que ce pur produit de l’éducation lénino-marxiste pouvait sacrifier la vision du monde au nom de laquelle il avait accédé au pouvoir.

De son côté, Mikhaïl Gorbatchev — même disposant de conseillers aussi bien informés que les sieurs Dobrynine et Arbatov, ne pouvait qu’avoir une vue simpliste sinon caricaturale d’un président trop souvent qualifié par sa propre propagande de « cow-boy de la télévision ».

Certes le Secrétaire Général n’ignorait aucune des faiblesses politiques du Président, mais il n’était pas forcément en mesure de les exploiter jusqu’au bout.

La méthode dialectique qu’il mettait en oeuvre, loin d’être la panacée universelle qu’il imaginait, comportait bien des failles, ce qui, Dieu, merci, explique d’ailleurs pourquoi le communiste n’est pas invincible.

Les quelques contacts personnels qui ont eu lieu à l’occasion de cette première escarmouche devaient d’ailleurs renforcer chacun dans la fausse opinion qu’il se faisait de l’autre. Reagan était tout heureux d’avoir rencontré un jeune homme relativement affable — qui avait accepté le principe d’un véritable « Sommet » à Washington, l’année suivante. Gorbatchev qui à l’époque en était à la préparation d’un Congrès devant assurer son triomphe en U.R.S.S se sentait de taille a affronter sur son terrain même ce vieux représentant du capitalisme au bout du rouleau.  

 

UN AN PLUS TARD

L’année qui allait suivre devait apporter à chacun des champions quelques satisfactions et pas mal de déconvenues. Il serait trop long bien entendu de les analyser dans le détail. Rappelons simplement qu’en ce qui concerne le Président Reagan on ne peut pas dire que le bilan soit tout à fait positif.

A l’intérieur, un Congrès maintes fois réticent lui pose de nombreux problèmes. Malgré de réels progrès, la situation économique du pays se trouve contrariée par un conflit budgétaire impressionnant.

Même ramené à un taux moins voyant, le chômage continue d’empoisonner l’atmosphère psycho-sociale nationale.

Enfin l’I.D.S., cette trouvaille géniale à la fois dans les domaines de la Puissance et de la Défense des États-unis, n’en est encore qu’au stade de « recherches et expérimentations » et suscite toujours de sérieuses oppositions dans une partie de l’opinion.

A l’extérieur, même si face à l’Union Soviétique les États-unis se trouvent en position de force, il n’en demeure pas moins que Washington ne parvient pas toujours à imposer son leadership à ses propres alliés; à avoir une politique cohérente au Proche-Orient et en Afrique, et surtout à contrer sur son propre continent l’action soviétique en Amérique latine.

Pour clore le tout se pose au Président l’inconnue des élections de novembre avec le risque de voir triompher au Sénat une majorité Démocrate.

En face, le bilan de Gorbatchev est peut-être encore plus négatif.

A l’intérieur, faute d’avoir pu obtenir du 27° Congrès un Comité Central à sa dévotion, le Secrétaire Général n’est que le chef nominal d’un Bureau Politique dominé par le K.G.B.

Ce n’est plus tant parmi les vieux brejnéviens qu’au sein de sa propre génération d’ « apparatchiks » que se trouvent ses principaux concurrents — et peut-être même ses adversaires.

Son programme ambitieux de restructuration et de réformes de l’économie soviétique demeure à l’état de projet. La résurgence de sentiments religieux et nationalistes est toujours aussi vivace dans l’ensemble de l’Union. L’abcès afghan et le casse-tête polonais n’ont pas encore trouvé de solution. La docilité des satellites est toute relative.

A l’extérieur, l’effort principal sur l’ensemble occidental marque peut-être des points, mais n’a obtenu jusqu’ici aucun succès réel.

Face au binôme Sino-nippon, les offensives de charme se sont heurtées au sourire poli des Chinois, toujours aussi intransigeants quant à leurs conditions : allègement du dispositif militaire soviétique face à la Chine, évacuation de l’Afghanistan et mise en « sourdine » de l’impérialisme vietnamien. De même, en ce qui concerne le Japon, aucun véritable progrès n’est possible qu’à la condition de restitution des Iles Kourilles.

Point n’est besoin pour finir l’évoquer la Direction Moyen-Orient/Afrique dans laquelle seule jusqu’ici l’utilisation par les stratèges soviétiques du problème de l’Afrique du Sud a permis au Kremlin d’embarrasser les Occidentaux.

Pour le reste, Moscou comme ses adversaires ne peut qu’attendre avec inquiétude l’issue du conflit irano-irakien.

Finalement ce sont deux souverains affaiblis qui, fin septembre 1986, ont convenu — sur la proposition de Gorbatchev, de se rencontrer les 11 et 12 octobre à Reykjavik.  

 

LE « MINI-SOMMET » DE REYKJAVIK

Ainsi qu’on le sait, ce « mini-sommet » qui ne devait être qu’un prologue du vrai « sommet » toujours prévu à Washington, avait été précédé d’une série d’accrochages plus ou moins sévères.

Pour commencer les États-unis avaient notifié leur intention de renvoyer en U.R.S.S. quelque 25 officiers du K.G.B. et du G.R.U. déguisés en diplomates au sein de la délégation soviétique à l’O.N.U. — Puis ce fut l’arrestation par le F.B.I. d’un semi-diplomate agent du K.G.B. Vexés, les « tchékistes » avaient riposté en prenant en otage le journaliste américain Nicholas Danilov, correspondant à Moscou de « U.S. News and World Report ».

Pour finir, nous avons assisté à l’échange du vrai espion contre le journaliste — avec en prime le dissident Youri Orlov et son épouse.

L’honneur étant sauf, du moins du côté soviétique, rien n’empêchait plus le « mini-sommet » islandais, avec a priori un avantage initial à Mikhaïl Gorbatchev.

En effet, ce dernier n’avait aucune échéance électorale à redouter, du moins officiellement — car au Kremlin on n’est jamais à l’abri d’une disgrâce subite. De plus, bien décidé à imposer sa volonté au Président américain dès ce « mini-sommet », le Secrétaire Général venait avec un objectif précis arracher des concessions sur le problème de l’I.D.S. tout en acceptant un juteux marchandage sur les Euromissiles.

En termes d’échecs cela équivalait à échanger quelques pièces en vue de faire échec à la Dame de l’adversaire.

On pouvait croire dès lors que face à ce plan à la fois simple et efficace, le Président Reagan — conseillé de façon discutable par son Secrétaire d’Etat George Schultz (un parfait honnête homme n’ayant du communisme qu’une vision très sommaire), courait le risque de tomber dans le piège.

La « sommétomanie » aidant, le Chef de l’Exécutif américain pouvait fort bien considérer comme un « succès » le fait de s’entendre avec le Secrétaire Général du P.C. soviétique sur une sérieuse réduction des « armes de théâtre » (autrement dit des Euromissiles).

Ce succès, il estimait en avoir besoin pour influencer les futures élections au Congrès. D’ailleurs la propagande et la désinformation du Kremlin trouvaient dans la presse occidentale des échos plus qu’encourageants.

« L’Esprit de Reykjavik » soufflait en rafales dans les rédactions américaines et européennes, avant même que les protagonistes du « mini-sommet » eussent abordé en Islande.

Les deux « super-grands » devaient trouver un terrain d’entente, devaient « arrêter la course aux armements » alors que même sans cette cour et en réduisant de trois quarts lesdits armements, il en restait suffisamment pour vitrifier notre planète.  

 

LE « MINI-SOMMET » SE MUE EN « MAXI-SOMMET »

En venant à Reykjavik, le Président Reagan comptait élargir le tour d’horizon aux problèmes des droits de l’homme, du Nicaragua, de l’Angola et de l’Afghanistan.

Du côté soviétique on l’attendait bien entendu de pied ferme. Comme par hasard, un citoyen américain du nom de Lokshine venait d’arriver à Moscou après avoir obtenu le droit d’asile en Union Soviétique en tant que « réfugié politique ».

Sur « l’agression américaine » contre le Nicaragua démocratique, le dossier du Kremlin était bien documenté. Les ingérences sud-africaines en Angola risquaient de compromettre les thèses américaines quant à ce pays. Enfin en Afghanistan l’U.R.S.S. s’apprêtait à retirer « 6 régiments ».

Il ne restait plus à Mikhaïl Gorbatchev qu’à « ferrer le poisson » en amenant le Président Reagan sur le terrain miné du désarmement nucléaire — ce fameux « Arms Control » qui constitue le dada de tant de grands cerveaux américains.

Dès les premiers contacts, Ronald Reagan et son équipe découvraient ainsi des Soviétiques ouverts, francs et coopératifs. Très vite on en fut à constituer des groupes mixtes de travail.

Du côté américain on croyait rêver : Gorbatchev et ses adjoints jouaient les Pères Noël avant la date. Ils acceptaient, en échange des Pershing et des Cruise, d’éliminer tous les S.S.-20 braqués sur l’Europe et de limiter à 100 le nombre de ces armes stationnées en Asie.

Mieux, dans le domaine des armements à longue portée, la partie soviétique en était à admettre une réduction mutuelle de 50 %.

Avec de tels cadeaux le Président pouvait envisager avec sérénité les futures élections et, à long terme, espérer léguer un nom à la postérité. Il ne restait plus à Mikhaïl Gorbatchev qu’à avancer le « coup de l’échec à la Dame ». Le « mini-sommet », se muait en « maxi-sommet », c’est-à-dire en épreuve de force.  

 

LA HANTISE DE L’I.D.S.

Voilà plus de quatre ans — c’est-à-dire bien avant le fameux discours de Reagan annonçant son « Initiative de Défense Stratégique (I.D.S.) » en mars 1973, que les dirigeants soviétiques, de Brejnev à Gorbatchev (en passant par Andropov et Tchernenko) vivent dans la hantise de ce que leur propagande appelle « la guerre des étoiles ».

Cette hantise seule aurait dû depuis longtemps inciter tous les alliés des États-unis — y compris la France, à se rallier à l’I.D.S., sans parler bien entendu des libéraux américains eux-mêmes.

Malheureusement ce n’est pas le cas dans la mesure où, ici et là, on ne perçoit que l’aspect purement militaire du projet alors qu’il s’agit d’un prodigieux défi dans l’ensemble des technologies avancées qui devrait, d’ici l’horizon 2000, permettre aux États-unis de prendre une avance définitive sur l’U.R.S.S.

C’est cette perspective qui plonge les militaires et les chercheurs soviétiques dans un indéniable désarroi et impose aux dirigeants du Kremlin de mobiliser tous les efforts en vue de torpiller l’I.D.S. — Rien d’étonnant dès lors que Mikhaïl Gorbatchev ait voulu utiliser le « sommet » de Reykjavik pour imposer à Ronald Reagan des concessions sur ce projet maudit.  

 

UNE VICTOIRE AUX POINTS

Cependant le Président Reagan ne pouvait pas céder sur l’oeuvre essentielle de son double mandat. Les cadeaux empoisonnés de la partie adverse n’étaient pas suffisants pour le faire flamber.

Sa fermeté devait surprendre Mikhaïl Gorbatchev et même le rendre furieux. On allait s’en rendre compte à l’issue de la conférence, lorsque, rengainant son sourire, le Secrétaire Général devait s’écrier : « Il fallait être fou pour accepter les conditions américaines. Les fous on les enferme; on ne les laisse pas gouverner une grande puissance Hélas, la « sommétomanie » se manifestait avec une violence accrue dans les chancelleries et les rédactions occidentales où diplomates et journalistes en choeur clamaient « l’échec de la Conférence de Reykjavik, alors qu’il s’agissait de l’échec de Gorbatchev.

Vainqueur aux points, le Président Reagan ne devait avoir qu’une seule satisfaction : celle des acclamations des militaires de la base américaine de Keflavik. Bien mieux que les grands cerveaux des élites occidentales, ces braves gens avaient compris d’instinct que « le vieux avait tenu bon » et ils saluaient sa victoire. Il reste à savoir si le « sommet » de Washington, qui demeure en pointillé, permettra à Gorbatchev de prendre sa revanche. Déjà la propagande soviétique — relayée par les medias occidentaux s’y emploie. Les « missi dominici » du Kremlin sillonnent l’Europe; les voix autorisées de l’opposition américaine élèvent le ton en accusant le Président d’avoir vendu la proie pour l’ombre en abandonnant un accord précieux pour « l’illusion de l’I.D.S. ». Les stratèges du café du commerce des pays européens leur font écho. Reagan est sur la défensive » décrètent les analystes de l’International Herald Tribune du 15 octobre 1986. Mon Dieu! Pourvu que le vieux lutteur tienne, sans se soucier de ce qui pourrait se passer au Kremlin. (ndlr) Cet article a été rédigé en octobre 1986.

 

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 131

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