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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
L'ENLISEMENT SOVIÉTIQUE EN AFGHANISTAN
 

Paru dans le n° 483 d'ÉSOPE de janvier 1984

par le Colonel Michel GARDER

Le 27 décembre 1979, profitant de la « trêve des confiseurs », le Bureau Politique présidé par le Maréchal BREJNEV faisait envahir l'Afghanistan par un corps expéditionnaire comprenant une division aéroportée et six divisions de fusiliers mécanisés, le direction de l'opération étant confiée au Général-Lieutenant des Troupes de Sécurité, PAPOUTINE.

 

Une fois de plus, surpris et humiliés, les Américains et leurs alliés en étaient réduits à exprimer leur réprobation sans même pouvoir s'entendre sur un plan cohérent de sanctions collectives à l'encontre des agresseurs soviétiques.

 

A l'embargo sur la vente des céréales décidé par le Président CARTER allaient répondre de honteuses livraisons de blé à l'U.R.S.S. en provenance du Canada, d'Argentine et même de France.

Le boycott des Jeux Olympiques de Moscou en 1980 ne devait pas être plus respecté par tous les alliés des États-unis.

 

Ceci dit, au manque de fermeté des responsables politiques occidentaux devait correspondre un extraordinaire étalage d'inepties émanant des milieux dits « autorisés » en matière de soviétologie.

 

Selon la plupart de ces augures il s'agissait d'une poussée en direction des mers chaudes - les Soviétiques ne faisant que se conformer à la volonté posthume de Pierre le Grand. Ignorant la géographie et raisonnant sur des cartes du Petit Lamasse Illustré, certains stratèges en chambre voyaient déjà les pointes blindées soviétiques déboulant à travers le territoire iranien pour venir contrôler de Détroit d'Ormuz. De toutes façons l'ensemble des spécialistes s'accordait pour prédire une guerre courte sous prétexte que l'Armée Soviétique - que d'aucuns s'obstinaient à qualifier de Rouge (1) était beaucoup plus à même de mater des partisans que ses homologues occidentales.

 

L'auteur de ces lignes avait commis l'imprudence d'insinuer que les Soviétiques s'étaient embarqués dans une aventure sinon périlleuse, du moins comportant d'énormes risques d'enlisement, avait vu son prestige fâcheusement compris.

 

Plus de quatre années se sont écoulées depuis. La guerre en Afghanistan dépasse déjà de plus de deux mois la durée totale de l'affrontement germano-soviétique (22 juin 1941-8 mai 1945).

L'enlisement du corps expéditionnaire est tellement évident que même le Secrétaire américain à la Défense, Caspar WEINBERGER - que sa fonction prédispose à surestimer les forces armées soviétiques, a cru bon de déclarer que l'U.R.S.S. « accumule les erreurs et les échecs militaires en Afghanistan » (2).

 

Aussi, en ce début de cinquième année « d'erreurs et d'échecs militaires » soviétiques, il nous paraît intéressant de rappeler la genèse, les phases préparatoires, les modalités de l'intervention et le déroulement de cette guerre coloniale que la meilleure armée du monde ne parvient pas à gagner.

 

L'ANCIEN « ALLIÉ OBJECTIF » DE LENINE

Au début des années vingt, LENINE aimait invoquer le rôle d' « allié objectif » du Komintern joué par l'émir afghan dans la mesure où ce « féodal » - donc « subjectivement » un ennemi de la révolution, combattait les Anglais. Tout au long de la guerre « des Basmatchis » - autrement dit de l'insurrection des « indigènes » de Turkestan russe que le pouvoir bolcheviste s'efforçait de réorganiser en trois républiques : le Turkménistan, l'Ouzbekistan et le Tadjikistan, Moscou avait entretenu une représentation diplomatique impor­tante à Kaboul et obtenu une certaine neutralité des dirigeants afghans. Cette guerre de 12 ans (1922-1934) devait d'ailleurs s'arrêter grâce à la complicité de « l'ancien émir » afghan AMANOULLAH devenu roi avec l'aide discrète des tchékistes de STALINE.

 

A partir de ce moment, l'Afghanistan va se trouver largement sous l'influence soviétique tout en conservant son indépendance. C'est ainsi qu'au cours de la dernière guerre mondiale, l'U.R.S.S. qui devait faire face à de sérieuses révoltes musulmanes dans le Caucase n'a jamais eu de grosses difficultés avec ses « citoyens » turkmènes, ouzbecks ou tadjiks installés le long de le frontière afghane.

 

Après 1945, l'influence soviétique en Afghanistan devait encore se renforcer, surtout après que les États-unis eussent pris la relève des Britanniques en Iran et au Pakistan. Laissant aux Américains le soin d'aider Kaboul financièrement et techniquement, l'U.R.S.S. avait fini par s'arroger le droit de former, d'instruire et d'équiper l'armée afghane - les cadres supérieurs de cette armée étant admis à suivre les cours des Académies Militaires soviétiques.

 

LA FIN DE L'IDYLLE

L'idylle soviéto-afghane devait durer jusqu'en 1973, époque où le K.G.B. - alors dirigé par ANDROPOV, avait pu établir avec certitude la « trahison » du roi ZAHER. En effet, ce dernier avait eu des contacts secrets avec le Chah d'Iran, lequel s'efforçait de créer un « Axe Téhéran-Kaboul-Islamabad-Pékin » contre l'expansionnisme soviétique en Asie. Une révolution de palais orchestrée par le K.G.B. - en l'absence du souverain en visite à Rome, abolit en représailles le régime monarchique en Afghanistan et porta au pouvoir, en qualité de Président, un cousin du roi, le prince progressiste DAOUD.

 

Ce dernier ayant une fort mauvaise réputation dans les milieux traditionnels du pays, il y eut quelques désertions dans les Forces armées afghanes et la constitution de quelques maquis. Néanmoins les « observateurs » soviétiques en place à Kaboul ne daignèrent pas tirer les conséquences de cette mutation politique. Leur cécité dans ce sens aura des suites infiniment plus graves cinq ans plus tard, lorsque l'ambassadeur soviétique à Kaboul POUZANOV, un général du K.G.B. d'origine Ouzbeck découvrira que le « prince rouge », lui aussi, entretenait des contacts secrets avec le Chah d'Iran et bénéficiait de ses libéralités.

 

Les mêmes causes suscitant les mêmes effets, on eut recours, une fois de plus, à une nouvelle révolution de palais à Kaboul. Cette fois l'agent d'exécution de Moscou devait être le général d'aviation Chef d'Etat-Major Général de l'Armée de l'Air afghane - un ancien stagiaire de l'Académie Joukovsky de Moscou.

 

UNE ERREUR IMPARDONNABLE

L'opération eut lieu le 27 avril 1978 avec la participation de la garnison de Kaboul. On liquida le prince DAOUD, sa famille et sa garde personnelle et les vainqueurs se saisirent des leviers du pouvoir. Pour très peu de temps cependant, car l'ambassadeur soviétique avait son propre candidat pour ledit pouvoir, un obscur dirigeant communiste, chef de la faction « Khalk » du Parti Communiste afghan, du nom de TARAKI. Le général d'aviation dut, en conséquence, s'effacer devant l'homme de Moscou.

 

Dès lors on va assister à la ruine de quarante-cinq années de finlandisation du pays. Un gouvernement militaire progressiste - à l'image de ceux de la Libye, de la Syrie ou de l'Irak eût été pourtant acceptable à l'Est comme à l'Ouest et relativement populaire en Afghanistan même. De plus, n'étant pas officiellement lénino-marxiste, son maintien coûte que coûte n'eût pas engagé la responsabilité de Moscou. En revanche, l'arrivée au pouvoir d'une petite équipe de communistes athée - ne représentant par ailleurs que la moitié du minuscule parti afghan présentait d'entrée de jeu plus d'inconvénients que d'avantages. La nature même du nouveau régime incorporait d'office l'Afghanistan à l'Empire soviétique, et même si ce détail échappait aux capitales occidentales, il ne pouvait plus être question pour le Kremlin de lâcher ce nouvel acquis territorial.

 

S'étant ainsi lié les mains, les Soviétiques furent contraints de soutenir coûte que coûte TARAKI et son équipe, alors que dès le mois de mai 1978 une vague de désertions affectait les forces armées afghanes et que les maquis se multipliaient sur l'ensemble du territoire. Au cours de l'été 1978, Moscou dut porter à environ 30. 000 le nombre de ses « conseillers militaires » en Afghanistan. Cela veut dire que près de quinze mois avant l'invasion il y avait déjà les effectifs de deux divisions soviétiques sur le terrain.

 

La situation devait empirer un an plus tard. Pour finir, TARAKI ayant commis l'erreur de s'absenter de Kaboul pour assister en septembre 1979, à la Conférence des non-alignés de Cuba et présenter ensuite ses devoirs à Léonid BREJNEV à Moscou, il se trouva à son retour en présence d'un complot fomenté par son adjoint Hafizulah AMIN. Ce dernier devait d'ailleurs éliminer son chef d'une rafale de kalachnikov en plaçant le Kremlin dans une situation embarrassante. Il fallut attendre une bonne semaine avant que le nouveau « premier afghan » eût droit au titre officiel de « camarade ».

 

L'ENGRENAGE

Cependant, une fois au pouvoir, AMIN se signala à la fois par son extrême brutalité et une tendance à prendre des distances vis-à-vis de ses maîtres moscovites. Sous sa férule le régime de Kaboul s'orienta vers une forme radicale de national-communisme rappelant quelque peu celui des Kmères rouges au Cambodge. Or, depuis décembre 1978, Moscou a lâché contre ceux-ci son fidèle vassal vietnamien et constaté à cette occasion que les troupes d'Hanoï avaient été dans l'ensemble assez bien accueillies par une popu­lation terrorisée par les excès sanglants de Pol Pot (3). De plus, à part une minorité de partisans, AMIN, en un mois de « radicalisation » ne comptait plus que des ennemis dans son pays et, fin octobre-début novembre, on avait l'impression que les divers mouvements de résistance - renforcée par des dizaines de milliers de déserteurs de l'armée régulière, ne tarderaient pas à s'emparer de Kaboul.

 

Moscou n'avait plus que le choix entre un soutien militaire accru à AMIN ou bien le remplacement de celui-ci par un communiste afghan plus raisonnable. Or les Soviétiques disposent en vue de cette dernière éventualité d'un candidat acceptable en la personne de Babrak KARMAL - fils d'un ancien général afghan, exilé par TARAKI à Prague en qualité d'ambassadeur.

 

Par ailleurs, au même moment, les Américains subissent à Téhéran une humiliation sans précédent avec le sac et l'occupation de leur ambassade par des « étudiants révolutionnaires » et le candide Président CARTER s'imagine que son « ami BREJNEV » ne manquera pas de faire pression sur l'Ayatollah KHOMEINY pour faire libérer ses diplomates gardés en otage. Bien entendu c'était la dernière idée qui pouvait venir à l' « ami BREJNEV » et à son équipe qui, au contraire, estiment de bonne guerre de profiter de l'embarras de Washington pour devancer une « inévitable intervention américaine » en Iran par une brève opération en Afghanistan. Celle-ci est décidée, semble­t-il, fin novembre 1979 et va nécessiter près de trois semaines de préparation.

 

UN CHEF-D'OEUVRE D'INCOHÉRENCE

Nous ignorons qui furent les auteurs du plan génial de l'invasion de l'Afghanistan. Il est probable que ce plan fut élaboré par l'état-major de la Région Militaire d'Asie Centrale à Tachkent. Dans sa conception il s'agissait d'une synthèse de l'invasion de la Tchécoslovaquie en août 1968 et de l'opération vietnamienne au Cambodge citée plus haut. Le corps expéditionnaire devait comprendre une division aéroportée prélevée sur les Réserves stratégiques du Commandement Principal des Forces Terrestres, et six divisions de Fusiliers Mécanisés stationnées sur le territoire de la Région Militaire d'Asie Centrale. Celles-ci étant de catégorie II - c'est-à-dire entre 60 et 70 des effectifs du temps de guerre, il fallut les compléter par des réservistes - fantassins pour la plupart, rappelés sur place.

 

Ainsi, des Turkmènes, des Ouzbecks et des Tadjiks, qu'on évite normalement en U.R.S.S. d'incorporer dans des unités casernées dans leurs républiques d'origine, furent-ils appelés dans les rangs d'un corps expéditionnaire destiné à opérer contre leurs frères de race et de religion des tribus afghanes. A l'instar de l'invasion de la Tchécoslovaquie pour laquelle la Direction politique principale avait cru bon d'expliquer aux exécutants qu'il s'agissait de s'opposer à une agression allemande, on invoqua à l'usage des réservistes indigènes d'Asie Centrale une offensive chinoise contre leurs frères afghans.

 

Le schéma de l'opération était simple. La mission principale revenait à la division aéroportée - dont les unités transportées en camions devaient s'emparer par surprise de Kaboul, faire prisonniers AMIN et son entourage et préparer la venue de Babrak KARMAL. Les six divisions mécaniques devaient de leur côté - bénéficiant d'un important appui aérien, s'emparer des grandes villes du pays, rallier à elles ou bien neutraliser les unités de l'armée régulière afghane et faire comprendre aux populations qu'elles venaient les libérer.

 

Cet aspect « libération » devait d'ailleurs ressortir d'un discours radio­diffusé de Babrak KARMAL à partir de Tachkent, précédent sa venue à Kaboul où son accession au pouvoir, assurée par les paras soviétiques, allait être supervisée par le Général du K.G.B. PAPOUTINE chargé de coordonner les aspects militaires, politiques et « spéciaux » de l'opération.

 

Une fois installé, le nouveau « premier » Afghan devait marquer son attachement à l'Islam en allant présider une prière dans la Grande Mosquée de Kaboul et ordonner ensuite une amnistie quasi générale pour les prisonniers arrêtés par les sbires de son prédécesseur.

 

Par un curieux concours de circonstances aucun des points de ce plan n'allait se dérouler sans accrocs.

Persuadés d'être accueillis en libérateurs à Kaboul, ou se heurter tout au plus à une certaine résistance passive du type tchécoslovaque, les « paras » furent surpris par le feu nourri de la Garde d'AMIN et de certaines unités de la garnison de la capitale. Il en résulta une véritable bataille au cours de laquelle périrent le Général du K.G.B. PAPOUTINE et un certain nombre de paras dont les camarades liquidèrent AMIN, sa famille et sa garde personnelle, et désarmèrent la garnison.

 

De son côté Babrak KARMAL, ému ou distrait, a oublié de se déchausser avant de pénétrer dans la Mosquée, ce qui fut, bien entendu, diversement apprécié.

 

Enfin, leurs divisions ayant atteint les objectifs assignés, les Turkmènes, Ouzbecks et Tadjiks se précipitèrent dans les bazars locaux pour se renseigner sur les agresseurs chinois et pour apprendre ainsi une vérité différente de celle de leurs cadres politiques.

 

 

Avec de telles prémices l'ensemble de l'opération allait très vite tourner à une pagaille généralisée dans le cas des divisions mécanisées - les aéroportés seuls étant à la hauteur de leur mission. On dut progressivement relever les réservistes par des appelés en incluant le corps expéditionnaire dans le plan général de l'appel du contingent.

 

DES UNITES INADAPTEES A LA MISSION

Dépêché en Afghanistan en vue d'une brève opération de « libération » et éventuellement de reprise en main des populations, le corps expéditionnaire soviétique allait découvrir toutes les difficultés et les embûches d'une guerre révolutionnaire, avec à la fois contre eux les résistants et la population - cela, le plus souvent, en terrain montagneux. Même une fois relevés les réservistes « asiatiques » par des conscrits en provenance de diverses républiques de l'Union, les divisions de fusiliers mécanisés devaient se révéler inaptes à cette forme de guerre.

 

En effet, ces grandes unités comprenant un régiment de chars et trois régiments d'infanterie mécanisée dotés chacun d'un bataillon de chars, ont été essentiellement conçues - au même titre que les divisions blindées, pour une guerre en Europe. Leurs 250 chars et leurs quelques centaines de transports de troupe leur permettraient, en liaison avec des hélicoptères, d'effectuer des offensives éclair à grand rayon d'action, en Allemagne, voire dans les pays du Benelux ou en France.

 

En revanche, leur faible dotation en infanterie - 2.500 hommes par division et la formation de leurs fantassins (fusiliers mécanisés) habitués à se déplacer en véhicule ou sur la plage d'un char et à combattre en liaison avec les blindés ne prédisposait nullement ces divisions à une guerre rappelant celle que l'armée française a dû mener en Kabylie avec, de plus, une population totalement hostile et des maquisards fanatisés.

 

Comme entre-temps on crut bon de ramener à ses cantonnements la division aéroportée en laissant en Afghanistan une seule brigade de parachutistes, soit quelque 2.000 hommes, l'ensemble du corps expéditionnaire ne devait pas dépasser, au cours de l'année 1980, un total de 15.500 fantassins alors qu'il en aurait fallu plusieurs centaines de milliers pour effectivement carroyer et tenir le pays.

 

En 1981 on décida d'expédier deux autres divisions mécanisées en Afghanistan. On en fit autant en 1982, ce qui devait porter à quelque 129.000 hommes les effectifs du corps expéditionnaire, dont 29.000 fantassins. Pour accroître le nombre de ces derniers on mit à pied dans le courant de 1983 une partie des équipages de chars, mais il ne semble pas que l'expérience ait été concluante.

 

UN HAUT COMMANDEMENT SANS IMAGINATION

Sans vouloir tresser des couronnes aux généraux français au Vietnam et en Algérie, ni au Commandement américain de Saïgon, force nous est de constater qu'ils ne souffrent pas la comparaison avec les brevetés soviétiques chargés depuis plus de quatre ans de régler le problème afghan.

 

Pour le résoudre ils avaient à leur disposition l'Armée afghane, l'infanterie soviétique, les armes techniques, le K.G.B. - avec son annexe locale, et cela sans aucune limitation d'emploi.

 

Disons tout de suite que les 30.000 survivants d'une armée régulière afghane qui comptait 90.000 au moment du coup d'État du prince DAOUD, et environ 80.000 le 27 avril 1978, se montrent beaucoup moins sûrs et efficaces que ne l'étaient l'armée vietnamienne de notre temps ou bien les unités du Sud-Vietnam formées par les Américains - sans parler de nos tirailleurs spahis ou harkis en Algérie.

 

Minables valets d'arme des unités d'infanterie soviétique, très rarement utilisés seuls, les soldats de l'armée dite régulière afghane ont pour l'État-major du corps expéditionnaire le seul avantage de gonfler les effectifs sur le papier. Sans grande efficacité dans les opérations, ces « malheureux » sont méprisés par leurs « frères d'armes » soviétiques, haïs par leurs « frères de race et de religion » et s'efforcent de se racheter en fournissant aux résistants des armes, du matériel et des renseignements.

 

Plus de quatre ans après le « glorieux engagement » du 27 décembre 1979, les paras et fusiliers mécanisés du corps expéditionnaire ne se sont pas réellement adaptés à cette guerre, alors qu'il eût suffi d'une doctrine et de cadres valables.

 

Ce sont finalement les armes techniques et en particulier, dans l'ordre croissant : l'artillerie, l'aviation et les hélicoptères blindés qui constituent les atouts du Haut Commandement soviétique en Afghanistan. Encore faut-il rappeler qu'aucun de ces atouts n'est capable à lui seul de remporter la décision, et que même leur combinaison n'est valable qu'en appui d'une infanterie digne de ce nom.

 

Restent les Services Spéciaux. Là aussi les Soviétiques - et dans une certaine mesure les analystes occidentaux, se font des illusions. On ne prête qu'aux riches et le K.G.B. n'est pas plus à la fête que l'infanterie dans cette guerre très spéciale. Même disposant d'un certain nombre de traîtres au sein de l'Administration, de l'Armée, de la Population et de la Résistance afghanes, les « organes du Général TCHEBRIKOV » ne sont pas chez eux en Aghanistan.

 

Habitués aux succès faciles dans leur empire, face aux Services Spéciaux capitalistes et dans les pays dits du Tiers Monde, les tchékistes se heurtent dans le cas considéré à un mur sans fissures, constitué par un mélange d'orgueil fruste, de fidélité aux siens et de fanatisme religieux (4).

 

Finalement, installé dans cette guerre dont il ne voit pas la fin, l'État-major du corps expéditionnaire se comporte à l'instar des autres organes de l'aberrant système sbiro-strato-partocratique bolcheviste, c'est-à-dire qu'il fait semblant de remplir un plan en houspillant ses subordonnés et en inondant les échelons su périeurs de compte rendus falsifiés.

 

LES VERITABLES PERTES DE L'ARMÉE SOVIÉTIQUE EN AFGHANISTAN

De temps en temps les analystes occidentaux se livrent à des estimations chiffrées des pertes soviétiques en Afghanistan. Celles-ci s'établissent entre 15 et 20.000 tués (5) et atteindraient quelque 40.000 blessés sérieux. Nous pensons quant à nous que le chiffre des tués devrait être révisé pour avoisiner les 30.000 - soit les effectifs de deux divisions. Toutefois, en dehors de ces pertes brutes en jeunes vies humaines et en invalides, il faut également comptabiliser deux catégories de victimes directes de cette guerre criminelle ; les drogués et les homosexuels par entraînement.

 

Car de par l'imbécillité du système et de sa hiérarchie, le corps expéditionnaire pourrit sur pied en Afghanistan.

 

Rappelons pour commencer que l'Armée soviétique est essentiellement à base de contingent pour ce qui concerne la troupe et la majeure partie des sous-officiers. Elle ne compte aucun engagé et seuls quelques adjudants ou aspirants sont des rengagés. En revanche les officiers sont tous de carrière - les officiers de réserve étant formés au cours de périodes spéciales dans des camps. Les recrues désignées pour l'Afghanistan y effectuent - après avoir reçu une formation préalable de trois mois, un séjour ininterrompu de 18 mois sur les deux ans auxquels sont astreints les appelés dans les Forces terrestres ou aériennes.

 

Ayant rejoint leurs affectations dans un pays hostile, mal nourris, privés d'alcool et de femmes, les sous-officiers et hommes de troupe du contingent sont - surtout ces derniers, en butte aux brimades de leurs anciens. Au cours de leur 18 mois de séjour ils bénéficient, en principe, d'une seule permission de 10 jours, non pas chez eux mais dans des « camps de repos » aux environs de Tachkent.

 

Vivant dans des conditions précaires et dangereuses, ces jeunes de 18 (6) à 20 ans sont les victimes toutes désignées de leurs anciens qu'ils craignent (en ce qui concerne l'homosexualité), et de trafiquants de drogue (militaires ou civils). Les premiers sont des sous-officiers de l'Intendance et autres planqués, les seconds des « agents » de la Résistance ou tout simplement des margoulins locaux.

 

Il y a toujours eu du « chanvre indien » en Afghanistan, mais en dehors du modeste haschisch, ce sont des drogues plus sérieuses que découvrent  là-bas les appelés soviétiques. Il faut dire que là aussi, à l'origine, se trouve le K.G.B. dans la mesure où bien avant les événements de 1978-1979, cette « honorable institution » avait créé dans le sud de l'Ouzbekistan des fermes d’Etat secrètes. Là, des Nord-Coréens cultivaient des pavots et produisaient de l'opium que le K.G.B. faisait ensuite passer en Afghanistan pour obtenir des devises en alimentant les diverses « connections » occidentales.

 

Or depuis l'invasion de décembre 1979, le trafic connaît quelques perturbations - une partie de la production des Sovkhozes tchékistes aboutit au corps expéditionnaire. Il en résulte deux courants distincts : celui qui alimente les besoins immédiats des personnels et celui que des trafiquants militaires dirigent sur l'U.R.S.S. -- et en premier lieu Moscou et les grandes villes.

 

Nous avons déjà signalé (dans ÉSOPE) le cas d'officiers condamnés à mort et exécutés pour avoir expédié en U.R.S.S. de l'opium dans des cercueils rapatriant les corps de leurs camarades. Ce n'est qu'un exemple d'une maladie plus que grave.

 

UNE GUERRE VRAIMENT INTERMINABLE

On n'arrive toujours pas en Occident à se faire à l'idée qu'à moins de décupler leurs effectifs en Afghanistan, les Soviétiques ne peuvent pas gagner cette guerre unique en son genre. La Résistance afghane ne peut pas gagner non plus - même un accroissement de l'aide extérieure n'y changerait rien, à moins d'une révolution à Moscou. Ainsi la guerre peut-elle durer indéfiniment.

 

Nos lecteurs sont alors en droit de nous demander pourquoi l'U.R.S.S. qui dispose d'immenses ressources humaines et matérielles ne peut pas « décupler » les effectifs de son corps expéditionnaire.

 

A cela il y a une réponse simple sinon simpliste, à savoir que l'Afghanistan ne se trouve pas sur une « direction stratégique » et que pour décupler les moyens utilisés là-bas, il faut prélever des divisions sur tout le Théâtre d'Extrême-Orient, c'est-à-dire face à la Chine, ou bien sur le Théâtre du Caucase, face à l'Iran, à la Turquie et au Proche-Orient. Jamais, à moins d'un ordre formel du Bureau Politique, l'État-major Général des Forces Armées n'acceptera de sacrifier un de ces Théâtres au profit de l'Afghanistan. De son côté le Bureau Politique - à la condition qu'il soit enfin commandé, ne pourra jamais se résoudre à donner un tel ordre de peur de voir les « agresseurs » américains ou chinois en profiter pour attaquer l'U.R.S.S.

 

Nous sommes en pleine démence, ne serait-ce que lorsque nous voyons comment s'effectue le recomplètement des effectifs en Afghanistan. En effet, les Bureaux de Recrutement qui ont été désignés pour y expédier des recrues ont dû modifier leur « plan d'affectations » au détriment des Régions Militaires qu'ils alimentaient normalement. Le corps expéditionnaire faisant partie - sur le papier - de la Région Militaire d'Asie Centrale a bouleversé toutes les prévisions relatives à cette R.M. naguère secondaire. Avec ses divisions à effectifs complets et ses pertes à compenser, il a obligé le Recrutement Central et la Direction Principale « Organisation-Mobilisation » de l'État-major Général à revoir tous leurs plans du temps de paix et du temps de guerre.

 

Pendant ce temps, sur le terrain, les exécutants s'interrogent sur la durée de cette pénible aventure. Chargées de veiller sur le moral des cadres et de la troupe, les officiers politiques des unités invoquent le précédent des douze années de la Guerre des Basmatchis dont nous avons parlé plus haut. Ainsi le corps expéditionnaire en serait-il au tiers de la glorieuse mission qui lui est confiée. De leur côté les Officiers de troupe qui méprisent leurs collègues politiques et revendiquent l'héritage de l'ancienne Armée russe évoquent de plus en plus la conquête du Caucase... qui, elle, a duré près de soixante-dix ans !

 

Au même moment les chefs des divers mouvements de résistance ne doutent pas que le temps travaille pour eux ; que tôt ou tard ils parviendront à porter la guerre sur les territoires soviétiques peuplés par leurs frères turkmènes, ouzbecks ou tadjiks, et que la victoire finale sera acquise quelque part du côté de Tachkent.

 

De toute façon M. Georges MARCHAIS ne doit pas être très au courant de ce qui se passe en Afghanistan lorsqu'il propose des négociations en vue d'un retrait du corps expéditionnaire soviétique. Il est vrai que les cadres et les hommes de troupe de ce corps expéditionnaire signent, avant d'être rapatriés en U.R.S.S., l'engagement de ne jamais divulguer les détails de leur séjour en Afghanistan.

 

ET EN ATTENDANT

Recevant une aide extérieure parcimonieuse - les Occidentaux ayant peur d'incommoder les Soviétiques, et vivant avant tout des récupérations d'armes sur les agresseurs, les résistants afghans mènent la vie dure au corps expéditionnaire. Celui-ci contrôle actuellement - toujours selon M. Caspar WEINBERGER, « une part moins étendue de l'Aghanistan » qu'en 1979-1980.

 

Il est de fait qu'à part Kaboul, deux aérodromes et les bases divisionnaires, le corps expéditionnaire a laissé aux résistants le contrôle du reste du pays. De temps en temps le Commandement soviétique « fait récupérer » telle ou telle grande ville pour en perdre très vite la maîtrise.

 

Il est regrettable, dès lors, que les Américains et leurs alliés ne se donnent pas la peine de soutenir plus efficacement les résistants, même si une victoire de ces derniers paraît pour le moins impossible.

 

(1) « L'Armée Rouge des Ouvriers et Paysans » a changé officiellement de nom le 23 février 1946 en devenant - par décret du Soviet Suprême - l'Armée Soviétique.

(2) Dans une interview accordée au « Jane's Defence Weekly » du 19-1-1984 et citée dans « Le Monde » du 21 janvier 1984, p. 22.

(3) Ce n'est que plus tard que va s'organiser la résistance à l'envahisseur vietnamien.

(4) De temps en temps parviennent d'Islamabad (Pakistan) des informations relatives à des cas de trahison au sein de la Résistance. Certaines seraient réelles et d'autres seraient diffusées par le K.G.B. fortement implanté au Pakistan.

(5) Dont au moins quatre généraux (NDLR)

(6) En U.R.S.S. l'age d'appel est de 18 ans.

 

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 121

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