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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
LE COLONEL GASSER
 

in Memoriam par le Colonel REMY

- Quel superbe cuirassier il eût fait ! m'écriai-je devant mon ami Marcel Wiriath qui venait de me présenter au Colonel Roger Gasser auquel le liait une profonde affection.

-          « Il le fut », me répondit-il.

 

Je me sentis sur-le-champ attiré par l'impression d'absolue droiture qui se dégageait de cet homme dont la taille me parut approcher de celle du Général de Gaulle. Informé de ma réflexion, il vint vers moi et sourit en disant :« J'ajouterai que les circonstances ont fait que nous sommes devenus quelque peu collègues.

Venez me voir ; on échangera des souvenirs... ».

Je notai son adresse : ..., Square de La Tour Maubourg.

 

- C'est une impasse qui donne sur le 143 de la rue de Grenelle », m'expliqua­t-il. « S'il vous advient de m'écrire, ne faites pas comme ces ignares qui écrivent « La Tour » en un mot et l'affublent d'un trait d'union pour accoupler Maubourg à ce nom illustre ; sinon votre pli vous sera retourné. Le 8 est tout au fond, sur la droite. J'habite au rez-de-chaussée, au-dessous de l'étage où résidait avec son épouse le Maréchal Pétain, en deux appartements séparés. La Maréchale est toujours dans le sien, servie avec un dévouement admirable par une vieille Rivesaltaise plus âgée qu'elle et toute percluse de rhumatismes, ce qui n'empêche pas les deux femmes de se chamailler. « Hé ! répète la Rivesaltaise, vous me cassez les pieds avec votre maréchal ! Il n'y a qu'un vrai Maréchal de France, et c'est le Maréchal Joffre !».

 

« Vacant pour les raisons que vous connaissez, l'appartement du Maréchal Pétain n'est pas demeuré longtemps inoccupé : accourant d'Alger pour se voir confier le ministère de l'Éducation Nationale au mois de septembre 1944, M. René Capitant vint s'y installer dans des meubles qui n'étaient pas les siens ! ».

 

En écoutant Roger Gasser, je me disais qu'il n'avait pas seulement la taille pour trait commun avec le Général de Gaulle. Ce dernier n'eût pas désavoué la série de flèches qui venaient d'être décochées à bout portant. Mais je gardai cette opinion pour moi : trois ans à peine s'étaient écoulés depuis que, faisant l'objet de poursuites intentées par la Haute Cour de Justice pour « atteinte à la sûreté de l'État », le Général Weygand en avait été relevé pour « faits de résistance ».

 

Tandis que j'écris, j'ai sous les yeux une photographie qui représente celui dont Foch disait : « Si la France est en danger, appelez Weygand ! »... conseil qui fut retenu au mois de mai 1940 par M. Paul Reynaud, président d'un gouvernement aux abois. « Rappelé au service » l'année précédente par M. Daladier, le Commandant en chef du Théâtre d'opérations en Méditerranée orientale effectue à Beyrouth sa promenade matinale sur la route de la Corniche aux côtés de son chef de Cabinet, le Colonel Gasser qui le domine de toute la largeur de ses épaules. Leurs relations datent de loin.

 

C'est en 1917 que Roger Gasser fit son entrée à Saint-Cyr, dans la promotion « Sainte-Odile - La Fayette ». Deux ans plus tôt, son père --- dont le jeune Maxime Weygand fut l'élève à Saumur - avait été tué au front.

 

A Saint-Cyr, il aura pour camarades de promotion Henri de Bournazel (le légendaire héros du Maroc) et le futur Général Salan.

 

Nommé aspirant au bout de quatre mois d'instruction, il partit en première ligne et sa conduite au feu lui valut une citation à l'ordre de l'Armée. « C'est là que je me liai d'amitié avec le futur Général Navarre, saint-cyrien lui aussi de la promotion précédant la mienne, et qui vient de nous quitter », me dit-il lors de notre tout dernier entretien.

 

La guerre finie, Roger Gasser réintègrera l'École Spéciale Militaire d'où il sortit avec le grade de lieutenant. Il servira d'abord en Allemagne, dans une division de cavalerie où, après un séjour dans le rang, ses qualités d'intelligence et de discrétion lui vaudront d'être affecté au 2e Bureau.

 

Puis, après un court passage au 30° Dragons à Metz, il sera réclamé par l'ancien chef d'état-major de Foch qu'il quittera pour effectuer son temps de commandement au 2e escadron du 11e Régiment de Cuirassiers sous les ordres du chef d'escadron Schlesser, commandant le 1er demi-régiment, avec la joie de se retrouver en compagnie de son ami Navarre.

 

Il fit deux ans plus tard un séjour au S.R. où, de nouveau, se forma le trio Schlesser-Navarre-Gasser. Le premier soin de Weygand, quand « le Taureau du Vaucluse » le pria au mois de septembre 1939 de reprendre le harnois, fut d'emmener à Beyrouth son fidèle Gasser dont il fit son chef de cabinet.

 

Transmis par le canal des Affaires Étrangères, un télégramme officiel nanti d'une mention spécifiant que son texte chiffré ne pouvait être lu que par son destinataire, parvint de bon matin, le vendredi 17 mai 1940, au Haut-Commissariat. Portant la signature de Paul Reynaud, il s'agissait d'un S.O.S. :

 

La gravité de la situation sur le front occidental s'accentue. Je vous demande de vous rendre à Paris sans aucun retard. Prenez les dispositions utiles pour remettre vos fonctions à la haute autorité que vous choisirez. Le secret de votre départ est désirable.

 

En conséquence - m'a conté Roger Gasser -, ce télégramme fut porté à la résidence du Général Weygand. Occupé à faire sa toilette, il me demanda de procéder moi-même au déchiffrement, ce qui fit que je me rendis au Haut-commissariat où le préposé au chiffre prétendit me refuser l'accès au code du Quai d'Orsay. Il ne s'y résigna qu'en me voyant disposé à recourir à la manière forte, mais prétendit m'imposer son aide ; à quoi je répliquai que je n'avais besoin de personne, et je me mis au travail à l'abri de tout œil indiscret ».

 

« C'est bien ce que je pensais » - dis-je au Général Weygand que je retrouvai sur la Corniche, faisant son footing habituel, en lui remettant le texte mis au clair, et je l'entendis soupirer après en avoir pris connaissance : « J'avais pourtant bien prié le Bon Dieu de m'épargner cette croix ! » Puis, tout aussitôt, il se tourna vers moi, disant : « Quand partons-nous ? » ce à quoi je rétorquai : « Laissez-moi au moins le temps de faire les bagages, mon Général ».

 

Et, le 18, à 3 h 30, nous partîmes en voiture pour Rayak où nous attendait un avion Glenn-Martin piloté par le Commandant Pépin, patronyme qui me laissa songeur : quelques jours plus tard, ce vaillant officier de notre Armée de l'Air fut abattu à la tête de son groupe de chasse. Dans la queue de l'appareil, lourdement chargé, avait été installé un fauteuil de jardin où le Général Weygand prit place, cependant que j'allais m'asseoir à côté du mitrailleur.

 

Le décollage se fit à 5 h 15, étant prévu qu'on irait se poser à Tunis pour y faire le plein d'essence de façon à se poser le soir même à Étampes ; mais un violent coup de vent subi à hauteur de Benghazi contraignit le Commandant Pépin à faire demi-tour jusqu'à la base britannique de Marsa-Matruh.

 

Ce n'est que le dimanche 19 mai qu'on atteignit Étampes en fin de matinée. Roulant sur un sol cahoteux, notre Glemz-Martin écrasa sous son poids son train d'atterrissage, ce qui eut pour résultat d'obliger à dévisser le dôme de la tourelle supérieure pour permettre au Général Weygand de s'extirper de la carlingue, opération qui ne se fit pas sans fébrilité car on s'attendait sur place à être attaqué d'un moment à l'autre. Vous connaissez la suite ».

 

La suite : ce fut l'effort désespéré du nouveau généralissime pour redresser la situation irrémédiablement compromise ; son refus de céder à un chantage qui, par la capitulation de l'Armée, aurait permis aux politiciens de rejeter sur celle-ci la responsabilité de la défaite, et livrer à l'envahisseur la totalité de notre territoire.

 

Sitôt signés les armistices, Roger Gasser joua un rôle déterminant dans l'action qui permit aux Services Spéciaux de la Défense Nationale, camouflés sous l'enseigne pacifique des « Travaux Ruraux », de poursuivre clandestinement le combat qu'ils menaient dès avant la guerre contre les puissances de l'Axe.

 

Devenu Ministre de la Défense Nationale, Weygand lui en donna les moyens, cependant qu'avec un noyau d'officiers triés sur le volet il orientait l'Armée vers la revanche, tâche qu'il poursuivit efficacement en Afrique du Nord, nommant Navarre chef de son 2e Bureau avec Roger Gasser pour adjoint, préparant clandestinement la mobilisation qui prendrait effet au lendemain du débarquement anglo-américain, camouflant des armes au nez et à la barbe des « commissions d'armistice », soutenant sans réserve l'action du S.R. et du C.E.

 

L'ennemi ne se trompait pas sur les activités de Roger Gasser, qui fut relevé de son poste en même temps que le Général Weygand était, sous sa pression, rappelé en France. Tout comme son chef, il fut placé en « résidence surveillée » à Cannes où il demeura jusqu'au mois de juillet 1942, date à laquelle il fut affecté au 6° Régiment de Cuirassiers tenant ses quartiers à Limoges et où il retrouva le Colonel Guy d'Alès, autre « ancien » des Services Spéciaux, ainsi qu'un héros des campagnes de Belgique et de France en la personne du chef d'escadron de Longueau Saint-Michel qui, à Haut-le-Wastin, avait arrêté pendant toute une demi-journée - avec une poignée de ses dragons portés, l'avance des blindés de Rommel.

 

« Nous étions ensemble au mois de novembre quand, au petit matin, notre quartier se trouva envahi - m'a écrit ce dernier. La cantine contenant les papiers secrets du Général Weygand se trouvait abritée dans le bureau de Roger Gasser. Nous l'avons fait filer par le corps de garde occupé par les Allemands. Puis, le jour même, nous avons tous deux, montant nos chevaux, sauté au botte à botte tous les obstacles du terrain de manoeuvres... ».

 

Vint la dissolution de l'Armée de ]'Armistice. Roger Gasser regagna Paris, non sans avoir été muni par le Colonel Paillole (que l'envahisseur de la « zone libre » avait contraint de passer en Afrique du Nord) de missions ressortissant au contre-espionnage. Déjà suspect aux yeux de l'ennemi, il fut dénoncé et arrêté le 17 janvier 1943 par le Sicherheitsdienst, puis déporté à Eisenberg le 31 août suivant, après avoir été incarcéré à Fresnes. L'heure de la libération sonna pour lui le 19 mai 1945, après l'effondrement du III em' Reich hitlérien.

 

A une question qui m'était récemment posée sur la définition de la « Résistance », j'ai répondu que celle-ci ne fut pas l'affaire d'un clan, mais celle de la nation toute entière, ayant pour idéal de rendre à notre pays sa liberté et sa grandeur, rassemblant dans une même volonté de servir la France ceux qui, comme moi, répondirent à l'appel du Général de Gaulle tout comme ceux qui se rangèrent sous l'égide du Maréchal Pétain.

 

Quand il s'agissait de torturer l'un d'entre eux, de le jeter en prison, de le diriger sur un camp de concentration ou de l'envoyer au poteau d'exécution, l'ennemi commun ne faisait pas de différence d'étiquette. Le Colonel Roger Gasser a illustré cette vérité : « déporté résistant », Commandeur de la Légion d'Honneur, il eût, au premier rang, mérité de se voir décerner la Croix de la Libération.

 

Militant au sein de l'Amicale des Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale, il en fut pendant trois ans le Secrétaire Général en dépit des séquelles rapportées de sa captivité. Sujet à de graves troubles cardiaques, rongé par l'arthrose, il dut se résigner à abandonner ses fonctions, formant le vœu d'être admis un jour à finir sa vie sous le toit de l'Hôtel des Invalides. C'est là que la mort est venue rendre visite à ce Français exemplaire qui restera pour moi un modèle de courage, de loyauté et de fidélité.

 

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 119

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