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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
HOMMAGE A POLACCI ET ROSA PAR LEUR CAMARADE DES PRISONS ITALIENNES HENRI GARAPON
 

GARAPON m'écrit :« les disparitions rapprochées de ROSA et POLACCI qui vous devaient leur liberté, comme moi-même, m'ont conduit à penser que vous souhaiteriez peut-être un texte pour le Bulletin. Voici donc ce texte, faites-en ce que vous voudrez mais j'aurai satisfait aux impératifs de l'amitié ».

Ce texte vient à point pour rappeler un épisode dramatique de notre his­toire et souligner les mérites de camarades qui tels POLACCI, ROSA, GARAPON, et bien d'autres, payèrent de leur liberté leur volonté de servir et leur dévouement à notre ancienne Maison.

Ils n'eurent d'autre récompense que la satisfaction d'avoir accompli leur Devoir... LA FRANCE (?) n'a jamais voulu admettre qu'il fallait la défendre avant 1940... Ils ont « résisté » trop tôt pour être dans le peloton compact de la dernière heure. Ainsi va l'Histoire de 1940 à 1945. Mais l'AASSDN n'oublie pas !

P. PAILLOLE

 

par Henri GARAPON

La mort d'Alexandre POLACCI, suivant celle de René ROSA, en juin 1982 conduisent l'un des survivants des prisons fascistes (peut-être le dernier) à évoquer leurs mémoires ainsi que quelques souvenirs de ces temps lointains.

 

En effet, si l'on excepte les deux ouvrages si complets des colonels PAILLOLE et GARDER, nul n'a tellement raconté les aventures de cette équipe d'hommes du S.R. souvent occasionnels, qui risquèrent leurs vies et surtout leurs libertés dans la recherche du Renseignement en Italie fasciste.

 

Jusqu'en 1935 ou 1936 rien n'avait été entrepris dans ce pays voisin, considéré comme virtuellement ami. Je crois savoir qu'il existait un certain accord entre les États-majors sur ce sujet. Mais les fascistes, violant cette convention, se livrant de plus en plus aux nazis, opérèrent sans gêne en territoire français, garnissant leurs consulats d'agents du « servizio informazione militare ». On se souviendra des assassinats des deux frères ROSELLI, ex-députés socialistes réfugiés en France. Dans le même temps, le général ROATTA, grand maître des services secrets armait chez nous certaines organisations dites d'extrême-droite.

 

L'étude systématique de l'Armée italienne, les interrogatoires de nombreux déserteurs incombaient au colonel BARBARO, installé avec ses collaborateurs à Marseille dans la caserne Audéoud. Il fallait se rendre sur place inventorier les terrains d'aviation, les objectifs de bombardement, tâche confiée au commandant aviateur REVERDY (disparu vers 1947).

 

Cette tâche, urgente et commencée bien tard, mobilisait des volontaires, des occasionnels et aussi des italiens antifascistes, souvent voués à de cruels procès.

 

Comme disait le Général De Gaulle « le renseignement, c'est épatant, mais cela finit toujours mal... »

 

Nous fûmes un certain nombre pour tomber dans les mailles de l'habile « maggiore » Navale  (1), bras droit du général ROATTA pour ce qui touchait au « controspionnaggio » de la zone Nord.

 

Il appartenait à l'arme d'élite des carabiniers, comme tous ses semblables. On a pu constater récemment par leur lutte fructueuse antiterroriste que ces militaires n'avaient rien perdu de leur pugnacité.

 

J'ai fait la connaissance de René ROSA un petit matin de juin 40 dans une cellule de la prison d'Imperia, local voûté dans un vieux fort, où murs et plafond comportaient de gros anneaux de fer scellés, sans doute pour aider, jadis, aux interrogatoires.

 

Deux carabiniers en civil m'avaient conduit là, dans la nuit, par un train rapide et sans menottes, depuis le pénitencier de Civitavecchia où je me morfondais depuis plus d'un an, seul détenu français, condamné à 25 ans de prison depuis septembre 1939.

 

Mes compagnons étaient tous des italiens opposants, ayant introduit des demandes de grâces, reniant leur foi socialiste, communiste, libertaire, s'épiant, se dénonçant.

 

Nous n'avions ni crayon, ni papier, ni livre, ni journal, enfin rien et même fort peu à manger sinon une affreuse soupe de légumes à midi.

 

Parfois filtraient des nouvelles venant des cellules d'en haut où étaient enfermés les communistes, irréductibles et bien organisés. A vrai dire ils ne savaient trop que penser car leur chère Russie était alliée au IIIe Reich lequel avait signé le pacte d'acier avec le fascisme italien. Seule une foi aveugle en Joseph Staline leur permettait d'espérer. Mais, bienveillants avec le français, ils l'informaient des magistrales corrections que la Royal Navy infligeait aux cuirassés mussoliniens, si fragiles, du côté du cap Matapan et même ailleurs...

 

Nous devions ROSA et moi, ainsi que quelques autres, être échangés ce jour là contre une demi-douzaine d'italiens condamnés en France pour espionnage et cela au pont St-Louis, près de Menton (2).

René ROSA  appartenait à une ancienne et honorable famille de banquiers, directeurs d'assurances, laquelle devait descendre d'une lignée de ces armateurs qui firent la gloire et la fortune de Gênes dans les temps anciens.

 

Engagé volontaire très jeune en 1915, il avait été blessé, cité, puis avait connu à Paris l'époque des années folles, fréquenté Cocteau, Max Jacob, Darius Milhaud était son beau-frère, il aurait pu écrire « Au temps du boeuf sur le toit » mieux que ne l'a fait Maurice Sachs.

 

Ses souvenirs étaient prodigieux, sa conversation éblouissante et c'était un enchantement de l'entendre pour un jeune qui avait passé son bac et connu Paris après la « belle époque ». Et puis parler de nouveau français était bien agréable.

 

Nous évoquions les plaisirs d'un bain chaud et du tabac de la Régie quand un concert de hurlements traversa les murs épais de notre citadelle : Son Excellence Benito Mussolini, monté sur son balcon du palazzo Venezia avait, par un long discours déclaré la guerre à la France, l'Angleterre et une cinquantaine d'autres nations. L'Italie allait, enfin, réparer les injustices du traité de Versailles, donner du pain à ses enfants, mais notre échange se trouvait fort compromis. Cette nuit-là le canon tonna sur la frontière assez proche.

 

Le lendemain l'on nous transféra, en voiture, à San-Remo où la prison, plus sérieuse, était déjà pleine d'anglais retraités, viennois réfugiés, intellectuels libéraux italiens, tous en attente d'un départ prochain pour un camp de concentration, dans les marécages napolitains.

 

Notre échange ne put s'opérer en raison de la proclamation de l'état de guerre. Nous fûmes ramenés à nos points de départ : Rome prison de Regina Coeli pour René et Civitavecchia, que j'avais quitté deux mois plus tôt, mais ou j'allais, enfin, découvrir d'autres français, un grec, un anglais pittoresque et où une commission d'officiers allemands nous visita pour nous inciter à travailler pour leur maison : la démarche fut inutile.

 

Dans l'année qui suivit, les restrictions alimentaires atteignirent les prisons de façon sévère. En juillet 1941 je fus de nouveau extrait et transféré à la prison de Turin où je retrouvai René qui avait eu de l'avancement.

 

En effet, la presse avait exploité son procès, celui de ses complices réels ou rattachés à son cas, comme l'on fit pour l'agent double COCOZZA, beau comme un dieu grec, fusillé ainsi que sa maîtresse et d'autres le jour de Noël 1940, sans doute par souci de piété René ROSA, considéré comme le pivot de toute cette ténébreuse affaire avait été journalistiquement promu au grade de colonello qu'il assumait d'ailleurs très bien.

 

C'est dire qu'à la prison de Turin il jouissait d'un lit et d'un menu plus confortables ainsi que du service d'un détenu de droit commun. Le tout moyennant « pagamento » bien entendu. Nous avions quelques lires en provenance de nos familles habitant opportunément la Suisse.

 

Nous vécûmes à Turin des jours heureux, le plus souvent dans la cour, visités parfois par un rutilant sous-lieutenant italien attaché à la commission d'armistice. Il était fort gêné par son sabre. Il me confessa qu'il était réserviste et étudiant en droit. Sa méfiance envers un maudit espion s'estompant, il nous tint au courant de nos échanges proches. Les pourparlers avaient repris entre la France et l'Italie.

Un dimanche matin toute la prison se mit à hurler et à chanter : les troupes allemandes étaient entrées en U.R.S.S. et tous ces détenus, de droit commun bien sûr, voyaient déjà la chute du régime fasciste et leur libération.

 

L'Histoire est ainsi faite de menus souvenirs que d'opiniâtres chercheurs iront dénicher un jour lointain, dans une revue quasi-confidentielle, comme la nôtre.

 

René ROSA fut échangé, je crois en août 1941, à Vintimille, où le reçut le Commandant PAILLOLE. Il retrouva sa femme, admirable à tous égards. Je le revis assez souvent, par la suite, mais je pense qu'une existence sans aventure ne lui convenait pas tellement. Il aurait été, plutôt, de la race de ces grands journalistes internationaux, côtoyant les puissants du monde et les secrets de la grande politique. Être fascinant, il lui aura peut-être manqué une grande tâche.

 

Peu de semaines ensuite je fus remis à Modane au commissaire spécial, menottes aux mains, encadré de deux carabiniers avec sabres, ceci contre un pauvre type, condamné à mort par un tribunal militaire français en 1940.

 

Alexandre POLACI fut l'objet du second et dernier échange négocié par le Commandant PAILLOLE, en mars 1942, avec d'autres camarades, des occasionnels un peu fourvoyés. Ce fut tout. Le gros de la troupe attendit la chute de Mussolini, l'avènement de Badoglio qui les transféra à San Gemigniano et, pour d'autres, les armées alliées remontant vers le Nord. Il y eut des victimes, en particulier un charmant garçon, Georges PAQUET, ex-adjudant pilote abattu lors d'une tentative d'évasion. Il était sans famille et nul ne parla jamais de lui. Pas plus que de GAGGERO, pêcheur et passeur des environs de Menton, abattu par les gardes-côtes.

 

Que sont devenus d'autres camarades : Edouard RESSORT, chancelier du consulat de Naples que son ministère abandonna, SABRAN, parti planter des orangers au Maroc, de, SESSEVALLE, gentilhomme coupable d'avoir une villa près du col du Brenner et de compter les trains.

 

POLACCI était un grand patriote et un coeur généreux. Ses amis plus proches voudront l'évoquer mieux que je puis. Bien sûr mon récit n'est pas exhaustif, seules les archives le pourraient faire. Mais où sont les archives ?

 

Il n'y eut rien, dans nos aventures, qui ressembla aux horreurs du nazisme. Mais sur ce terrain particulier d'un pays que nous aimions et aimons toujours, opprimé par des fous, des français ont fait leur devoir. Certains périrent. Nous détestions cette clique fasciste qui ne pouvait mener qu'à la ruine.

 

Ce qui fut fait, mais les dieux (et il n'en manque pas en ce pays des arts) ont veillé et la civilisation demeure. Pour combien de temps ? Demandez au colonel GARDER...

 

Adieu mes vieux compagnons des prisons fascistes que l'espoir n'abandonna jamais. Vous n'avez reçu ni pensions, ni croix, ni médailles. « Pas de défilé pour nous à l'Arc de Triomphe » disait le général RiVET. C'est mieux ainsi.

(1) Basé à Turin.

(2) La négociation de cet échange avait été menée par le capitaine Paillole de S.C.R. (Voir «  Services Spéciaux »  p. 280 et suivantes).

 

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 115

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