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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
LE LONG PROLOGUE DE LA CATASTROPHE DU 10 MAI 1940
 

Par M. Jean VANWELKENHUYZEN

Ce mois de mai, si riche en souvenirs, nous incite à piocher toujours davantage dans l'Histoire et plus particulièrement dans celle, si controversée, des événements qui ont précédé le désastre de mai 1940.

Cette fois, nous donnons la parole à M.VANWELKENHUYZEN, le distingué directeur du Centre belge de Recherches et d'Études historiques de la Deuxième Guerre Mondiale. Avec son autorisation, nous reproduisons ci-après des extraits de son étude récente sur l'attitude de la Belgique.

 

La haute compétence de l'auteur, la documentation unique dont les archives belges sont pourvues donnent à son étude une valeur exceptionnelle.

 

Nos camarades que les événements de 1939-1940 passionnent, pourront par comparaison avec les indications abondamment fournies sur ce sujet (1) se faire une opinion à la fois sur le comportement de la Belgique et des Pays-Bas, sur ce qu'il faut penser de l'attitude de l'un des chefs de l'Abwehr, le colonel OSTER, et plus généralement de l'opposition à HITLER.

 

PREMIÈRE ALERTE

L'histoire commence à Berlin le lundi 9 octobre 1939, au début de l'après-midi. Le vicomte Jacques DAVIGNON rentre à l'ambassade de Belgique. Devant le bâtiment de la Jägerstrasse l'ambassadeur aperçoit l'attaché militaire néerlandais qui fait nerveusement les cent pas. Le major Gijsbertus SAS a l'air préoccupé. Dès qu'il voit le diplomate belge, il se précipite à sa rencontre. Il lui dit sa contrariété. Il aurait voulu toucher le colonel George GOETHALS. Il a une communication importante à lui faire.

 

L'ambassadeur introduit l'officier dans son bureau et l'invite à lui confier l'objet de sa visite. SAS va droit au but. Il annonce qu'il tient de source sûre que l'état-major de l'armée allemande prépare une attaque de la Belgique. Il ne peut dévoiler l'identité de son informateur. Mais il a en lui la plus grande confiance. La Belgique court, à son avis, un péril immense.

 

Dès que GOETHALS arrive à l'ambassade, DAVIGNON lui fait part de ce qu'il vient d'apprendre. L'ambassadeur et l'attaché militaire confrontent leurs impressions. Ils n'ont pas besoin d'épiloguer beaucoup pour tomber d'accord que les autorités militaires belges doivent être averties immédiatement. Le colonel rédige aussitôt un télégramme et le chiffre. Son message parvient à Bruxelles à 18 heures. En voici le passage principal

« Attaché hollandais tient d'un ami allemand qu'il considère comme personne digne de foi très bien placée : une marche à travers la Belgique est en ce moment à l'étude au bureau du chef d'état-major général HALDER ; ce plan évite passage par la Hollande».

 

Qu'un allemand installé dans l'appareil de l'État trahisse à ce point paraît difficile à croire.

 

Qu'il s'agisse d'« intoxication » ou d'information exacte, ce que l'ami allemand de SAS a dit est de mauvais augure. Sans se prononcer sur le fond, l'ambassadeur de Belgique observe dans sa dépêche du 10 octobre :« Quoi qu'il en soit, un tel renseignement doit évidemment retenir notre sérieuse attention ».

 

OSTER CONTRE HITLER

La perplexité de Davignon et de Goethals augmenterait s'ils savaient d'où Sas tient ses renseignements. En effet, son informateur appartient a l'Abwehr !

 

Un des insoupçonnables paradoxes du IIIe  Reich est d'avoir à la tête de ses services secrets militaires un adversaire du régime.

 

Il est vrai que l'amiral Wilhelm Canaris ne s'est pas tourné immédiatement contre ses maîtres nazis. Au contraire, il a commencé par les servir avec enthousiasme. Il ne s'est distancé d'eux qu'à partir du moment où il s'est aperçu de l'aventure désastreuse dans laquelle ils entraînaient l'Allemagne. Encore a-t-il eu grand soin de leur cacher ses nouveaux sentiments.

 

L'Abwehr, en tant que telle, a continué à remplir son office comme auparavant. Ouvertement - et réelle­ment - elle travaille pour la victoire de l'empire que Hitler prétend établir pour mille ans.

 

Mais, dans la coulisse, il s'est rapproché d'une fronde nationaliste qui s'est peu à peu développée dans des cercles militaires et civils.

 

C'est ainsi qu'au fur et à mesure que le Führer s'est engagé davantage sur le sentier de la guerre, il s'est mis à protéger - ne serait-ce qu'en fermant les yeux - le jeu de plus en plus complexe d'un de ses proches collaborateurs : le colonel Hans Oster .

 

L'informateur de Sas est précisément le colonel Oster. Leurs relations remontent au début des années trente. Ils se sont connus à la Kriegsakademie. En 1936, le Hollandais est retourné à Berlin, comme attaché militaire. Les liens renoués se sont mués en une profonde amitié. Le conflit, qui a éclaté le 1er septembre 1939, les a encore rapprochés. Ils sont devenus les complices d'une action clandestine mortellement dangereuse engagée contre la politique belliqueuse de Hitler.

 

L'OPPOSITION A HITLER

L'allemand vit un drame de conscience. Comme les membres de l'opposition antihitlérienne qui gravite autour du général Ludwig Beck et de l'ancien bourgmestre de Leipzig Carl Goerdeler, il pense que la guerre contre la France et la Grande-Bretagne est perdue d'avance.

 

Le poste d'observation qu'il occupe le laisse par ailleurs sans illusion sur le comportement des hom­mes qui président aux destinées du IIIe  Reich.

 

Tout, en lui, s'insurge contre le spectacle dont il est le témoin. Il abomine le système nazi parce qu'il est aux antipodes de ses conceptions.

 

Allemand, et fier de l'être, il souffre de l'image criminelle qu'Adolf Hitler et ses séides ont créée de l'Allemagne. Officier, il est affecté au-delà de toute expression que l'honneur du corps auquel il se prévaut d'appartenir soit enrôlé au service de méthodes déshonorantes. Profondément religieux enfin - il est le fils d'un pasteur luthérien -, il est touché au for de ses convictions par les continuelles atteinte du régime à la morale chrétienne.

 

La politique du Führer est à ses yeux l'antithèse de l'idée qu'il se fait de la grandeur de l'Allemagne. A la cause de torts tellement impardonnables, il voue une haine qu'il qualifie lui-même de « fanatique ». Un mal aussi total se combat totalement.

 

Oster n'hésite pas à donner un coup de pouce à une évolution qu'il croit inéluctable en même temps que nécessaire pour chasser les apprentis  sorciers qui mènent l'Allemagne à sa perte. Quand il prévient Sas des intentions d'Hitler, il espère gagner le temps dont la conjuration a grand besoin pour préparer son putsch. Il table sur des contre-mesures aux Pays Bas et en Belgique, assez ostensibles pour obliger le Führer à renoncer momentanément à des projets qui n'auraient plus pour eux l'effet de surprise.

 

Le 23 octobre, il avertit son ami hollandais que Hitler a en tête de passer également par les Pays-Bas. Sas le répète à Goethals. Entre le Hollandais et le Belge existe une complicité professionnelle.

 

DEUXIÈME ALERTE

Le major hollandais note sur le champ l'essentiel des révélations d'Oster. Il note devant lui, en allemand mot à mot ses avertissements proprement dits. Il ne reconstitue après coup, de mémoire, que les propos plus généraux. Le message ainsi couché noir sur blanc, Sas le dicte ensuite à Goethals. Pour Bruxelles, le Belge se contente de le traduire en français. Mais il le reprend littéralement. Il pousse le scrupule jusqu'à citer entre guillemets.

 

Le 23 octobre, l'attaché militaire belge téléphone en chiffre à Bruxelles :

« Même source d'information que 9 octobre déclare : « Attention du Führer sérieusement retenue par la pensée d'une offensive à travers la Hollande et la Belgique. Si cette détermination devait être prise, la date n'en est en tous cas, pas fixée. Elle dépendrait des circonstances météorologiques »

 

L'informateur ne la croit pas avant la deuxième quinzaine de novembre »

 

Le 7 novembre, Sas apprend du nouveau : Hitler attaquera le dimanche 12 novembre ! Il s'empresse de mettre les Belges au courant. Goethals étant à Bruxelles, c'est à Davignon qu'il transmet le renseignement. Dans une « Note très secrète » qu'un courrier spécial porte dans la capitale belge, l'ambassadeur écrit :

« L'informateur allemand en lequel l'attaché militaire de Hollande a une confiance absolue se montre catégorique. D'après lui, la décision du Führer est prise et une date fixée. L'envahissement de la Belgique et de la Hollande (Limbourg) aura lieu dans les premières heures du dimanche 12. Les armées allemandes feraient donc un mouvement tournant pour atteindre la France ».

 

FRAGILITÉ DE L’OPPOSITION

Cependant la journée du 12 novembre se passe et l'attaque ne se produit pas. Le temps est affreux. Les conditions météorologiques détestables ont été plus fortes que la volonté agressive de Hitler. Il a été obligé de reporter sa décision.

 

Sans le savoir, il a fait s'écrouler comme un château de cartes les plans peu consistants de l'opposition militaire. Il a eu une explication orageuse avec le général Walther von Brauchitsch. Le commandant en chef de l'armée voulait le dissuader de lancer la grande offensive. La saison était peu favorable. Les moyens étaient encore insuffisants. Le général a eu des mots malheureux. Il a eu l'air de mettre en doute la valeur de l'instrument militaire du Führer.

 

Feinte ou réelle, la colère du dictateur a éclaté. Il a jeté à la tête du général qu'il connaissait le mauvais esprit qui régnait à l'état-major général et qu'il l'anéantirait. Brauchitsch, épouvanté, a cru que Hitler était au courant de ce qui se tramait. Il a dit son angoisse à son chef d'état-major. Le général Franz Halder a ordonné immédiatement à ses colla­borateurs de détruire jusqu'à la moindre trace des préparatifs du putsch.

 

Qu'il ait suffi d'un coup de gueule du Führer pour balayer les projets de l'opposition montre leur fragilité.

 

Le drame des adversaires de Hitler est de n'avoir pas l'appui des masses. Ils ne disposent que d'eux-mêmes. Pour entrer en action, les civils attendent une initiative des militaires et ceux-ci ne peuvent compter sur l'armée.

 

Les officiers forment un état-major sans troupe, les civils un cénacle sans audience. Une minorité réduite à elle-même ne fait pas la révolution.

 

Pour donner quelque crédit à leur position intérieure, les conjurés doivent chercher des appuis à l'extérieur. Au dehors, il leur faut se présenter comme les porte-parole d'une « autre » Allemagne, d'une Allemagne avec laquelle négocier a un sens, d'une Allemagne digne de rentrer dans le concert des nations. Au dedans, ils ont besoin d'apparaître comme capables de dénouer dans l'intérêt du pays la situation rendue inextricable par Hitler.

 

Mais cette cohérence est une vue de l'esprit. Elle repose sur une double illusion : se faire passer pour des nationalistes en s'appuyant sur l'étranger et prétendre avoir le peuple derrière soi en n'ayant pas l'oreille des masses.

 

Oster tente de résoudre cette quadrature du cercle. Ses avertissements sont des gages de la bonne foi de l'« autre » Allemagne. Ils visent à se concilier les Alliés et à obtenir finalement d'eux des conditions de paix honorables.

 

Le colonel joue deux parties qui se complètent. En se servant de son ami Sas, il essaie de prouver qu'il y a encore des Allemands avec lesquels il serait possible de traiter. C'est la branche occidentale de sa manoeuvre. L'autre branche est méridionale. Elle passe par le Vatican. Par l'intermédiaire d'un de ses hommes de confiance, l'avocat munichois Josef Müller, Oster s'efforce de prendre langue avec l'ambassadeur de Grande-Bretagne, Sir Francis d'Arcy Osborne.

 

La grosse déconvenue subie en novembre ne décourage pas Oster. Elle modifie seulement la signification tactique de ses avertissements.

 

La conjuration a constaté son impuissance. L’ analyse du general Halder est pertinente, qui énonce la Rückschlags-Theorie, la « doctrine du revers ». Seul un cuisant échec, comparable à celui de la Marne en septembre 1914, peut promouvoir une situation offrant aux adversaires de Hitler une chance d'être entendus et suivis par le peuple.

 

A partir de la fin de l'automne, l'espoir qu'Oster met dans ses confidences change. Il est vain d'escompter un putsch. Il ne lui reste qu'à jouer la carte du revers.

 

L'ESPOIR ET LES RAISONS D'OSTER

 

Les avertissements qu'il continue à prodiguer à Sas visent dès lors à précipiter la défaite.

 

Cette défaite, Oster la considère comme inéluctable. Il veut seulement en limiter l'ampleur. Il faut que la vanité de la lutte se manifeste le plus vite possible, tant que l'Allemagne est encore de taille à négocier et avant que les sacrifices consentis par les deux camps ne les dressent irrémédiablement l'un contre l'autre. Il s'en explique un jour à Sas :

« On pourrait penser, lui dit-il en substance, que je trahis mon pays. Mais je ne suis pas un traître. J'ai même le sentiment de servir mieux ma patrie que tous ces Allemands qui font la cour à Hitler ».

 

Les avertissements du colonel prennent ainsi tout leur sens. Ils sont l'oeuvre d'un homme seul. Quand Oster s'échinait à nouer les fils du coup de force militaire, quand il stimulait les contacts pris à Rome, il avait derrière lui l'autorité morale du général Beck et du Dr. Goerdeler. Il était couvert par l'amiral Canaris.

 

Mais lorsqu'il divulgue les dates choisies par Hitler pour attaquer, il n'a personne derrière lui et nul ne le protège. Il agit d'initiative, à ses risques et périls, à l'insu des conjurés dont beaucoup, sans doute, hésiteraient à s'engager à ses côtés dans une voie aussi opposée aux traditions des serviteurs de l'État.

 

La solitude d'Oster éclaire dès lors la teneur de ses confidences.Elles annoncent des dates,essentiellement des dates.

 

Cette indication est vraisemblablement celle qui est le plus à sa portée. Il avoue sans fard qu'il a toutes les peines du monde à recueillir des renseignements. Il ne fait pas mystère de la précarité de ses moyens. Il lui arrive d'expliquer qu'il fonde ses impressions sur l'atmosphère qu'il perçoit. Il est vrai que sa situation ne le place pas à la croisée des informations.

 

L'Abwehr elle-même n'est pas le point de passage obligé de tous les renseignements. Elle n'est qu'un des moyens dont le haut commandement dispose pour collecter des indications. L'Abwehr ignore beaucoup de choses, ou ne les apprend qu'avec un certain retard, quand elles sont du domaine des opérations.

 

Au surplus, dans l'Abwehr, Oster a une fonction en marge du renseignement. Il dirige la Zentralabteilung. Il est le chef de la section administrative. Admirablement placé pour entretenir les contacts entre les conjurés, il l'est beaucoup moins bien pour l'action qu'il mène avec Sas, d'autant qu'il n'a pas Canaris dans son jeu.

 

Cependant, dans l'ensemble, ce que Oster dit est près de la vérité quand ce n'est pas l'entière vérité et son intention est toujours évidente d'entretenir la vigilance des Hollandais et des Belges.

 

RÉALITÉ OU INTOXICATION

 

Vingt-six fois, le colonel annonce sinon une date, du moins une époque où la menace d'une agression allemande pourrait se réaliser. Si l'on songe que Hitler a remis l'attaque à trente reprises (2), le rapprochement des deux chiffres donne une idée de la représentativité des avertissements. Mais leur nombre porte en soi sa faiblesse. Un cri d'alarme si souvent répété épuise son crédit.

 

Les opinions sont moins tranchées à Bruxelles qu'à La Haye. On s'interroge. Mais il est malaisé de se prononcer tant que les observations faites à la frontière ne corroborent pas les avertissements reçus de Berlin.

 

A l'état-major général de l'armée, la 2em Section - l'équivalent belge du 2e  Bureau français - suit de près l'évolution du rapport des forces en présence. Chaque jour, elle recueille une ample moisson de renseignements. Ils couvrent plusieurs grandes pages bien tassées du bulletin émis quotidiennement à l'intention des hautes autorités militaires.

 

Une chose est cependant de relever le moindre mouvement et c'en est une autre d'y voir l'indice avant-coureur d'une offensive. Ce qui se constate au jour le jour à la frontière est de la routine.

 

Certes, le dispositif allemand ne cesse de se renforcer. La même constatation peut toutefois être faite du côté allié. Les unités françaises et britanniques se font, elles aussi, de plus en plus nombreuses. C'est à la fois rassurant et inquiétant. Rassurant parce qu'il n'y a pas rupture d'équilibre. Inquiétant parce que des déploiements aussi étoffés ne sont pas consentis pour demeurer éternellement inemployés.

 

La position de la Belgique est peu confortable. Elle est prise dans un effroyable étau. Néanmoins, rien n'est évident aussi longtemps que rien ne s'est produit. A l'appréhension d'une attaque brusquée, se mêle constamment la crainte d'une manoeuvre d'« intoxication ».

 

Quand Oster prédit l'attaque pour le 12 novembre, son avertissement ne tombe pas comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Bruxelles prend des précautions. L'armée est mise en état d'alerte. Les ministres discutent de l'attitude qu'il convient d'adopter si les Pays-Bas seuls sont envahis.

 

En effet, le danger paraît menacer surtout le royaume d'outre-Moerdijk. Cependant on s'y alarme moins qu'en Belgique.

 

Sas remue ciel et terre. Les mesures de défense sont finalement renforcées. La reine Wilhelmine abat une carte diplomatique. Elle propose ses bons offices aux belligérants. Elle part de l'idée qu'on n'attaque pas un pays qui brandit un rameau d'olivier. C'est une manoeuvre morale de dissuasion. Le roi Léopold s'y rallie. Il pense que, devant le péril allemand, il peut être bon d'afficher la solidarité hollando-belge. En fait, l'attaque attendue ne se produit pas. Mais ce n'est pas, pour autant un retour à la sérénité. Le fond de la situation reste inquiétant.

 

L'ALERTE DE JANVIER 1940

 

Aux alentours du Nouvel An, les perspectives s'assombrissent à nouveau. Diverses sources, diplomatiques avant tout, laissent présager une offensive allemande. Là-dessus un incident se produit. Le 10 janvier 1940, un avion estafette de la Luftwaffe fait un atterrissage forcé à Mechelen-sur-Meuse,

dans le Limbourg belge.

 

Le passager est porteur de documents qui en disent long sur les intentions de l'Allemagne. A deux reprises, il essaie d'ailleurs de les brûler. Il n'y réussit qu'à moitié. Les fragments qui tombent aux mains des autorités belges permettent encore de se faire une idée précise de leur contenu. Ils révèlent un plan d'attaque qui englobe les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg (3). Ils ne fournissent toutefois aucune date.

 

L'enquête écarte l'hypothèse d'un coup monté des services secrets allemands. L'atterrissage est accidentel et les papiers sont authentiques.

 

Trois jours plus tard, Oster annonce que Hitler, se sachant découvert, a décidé de franchir le Rubicon : il attaquera le lendemain - le dimanche 14 janvier - à l'aube ! C'est à nouveau l'alerte. La deuxième de la « drôle de guerre ». La Belgique connaît le branle-bas. La Hollande suit sur la pointe des pieds, plus par précaution que par conviction.

 

Les événements semblent lui donner raison. Derechef, il ne se passe rien. Il gèle à pierre fendre. Les routes verglacées, sont impraticables. Oster, du reste, fait savoir que l'affaire est remise au printemps.

 

Attaquer à la mauvaise saison a toujours paru une conception étrange. A La Haye, cette considération est peu faite pour rehausser le crédit de Sas. A Bruxelles, sans verser dans le même scepticisme, d'aucuns en viennent à se demander si le remue-ménage déclenché en janvier était bien nécessaire. D'un autre côté, le fait d'avoir réchappé par deux fois à l'invasion installe dans certains esprits un sentiment de sécurité relative.

 

Un équilibre, qu'aucun des camps n'est de taille à rompre n'est-il pas en train de s'établir à l'ouest ? N'est-ce pas cela le sens véritable de l'immobilité des forces en présence ? Poser la question n'est pas y répondre. Mais c'est laisser le doute s'insinuer. Rien n'est certain parce que tout paraît à nouveau possible.

 

La répétition des avertissements en acquiert une portée inédite. Elle peut passer pour la preuve d'hésitations à Berlin. Aussi bien est-elle peut-être un moyen de pression. La menace d'une offensive serait une invite à la négociation. Le recours aux armes cesse en tout cas d'apparaître comme l'unique issue.

 

LA MENACE SE PRÉCISE

Dans ce climat modifié, les annonces d'Oster des 2 et 3 avril 1940 sont loin de ressusciter à Bruxelles et à La Haye les alarmes de novembre et de janvier. Il est vrai qu'elles visent d'abord la Scandinavie. Elles laissent prévoir une invasion du Danemark et de la Norvège. L'offensive à l'ouest pourrait suivre « trois ou quatre jours plus tard ». Le 2 avril, Oster confie à Sas : « Je ne puis fixer de date ».

 

Les réactions à Copenhague, à Oslo et à Stockholm illustrent à quel point l'impact d'une nouvelle est fonction du contexte dans lequel elle tombe.

 

Des trois pays nordiques, c'est la Suède qui se montre la plus inquiète. Elle se croit l'objectif des préparatifs navals allemands en Baltique.

Les indications d'Oster, qui en confirment d'autres, la rassurent. Trop heureuse de n'être point visée, impuissante d'ailleurs à rien changer, elle se replie dans sa coquille.

 

Le Danemark, lui, hésite à se sentir menacé. Il est vrai que, n'ayant pas mobilisé, il serait en peine de se défendre. Nier le péril devient une manière de justifier l'absence de précautions.

 

De son côté, la Norvège se sent à l'abri derrière ses remparts maritimes. Elle a toute confiance en la Royal Navy. Sa maîtrise des mers est un article de foi indiscuté. L'idée que la Kriegsmarine puisse songer à la défier paraît invraisemblable.

 

Au surplus, sans le vouloir, les Alliés brouillent les cartes. Ils prennent, justement dans le Nord, des initiatives qui rejettent les avertissements d'Oster à l'arrière-plan de l'actualité.

 

Le 5 avril, Britanniques et Français remettent une note diplomatique commune à Oslo et à Stockholm. Ils mettent Norvégiens et Suédois en garde contre une politique économique trop favorable au IIIe Reich.

 

Ils agitent même la perspective de représailles. Et, le 8, des destroyers britanniques mouillent des mines au large des côtes norvégiennes. Les Alliés appellent ainsi sur eux toute l'attention d'Oslo. Lorsque le véritable danger apparaît, dans la nuit du 8 au 9, il est trop tard.

 

La décision enfin prise de mobiliser l'armée n'aura plus le temps de porter ses fruits. A l'aube du mardi 9, les Allemands débarquent à Narvik, à Trondhjem, à Bergen, à Stavanger, à Kristiansand et à une étape d'Oslo.

 

Les renseignements d'Oster n'ont rien empêché. Mais il y a pire. Ils n'ont pas été transmis aux Britanni­ques. Sas comptait sur les Nordiques pour qu'ils disent leur inquiétude à Londres. Il n'avait pas prévu que les Alliés allaient choisir ce moment pour fausser le jeu en Scandinavie et inciter Danois, Norvégiens et Suédois à se taire.

 

La Royal Navy n'est pas prévenue (4) . Le calcul d'Oster s'en trouve pris complètement en défaut. Seule la flotte britannique pouvait faire échec à la manoeuvre allemande et donner un commencement d'application à la Rückschlags-Theorie.

 

Le retentissement à Bruxelles de l'invasion du Danemark et de la Norvège est ambigu. Certes, l'agression des deux pays neutres et pacifiques comme la Belgique elle-même, suscite une profonde indignation. Elle émeut et inquiète.

 

Les motifs que le IIIe  Reich invoque pour essayer de justifier son action rappellent furieusement le prétexte avancé en 1914 pour excuser la violation de la neutralité belge.

 

N'en sont dupes que ceux qui le veulent. Mais l'émotion n'empêche pas qu'en haut lieu on s'interroge sur la portée de l'événement. L'Allemagne a rompu l'espèce de silence des armes qui s'était établi depuis la fin de la campagne de Pologne. Elle ne l'a pourtant pas fait en attaquant à l'ouest, sur le front principal. Elle a ouvert, au contraire, un théâtre d'opérations excentrique et secondaire.

 

La question se pose de savoir si ce n'est qu'un premier pas, qui prélude à des initiatives prochaines, se voulant cette fois décisives. L'affaire scandinave marquerait alors la fin de la « drôle de guerre ».

 

Une autre interprétation peut toutefois se concevoir. Elle puise son inspiration dans le fait que Hitler a lancé ses foudres précisément vers le nord plutôt que vers l'ouest. N'est-ce pas une indication que la « drôle de guerre » loin d'être terminée, entre seulement dans une phase où sont engagés les ultimes moyens d'esquiver le grand affrontement ?

 

En d'autres termes, la démonstration de force au Danemark et en Norvège serait à la fois un recul devant l'aventure et un formidable coup de poing sur la table pour que la France et la Grande-Bretagne s'assoient enfin autour du tapis vert et admettent les derniers gains de l'Allemagne. Cette lecture de l'événement est rien moins que rassurante.

 

La manoeuvre - si manoeuvre il y a -  peut échouer. Faute d'obtenir par une paix à son gré la consécration de ses victoires, le Führer ne sera-t-il pas acculé à s'en prendre directement aux Français et aux Britanniques ? De leur côté, ceux-ci laisseront-ils encore longtemps l'initiative à l'adversaire ? Il s'engage dans le nord. Il a peut-être puisé dans son dispositif à l'ouest. Les Alliés résisteront-ils à la tentation d'en profiter ?

 

LE DRAME BELGE

Au milieu de la nuit du 9 au 10 avril, l'ambassadeur de France et le chargé d'affaires de Grande-Bretagne réveillent le ministre belge des affaires étrangères, Paul-Henri Spaak. Ils invitent la Belgique à faire appel sans plus tarder à l'intervention des armes alliées.

 

Leur principal argument est que l'attaque allemande peut se produire « dans un délai de quatre jours ». C'est, à peine modifié, l'avertissement d'Oster. Spaak l'a répété l'avant-veille à Paul Bargeton. Le fait que l'ambassadeur de France le lui réserve ne manque pas de piquant. Mais également il montre qu'il pouvait y avoir des inconvénients à répercuter à Paris et à Londres ce que l'« informateur habituel » du major Sas révélait.

 

Quoi qu'il en soit, le ministre belge demande jusqu'où Français et Britanniques se proposeraient d'avancer en Belgique. Il pose la question bien que l'attitude du royaume ne dépende pas de la réponse qui lui sera faite. Du reste, cette réponse, il croit la connaître. Il tient seulement à en obtenir la confirmation.

 

En effet, Bargeton est obligé d'admettre que les forces alliées n'iraient pas au-delà d'un alignement jalonné par Anvers, Louvain, Wavre et Namur. Autrement dit, elles s'arrêteraient au coeur du pays. C'est ce que Spaak pressentait. Il a dès lors beau jeu de constater :

« Le sacrifice qu'on nous demande de faire est un sacrifice énorme. Il consiste à livrer peut-être la moitié du pays à l'invasion et, éventuellement à l'occupation, l'autre moitié devenant champ de bataille ».

 

Avant de congédier ses visiteurs nocturnes, le ministre leur montre que la démarche de Paris et de Londres n'est pas raisonnable. Du point de vue militaire, l'avantage serait insignifiant. Du point de vue politique, le désavantage serait certain. La manœuvre est vouée dès lors à demeurer sans suite.

 

A Bruxelles, comme à Oslo et comme à Copenhague, les Alliés ne réussissent qu'à brouiller les cartes. La différence est qu'à l'ouest leur faux pas ne porte guère à conséquence.

 

Hitler a d'autres chats à fouetter que de lancer sa grande offensive contre la France. Il lui faut d'abord se rendre maître de la situation dans le nord. Les indications d'Oster grossissaient le péril pour la Belgique et pour les Pays-Bas. Elles reposaient sur des intentions périmées. Leur mérite est néanmoins d'entretenir la vigilance.

 

La menace allemande est permanente. C'est ce qu'elles ont intérêt de rappeler sans cesse. Les responsables de la politique belge ont conscience du danger. Mais ce n'est pas la première fois que la rumeur d'une invasion prochaine s'est répandue. En novembre d'abord, puis en janvier, le pays s'est cru sur le point d'être assailli. L'angoisse, passée par un paroxysme, est retombée comme un feu de paille.

 

Que les appréhensions aient été chaque fois fondées est une chose. Mais ce qui paraît acquis, c'est que le sang-froid a toujours été payant.

 

Les révélations des archives allemandes montrent qu'en fin de compte les réactions de Bruxelles ont été proportionnées aux risques courus. Lorsque le Führer se décidera à passer aux actes, il en sera à sa trentième date.

 

LA DÉCISION D’ATTAQUE

La campagne de Norvège prolonge le temps pendant lequel le Führer ne fixe plus de date pour la grande offensive à l'ouest.

 

A l'époque des préparatifs contre la Scandinavie, il a fait en sorte qu'ils fussent indépendants de ceux dirigés contre la France. Il voulait que l'opération Weserübung (l'invasion du Danemark et de ta Norvège) pût être suivie de près par le déclenchement de Fall Gelb (l'attaque générale à l'ouest).

 

Il a parlé d'un intervalle de quatre ou cinq jours. Cette idée on la retrouve dans les avertissements d'Oster au début d'avril. Mais, au moment d'agir, Hitler s'est contenté de lancer une affaire à la fois.

 

Il s'est ménagé le temps de voir comment ses projets tourneraient dans le nord avant de passer également à l'action à l'ouest. Or tout n'est pas allé immédiatement comme il l'espérait.

 

Les succès navals britanniques devant Narvik lui ont donné des sueurs froides. Il a tremblé aussi pour la garnison de Trondhjem. Il a piqué plusieurs crises de nerfs, causant l'effarement de son entourage. Il faut attendre le 27 avril pour le trouver rasséréné.

 

Du coup, il envisage d'attaquer à l'ouest entre le 1er et 7 mai. Le propos ne va pourtant pas plus loin que l'énoncé d'une intention.

 

Il reprend la question le 30 avril. Les nouvelles de Norvège sont excellentes. Cette fois, il donne un ordre. Il prescrit qu'à partir du samedi 4 mai les préparatifs pour le Fall Gelb soient poussés de telle manière que l'offensive puisse démarrer du jour au lendemain.

 

La décision du Führer réduit le préavis à la portion congrue. Elle tend à rendre l'attaque possible à partir du 5 mai. La décision ne dépend plus que des conditions atmosphériques. Le 3 mai, Hitler consulte ses experts. Leurs prévisions sont peu favorables. En conséquence, il se résout à ne rien entreprendre avant le 6. Telle est cependant sa volonté d'agir à la première occasion qu'il ordonne de préparer le train spécial qui doit le conduire le jour venu, à son poste de commandement de campagne dans l'Eifel.

 

Ces péripéties échappent pour la plupart à Oster. Le 3 mai, il peut néanmoins déclarer à Sas : « Un officier haut placé à l'Oberkommando de la Wehrmacht vient de me confier : le général Keitel m'a dit personnellement que l'offensive à l'ouest commencera prochainement ».

 

Le même jour, le Vatican prévient ses représentants à Bruxelles et à La Haye qu'« une offensive sur le front occidental serait prochaine, qui frapperait aussi la Hollande et la Belgique et peut-être la Suisse ». L'avertissement provient du Dr. Josef Müller. Les messages de Berlin et de Rome ont en commun d'annoncer l'approche du péril. Ils n'avancent aucune date précise. Hitler, il est vrai, ne s'est pas encore prononcé.

 

Le 4 mai, il est contraint derechef de retarder l'échéance d'un jour. Les perspectives météorologiques demeurent incertaines. Le scénario se répète le 5. L'échéance est reportée au 8. Le 6, le ciel paraît devoir se dégager. Aussitôt, le Führer saisit l'occasion. Il ordonne l'attaque pour le mercredi 8 mai. C'est un ordre ferme.

 

La date du 8 mai 1940 s'ajoute à celles du 12 novembre 1939 et du 17 janvier 1940 où le Führer a déjà donné l'ordre de lancer la grande offensive. Mais si la décision est ferme, son exécution dépend encore des conditions atmosphériques. C'est exactement ce que Goethals téléphone en chiffre à Bruxelles, le 7 mai, à 8 h 30 :« Habituel annonce : offensive ouest préparée pour mercredi, mais il ajoute ajournement possible si contrariée par le temps » (5) .

 

Comme au mois de novembre et comme en Janvier, une vague d’inquiétude déferle sur les Pays-Bas et sur la Belgique. Cette fois, la poussée de fièvre est pourtant plus aiguë à La Haye qu'à Bruxelles.

 

L'impression domine que la Hollande surtout est menacée. Cette idée est dans l'air depuis longtemps. La faiblesse de l'appareil militaire néerlandais est notoire. Le royaume peut passer pour une proie tentante. Une démarche auprès de la légation des Pays-Bas à Berlin semble confirmer cette vieille appréhension.

 

L'Auswartiges Amt - le ministère allemand des Affaires étrangères - introduit une demande de visa pour Werner Kiewitz. La requête insiste sur l'urgence.

 

L'explication de cette hâte, c'est Goethals qui la découvre. Kiewitz est un messager spécial du Führer chargé d'inviter la reine Wilhelmine à s'incliner devant la loi du plus fort. Hitler caresse l'espoir de conquérir la Hollande sans combat. Le fait que l'ambassade de Belgique ne soit pas l'objet d'une démarche parallèle contribue à l'illusion que La Haye serait seule dans le collimateur de Berlin.

 

La vérité est que le Führer ne songe même pas à courir sa chance à Bruxelles. Il sait fort bien qu'à l'exemple d'Albert Ier , Léopold III se battra. Il se trompe d'ailleurs en doutant de la détermination de la reine des Pays-Bas.

 

Mais son erreur d'appréciation déforme l'avertissement d'Oster. La Belgique se sent moins en danger que la Hollande. Elle limite ses précautions à l'état de pré-alerte. L'armée néerlandaise, elle, connaît sa troisième grande alerte. Une invasion des Pays-Bas risque pourtant d'entraîner la fin de la neutralité belge. Le gouvernement en délibère. Il renforce la position arrêtée en novembre. La Belgique entrera probable-ment en guerre.

 

Pourtant, la journée du 8 mai s'écoule sans un coup de feu. L'attaque annoncée ne se produit pas. Il est vrai qu'Oster l'a laissé pressentir. Le 7 mai, à 23 h 05, Bruxelles a été prévenu par Goethals: « Habituel dit ce soir : affaire remise à un ou plusieurs jours ». Le renseignement est exact. Une fois de plus, Hitler a dû renoncer à l'offensive à cause du ciel bouché. Le contre-ordre a été donné le 7 vers midi. Oster l'a donc appris dans les heures qui ont suivi.

 

Le mercredi 8, l'énervement règne à la Chancellerie du Reich quand l'aréopage habituel se réunit en fin de matinée pour prendre une nouvelle décision. Le Führer en a par-dessus la tête des ajournements. Il ne veut plus attendre.

 

Mais Goering voit les choses d'un autre oeil. Son aviation a besoin d'une bonne visibilité. Il réclame du beau temps assuré. Or, le 9, s'annonce encore incertain. Le 10, en revanche, promet de convenir. Il insiste pour ne démarrer que ce jour-là.

 

HITLER enrage. Il doit pourtant reconnaître le bien­fondé des arguments du chef de la Luftwaffe. Il s'incline de mauvaise grâce.

 

La grande offensive commencera donc le vendredi 10 mai.

La décision est tombée le 9 mai vers midi. Elle n'est pourtant pas irrévocable. Pour arrêter la machine infernale, la ressource demeure de lancer, avant 21 h 30, le mot de code « Augsburg ».

 

Oster fait diligence pour savoir si oui ou non, il y a eu un contre-ordre vers 9 heures du soir. Il est à peu près 22 h 30 à Bruxelles quand Goethals transmet la réponse : 

 « Confirmation message précédent. Informateur habituel. Aucun contre-ordre n'a été donné à 21 heures. Attaque à l'aube. Informateur qui s'est autrefois déjugé à plusieurs reprise est aujourd'hui formel ».

 

Bruxelles ne peut plus douter de la valeur de l'avertissement. Du neuf s'est produit entre les deux messages de l'attaché militaire à Berlin. Les sonneries des téléphones de l'état-major général de l'armée se sont mises à tinter à une cadence qui s'est accélérée.

 

Les renseignements de contact ont commencé à affluer. Tout au long de la frontière avec l'Allemagne, la nuit s'anime de lueurs et de bruits insolites. Jamais pareil vacarme n'a régné au cours des alertes de novembre ou de janvier.

 

Les indices d'une attaque en préparation sont plus évidents de minute en minute. A partir de 23 h 35 l'armée est mise progressivement en état d'alerte.

Les unités sont sur leurs positions lorsque l'offensive débute. En Belgique, les horloges marquent 4 h 35.

 

LES RAISONS DE LA NEUTRALITÉ BELGE

Trente fois Hitler a parlé d'attaquer. Vingt-six fois Bruxelles en a perçu l'écho grâce à Oster. Pourquoi la Belgique s'est-elle cramponnée à sa neutralité malgré tant d'avertissements ?

La question vient naturellement aux lèvres.

 

Une première réponse tient au nombre même des cris d'alarme. La série pouvait aussi bien se poursuivre. L'alternance d'alertes et de détentes pouvait continuer. C'est seulement dans la nuit du 9 au 10 mai 1940 que les renseignements de contact ont confirmé les avertissements qui venaient de Berlin.

 

Encore l'évidence n'a-t-elle éclaté qu'au moment où l'invasion a commencé.

 

Entrer en guerre de sa propre volonté est d'abord une décision politique. Or les raisons politiques étaient nombreuses qui militaient pour que la Belgique ne fût privée des bienfaits de la paix que dans des conditions acceptées comme inéluctables par l'immense majorité de la population. Il en allait de l'unanimité de la nation et, par conséquent, de l'avenir du pays.

 

La notion prévalait que le temps jouait en faveur de la Belgique et des Alliés. Ils avaient un grand retard à combler pour rattraper les armements du IIIe Reich. Le Premier Ministre britannique, Neville Chamberlain, avait annoncé une guerre de trois ans. La sagesse semblait commander de gagner du temps.

 

Les contacts militaires secrets noués avec Paris et avec Londres avaient d'ailleurs appris à la Belgique qu'il aurait été insensé de précipiter les événements. La crise du mois d'avril avait montré qu'un appel préventif aux Alliés n'aurait abouti qu'à installer le champ de bataille au coeur du royaume. Aucun gouvernement ne pouvait prendre une telle responsabilité.

 

Enfin, il faut bien dire que, si le malheur voulait que l'agression allemande se produisit, on croyait être en mesure d'y faire face avec l'appui des Français et des Britanniques.

 

Les avertissements prodigués par le colonel Hans Oster ont été pour la Belgique un des moyens dont elle a disposé pour évaluer le danger et graduer en conséquence les mesures de dissuasion. Le 10 mai 1940, ils ont permis d'alerter l'armée à temps. C'était un avantage. Il allait apparaître que la Belgique n'en avait malheureusement pas d'autre.

 

Note de l’A.A.S.S.D.N.: Nous rappelons qu'Oster a été exécuté par les nazis à Flossenburg, le 9 avril 1945, en même temps que son ancien chef l'amiral Canaris.

Nos camarades se souviendront aussi que le SR français avait un contact direct avec un autre chef de l'Abwehr, le général Lahousen, dont les révélations ont souvent permis de connaître les intentions d'Hitler et de recouper les informations recueillies par ailleurs ,grâce à Oster.

 

(1) Voir les bulletins A.A.S.S.D.N. et les ouvrages du général NAVARRE, des colonels PAILLOLE et GARDER.

(2) Note de l'A.A.S.S.D.N. - Nous laissons à l'auteur de cette étude la responsabilité de cette affirmation. En réalité, le SR français est convaincu que Hitler a souvent hésité sur la décision à prendre (sous la pression de l'OKW), sans pour autant avoir fixé trente fois une date d'attaque.

(3) Note de l'A.A.S.S.D.N. - Cet incident a souvent été évoqué dans notre bulletin. On se souviendra que les belges ne communiquèrent jamais aux autorités françaises les documents saisis par eux et que le patron du SR français, le colonel Rivet, ne put jamais confirmer les inquiétudes suscitées en Belgique par une menace d'attaque en janvier 1940.

(4) Note de l'A.A.S.S.D.N. - Le SR français avait prévenu le commandement dès la fin mars des intentions d'Hitler d'envahir le Danemark et la Norvège.

(5) Note de l'A.A.S.S.D.N. Depuis le début avril 1940, le SR français annonce l’imminence de l'attaque. Le 1er  mai, il précise qu'elle se produira entre le 8 et le 10 mai par les Ardennes, la Belgique et la Hollande. Ces renseignements furent communiqués aux belges et aux hollandais.

 

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 109

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