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Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale ( France ) - www.aassdn.org -  
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PAGES D'HISTOIRE & " Sacrée vérité " - (sommaire)
UN BEAU SUCCES DU B.C.C. : l'Opération " Jamaïque "
 

Par un Ancien du B.C.C.


Le tour de service du Lieutenant L. aux Écoutes téléphoniques du BUREAU de COORDINATION de Casablanca était sur le point de se terminer, en cette fin de journée d'octobre 1942. Ses "clients" - les membres de la Commission Italienne d'Armistice de Casablanca - sur lesquels il veillait avec sollicitude, avaient quitté leurs bureaux de la Villa Rex, d'Anfa, Colonel en tête, pour se rendre à leur popote de l'Hôtel Suisse.


Le Lt. L. s'apprêtait à en faire autant de son côté et il rangeait déjà ses papiers quand il bondit sur son casque d'écoute : une communication allait s'établir entre la ville et le P.C. italien. Effectivement, voici ce qu'il entendit, en italien :


- Allô, la Commission d'Armistice Italienne ?
- Si, Signore, je suis le téléphoniste de service.
- Puis-je parler à un officier, si possible au Colonel ?
- Il n'y a plus personne dans les bureaux, mais je puis faire la commission. Qui êtes-vous ?
- Je suis le Légionnaire X., de la Légion Etrangère. Je suis Italien en voie de rapatriement. Je suis arrivé à Casablanca cet après-midi avec deux autres camarades italiens, par le bateau "La Jamaïque" venant de Dakar. Nous restons 48 heures au Port, mais je n'ai pu quitter le bateau que ce soir et pour quelques minutes seulement. Il faut que je voie d'urgence un Officier de la Commission italienne car j'ai deux lettres pour le Colonel et surtout un message oral pour le Vice-Consul italien que l'on m'a remis à Dakar avant de partir.
- Je rendrai compte à M. le Colonel demain matin; mais téléphonez demain pour prendre rendez-vous car les Officiers, ce soir, sont de sortie."

Le Légionnaire raccrocha sur sa déception, tandis qu'une idée immédiate et impérieuse traversa l'esprit du Lieutenant L.


Pour des raisons évidentes de discrétion et de commodités dans les liaisons avec ses Officiers - absolument clandestins - le Chef du BCC, le Capitaine P.- qui avait par ailleurs un bureau officiel de couverture - habitait l'appartement contigu à la salle d'écoutes, au sommet de l'immeuble voisin, au mur mitoyen.

Les "appels de liaison" se faisaient très primitivement, mais très efficacement, à l'aide d'un solide marteau qui faisait résonner ses trois coups dans le modeste salon -salle-à-manger - chambre à coucher du Chef du BCC.

Il aurait vraiment fallu être bon observateur pour apercevoir, ensuite, sur les deux petits balcons du 7ème étage, séparés seulement par 50 cm. de vide, la rapide palabre de deux têtes camouflées par des plantes grimpantes amoureusement entretenues.


Coups de marteau - balcon. Grâce au dieu de la Guerre, le Cne P. était déjà rentré dans ses foyers : Le Lt. L. le met rapidement au courant de la communication téléphonique toute fraîche captée et ajoute :


- Mon Capitaine, il faudrait faire quelque chose .
Point n'était besoin d'insister. Le Cne P., toujours décidé à foncer, avait tout de suite saisi l'idée du Lieutenant et senti l'attrait sportif de la situation. Malgré les sages principes, il faut tout de même un minimum d'action pour entretenir le souffle des troupes :

La décision des deux Officiers est prise ; aller à bord de "La Jamaïque" et se faire remettre, par le Légionnaire X., les deux lettres en question et surtout le message oral. Le Cne P. se ferait passer pour un Officier de la Commission Française de Liaison de Casa et le Lt. L. se présenterait comme officier de la Commission Italienne d'Armistice. Le premier accompagnant et facilitant sa mission au deuxième.


Il était près de 20 heures. Vous n'imaginez pas quelles sont les difficultés, en temps de guerre, pour entrer au Port de Casa, de nuit, et pour monter à bord d'un bateau transportant des militaires : Et ce, même - et surtout - comme c'était le cas, pour des Officiers Français en civil, qui n'ont pour tout sauf-conduit que leur bonne tête, leur audace ... et un but éminemment inavouable !

Bref, après de multiples démarches et quelques demi-compromissions, le Cne P. déniche un de ses anciens camarades, providentiellement Capitaine, commandant une unité au Port de Casa. Il a bien fallu "mettre dans le coup" cet Officier sur la discrétion duquel on pouvait faire foi. Celui-ci, gagné par le piquant de l'entreprise, fit tant et si bien que, contrairement à tous les règlements, tous les passages s'ouvrirent enfin à la voiture des trois Officiers jusqu'à la "Jamaïque".


Il était cependant plus de 23 heures quand les trois conspirateurs se présentèrent au Commandant d'Armes du Bord .


Le jeu commençait. Présentations - fictives. Aucune difficulté pour mander quérir le Légionnaire X, qui était déjà au dodo : Celui-ci se présente, bras de chemise, sans bandes molletières, souliers délacés en s'excusant de sa tenue. Le Capitaine P., officier de la Commission Française de Liaison, lui explique qu'il a accompagné un Officier italien qui voudrait l'entretenir. Le Légionnaire X. se grandit en un splendide garde à vous devant l'Officier italien qui le met à l'aise par un martial salut "à la romaine" et une cordiale poignée de mains, tout en priant son guide, en un français teinté d'un savoureux accent italien, de bien vouloir les laisser seuls un moment.


- Je suis le "Tenente MARTINI", de la Commission Italienne d’Armistice. Tu as téléphoné ce soir à nos bureaux et le Colonel m'a chargé de venir te trouver. Il a voulu que je vienne ce soir même, car il est possible que "La Jamaïque" quitte demain le Port de Casablanca. Il parait que tu as deux lettres à nous remettre et un message oral ?


Totalement mis en confiance par ce préambule et par une amicale cigarette, le Légionnaire X, ne se sent plus de joie. Cela ajouté à l'honneur qu'on lui fait et à l'importance qu'on lui donne, il en devient prolixe :

- Comme je suis content ! Enfin, Je puis parler à un Officier de mes compatriotes : Je suis romain, Signor Tenente, et, à votre accent, vous devez être aussi des environs de Rome.


Le "Signor Tenente"ne se souciait pas de donner des précisions !
.. Oui, à peu près. Mais ne traînons pas trop, car je ne voudrais pas que les Français te fassent des histoires après ma visite. Va chercher les lettres et dis-moi ce que tu as à me dire pour le Vice-Consul Y., qui est de mes amis et que je verrai dès demain.


- J'y cours !


Et le voilà parti dans les profondeurs du bateau d’où il retourne avec les deux plis qu'il remet à l'Officier.


- Le message oral m'a été donné par M. Z., qui est à telle adresse de Dakar. Il a besoin de fonds et d'instructions pour l'affaire que M. le Vice-Consul connaît. C'est urgent !

Le Lt. L. n'en voulait pas davantage. Il prend soigneusement note et remercie le Légionnaire auquel il promet tout son appui pour que les démarches de rapatriement soient accélérées; et il ajoute :
- Maintenant, même au cas où le bateau ne partirait pas demain, surtout ne te montre pas à nos bureaux, car les Français vont te surveiller. Ne téléphone pas, non plus, car on ne sait jamais, une indiscrétion est vite commise !

Nanti de ces conseils, le Légionnaire, rayonnant, salue très à la romaine son supérieur et s'apprête à regagner sa couche, avec le satisfaction et l'orgueil du devoir accompli. Ce n'est qu'après quelques pas qu'il fait demi-tour pour saluer les Officiers Français, au fond du salon, avec un claquement de talons très spectaculaire,

Le "ouf " de satisfaction et de soulagement que poussa le Lt. L. en se retrouvant dans la voiture ! La tension des esprits était, jusqu'à ce moment, très soutenue.

Pour alléger l'atmosphère, le Cne P., ancien Officier de Légion, remarqua : "Tout de même, ces légionnaires ; Vous avez vu le beau salut qu'il m'a fait en partant ?"
Un éclat de rire homérique renversa le Lt. L.
... Avec le respect que je vous dois, mon Capitaine, voulez-vous savoir ce qu'il m'a dit, votre légionnaire, en retournant vous saluer au fond du salon ?
- ?
- Excusez-moi, Signor Tenente, il faut quand même que j’aille saluer l'autre vieux singe !
- Le salaud
Et la voiture, à l'atmosphère totalement détendue, était secouée par la franche gaîté de trois lascars heureux de s'en tirer à si bon compte.


RESULTAT : il parait qu'un certain réseau italien du Sénégal fut un tantinet bousculé



Conséquence semi-attendue : Malgré les conseils paternels du "Tenente MARTINI". "La Jamaïque" ne partant effectivement que le surlendemain, le légionnaire X. ne put résister au plaisir d'aller tailler un brin de bavette avec ses compatriotes de la Villa Rex, dès le jour venu. Sans doute, aussi, pour recueillir les remerciements du Colonel et du Vice-Consul pour sa mission bien accomplie !


Les foudres du ciel retentirent à ciel serein, d'autant plus fort qu'elles furent impuissantes ! Furieuses protestations des Italiens, en particulier auprès du Colonel Chef de la Mission de Liaison Française de Casablanca qui tombait lui aussi des nues, et pour cause ! Que cet Officier distingué, s'il vient, maintenant, à connaître la clef du mystère, pardonne !

Il fallait surtout qu'il soit, lui, blanc comme neige : Cependant, connaissant l'existence du B.C.C., le Colonel flaira quelque chose de ce côté là.

Mais devant les innocentes dénégations du Cne P., ange candide soupçonné de procurer les plus noirs ennuis aux Organismes Officiels de Liaison avec les Commissions ennemies d'Armistice, il conclut :"C'est bien ce que j'ai dit aux Italiens qui l'ont admis ; reconnaissons qu'ils sont forts à l' "Intelligence Service".


Honneur insigne !

Dernier écho ; Les Membres des Commissions d'Armistice Allemande et Italienne quittèrent Casablanca avec quelque précipitation au moment du débarquement Allié du 8 novembre 1942.

Les italiens décampèrent avec une telle idée de fuite que lorsque le Lt. L., du B.C.C., se rendit, le premier, à la Villa Rex fraîchement abandonnée par ses galants guerriers, le premier dossier trouvé sur le Bureau du Lieutenant-Colonel Italien, Chef de la feue Commission de Contrôle, portait le titre ; AFFAIRE DE "LA JAMAÏQUE" : C'était, vu de leur côté, un rapport fidèle de ce qui précède - moins les explications - aux Autorités Supérieures d'Alger et de Rome.


Je vous laisse à penser tout le sel qu'avait ce rapport pour le Lieutenant L… !

 

 

 

 
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Article paru dans le Bulletin N° 11

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