Article paru dans le Bulletin N° 159
Par le colonel
Paul PAILLOLE
Le 17 septembre 1948, vers 16 heures, le Colonel André Sérot, médiateur de
l’O.N.U. était abattu par une rafale de pistolet-mitrailleur dans le
quartier juif de Jérusalem.
Il pressentait son destin.
Sa vision lucide de la situation créée au Moyen-Orient par les Nations
Unies, son analyse des caractères, son expérience de plus de vingt ans dans
les Services de Renseignements et de Sécurité, son robuste bon sens de
Vosgien, tout l’amenait à désespérer de voir un jour la paix dans ces pays
de passions et de rivalités livrés à l’aventure par les Nations Unies.
Un jour d’août 1948 il était venu en mission à Paris et m’avait consacré
quelques heures.
II m’avait confié ses déceptions devant ce qu’il pensait être sa mission de
Paix. Serein, il m’avait dit ses craintes pour l’avenir et aussi pour lui-
même
« Mourir à Jérusalem, Paillole, croyez-vous qu’un chrétien puisse avoir une
plus belle mort. »
Je ne l’ai plus revu. Un funeste pressentiment me faisait chaque jour
écouter les radios, lire les nouvelles, et puis est venu ce jour fatal où le
plus pur, le plus noble, le plus héroïque de nos soldats de la Paix est mort
assassiné.
Trois jours avant, le 14 septembre 1948, il écrivait à l’un de ses intimes
collaborateurs de la Sécurité Air qu’il avait créée en 1942 et dirigée
jusqu’en 1948, une lettre bouleversante de simplicité de vérité et de
stoïcisme.
Avec l’autorisation de son destinataire, le Colonel de l’Armée de l’Air
Panthène, nous en publions ci-après de larges extraits.
Les anciens retrouveront dans ces lignes le visage de celui qui fut leur
chef et qu’ils ont vénéré.
Les plus jeunes et surtout ceux qui ont chaque année rendu hommage au
Colonel André Sérot devant sa stèle édifiée dans les locaux de leur service
de Sécurité, apprendront à mieux le connaître et à comprendre jusqu’où peut
aller l’esprit de sacrifice et la conception élevée du Devoir.
Tous pourront méditer sur le sort prévu, par Sérot et réservé à ce Moyen
Orient où s’enlise toujours une Paix impossible.
Jérusalem, 14 septembre 1948.
Mon cher ami,
Aujourd’hui, j’en suis à mon 54e jour de mon second séjour à Jérusalem. Mais
cette seconde trêve n’est pas du tout la même que la précédente, — autrement
dit, il n’y a pas de trêve à Jérusalem. Nous avons eu, des journées et des
nuits, de véritables batailles et nous nous bornons à enregistrer les coups.
L’avant-dernière nuit par exemple, les observateurs, dans le secteur nord
ont enregistré plus de 400 coups de mortiers. Cette nuit-ci, c’est la
colline de Sion qui a été le centre d’activité.
Et nous sommes en plein dans le bain. Le couvent des Dominicains où j’habite
avec huit officiers est en première ligne.
A cinq miles de là, l’Américan School où se trouve mon P.C. et où habitent
une vingtaine d’Officiers. Entre les deux une petite butte sur laquelle
l’arab legion a installé un Canon de 57 antichars et s’amuse de temps en
temps à chatouiller les juifs avec son frère jumeau installé lui de l’autre
côté des Dominicains. Et les Juifs les contrebattent à coup de mortiers...
Nuit et jour, douze à quatorze observateurs sont en ligne de chaque côté.
C’est très dur comme travail, et ce n’est pas sans danger vous le voyez.
Jusqu’à présent, nous n’avons eu qu’un seul officier légèrement blessé :
Pourvu que ça dure! Les deux groupes sont coiffés par un capitaine de
vaisseau américain. Ce dernier devant rejoindre les Etats-Unis.,
l’Etat-major de Haïfa m’a demandé si j’acceptais de prendre la direction de
l’ensemble du groupe de Jérusalem, soit 80 officiers. J’ai accepté pour
mieux défendre les intérêts français. Je dois dire que j’ai une équipe
d’officiers, français, excellente dans son ensemble, qui ont décidé de
rester à Jérusalem et de ne pas profiter des possibilités de relève qui leur
ont été offertes. Car le secteur de Jérusalem a la réputation d’être le
secteur dangereux et pénible. Je me contenterai d’envoyer mes officiers en
permission de détente à Beyrouth ou ailleurs lorsqu’ils seront fatigués.
J’ai interrompu ma lettre pour aller en liaison. J’apprends à mon retour que
je prends décidément l’ensemble de Jérusalem et dès demain je vais
abandonner la ville arabe pour m’installer dans la ville juive. Ça ne
m’emballe pas mais il n’y a pas moyen de faire autrement. Je dois vous dire
que la Défense Nationale se désintéresse de nous. Elle a été bien ennuyée
lors qu’il a fallu envoyer en Palestine 125 officiers. Mais elle se
désintéresse de la mission, les consignes qui nous ont été données sont
lamentables « Pas de zèle! Et surtout votre sécurité avant tout ». Qu’on me
laisse rire! la sécurité à Jérusalem n’existe pas, on peut recevoir une
balle au moment où on s’y attend le moins; et nous vivons dans un secteur
qui est battu par les bouches de mortiers. Quant au zèle, il faut bien qu’on
vive et on ne peut pas moins faire que d’écouter les doléances des arabes et
des juifs. Et pourtant il y a ici une partie importante qui se joue. Les
Américains l’ont fort bien compris, ils ont envoyé des généraux, des
Capitaines de Vaisseau, des Colonels anciens qui ont pris tout en mains et
ont évincé les officiers (suédois) supérieurs incapables. Et nous Français,
nous sommes considérés comme des gens de second plan. C’est la raison pour
laquelle étant un des rares officiers français ayant un gros poste, j’ai
accepté celui encore plus important du groupe total de Jérusalem. Je
voudrais y monter une affaire spécifiquement française. Je m’aperçois que je
vous raconte des histoires et que j’écris sans me rendre compte que je suis
arrivé à la fin de mes deux pages.
J’espère que vous ne m’en voudrez pas et que vous ne pensiez pas qu’après
avoir reçu votre lettre, j’ai voulu, en représailles, vous imposer un
pensum.
(Entre nous, si j’écris mal et peu lisiblement je crois que vous êtes dans
le même cas! )
Cette expédition m’a permis de faire, non seulement un merveilleux voyage,
mais un pèlerinage que je n’aurais jamais songé faire. Je peux dire que je
connais Jérusalem., la vieille cité et ses environs immédiats, le mont des
Oliviers, les jardins, la vallée de Josaphat, la colline de Sion, etc...
Tous ces lieux sont devenus pour moi familiers. Jéricho, Bethléem, Emmaüs,
que sais-je encore! Et si j’en ai le temps et le loisir, je voudrais avant
mon retour voir Naplouse..., Nazareth et le lac de Tibériade. Mais pour cela
il faudrait que la paix revienne dans ce malheureux pays. Mais y
reviendra-t-elle jamais?
Toute notre bureaucratie se fait en langue anglaise, ce qui ne facilite pas
les choses et c’est pour moi un travail supplémentaire d’essayer de
comprendre parfaitement les papiers que je signe...
J’ai, paraît-il, fait des progrès en anglais et j’arrive à exprimer des
choses pas très compliquées.
Autre question? Combien de temps resterons-nous ici? Je n’en sais rien. Mais
plutôt que de ne rien faire à Paris, je préfère rester ici. La vie y est
dure et austère, mais je me sens en pleine forme physique et morale.
Ne croyez pas que j’ai coupé les ponts avec le passé! Ma pensée est souvent
à Paris vers ce service que j’aurais tant voulu avoir le temps de «
peaufiner ».
J’en ai quelques rares nouvelles.
J’en reviens à mes officiers, la moitié sont américains; plusieurs
capitaines de frégate et de corvette; j’ai aussi sous mes ordres un Colonel
français Commandant le 40e régiment d’artillerie de Verdun; plusieurs
Lieutenants-Colonels et Commandants brevetés. Dans l’ensemble tous ont fait
très correctement et avec beaucoup de cran un métier dur et risqué.
J’ai aussi quelques belges. Mes relations avec l’Arab Legion sont
excellentes, mes relations avec les juifs sont bonnes. Mais le métier est
terriblement décevant. Il n’est pas facile de négocier avec de tels
adversaires. Nous faisons de notre mieux et je suis un peu effrayé de la
responsabilité que je viens d’endosser en acceptant l’ensemble du groupe de
Jérusalem. A la grâce de Dieu!
Deux de mes camarades sont morts tragiquement à Gaza, littéralement
assassinés par des irréguliers égyptiens. Parmi eux le Lieutenant-colonel
Ceren du boulevard Suchet. Lorsque son nom a été donné à la radio, il a été
si mal prononcé que certains ont cru que c’était moi la victime.
A Xertigny les gens venaient aux nouvelles à la maison. La nouvelle aurait
été infirmée par la presse et mon père en apprenant que j’aurai pu être tué
a eu une attaque. Pauvre papa! Je ne sais pas ce que l’année me réserve mais
vraiment ce serait une misérable destinée que de perdre la vie ici.
signé : André SEROT.
|